Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LB c Ministre de l’Emploi et du Développement social et EB, 2023 TSS 292

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : L. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : E. B.

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 30 juillet 2021 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 8 février 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimé
Mise en cause
Date de la décision : Le 20 mars 2023
Numéro de dossier : GP-21-2205

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant, L. B., ne peut pas faire écourter la période visée par le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP, aussi appelé « partage des crédits ») du Régime de pensions du Canada (RPC). La présente décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant et la mise en cause ont tous les deux 67 ans. Ils se sont mariés le 27 juillet 1984Note de bas de page 1, mais se sont séparés depuis. Pour des raisons financières, ils vivent toujours dans la même maison à X, en Ontario (la « maison »). Ils en occupent toutefois des sections distinctes. Bien qu’une réconciliation ne soit aucunement envisageable, les parties ne sont pas encore divorcées et demeurent légalement mariées. La mise en cause continue ainsi de bénéficier des avantages sociaux offerts par l’employeur de l’appelant.

[4] La mise en cause a demandé un partage des crédits du RPC en août 2020, plusieurs années après l’échec de son mariage avec l’appelantNote de bas de page 2. Le ministre a procédé au partage des crédits du RPC pour la période allant de janvier 1984 à décembre 2015. Il s’était basé sur la date de leur mariage, en juillet 1984, et sur celle de leur séparation, en janvier 2016. Le ministre a maintenu cette décision après la révision demandée par l’appelantNote de bas de page 3.

[5] L’appelant a ensuite porté la décision du ministre en appel devant le Tribunal. 

[6] L’appelant affirme que la mise en cause et lui se sont séparés avant janvier 2016. Dans son appel Tribunal, il a d'abord affirmé que leur séparation remontait à 2009Note de bas de page 4. C’est à ce moment-là qu’ils avaient [traduction] « séparé » leur compte conjointNote de bas de page 5. Peu près, l'appelant a commencé à évoquer une séparation en 2005. La mise en cause et lui avaient commencé à dormir dans des chambres séparées cette année-làNote de bas de page 6. Il a dit qu’il avait seulement consenti à la date de janvier 2016 à titre de [traduction] « compromis » dans leur procédure en droit de la famille. Il a expliqué qu’il avait fait ce compromis parce que son avocat l’avait mal informé et avait fait une erreurNote de bas de page 7. Il dit que cette date de séparation est [traduction] « artificielle ». Il a également affirmé que la peur et la confusion l’avaient motivé à convenir de la date de janvier 2016. Il a plus tard affirmé que la maladie expliquait pourquoi il avait consenti à la date de séparation de 2016.

[7] Le ministre affirme que l’appelant et la mise en cause se sont séparés en janvier 2016. Le ministre a ajouté que l’appelant n’avait pas prouvé que leur séparation avait commencé en 2009.

[8] La mise en cause affirme que l’appelant a amorcé leur séparation en février 2016, mais qu’elle était d’accord pour fixer la date au 1er janvier 2016, conformément à la demande de l'appelant. C’était la date indiquée dans les documents de séparation qu’ils avaient signés. Tout en précisant que leur mariage a été caractérisé par la violence de l’appelant sous différentes formes, elle voit une différence entre un mauvais mariage et une séparation. Elle a aussi fourni des preuves montrant que leur mariage avait duré jusqu’en 2016. Ils avaient notamment signé des testaments conjoints en juillet 2014 et s'étaient déclarés [traduction] « mariés » dans leurs déclarations de revenus de 2015. Enfin, elle affirme que l’appelant n'a fourni aucune preuve tangible pour corroborer les différentes dates de séparation qu'il avance.

Ce que l’appelant doit prouver

[9] Il n’est aucunement contesté que l’appelant et la mise en cause se sont mariés le 27 juillet 1984. Il n’est pas non plus contesté qu’ils vivent maintenant séparément, et ce, même s’ils vivent encore dans la même maison. La seule question qui demeure est de savoir quand ils ont commencé à vivre séparément.

[10] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit prouver que la mise en cause et lui ont commencé à vivre séparément plus tôt que le 1er janvier 2016Note de bas de page 8.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai accepté les documents envoyés après l’audience

[11] À l’audience, j’ai demandé à la mise en cause si les trois lettres d’appui non signées de septembre 2022 l’avaient enfin étéNote de bas de page 9. Elle a répondu que des copies signées de ces lettres étaient devant elle. Elle a ensuite soumis ces copies signées immédiatement après l’audienceNote de bas de page 10. J’ai ensuite donné au ministre et à l’appelant jusqu’au 3 mars 2023 pour soumettre leurs commentaires sur ces lettres signées. Ni l’un ni l’autre n’a répondu.

[12] J’ai décidé d’admettre en preuve les lettres signées. Le contenu des lettres avait déjà été admis précédemment. Les autres parties ne subiront aucun préjudice. De plus, comme les lettres étaient déjà signées à l'audience, le retard était minime. Les autres parties étaient aussi au courant que les lettres signées pourraient être déposées, comme elles étaient à l’audience. Les parties n’ont cependant pas répondu à ces lettres, malgré le délai imparti à cette fin.

Motifs de ma décision

[13] Un conjoint séparé peut demander et obtenir le partage des crédits du RPC si les époux ont vécu séparément durant une période d’au moins un anNote de bas de page 11.

[14] La mise en cause a demandé le partage des crédits du RPC en août 2020, soit plus de quatre ans après la dernière date possible de séparation. En conséquence, la seule question dans cet appel consiste à établir la période précise visée par le partage des crédits. Comme la date du mariage n’est pas contestée, je dois seulement décider quand les époux ont commencé à vivre séparément.

Quand l’appelant et la mise en cause ont-ils commencé à vivre séparément?

[15] Je conclus que l’appelant et la mise en cause ont commencé à vivre séparément en janvier 2016.

[16] Les parties ont déjà convenu de la date [traduction] « légale » de leur séparation dans leur procédure en droit de la famille. En mars 2019, la mise en cause a signé un document pour le programme d’avantages sociaux offert par le travail de l’appelant, et confirmant une séparation en date du 1er janvier 2016Note de bas de page 12. Lors de l’audience, l’appelant a admis avoir lui aussi signé ce document, mais qu’il l’aurait fait sans savoir ce qu’il signait et [traduction] « sans avoir toute l’information nécessaire ». D’autres documents confirmant une séparation en date de janvier 2016 pourraient aussi avoir été signés. L’appelant a fait allusion à la signature d'un tel document en 2020Note de bas de page 13.

[17] Plus tard en 2020, l’appelant a toutefois dit qu’il avait accepté la date de la séparation de 2016 [traduction] « par peur et confusion »Note de bas de page 14. En 2022, il a dit qu’il avait accepté la date de 2016 parce qu’il était [traduction] « malade et n’avait pas les idées clairesNote de bas de page 15. » Par contre, en 2022, il a aussi dit avoir accepté la date de séparation de 2016 à titre de compromisNote de bas de page 16. À l’audience, il a affirmé que son avocat avait refusé de revisiter la question de la date de leur séparation.

[18] L’appelant a dit qu’il avait accepté janvier 2016 comme date de séparation parce qu’il croyait que la mise en cause avait secrètement accumulé des actifs pendant leur mariage. À ce titre, il a raconté avoir [traduction] « accidentellement » ouvert une lettre adressée à la mise en cause, peu avant 2016. Cette lettre laissait croire qu’elle avait discrètement amassé des centaines de milliers de dollars en investissements (la « lettre financière »). Il s’est toutefois avéré qu’il s’agissait d’une simple offre donnant à la mise en cause des exemples de la richesse qu’elle pourrait accumuler au fil du temps. L’appelant ne s’en est rendu compte que plusieurs années plus tardNote de bas de page 17. Si la lettre financière avait été ce qu'il avait cru, il aurait sûrement été avantageux pour l'appelant, sur le plan financier, que la date de leur séparation soit établie plus tard que 2005 ou 2009Note de bas de page 18.

[19] Plus tard en 2019, l’avocat en droit de la famille de l’appelant a admis la séparation en date de janvier 2016, tout en précisant qu’il s’agissait d’une date [traduction] « artificielle » à laquelle l’appelant avait consenti seulement [traduction] « pour faire avancer l’affaireNote de bas de page 19 ».

[20] La mise en cause a maintenu une position plus cohérente quant à la date de leur séparation. Elle a dit que l’appelant avait amorcé le processus légal de séparation en février 2016. Ce propos est corroboré par une lettre de l’avocat en droit de la famille de l’appelant, faite en date du 29 février 2016. La mise en cause a dit qu’elle avait accepté et concédé à l'appelant la date du 1er janvier 2016Note de bas de page 20.  À une autre occasion, la mise en cause a toutefois laissé entendre qu’elle aurait reçu les documents de séparation de l’avocat de l’appelant le 1er janvier 2016Note de bas de page 21. 

[21] En plus du document de mars 2019, la mise en cause a confirmé une séparation en janvier 2016 dans une déclaration sous serment faite en août 2020. Elle a dit qu’ils vivaient alors séparément, mais à la même adresseNote de bas de page 22.

[22] Je vais maintenant examiner d’autres facteurs qui pourraient avoir une incidence sur la date de séparation.

Autres facteurs pouvant avoir une incidence sur la date de séparation

[23] Il est inhabituel de voir des opinions aussi divergentes sur la date exacte d'une séparation. Comme je l’ai mentionné, l’appelant a donné au moins deux nouvelles dates de séparation (2005 et 2009), après avoir déjà consenti à celle de 2016. Il associe les deux dates antérieures à des événements notables affectant le mariage.

[24] J’admets qu’il y a eu un incident en 2005. L’appelant a dit que la mise en cause et sa sœur, aujourd’hui décédée, l’avaient alors [traduction] « sorti de force » de la chambre à coucher conjugale. Il a aussi dit que la police avait été appelée. L’appelant a dit qu’il avait dès lors dormi dans sa propre chambreNote de bas de page 23. La mise en cause a affirmé que l’appelant avait choisi de dormir dans l’ancienne chambre de leur fils parce qu’il voulait dormir seul. Elle ne s’y était toutefois pas opposée, comme cette situation lui permettrait [traduction] « enfin de profiter de soirées paisibles sans violence verbaleNote de bas de page 24. » Quoi qu’il en soit, je constate que les parties ont commencé à dormir dans des chambres distinctes vers cette époque.

[25] J’admets également qu’il y a eu un autre incident en 2005 ou 2009. L’appelant a déclaré avoir fermé leur compte conjoint en 2009. Il a dit qu’il avait aussi commencé à payer seul l’hypothèque à ce moment-làNote de bas de page 25.

[26] À l’audience, la mise en cause a déclaré que l’appelant avait bloqué son accès au compte chèques en 2005, mais qu’elle était prise avec les factures à payer. Elle a dit qu'il s'était auparavant engagé à la soutenir financièrement, mais [traduction] « lui coupait ce soutien » si elle commençait à travailler en dehors de la maison. Elle a dit qu'il l'avait justement fait en 2005, lorsqu’elle avait recommencé à travailler. Elle a dit qu’ils n’avaient plus de comptes conjoints [traduction] « à cause de sa négligence financièreNote de bas de page 26. » Elle a affirmé qu’ils avaient fait faillite en 2007.

[27] Après le témoignage de la mise en cause sur les changements financiers remontant à 2005, l’appelant a lui aussi commencé à affirmer que ces changements avaient eu lieu en 2005 (au lieu de 2009).

[28] L’appelant a laissé entendre que l’avocat de la mise en cause lui avait envoyé une lettre au sujet d’une séparation en 2013Note de bas de page 27. La mise en cause a répondu que cette lettre avait été motivée par la violence que lui faisait subir l’appelant. Elle a dit que la lettre avertissait l’appelant de changer son comportement, sans quoi elle entamerait une procédure de séparationNote de bas de page 28. Cependant, la supposée demande de séparation de 2013 contredit sa position voulant que la séparation aurait eu lieu en 2005 ou en 2009Note de bas de page 29.

[29] Il semble aussi y avoir eu un changement en 2014, même s’il n'a été que temporaire. La mise en cause était alors vulnérable et avait des capacités physiques limitées puisqu’elle venait de subir une arthroplastie du genou. Pendant cette période, l’appelant l’avait aidée, et leurs rapports sexuels avaient repris. Ils avaient alors, avec maître Maggio, préparé des testaments les désignant mutuellement comme bénéficiairesNote de bas de page 30. L’appelant ne conteste pas ce fait. Il avance cependant que n’importe qui pouvait être nommé bénéficiaire dans un testament. Il a dit qu’il pouvait même nommer un ennemi, s’il le voulaitNote de bas de page 31.

[30] En 2014 et en 2015, les parties ont également produit des déclarations de revenus indiquant que leur état matrimonial était [traduction] « marié »Note de bas de page 32. Dans la déclaration qu’elle a produite en 2016, la mise en cause a indiqué [traduction] « séparé » à ce titreNote de bas de page 33.

[31] À l’audience, j’ai demandé à l’appelant de m’expliquer en quoi la mise en cause et lui étaient séparés avant 2016. Il a donné plusieurs raisons :

  • Il ne pouvait pas franchir la [traduction] « frontière » établie à l’intérieur même de la maison à partir de 2005.
  • Il ne faisait aucune tâche ménagère du côté de la maison occupé par la mise en cause, à part la cuisine.
  • Elle avait dressé son chien pour qu’il ne l’aime pas.
  • Ils s’ignoraient.
  • Les enfants avaient été endoctrinés.
  • En 2012, à un concert, son ami avait demandé à la mise en cause si elle avait un petit ami, et elle a répondu [traduction] « peut-être ».
  • Ils sont allés à ce concert dans des voitures séparées.
  • Ils ne participaient pas intentionnellement à des activités sociales ensemble, bien qu’ils aient pu aller à un mariage ou à l’église.
  • Il n'allait pas lui acheter de la nourriture.
  • Ils partageaient seulement leurs repas lorsque d’autres membres de la famille étaient présents.
  • Toute communication entre eux était faite [traduction] « à l’échappée » et dépendait de l’humeur de la mise en cause.
  • Les rapports sexuels qui avaient repris en 2014 avaient de nouveau pris fin [traduction] « quand l’effet de la médication s’est estompé ».

[32] À l’audience, j’ai demandé à la mise en cause de m’expliquer en quoi l’appelant et elle n’étaient pas séparés avant 2016. Elle a donné plusieurs raisons :

  • Elle avait le sentiment qu’ils étaient restés mariés jusqu’en 2016, même si c’était un mauvais mariage.
  • Elle ne fréquentait personne d’autre.
  • Ils avaient eu recours à la consultation conjugale. Elle avait poursuivi la thérapie même s’il avait arrêté d’y aller.
  • Elle était mariée d’un point de vue spirituel et n’avait jamais envisagé d'entretenir d’autres relations que des relations d’amitié.
  • Ils allaient ensemble à certaines activités sociales, lorsque c’était nécessaire pour les enfants.
  • Ils préparaient des repas pour l’un l’autre en 2014, et parfois en 2015.
  • En 2014, ils avaient recommencé à avoir des rapports sexuels pendant un certain temps.
  • Ses anciennes croyances antérieures l’avaient mal servie. Elle croit maintenant qu’un bon Dieu ne s’attend pas à ce qu’elle reste dans un mauvais mariage.

[33] La mise en cause a admis qu’ils ne mangeaient pas souvent ensemble. Ils participaient rarement à des activités sociales sans les enfants. Elle a également admis qu'elle et l'appelant nettoyaient la [traduction] « zone neutre » de la maison (la cuisine et la salle à manger). Elle a dit que leurs conversations terminaient souvent par des injures, et qu’elle les évitait donc souvent pour [traduction] « maintenir la paix ».

[34] La mise en cause a évoqué de la violence conjugale à maintes reprises. Avant l’audience, la mise en cause a déclaré que son mariage avait été une relation très difficile et malheureuse avec de la violence physique, émotionnelle et verbaleNote de bas de page 34.

[35] À l’audience, la mise en cause a dit qu’elle était codépendante et qu’elle souffrait d'un TSPT. Elle a dit que l’appelant l’avait maltraitée financièrement, physiquement et verbalement et qu’elle aurait dû quitter le mariage. Elle a dit qu’une personne saine serait partie. Elle a dit qu’elle n’avait pas su se défendre ou défendre les enfants. Elle avait peur que les enfants soient en danger si elle partait. Elle a aussi dit qu’elle était restée mariée pour des raisons religieuses.

[36] Dans une lettre datée de septembre 2022, B. T. a affirmé que l’appelant et la mise en cause avaient participé à une [traduction] « fin de semaine du mariage » dans leur église mutuelle en 2007. B. T. a dit que leur mariage avait été marqué par de la violence physique, financière, émotionnelle et mentale, mais que la mise en cause s’était quand même considérée comme mariée jusqu’à ce qu’elle reçoive la lettre de l’avocat de l’appelant en février 2016 . Avant cette date, la mise en cause demandait à B. T. de prier et de la conseiller sur son mariageNote de bas de page 35.

[37] Le pasteur A. B. et le pasteur M. B. ont écrit des lettres semblables en septembre 2022. Les pasteurs connaissaient les parties par l’entremise de l’église. J’accorde beaucoup moins d’importance à ces lettres parce qu’elles ont été rédigées après celle de B. T. et insistent essentiellement sur les mêmes points. Leur format est aussi très similaire. Néanmoins, les lettres de B. confirment que la mise en cause avait effectivement longtemps souhaité rester dans le mariageNote de bas de page 36.

[38] L’appelant a reconnu avoir participé à au moins une [traduction] « fin de semaine de mariage » avec la mise en cause. Il a aussi dit qu’il avait suivi un cours de gestion de la colère. Il a dit avoir appris qu’il était acceptable qu’il s’exprime tant qu’il ne devenait pas violentNote de bas de page 37.

Interpréter la preuve et le droit applicable

[39] J’admets que le mariage entre l’appelant et la mise en cause était un mariage médiocre. L’appelant n'a pas vraiment contredit le compte rendu de la mise en cause à ce sujet. Toutefois, il ne suffit pas que j’examine la qualité de leur mariage pour décider de la date de leur séparation. Dans cette optique, j’ai considéré des décisions rendues précédemment sur des questions semblables.

[40] Bien que le partage d’une maison soit un facteur à prendre en compte, il n’est pas déterminant de l’affaire. En effet, des personnes vivent parfois dans des villes différentes sans vivre séparémentNote de bas de page 38. Des personnes peuvent aussi vivre séparément et avoir cette intention tout en habitant sous le même toit.Note de bas de page 39 Dans la présente affaire, les deux parties reconnaissent que c’est ce qui s’est passé dans la maison à partir de 2016. La seule question est de savoir si cette situation avait commencé plus tôt.

[41] Pour décider si des parties se sont séparées, les tribunaux ont tenu compte de divers facteurs. Il y a notamment l’occupation de chambres séparées, l’absence de relations sexuelles, le peu (ou l’absence) de communication entre les époux, l’absence de services domestiques réciproques, le fait de manger séparément et l’absence d’activités sociales partagéesNote de bas de page 40.

[42] Par ailleurs, les tribunaux ont aussi confirmé que toutes les relations sont différentes. Ainsi, dans certaines relations, une partie ou l’ensemble de ces critères peuvent être présents en temps normal. Autrement dit, pour certaines personnes, ces critères peuvent représenter l’état normal de leur vie maritale. Ainsi, pour savoir si les choses ont changé, je dois d’abord établir ce qui était [traduction] « normal »Note de bas de page 41.

[43] Ici, je constate que le mariage des parties a été caractérisé par des croyances religieuses traditionnelles et le contrôle exercé par l’appelant. La mise en cause a mentionné que sa foi  l’avait fait rester. On le voit par le conseil conjugal auprès de leur église, son témoignage sur ses croyances et la place importante qu’occupe très clairement la religion dans sa vie. Les lettres d’appui écrites par deux pasteurs et par une amie fréquentant son église corroborent cette importance de la religion pour elleNote de bas de page 42. Même son papier à lettres, présentant une imagerie religieuse traditionnelle, en témoigneNote de bas de page 43.

[44] Les écarts financiers viennent aussi confirmer la dynamique de contrôle dans ce mariage. L’appelant gagnait un salaire annuel d’environ 100 000 $ et bénéficiait d’un régime d’avantages sociaux grâce à son travail, tandis que la mise en cause travaillait et gagnait bien moinsNote de bas de page 44. Même avant la séparation hypothétique de 2005, l’appelant semble avoir dicté qu’il limiterait son soutien financier à la mise en cause si elle travaillait à l’extérieur de la maison.

[45] De plus, la violence alléguée par la mise en cause n’a jamais vraiment été contestée. Je note que l’appelant a participé à un programme de gestion de la colère.

[46] Dans ce contexte, une bonne partie de la dynamique [traduction] « normale » dans ce mariage témoignerait probablement d'une séparation dans une relation plus équitable.

[47] Compte tenu du contrôle exercé par l’appelant, il est révélateur qu’il n'ait rien fait pour entreprendre une séparation avant le début de 2016, moment où il a sollicité son avocat à le faire.

[48] Je juge également révélateur que la mise en cause ait fait allusion à une possible séparation en 2013. Cela donne fortement à penser que les parties ne s’étaient pas encore séparées. Qui plus est, aucune preuve ne montre que l’appelant aurait consenti à une séparation à ce moment-là. En fait, l’année suivante, l’aspect physique de leur relation avait repris de plus belle. L’appelant avait aussi pris soin de la mise en cause de façon plus active.

[49] De plus, dans le contexte du contrôle financier exercé par l’appelant, je juge révélatrices ses déclarations de revenus pour 2014 et 2015, où il s’est déclaré [traduction] « marié ». Pourtant, l’option [traduction] « séparé » figurait dans le formulaire de déclaration. Mais il ne l’a pas choisieNote de bas de page 45. La mise en cause s’est également déclarée [traduction] « mariée » en 2015. Elle s'est ensuite dite [traduction] « séparée » en 2016Note de bas de page 46.

[50] Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les parties se sont séparées en janvier 2016. Je tire cette conclusion parce que, jusqu’à cette date, leur relation, telle qu’elle était, avait suivi son cours « normal ». Ils se disaient aussi pleinement mariés à leurs amis, à leur famille et aux autorités gouvernementales.

[51] Cette conclusion tranche l’appel. Je vais maintenant passer brièvement en revue quelques autres enjeux qui ont été soulevés.

Autres préoccupations

[52] L’appelant a accordé beaucoup d’importance aux supposés renseignements trompeurs de la lettre financière. Il a affirmé que la richesse réelle de la mise en cause y était nettement surévaluée. Essentiellement, il dit avoir consenti à la séparation de 2016 en pensant que la mise en cause avait plus d’argent qu’elle ne l’avait laissé croire. En fait, il soupçonne encore qu’elle cache de l’argent quelque part et qu’elle en a tiré beaucoup de profits. Il a dit qu’il enquêtait toujours sur cette questionNote de bas de page 47.

[53] Cette position me dérange. L’appelant révèle ainsi qu’il veut simplement la  « meilleure » date de séparation. Il préfère une date plus ancienne s’il a plus d’actifs que la mise en cause, et une date ultérieure s’il s’avère qu’elle a plus d’actifs que lui. Cette position s’est concrétisée durant l’audience. L’appelant s’est rapidement rangé pour dire que l’annulation de leur compte-chèques et les changements à leurs ententes pour le paiement de factures avaient eu lieu en 2005 (au lieu de 2009, une date qu’il venait d’attester). Il a seulement adopté cette position quand la mise en cause a laissé entendre que les changements financiers s’étaient produits en 2005.

[54] Les raisons pour lesquelles l’appelant a convenu de la date de 2016 ont aussi changé. Il a d’abord dit qu’il s’agissait d’une [traduction] « date artificielle » et d’un [traduction] « compromis », bien que fondé sur des renseignements fautifs et une erreur de son avocat. Il a ensuite dit qu’il avait quand même accepté la date par [traduction] « peur et confusion », mais a dit plus tard qu’il était [traduction] « malade et n’avait pas les idées claires ». Ces observations ne me convainquent pas. Le manque de cohérence est encore une fois problématique. La preuve de la mise en cause est beaucoup plus cohérente.

Conclusion

[55] Je conclus que l’appelant n’est pas admissible à la réduction de la période visée par le partage des crédits du RPC. L’appelant et la mise en cause ont commencé à vivre séparément en janvier 2016.

[56] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.