Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : BK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1412

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : B. K.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Anita Hoffman

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 6 juin 2022 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 28 septembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Témoins de la partie appelante
Représentante de la partie intimée
Date de la décision : Le 16 octobre 2023
Numéro de dossier : GP-23-384

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, B. K., a droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard du cotisant décédé, J. L. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante et J. L. ont commencé leur relation en 2001Note de bas de page 1. J. L. est décédé le 29 juillet 2021Note de bas de page 2. Pendant cette période, l’appelante et J. L. ont parfois vécu séparément. Plus précisément, ils ont habité séparément de la mi-août 2020 jusqu’au décès de J. L., soit près d’un an plus tard. J. L. vivait alors en Ontario et l’appelante restait en Alberta.

[4] Après le décès de J. L., l’appelante a demandé une pension de survivant du Régime de pensions du Canada. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Le ministre affirme que l’appelante n’a pas droit à une pension de survivant parce qu’elle n’était pas la conjointe de fait de J. L. au moment de son décès.

[6] L’appelante affirme qu’elle et J. L. sont demeurés conjoints de fait jusqu’à son décès, même s’ils ont vécu séparément pendant un certain temps.

[7] Je suis d’accord avec l’appelante.

Ce que je dois décider

[8] Selon la loi, pour avoir droit à une pension de survivant, il faut être la survivante ou le survivant de la personne cotisante décédéeNote de bas de page 3. Le Régime de pensions du Canada définit une survivante ou un survivant comme la conjointe ou le conjoint de fait ou l’épouse ou l’époux de la personne décédéeNote de bas de page 4.

[9] Aux termes du Régime de pensions du Canada, une conjointe ou un conjoint de fait est une personne qui vivait dans une relation conjugale avec la personne cotisante décédée depuis au moins un an au moment de son décèsNote de bas de page 5.

[10] Pour décider si deux personnes sont des conjointes ou conjoints de fait, je dois tenir compte de certains facteurs, par exempleNote de bas de page 6 :

  1. a) le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. b) les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. c) les services, notamment le rôle dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. d) les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. e) l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. f) le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. g) l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[11] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver qu’elle est la survivante de J. L. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire qu’il est plus probable qu’improbable).

Questions que je dois examiner en premier

[12] L’appelante a déposé une déclaration de décès de J. L. après la date limiteNote de bas de page 7. La représentante du ministre ne s’est pas opposée à ce que j’accepte cette preuve tardive, alors je l’ai acceptée.

Motifs de ma décision

[13] Je conclus que l’appelante vivait avec J. L. dans une relation conjugale depuis plus d’un an au moment de son décès. Cela fait d’elle sa conjointe de fait et, par conséquent, sa survivante.

[14] Pour expliquer ma décision, je vais :

  • présenter les arguments du ministre;
  • présenter les arguments de l’appelante;
  • expliquer la question en litige dans le présent appel;
  • expliquer pourquoi je suis d’accord avec l’appelante.

Les arguments du ministre

[15] Le ministre convient que je dois tenir compte de multiples facteurs pour décider si deux personnes sont des conjointes ou conjoints de fait. Le ministre convient également qu’il est possible pour deux personnes de [traduction] « vivre dans une relation conjugale », même si elles ne vivent pas ensemble. C’est ce que la Cour suprême du Canada a confirmé dans la décision Hodge c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) :

Deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit et, inversement, elles peuvent ne pas cohabiter au sens où il faut l’entendre même si elles vivent sous le même toit. [...] L’union de fait prend fin « [traduction] lorsque l’une ou l’autre des parties la considère comme terminée et affiche un comportement qui démontre, de manière convaincante, que cet état d’esprit particulier a un caractère définitif »Note de bas de page 8.

[16] C’est pourquoi les observations du ministre portent principalement sur la question de savoir si l’appelante et J. L. se sont séparés volontairement. Le ministre croit que si leur séparation était volontaire plutôt qu’involontaire, ils n’étaient plus des conjoints de fait. Selon le ministre :

[traduction] Ce n’est que dans les cas d’emploi, d’actes médicaux ou d’hospitalisation, ainsi que pour répondre à certaines exigences en matière d’éducation, et lorsqu’il est clair que les deux parties ont l’intention de faire en sorte que l’union de fait demeure intacte, qu’un cas de séparation involontaire peut être envisagé. Dans la présente affaire, la séparation ne peut pas être considérée comme involontaire puisqu’en raison d’une ordonnance de protection de l’enfance, les deux parties n’avaient pas l’intention mutuelle de continuer leur union de fait.

[17] Dans ses observations, le ministre ajoute que [traduction] « pour décider si une séparation est involontaire, on peut se fonder uniquement sur des documents concrets et officiels »Note de bas de page 9.

La position de l’appelante

[18] L’appelante fait valoir qu’elle est demeurée la conjointe de fait de J. L. jusqu’à son décès. Elle soutient qu’ils avaient tous les deux l’intention de poursuivre la relation.

[19] En août 2020, J. L. a été [traduction] « arrêté pour des gestes commis alors qu’il était en état d’ébriété ». La police a encouragé l’appelante à le tenir à l’écart de leur filleNote de bas de page 10. L’appelante a convaincu J. L. de retourner en Ontario pour rester avec ses parents, où elle espérait qu’il obtiendrait de l’aide pour ses dépendances à la drogue et à l’alcool. L’appelante est restée en Alberta avec leur fille. Malheureusement, J. L. n’a pas pu se défaire de ses dépendances et retourner vivre avec l’appelante avant son décès.

La question en litige est de savoir si l’union de fait a pris fin

[20] Le ministre semble admettre que l’appelante et J. L. vivaient en union de fait jusqu’en août 2020. C’est pourquoi les observations du ministre portent principalement sur la question de savoir si leur séparation en août 2020 était volontaire.

[21] La question en litige est de savoir si l’appelante et J. L. étaient conjoints de fait depuis au moins un an au moment du décès de J. L. Autrement dit, sont-ils restés conjoints de fait d’août 2020 jusqu’à son décès. Cependant, je ne présente pas cette question exactement de la même façon que le ministre, et ce, pour plusieurs raisons.

[22] Premièrement, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant de décider si une union de fait a pris fin. Le critère est clair. Il ne s’agit pas de savoir si la séparation était « volontaire ». Le critère est le suivant :

  1. 1) Est-ce que l’appelante ou J. L. considérait l’union comme terminée?
  2. 2) Si oui, est-ce que l’appelante ou J. L. a affiché un comportement qui démontrait, de manière convaincante, que son intention de mettre fin à la relation était définitive (finale)?

[23] Pour répondre à ces questions, les facteurs que j’ai énumérés plus haut dans la présente décision (le partage d’un toit, les rapports sexuels et personnels, etc.) sont pertinents.

[24] Deuxièmement, la Cour n’a pas restreint les types de situations dans lesquelles on considérait que deux personnes continuaient à vivre en union de fait. La Cour n’a pas dit que deux personnes pouvaient continuer à vivre en union de fait tout en vivant séparément seulement si elles vivaient séparément pour des raisons médicales, éducatives ou professionnelles. En fait, la Cour a reconnu que même une séparation physique due à des violences verbales et physiques ne met pas fin à l’union de fait, et que les couples peuvent se séparer pour « [traduction] réfléchir » sans mettre fin à leur relation.

[25] Dans l’affaire Hodge, on explique que : « Entre 1972 et février 1993, l’intimée avait vécu en union de fait avec le cotisant. Puis, elle est partie à cause de sa violence verbale et de sa violence physique dont elle se dit avoir été victime. Une brève tentative de réconciliation au début de 1994 a échoué. Elle convient que, lorsqu’elle est partie pour de bon en février 1994, elle entendait mettre fin à leur relation... » La Cour a fait remarquer que « Les périodes de séparation physique comme celle que l’intimée et le défunt ont vécue en 1993 ne mettent pas fin à l’union de fait s’il existe une intention commune de continuer. » Ce n’est qu’après l’échec de la réconciliation en février 1994 que la relation a pris finNote de bas de page 11.

[26] Troisièmement, je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que seuls des [traduction] « documents concrets et officiels » permettent d’établir une union de fait continue en cas de séparation physique. Le Régime de pensions du Canada et le Règlement sur le Régime de pensions du Canada n’imposent pas cette exigence ni au ministre ni au Tribunal. Ainsi, je peux tenir compte du témoignage de l’appelante et de ses témoins pour rendre ma décision.

Raisons pour lesquelles je suis d’accord avec l’appelante

[27] Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que sa séparation physique de J. L. pendant environ un an avant son décès n’a pas mis fin à leur union de fait. Leurs intentions subjectives et leurs actions objectives appuient cette conclusion.

[28] Le témoignage de l’appelante était cohérent : elle n’a jamais considéré que sa relation avec J. L. avait pris fin. Elle a toujours espéré qu’ils vivraient de nouveau ensemble. Elle a en effet indiqué dans sa demande qu’elle était « séparée » de son conjointNote de bas de page 12, mais c’est parce qu’ils vivaient dans des provinces distinctes et, en ce sens, qu’ils étaient séparésNote de bas de page 13. Je crois que l’appelante a témoigné avec franchise et qu’elle essayait d’être exacte et honnête dans sa demande. À l’audience, elle a répondu à mes questions de façon directe et détaillée, et elle l’admettait quand elle ne savait pas quelque chose.

[29] De même, l’appelante a déclaré que J. L. espérait retourner vivre avec elle. D. L., un ami de longue date de J. L., a confirmé que c’est ainsi qu’il avait compris les intentions de J. L.

[30] Les actions de l’appelante et de J. L. montrent qu’ils avaient l’intention de continuer la relation pendant la période temporaire où ils étaient séparés physiquement. Il est vrai qu’ils ne vivaient plus ensemble depuis août 2020 et qu’ils n’ont donc pas participé ensemble aux tâches quotidiennes ou à des activités sociales. Cependant :

  • Aucune des parties n’a commencé une relation amoureuse avec qui que ce soit d’autreNote de bas de page 14.
  • Lorsqu’elle parlait à ses amis, l’appelante ne décrivait pas sa relation comme terminée. Elle leur disait plutôt qu’il y avait eu un [traduction] « incident » (sans entrer dans les détails) et que J. L. était parti [traduction] « pour travailler sur lui-même »Note de bas de page 15.
  • L’appelante et J. L. se parlaient tous les jours. L’appelante demandait à J. L. comment il allait. Elle lui donnait des nouvelles de leur fille. Ils discutaient également de choses plus banales, comme le paiement des factures. Et ils ont parlé de leur désir de vivre ensemble à nouveauNote de bas de page 16.
  • L’appelante envoyait des cartes et des photos à J. L. À l’anniversaire de l’appelante, en juillet 2021, J. L. lui a envoyé 100 $ en guise de cadeauNote de bas de page 17.
  • L’appelante et J. L. avaient un compte bancaire conjointNote de bas de page 18. L’appelante soupçonne que J. L. avait ouvert un compte bancaire distinct duquel il retirait de l’argent pour acheter de la drogue et de l’alcool en raison de ses problèmes de dépendanceNote de bas de page 19. Malgré cela, il envoyait de l’argent à l’appelante tous les mois. Les relevés bancaires montrent que des virements mensuels variant entre 200 $ et 3 100 $ ont été effectués de septembre 2020 à juillet 2021. La moyenne de ces virements était de 1 678 $ par moisNote de bas de page 20. Il n’y avait pas de montant fixe. L’appelante et J. L. discutaient plutôt de leurs besoins et ils déterminaient le montant approprié chaque mois. Avec le soutien de J. L., l’appelante mettait une partie de cet argent de côté chaque mois pour le fonds destiné aux études de leur filleNote de bas de page 21.
  • Le courrier de J. L. a continué d’être livré à leur résidence en Alberta, même après son décèsNote de bas de page 22.
  • J. L. a laissé son camion et la plupart de ses biens personnels en Alberta lorsqu’il a déménagé en Ontario. Il n’a emporté que ses vêtements et quelques effets personnels avec luiNote de bas de page 23.

[31] De plus, l’appelante et J. L. s’étaient déjà séparés au moins une fois auparavant pour des raisons semblables. Cela confirme qu’ils avaient une fois de plus l’intention de recommencer à vivre ensemble après août 2020. Il y a environ 15 ans, l’appelante a quitté J. L. pour aller vivre dans une maison d’hébergement pour femmes. Elle avait emmené leur fille. Elle est partie quelques années, mais ils ont fini par recommencer à vivre ensemble en familleNote de bas de page 24.

[32] Enfin, les raisons de leur séparation en août 2020 et les circonstances entourant cette séparation laissent croire que leur relation a continué.

[33] L’appelante a demandé à J. L. d’aller vivre avec ses parents après l’incident. Elle l’a fait pour son bien (pour l’aider à se défaire de ses dépendances) et pour le bien de leur fille, et non parce qu’elle voulait mettre fin à la relation. Contrairement aux observations du ministre, aucune ordonnance de protection de l’enfance n’a été émise, parce que l’appelante et J. L. ont convenu qu’il devrait déménager avant que les services de protection de l’enfance ne soient impliqués. De même, J. L. a accepté d’envoyer de l’argent à l’appelante chaque mois sans aucune intervention des tribunaux.

[34] Tout cela donne à penser que la relation était tendue, mais pas définitivement terminée.

[35] En résumé, l’appelante et J. L. vivaient en union de fait avant août 2020. Même si la relation était différente par la suite, il s’agissait toujours d’une union de fait. La preuve démontre de façon subjective et par leurs actions que ni l’appelante ni J. L. ne considérait la relation comme terminée. Même s’ils ne vivaient pas sous le même toit, ils ont continué de vivre ensemble dans une relation conjugale au cours de l’année qui a précédé le décès de J. L. Par conséquent, l’appelante est la survivante de J. L.

Conclusion

[36] Je conclus que l’appelante a droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard de J. L., car elle est sa survivante.

[37] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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