Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : CC c Ministre de l’Emploi et du Développement social et AL, 2023 TSS 1303

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : C. C.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : A. L.

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision du ministre de l’Emploi
et du Développement social datée du 17 février 2023
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 19 septembre 2023
Numéro de dossier : GP-23-377

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, C. C., n’a pas droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard du cotisant décédé, J. C. La mise en cause, A. L., a plutôt droit à la pension de survivant.

[3] Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[4] L’appelante était mariée à J. C. lorsqu’il est décédé le 24 mai 2022Note de bas de page 1. Elle a demandé une pension de survivant du Régime. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande parce qu’il avait déjà approuvé la demande de pension de survivant de la mise en cause. Le ministre a conclu que la mise en cause était la conjointe de fait de J. C. au moment de son décès.

[5] L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que je dois décider

[6] Selon la loi, seuls la survivante ou le survivant d’une personne cotisante décédée a droit à une pension de survivantNote de bas de page 2. Le Régime de pensions du Canada définit une survivante ou un survivant comme étant la conjointe ou le conjoint de fait ou l’épouse ou l’époux de la personne décédéeNote de bas de page 3.

[7] Aux termes du Régime de pensions du Canada, une conjointe ou un conjoint de fait est la personne qui vivait dans une relation conjugale depuis au moins un an avec la personne cotisante au moment de son décèsNote de bas de page 4.

[8] Pour décider si deux personnes sont des conjointes ou conjoints de fait, je dois prendre en compte des facteurs tels queNote de bas de page 5 :

  1. a) le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. b) les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. c) les services, notamment le rôle dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. d) les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. e) l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. f) le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. g) l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[9] Il ne peut y avoir qu’une seule survivante ou un seul survivant. Ainsi, pour avoir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle est la survivante de J. C. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire que cela est plus probable qu’improbable).

[10] Si je conclus que la mise en cause était la survivante de J. C. parce qu’elle était sa conjointe de fait, alors l’appelante ne peut pas être sa survivante, même si elle était toujours mariée avec lui lorsqu’il est décédé.

Questions que je dois examiner en premier

[11] L’appelante a demandé une audience par écrit. Afin d’assurer un processus d’audience complet et équitable, j’ai envoyé à l’appelante et à la mise en cause une lettre décrivant la question que je devais trancher et les facteurs que je prendrais en considération au cours du processusNote de bas de page 6. Je les ai invitées à fournir des documents à l’appui de leur position. Je leur ai ensuite permis de répondre aux éléments de preuve et aux observations écrites de l’autre partie (et du ministre).

[12] L’audience de cet appel a été retardée parce qu’il a fallu beaucoup de temps et d’efforts (y compris cinq lettres au ministre et une conférence préparatoire) pour obtenir du ministre des copies non caviardées de tous les éléments de preuve pertinentsNote de bas de page 7.

Motifs de ma décision

[13] Je conclus que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait. Par conséquent, la mise en cause (et non l’appelante) est la survivante de J. C. et a droit à une pension de survivant. Autrement dit, l’appelante ne m’a pas convaincue qu’elle est la survivante de J. C.

[14] Pour expliquer ma décision, je vais :

  • résumer la position de l’appelante;
  • résumer la position de la mise en cause;
  • résumer la position du ministre;
  • montrer comment la preuve confirme que la mise en cause est la survivante de J. C.

La position de l’appelante

[15] L’appelante affirme qu’elle était toujours mariée à J. C. lorsqu’il est décédé et qu’ils voulaient rester mariés l’un à l’autre. La mise en cause n’a jamais signé de contrat de vie commune avec J. C. J. C. se trouvait à St. Catharines pour recevoir des traitements contre le cancer avant son décès, mais son adresse permanente était le domicile de l’appelante à MississaugaNote de bas de page 8.

La position de la mise en cause

[16] La mise en cause affirme qu’elle et J. C. ont commencé à vivre ensemble en décembre 2019 à St. Catharines, avant qu’on ne lui diagnostique un cancer en décembre 2020. J. C. a rencontré un avocat pour entamer une procédure de divorce, mais n’y a pas donné suite en raison de mauvais était de santéNote de bas de page 9.

La position du ministre

[17] Le ministre affirme que la mise en cause est la survivante de J. C. parce qu’ils étaient des conjoints de fait. Le ministre cite comme éléments de preuve une déclaration solennelle, une convention de location, des permis de conduire et une procurationNote de bas de page 10. Je discuterai de ces éléments de preuve ci-dessous.

La mise en cause est la survivante de J. C.

[18] La preuve confirme que la mise en cause était la conjointe de fait de J. C. et, par conséquent, sa survivante. Je vais examiner les éléments de preuve sous chacune des rubriques que j’ai énumérées ci-dessus (le partage d’un toit, les rapports sexuels et personnels, etc.).

Le partage d’un toit

[19] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait depuis décembre 2019.

[20] La mise en cause affirme que J. C. a emménagé avec elle à St. Catharines en décembre 2019. Il a suivi des traitements contre le cancer à Hamilton de janvier à mars 2021. En avril 2022, ils ont tous deux déménagé dans une habitation locative à X. Ils ont vécu ensemble jusqu’à son décès. La mise en cause a signé une déclaration solennelle à cet effetNote de bas de page 11.

[21] La preuve documentaire comprend les lettres et factures suivantes adressées à J. C. à St. Catharines :

  • une lettre d’Aviva datée du 6 mars 2020Note de bas de page 12;
  • une facture de l’Association canadienne des automobilistes datée du 31 janvier 2021Note de bas de page 13;
  • une lettre d’Aviva datée du 28 novembre 2021Note de bas de page 14;
  • une lettre de l’autoroute à péage express 407 datée du 7 février 2022 une autre lettre datée du même jour est adressée à la mise en cause à la même adresse à St. CatharinesNote de bas de page 15.

[22] La mise en cause a fourni une copie d’un bail d’habitation pour une propriété située à X, dans lequel elle et J. C. sont mentionnés comme locataires. La durée du bail allait du 31 mars 2022 au 31 mars 2023Note de bas de page 16.

[23] La mise en cause et l’appelante [sic] ont toutes deux obtenu un nouveau permis de conduire de l’Ontario le 8 avril 2022, mentionnant la même adresse X comme adresse de résidenceNote de bas de page 17. Le 19 avril 2022, leur assureur immobilier leur a envoyé une lettre concernant leur propriété à XNote de bas de page 18. Une lettre de l’Agence du revenu du Canada adressée à J. C. le 13 mai 2022 a également été envoyée à XNote de bas de page 19.

[24] Le dossier d’appel contient trois certificats de décèsNote de bas de page 20. Cela s’explique par le fait que la mise en cause et la fille de J. C. ont signé conjointement le contrat de services funérairesNote de bas de page 21. Le directeur de funérailles a délivré un certificat de décès à chacune d’elles, l’un à la mise en cause comme informatrice (la relation mentionnée est celle de conjointe de fait) et l’autre à la fille comme informatrice. Un troisième certificat mentionne les deux comme informatrices. Tous les certificats indiquent que J. C. vivait à X au moment de son décès.

[25] Les seuls éléments de preuve qui laissent croire que J. C. ne vivait pas avec la mise en cause est l’affirmation de l’appelante selon laquelle il vivait avec elle à Mississauga et une lettre de Service Canada concernant le Supplément de revenu garanti de J. C. qui lui a été envoyée à Mississauga le 26 février 2022Note de bas de page 22.

[26] Bien qu’il n’y ait pas d’élément de preuve documentaire démontrant que J. C. a commencé à vivre avec l’appelante en décembre 2019, je n’ai aucune raison de douter qu’il l’a fait. Le reste de l’histoire de la mise en cause est soutenu par des éléments de preuve documentaire. Seule une lettre a été envoyée à son ancienne adresse, ce qui peut s’expliquer par le fait que Service Canada n’a pas été informé de sa nouvelle adresse. Cette lettre ne contredit pas nécessairement ce que dit la mise en cause.

[27] L’appelante soutient qu’elle et J. C. étaient séparés involontairement pendant qu’il recevait des traitements contre le cancer. Je ne pense pas que ce soit le cas. Je considère que J. C. vivait avec la mise en cause avant et après avoir reçu des traitements contre le cancer à Hamilton. Il a choisi de vivre avec la mise en cause jusqu’à sa mort.

Les rapports sexuels et personnels

[28] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait.

[29] L’appelante affirme que J. C. et elle sont restés en communication constante alors qu’ils étaient physiquement séparés. Il lui rendait visite lorsqu’il en était physiquement capable.

[30] La mise en cause affirme que l’appelante n’a communiqué avec J. C. que pour essayer de contrôler ses finances, et que J. C. ne lui a rendu visite que pour récupérer ses effets personnels dans l’ancienne maison familiale et échanger des documents administratifs. En revanche, la mise en cause déclare avoir conduit J. C. à tous ses traitements contre le cancer et l’avoir accompagné à ses rendez-vous médicaux. Ils ont suivi ensemble des séances de thérapie de couple. Ils avaient des relations sexuelles.

[31] Une grande partie des éléments de preuve concernant ce facteur sont des déclarations faites par l’appelante et la mise en cause qui ne sont pas appuyées (et qui, dans certains cas, ne peuvent pas l’être) par des éléments de preuve documentaire. Mais il existe certains éléments de preuve documentaire.

[32] Par exemple, la mise en cause a fourni ce qu’elle dit être des copies de notes qu’elle a prises pendant les rendez-vous médicaux de J. CNote de bas de page 23. Elle a soumis un reçu pour une « consultation » daté du 8 mai 2019 d’un montant de 226 $. Elle dit qu’il s’agissait d’une consultation avec un avocat au sujet du divorce de J. C., bien que les détails de la consultation ne figurent pas sur le reçu lui-même. Elle a toutefois fourni des notes manuscrites de la consultationNote de bas de page 24. Des courriels échangés entre J. C. et un cabinet d’avocats en août 2021 au sujet d’une procédure de divorce mentionnent une consultation antérieure, ce qui corrobore également les dires de la mise en causeNote de bas de page 25.

[33] L’appelante n’a contesté aucun de ces éléments de preuve. Elle a plutôt produit des copies de courriels échangés entre elle et J. C. de mai à septembre 2021Note de bas de page 26. Dans ces courriels, J. C. a informé l’appelante des traitements qu’il recevait. Le 4 mars 2022, J. C. a envoyé le courriel suivant à l’appelante : [traduction] « Je veux juste être avec toi, je vais combattre ce cancer jusqu’à ma mort, je veux juste être avec toi. J. C. ton mari xoxo. » Le 27 mars 2022, il lui a envoyé le courriel suivant : « Je pense toujours à toi. [Tu es] mon cœur et mon âme. J. C. xoxo. »

[34] À première vue, ces courriels semblent refléter le type de communication personnelle que l’on peut s’attendre attendre à voir entre des époux. Cependant, J. C. a démontré dans d’autres courriels qu’il n’était pas honnête lorsqu’il communiquait avec l’appelante. Par conséquent, je n’accorde pas d’importance à ces courriels.

[35] Plus précisément, en mai 2021, J. C. a dit à l’appelante qu’il n’irait pas voir un avocat (probablement au sujet d’un divorce) et qu’« elle » (vraisemblablement la mise en cause) cherchait des endroits où il pouvait vivre seul. Quelques jours plus tard, il a écrit ce qui suit : [traduction] « Je sais que tu ne me fais pas confiance, mais je ne te mentirai pas. Il ne se passe rien et se passera plus jamais rien entre elle et moiNote de bas de page 27. » Il ne précise pas à qui le mot « elle » fait référence, mais compte tenu du contexte, il est raisonnable de conclure qu’il s’agit de la mise en cause. J’ai déjà conclu que J. C. avait consulté un avocat au sujet d’un divorce et qu’il vivait avec la mise en cause. Ce qu’il a dit à l’appelante était donc au mieux trompeur, et au pire mensonger.

[36] Je conclus que J. C. et la mise en cause entretenaient une relation étroite et bienveillante, même si J. C. et l’appelante partageaient toujours une certaine affection l’un pour l’autre, communiquaient de temps en temps et n’ont jamais entamé de procédure de divorce. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai accordé de l’importance au fait que la mise en cause l’accompagnait à ses traitements et à ses rendez-vous médicaux. Je ne trouve pas les courriels utiles parce que je ne pense pas qu’ils reflètent fidèlement les intentions de J. C.

Les services

[37] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait.

[38] L’appelante n’a fourni aucun élément de preuve (écrit ou documentaire) concernant ce facteur. En revanche, la mise en cause a écrit qu’elle et J. C. avaient les mêmes médecin, dentiste et pharmacien. Elle a été désignée comme mandataire sur les documents de l’hôpital en décembre 2020Note de bas de page 28. Elle a payé les frais funérairesNote de bas de page 29.

Les activités sociales

[39] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait.

[40] Encore une fois, l’appelante n’a fourni aucune preuve concernant ce facteur. La mise en cause a fourni une photo qui, selon elle, la montre avec J. C. assistant à un événement sportif avec ses petits-enfantsNote de bas de page 30. L’appelante n’a pas contesté cet élément de preuve. J’admets également qu’il y a eu au moins un certain degré de coopération entre la fille de J. C. et la mise en cause puisqu’elles ont toutes deux signé le contrat de services funéraires.

L’image sociétale

[41] Je n’ai aucun élément de preuve concernant l’attitude et le comportement de la collectivité envers J. C. et la mise en cause ou l’appelante en tant que couple.

Le soutien

[42] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait.

[43] L’appelante affirme que J. C. et elle ont toujours produit leurs déclarations de revenus en tant que couple marié. Cependant, des courriels échangés entre la fille de J. C. et l’appelante indiquent que ce dernier n’approuvait plus cet arrangement en 2021 et que l’appelante a refusé de coopérer avec J. CNote de bas de page 31. En fin de compte, il semble que la mise en cause ait rempli la déclaration de revenus de J. C. pour l’année d’imposition 2021Note de bas de page 32.

[44] La mise en cause affirme que J. C. a transféré ses paiements de pension vers son nouveau compte bancaire à St. Catharines après y avoir déménagé. Cette affirmation est corroborée par un relevé datant de décembre 2019 de la Meridian Bank détaillant des virements télégraphiques et par des courriels adressés à l’administrateur de son régime de retraite au Royaume-Uni en mars 2020Note de bas de page 33. En février 2022, J. C. et la mise en cause ont fusionné leurs comptes pour payer leurs droits de péage pour l’autoroute 407Note de bas de page 34.

L’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants

[45] Ce facteur appuie le fait que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait.

[46] L’appelante n’a fourni aucun élément de preuve concernant ce facteur. Le peu d’éléments de preuve dont je dispose laisse supposer une relation amicale entre la mise en cause et les petits-enfants de J. C. (selon une photo), et au moins une relation coopérative entre elle et la fille de J. C. (selon le contrat de services funéraires).

Mise en balance des facteurs

[47] Lorsque j’examine l’ensemble des éléments de preuve, je suis convaincu qu’il est plus probable qu’improbable que la mise en cause et J. C. étaient des conjoints de fait de décembre 2019 jusqu’au décès de J. C. Ils vivaient ensemble, s’échangeaient des services et avaient conclu des arrangements financiers. Ils avaient des relations sexuelles et se souciaient l’un de l’autre, comme en témoigne les soins que la mise en cause a prodigués à J. C. pendant sa maladie.

[48] La mise en cause est donc la survivante de J. C. Par conséquent, l’appelante ne peut pas être considérée comme la survivante de J. C. et n’a pas droit à une pension de survivant.

Conclusion

[49] Je conclus que l’appelante n’a pas droit à une pension de survivant à l’égard de J. C. La décision du ministre est maintenue : la mise en cause a droit à une pension de survivant.

[50] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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