Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : CP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 199

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : C. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 21 juillet 2022 rendue
par le ministre de l’Emploi et du Développement
social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 février 2023
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 17 février 2023
Numéro de dossier : GP-22-1633

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, C. P., est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (« PGNAP » ou « partage des crédits du RPC »). Ce partage des crédits du Régime de pensions du Canada (RPC) porte sur la période de janvier 1993 à décembre 2006. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant a 54 ans. Il est actuellement marié à K. P. Cependant, il a déjà été marié à M. G. Ce mariage a eu lieu le 18 octobre 2003. Leur divorce est entré en vigueur le 21 octobre 2016. Il dit avoir vécu avec elle en union de fait pendant de nombreuses années avant leur mariage.

[4] L’appelant a demandé le partage des crédits du RPC le 16 avril 2021. Il voulait que ses cotisations au RPC et celles de M. G. soient partagées également pour la période de leur mariage. Il voulait aussi que leurs cotisations au RPC soient partagées pour la période de leur union de fait.

[5] Le ministre a rejeté la demande initiale de l’appelant. Le ministre l’a de nouveau refusée après révision. L’appelant a alors fait appel au Tribunal.

[6] L’appelant affirme qu’il a vécu en union de fait avec M. G. pendant 10 ans avant que leur mariage ait finalement lieu. Il affirme avoir fini par fournir au ministre les documents qu’il exigeait, mais que celui-ci a refusé de revoir sa demande. L’appelant a eu de la difficulté à obtenir ces documents parce qu’il avait perdu les copies originales et M. G. n’est plus au Canada. Il a également eu de la difficulté à fournir des renseignements exacts, car il a récemment reçu un diagnostic de cancer de stade 4. Une chimiothérapie intensive, une greffe de cellules souches et des injections continues nuisent aussi à sa mémoire.

[7] Le ministre affirme que l’appelant n’a pas fourni les documents demandés avant la décision de révision. Par conséquent, le ministre affirme que l’appelant ne satisfaisait pas aux exigences du Régime de pensions du Canada.

[8] M. G. n’a pas été mise en cause dans l’appel. Elle semble vivre aux États-Unis, mais on ne sait pas où exactementNote de bas de page 1.

Ce que l’appelant doit prouver

[9] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il était marié à M. G. De plus, ou sinon, il peut avoir gain de cause s’il peut prouver qu’il vivait avec M. G. et avait une relation conjugale avec elle. Dans les deux cas, la relation doit avoir été d’une période continue d’au moins un anNote de bas de page 2.

Motifs de ma décision

[10] Je conclus que l’appelant a vécu dans une relation conjugale avec M. G. du 18 octobre 1993 au 1er janvier 2007. Il s’agissait d’une union de fait jusqu’au 18 octobre 2003. Le couple s’est marié à cette date, et une séparation permanente a eu lieu le 1er janvier 2007.

[11] Je vais d’abord examiner la période du mariage.

Le mariage de l’appelant et de M. G. donne droit à un partage des crédits du RPC

[12] J’ignore pourquoi le ministre a refusé d’admettre que l’appelant avait épousé M. G. Les documents d’appel comprenaient l’original d’une copie certifiée du certificat de mariageNote de bas de page 3.

[13] Selon le certificat de mariage, l’appelant et M. G. se sont mariés le 18 octobre 2003Note de bas de page 4. Je ne vois aucune raison de mettre en doute le certificat de mariage. Je conclus que le mariage a eu lieu le 18 octobre 2003.

[14] L’appelant a également déposé une copie du jugement du tribunal prononçant leur divorce. Le jugement date du 20 septembre 2016. Le divorce est entré en vigueur le 21 octobre 2016Note de bas de page 5.

[15] Le mariage entre l’appelant et M. G. a pris fin. Le jugement de divorce est clair. L’épouse actuelle de l’appelant, K. P., a témoigné à l’audience. L’appelant croit comprendre que M. G. s’est également remariée.

[16] Toutefois, la date clé n’est pas la date du divorce. Je dois plutôt examiner la date de la séparation. Le jugement de divorce ne précise pas cette date.

[17] Lorsqu’il a présenté son appel au Tribunal en octobre 2022, l’appelant a déclaré que M. G. l’avait quitté en janvier 2007Note de bas de page 6. Il l’a confirmé à l’audience. Il a dit qu’elle lui avait dit qu’elle allait au magasin chercher des cigarettes. Cependant, elle n’est jamais revenue.

[18] L’appelant n’avait pas fourni cette date de séparation auparavant. Lorsqu’il a présenté sa demande initiale de partage des crédits du RPC en avril 2021, il a dit que leur dernière cohabitation remontait à 2014Note de bas de page 7. En août 2021, il a dit que M. G. vivait dans l’Illinois en 2009Note de bas de page 8.

[19] La date de séparation que l’appelant a fournie en 2021 est très différente de celle qu’il a donnée en octobre 2022 et à l’audience. Cependant, il a aussi expliqué à maintes reprises qu’il se rappelait difficilement des dates en raison de ses problèmes de santé.

[20] J’accepte l’explication de l’appelant.

[21] En décembre 2020, l’appelant a appris qu’il avait un cancer de stade 4 (lymphome non hodgkinien). Le cancer était très agressif. Il a reçu 12 traitements de chimiothérapie à des intervalles de 3 semaines. On lui a aussi fait une greffe de cellules souches. Il a quitté l’hôpital en juin 2021, mais il a continué d’avoir des soins infirmiers à la maison. Les effets secondaires qu’il a ressentis comprennent des vomissements, de l’épuisement et des pertes de mémoireNote de bas de page 9.

[22] Après ces traitements, l’appelant a continué à recevoir des injections d’entretien de Rituxan tous les quatre mois. Il croit que ces injections contribuent également à ses problèmes de mémoire. Il a dit qu’il avait dû fournir des dates, qu’elles étaient approximatives, et qu’il espérait qu’elles étaient correctesNote de bas de page 10. Cependant, une fois qu’il a obtenu le certificat de mariage et le jugement de divorce, il a pu fournir les dates pertinentes avec plus de certitude. Il a aussi obtenu finalement des renseignements de ses anciennes belles-filles.

[23] Je conclus que la séparation date du 1er janvier 2007. L’appelant a été incapable de fournir une date précise durant le mois. Comme il est responsable de prouver les périodes de cohabitation, je ne peux pas conclure que la séparation a eu lieu plus tard que le premier jour du mois.

[24] Cette date de séparation concorde avec la déclaration antérieure de l’appelant selon laquelle M. G. se trouvait dans l’Illinois en janvier 2009. Elle concorde également avec son témoignage selon lequel la relation s’est rapidement détériorée après leur mariage en octobre 2003. À l’audience, il a dit que leurs difficultés financières étaient un facteur de stress dans leur relation. Son tableau des cotisations au RPC montre que sa dernière rémunération admissible date de 2004Note de bas de page 11. L’appelant a dit que M. G. et lui avaient perdu leur maison dans la dernière année de leur relation et avaient dû vivre dans un logement social.

[25] L’appelant a déclaré que M. G. et lui n’avaient pas eu de périodes de séparation durant leur relation. La séparation de janvier 2007 avait été une surprise. Quand M. G. est partie, il croyait qu’elle allait seulement au magasin.

[26] Je conclus que l’appelant a cohabité avec M. G. pendant leur mariage du 18 octobre 2003 au 1er janvier 2007. Comme il s’agit d’une période continue d’au moins un an, elle suffit pour déclencher le partage des crédits de pension du RPCNote de bas de page 12.

[27] Je vais maintenant voir si l’appelant et M. G. ont vécu en couple pendant une période continue précédente.

L’union de fait de l’appelant et de M. G. prolonge la période visée par le partage des crédits du RPC

[28] La période visée par le partage des crédits du RPC peut être prolongée si l’appelant et M. G. avaient une relation conjugale et vivaient ensemble avant leur mariageNote de bas de page 13.

[29] L’appelant a dit que sa relation avec M. G. était plus solide avant leur mariage. Cette affirmation donnait à penser que le couple avait peut-être cohabité avant le 18 octobre 2003. Par conséquent, je lui ai posé des questions sur la nature et la chronologie de cette relation.

[30] L’appelant a dit avoir rencontré M. G. en 1990. Vers 1992, il l’a aidée à trouver un logement. Elle vivait une séparation et était mère monoparentale de deux jeunes enfants. Cependant, M. G. et lui ont fini par former un couple.

[31] L’appelant a fait preuve de plus de constance quand il a fourni la date du début de son union de fait que la date de la séparation. En avril 2021 et en juillet 2021, il a dit que leur union de fait avait commencé le 18 octobre 1993Note de bas de page 14. En août 2021, il a dit que la cohabitation avait commencé en 1993Note de bas de page 15. Lorsqu’il a déposé son appel au Tribunal, il a encore dit qu’il avait commencé à vivre en couple avec elle le 18 octobre 1993Note de bas de page 16.

[32] Toutefois, deux personnes qui partagent un logement ne vivent pas nécessairement en couple. Pour me prononcer sur cette question, je dois examiner la nature de leur relation. Une décision intitulée Betts, rendue en 2001, me facilite la tâcheNote de bas de page 17.

Application des facteurs établis dans la décision Betts

[33] La décision Betts énonce les facteurs qui sont habituellement pertinents pour décider si deux personnes vivaient ensemble dans une relation conjugale. Je les appellerai les « facteurs de la décision Betts ». Voici ces facteurs :

a) interdépendance financière

b) relations sexuelles

c) résidence commune

d) achat de cadeaux lors d’occasions spéciales

e) partage des tâches ménagères

f) utilisation partagée des biens

g) partage des responsabilités pour les enfants

h) vacances communes

i) attentes en matière de dépendance mutuelle

j) bénéficiaire du testament

k) bénéficiaire d’une police d’assurance

l) endroit où chaque personne conserve ses vêtements

m) soins mutuels en cas de maladie et connaissance des besoins médicaux

n) communications entre les parties

o) reconnaissance publique

p) attitude et comportement de la collectivité

q) état matrimonial selon divers documents

r) arrangements funéraires

[34] Les facteurs de la décision Betts ne sont pas tous pertinents ou convaincants dans chaque appel. Il est rare que les éléments de preuve confirment tous l’existence ou l’absence d’une union de fait. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’avoir une certitude absolue. Il revient à l’appelant de prouver qu’il vivait en couple avec M. G. avant le 18 octobre 2003. Bon nombre des facteurs de la décision Betts appuient cette conclusion.

[35] Je ne dispose d’aucune preuve documentaire, ou presque, concernant les facteurs de la décision Betts. Mais l’appelant a répondu à l’audience à de nombreuses questions sur sa relation avec M. G. avant leur mariage. J’ai également reçu des éléments de preuve pertinents de K. P.

[36] L’appelant a dit qu’il avait d’abord loué un appartement à son nom. Cependant, un an après que M. G. a emménagé avec ses jeunes enfants, elle a été ajoutée au bail. Il a dit que le couple a acheté une maison ensemble, quelques années avant de se marier. Cependant, M. G. et lui ont perdu leur maison peu de temps après leur mariage. Ils ont ensuite recommencé à louer un logement.

[37] L’appelant a dit que M. G. et lui se présentaient comme couple lorsqu’ils rencontraient des gens pour la première fois. Famille et camarades les considéraient comme un couple en union de fait. Selon l’appelant, [traduction] « le mariage n’était qu’une formalité ». Il représentait [traduction] « un père pour les enfants [de M.G.] ». Il a souligné que quand M. G. l’a laissé et a quitté le pays en 2007, ses enfants sont restées avec lui.

[38] L’appelant a dit avoir produit ses déclarations de revenus en tant que personne en union de fait de 1993 à 2003. Il avait ainsi des avantages fiscaux liés à la location du logement. Il a dit que M. G. et lui se présentaient comme un couple en union de fait sur d’autres formulaires également, comme ceux qui portaient sur les prestations d’aide sociale. De plus, il a été inscrit comme conjoint de M. G. à l’école de ses enfants.

[39] L’appelant a dit que M. G. et lui partageaient les tâches ménagères. Ils se préparaient des repas. Ils prenaient leurs repas ensemble. Elle faisait la plupart des courses, mais seulement parce qu’elle le faisait mieux que lui.

[40] L’appelant a dit que M. G. et lui s’offraient des cadeaux lors d’occasions spéciales. Ils prenaient des vacances ensemble : il a mentionné des voyages au Mexique et au Québec. Ils gardaient leurs vêtements au même endroit. Si l’un des deux tombait malade, l’autre en prenait soin. Il a dit qu’elle était [traduction] « à ses côtés » lorsqu’il était à l’hôpital pour traiter une maladie de la peau.

[41] L’appelant a dit qu’il n’a jamais pensé que sa relation avec M. G. finirait de cette façon. Il a dit qu’en y repensant bien, les choses avaient changé après leur mariage. Il croyait que les pressions financières avaient nui à la situation, même s’il a refusé de rejeter toute la responsabilité sur un seul problème.

[42] Selon les facteurs mentionnés plus haut, M. G. et l’appelant ont vécu en couple entre le 18 octobre 1993 et le 18 octobre 2003. Cependant, je vais maintenant aborder les facteurs de la décision Betts qui ne permettraient pas d’établir l’existence d’une union conjugale.

[43] L’appelant a déclaré que M. G. et lui avaient effectivement un compte bancaire conjoint au début de leur relation. Ce compte n’a pas existé longtemps, mais l’appelant dit qu’il laissait souvent sa carte bancaire à M. G. Ils n’avaient pas de carte de crédit conjointe, mais il a dit qu’il n’utilisait pas de carte de crédit. Ils se servaient surtout d’argent liquide. Il a aussi admis n’avoir été propriétaire d’aucun bien avec elle, sauf de la maison qui leur a appartenu peu longtemps. M. G. ne conduisait pas, alors ils ne partageaient pas de voiture ou d’autre véhicule. Ils n’avaient pas d’assurance-vie.

[44] J’ai également tenu compte de la preuve que K. P. a fournie à l’audience. K. P. est devenue la voisine du bas de l’appelant en mai ou juin 1995. Elle a dit que l’appelant et M. G. vivaient déjà ensemble à ce moment-là. Selon elle, ils formaient un couple. K. P. et son mari de l’époque ont côtoyé l’appelant et M. G. jusqu’en 2005 environ, lorsque le mariage de K. P. a pris fin et qu’elle a quitté la villeNote de bas de page 18.

[45] J’ai jugé fiable le témoignage de K. P., car elle a fourni des dates précises. Elle a également admis qu’à certaines périodes (avant 1995 et après 2005), elle n’avait aucun contact avec l’appelant. Elle n’avait pas l’intention de témoigner à l’audience. C’est peut-être pourquoi son témoignage n’a pas semblé préparé ou répété.

[46] Dans cette affaire, l’évaluation des facteurs de la décision Betts permet généralement de confirmer la cohabitation pendant une relation conjugale. Certains facteurs de la décision Betts n’aident pas l’appelant, mais ce sont les facteurs qui semblent liés à sa situation financière relativement instable. Il a reçu des prestations d’invalidité pendant de longues périodes. Ses cotisations au RPC montrent que ses périodes de travail étaient très irrégulières. Il n’a jamais gagné plus de 18 588,00 $ par annéeNote de bas de page 19. Il a aussi mentionné recevoir des prestations d’aide sociale et d’assurance-emploi. L’absence de carte de crédit et d’assurance-vie n’est pas surprenante.

[47] Étant donné la situation de l’appelant, je préfère accorder plus d’importance aux facteurs de la décision Betts qui sont moins liés à la richesse. Par exemple, il est important que d’autres personnes aient cru que M. G. et lui étaient en couple bien avant leur mariage. Bien que des avantages fiscaux aient pu être en jeu, l’appelant a également dit qu’ils avaient rempli des formulaires en tant que conjoints de fait à partir de 1993.

[48] Selon la prépondérance des probabilités, les facteurs de la décision Betts donnent à penser que l’appelant et M. G. vivaient en couple avant leur mariage. Même si K. P. peut en témoigner seulement à partir de mai 1995, il semble que l’appelant et M. G. cohabitaient déjà dans une relation conjugale depuis un certain temps. La preuve de l’appelant montre de façon constante qu’une telle relation a commencé le 18 octobre 1993. Par conséquent, j’accepte cette date comme date de début.

[49] Je conclus que l’appelant et M. G. ont vécu en couple du 18 octobre 1993 jusqu’à leur mariage, le 18 octobre 2003. Cette période s’ajoute à celle du 18 octobre 2003 au 1er janvier 2007.

Application du partage des crédits

[50] Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada précise que la période de partage des crédits du RPC commence le premier mois de l’année où les parties se sont mariées ou ont commencé à vivre ensemble dans une relation conjugaleNote de bas de page 20. Comme l’appelant et M. G. ont commencé à vivre en couple en octobre 1993 et se sont mariés en octobre 2003, le partage des crédits du RPC doit commencer en janvier 1993.

[51] Le Règlement précise également que les parties sont considérées comme n’ayant pas cohabité pendant l’année où elles ont commencé à vivre séparémentNote de bas de page 21. Comme l’appelant et M. G. se sont séparés en janvier 2007, le partage des crédits du RPC ne peut pas se prolonger après décembre 2006.

[52] Je conclus que le partage des crédits du RPC s’applique de janvier 1993 à décembre 2006.

Conclusion

[53] Je conclus qu’un partage des crédits du RPC doit être effectué pour l’appelant et M. G. pour la période de janvier 1993 à décembre 2006.

[54] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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