Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

L’appelant et la partie mise en cause étaient mariés. Ils ont divorcé, puis ont renoué pendant quelques années avant de se séparer définitivement. En juillet 2019, la partie mise en cause a présenté une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension. Elle a dit dans sa demande qu’elle et l’appelant se sont mariés en juillet 1992 et se sont séparés en avril 2002. Elle a ajouté qu’ils ont recommencé à vivre ensemble en avril 2005 et se sont séparés de nouveau en novembre 2016.

En novembre 2019, le ministre de l’Emploi et du Développement social a écrit à l’appelant pour l’aviser de la demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension de la partie mise en cause. Le ministre a demandé à l’appelant s’il était d’accord avec les dates de cohabitation que la partie mise en cause avait présentées. S’il n’était pas d’accord, il pouvait fournir ses propres dates, ainsi que des preuves documentaires à l’appui. L’appelant a contesté dans sa réponse la période de séparation présentée par la partie mise en cause. Il a convenu qu’ils se sont d’abord séparés en avril 2002, mais il a soutenu que ce n’est qu’en novembre 2008 qu’ils se sont réconciliés. Le ministre a convenu avec la partie mise en cause de la période de séparation et lui a accordé un partage des gains ouvrant droit à pension de 1992 à 2001 et de 2005 à 2015.

L’appelant a fait appel de la décision du ministre devant la division générale. Celle-ci a rejeté l’appel et a donné raison à la partie mise en cause. Elle a conclu que la partie mise en cause et l’appelant avaient recommencé à vivre ensemble dans le cadre d’une relation conjugale en avril 2005. L’appelant a ensuite fait appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Celle-ci devait décider si l’appelant et la partie mise en cause s’étaient réconciliés en avril 2005, en novembre 2008 ou bien à une autre date appuyée par la preuve.

La partie mise en cause a soutenu que l’appelant est retourné vivre chez elle en avril 2005, mais la division d’appel a conclu que rien dans le dossier documentaire ne le confirmait. Afin d’appuyer sa demande, la partie mise en cause a présenté des déclarations de services publics, des billets d’avion, des photographies et des déclarations de témoins. Toutefois, ces éléments ne constituent pas une preuve objective que l’appelant a résidé avec elle à compter de la date alléguée. La division d’appel a également examiné les déclarations de revenus de l’appelant. Elle a conclu que ses déclarations de revenus ne constituaient pas une preuve définitive de résidence. Toujours est-il qu’elles concordaient en grande partie avec son affirmation selon laquelle il avait recommencé à vivre avec la partie mise en cause bien après l’année 2005.

La partie mise en cause a déclaré qu’elle a fait sept ou huit voyages avec l’appelant de 2002 à 2008. La plupart du temps, ils étaient accompagnés de leurs trois enfants, mais ils ont voyagé seuls à deux reprises. La division d’appel a conclu que ces documents n’étaient pas une preuve convaincante, si ce n’est du fait que l’appelant et la partie mise en cause ont pris des vacances ensemble. La division d’appel a conclu qu’il n’était pas surprenant qu’un couple dans ces circonstances prenne des vacances en famille, et que cela ne signifie pas nécessairement que l’appelant et la partie mise en cause s’étaient réconciliés ou qu’ils vivaient ensemble. De plus, les jours de vacances partagés étaient spécifiquement prévus dans les conditions de leur accord de séparation de 2004. La disposition en question laisse entendre que le fait de voyager en famille n’était pas une preuve de réconciliation ni de cohabitation, mais simplement la preuve que deux personnes tentaient de s’acquitter de leurs obligations juridiques.

La division d’appel a conclu que l’entente de réconciliation signée par les parties en août 2011 était importante. Selon la division d’appel, même si l’entente ne reflète pas précisément le moment où les parties ont repris leur cohabitation, elle laisse entendre qu’ils ont commencé à vivre ensemble à une date plus tardive. Si les parties s’étaient réconciliées au début de l’année 2005, comme le prétend la partie mise en cause, il semble peu probable qu’il aurait fallu plus de six ans pour conclure une entente reflétant ce fait. Il est bien plus probable qu’une telle entente découlerait d’une réconciliation plus tardive.

La division d’appel a accueilli l’appel. Elle a conclu que l’appelant et la partie mise en cause, qui s’étaient mariés en juillet 1992, se sont séparés une première fois en avril 2002 et ne se sont réconciliés qu’en novembre 2008. C’était le mois où l’appelant a obtenu son congé de l’hôpital et a recommencé à vivre avec la partie mise en cause dans le cadre d’une relation conjugale. Cette entente a duré jusqu’en novembre 2016, date à laquelle ils se sont séparés définitivement. Cela signifie que le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension s’appliquera de 1992 à 2001 et de 2008 à 2015.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : GB c Ministre de l’Emploi et du Développement social et KB, 2023 TSS 1648

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : G. B.
Représentante ou représentant : Nicola-Antonio Melchiorre
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Ian McRobbie
Partie mise en cause : K. B.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 11 janvier 2023
(GP-21-1391)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 25 octobre 2023

Personnes présentes à l’audience :

Appelant
Représentant de l’appelant
Représentant de l’intimé
Mise en cause

Date de la décision : Le 19 novembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-256

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (ci-après appelé « PGNAP » ou « partage des crédits ») sera appliqué de 1992 à 2001 et de 2008 à 2015.

Aperçu

[2] La présente affaire porte sur la façon dont les crédits du Régime de pensions du Canada d’un ancien couple devraient être répartis entre les deux personnes.

[3] L’appelant et la mise en cause ont déjà été mariés. Ils ont divorcé, mais ils sont ensuite revenus ensemble pendant quelques années avant de se séparer une fois pour toutes.

[4] La mise en cause a demandé un PGNAP en juillet 2019. Dans sa demande, elle a déclaré que l’appelant et elle se sont mariés en juillet 1992 et se sont séparés en avril 2002. Elle a aussi dit qu’ils avaient recommencé à vivre ensemble en avril 2005 et qu’ils s’étaient séparés de nouveau en novembre 2016Note de bas de page 1.

[5] En novembre 2019, le ministre de l’Emploi et du Développement social a écrit à l’appelant pour l’aviser de la demande de PGNAP de la mise en cause. Le ministre a demandé à l’appelant s’il était d’accord avec les dates de la prétendue cohabitation de la mise en cause et, dans la négative, s’il était d’accord pour fournir ses propres dates, ainsi que des éléments de preuve ou des documents à l’appui de ces datesNote de bas de page 2. L’appelant a répondu en contestant la période de séparation alléguée par la mise en cause. Il a convenu que la mise en cause et lui s’étaient d’abord séparés en avril 2002, mais il a dit qu’ils n’étaient pas revenus ensemble avant novembre 2008Note de bas de page 3.

[6] Le ministre a examiné les renseignements fournis par l’appelant et la mise en cause. Il était d’accord avec la mise en cause sur la période de séparation et il lui a accordé un PGNAP de 1992 à 2001 et de 2005 à 2015.

[7] L’appelant a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Elle a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle était d’accord avec la mise en cause et a conclu que l’appelant et elle ont recommencé à vivre ensemble et à avoir une relation conjugale en avril 2005. Elle a fondé cette conclusion, entre autres choses, sur l’acceptation par la mise en cause d’une réduction temporaire de sa pension alimentaire pour époux comme façon de démontrer sa « sincérité » à aller de l’avant avec leur réconciliation.

[8] L’appelant a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En mars, une de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelant la permission de faire appel parce qu’elle croyait qu’il avait au moins une cause défendable. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter en détail des positions respectives des parties.

Question préliminaire

[9] En décembre 2022, les règles régissant les appels au Tribunal de la sécurité sociale ont changéNote de bas de page 4. Selon les nouvelles règles, la division d’appel, une fois qu’elle a accordé la permission d’aller de l’avant, doit maintenant tenir une audience de novo (ou nouvelle) sur les mêmes questions que celles dont la division générale était saisie. Comme je l’ai expliqué au début de l’audience, cela voulait dire que je ne serais lié par aucune des conclusions de la division générale. J’ai également précisé que j’examinerais tous les éléments de preuve disponibles, y compris les nouveaux éléments de preuve, concernant le moment où l’appelant et la mise en cause habitaient ensemble et vivaient une relation conjugale.

Question en litige

[10] Le Régime de pensions du Canada prévoit un partage égal des crédits de pension entre deux parties pendant la période où elles étaient mariées ou habitaient ensemble et vivaient une relation conjugaleNote de bas de page 5.

[11] Le Régime de pensions du Canada ne définit pas ce qu'est une « relation conjugale ». La Cour d’appel fédérale a déclaré que les caractéristiques généralement acceptées d’une relation conjugale comprennent des facteurs tels que :

  • si les parties vivaient sous le même toit et dormaient ensemble;
  • si elles avaient des enfants ensemble et si (et comment) elles partageaient les responsabilités parentales;
  • si elles avaient des relations intimes et étaient fidèles l’une à l’autre;
  • si elles effectuaient des tâches domestiques ensemble, comme faire les courses, préparer les repas, etc.;
  • si elles socialisaient ensemble;
  • si la communauté les considérait comme un couple;
  • si elles partageaient des biens et si elles avaient pris des dispositions financières.

[12] Dans la présente affaire, l’appelant et la mise en cause ne contestent pas le fait qu’ils se sont mariés en juillet 1992 ni qu’ils se sont séparés pour la première fois en avril 2002. Ils conviennent également qu’ils se sont finalement séparés en novembre 2016. Ce dont ils ne sont pas d’accord, c’est sur la durée de leur première séparation. L’appelant affirme que la première période de séparation a duré plus de six ans, soit d’avril 2002 à novembre 2008Note de bas de page 6. La mise en cause affirme que la première période de séparation a seulement duré trois ans, soit d’avril 2002 à avril 2005.

[13] Dans le présent appel, je devais décider si l’appelant et la mise en cause se sont réconciliés en avril 2005, en novembre 2008 ou à une autre date indiquée par la preuve.

Analyse

[14] J’ai appliqué la loi aux éléments de preuve disponibles et j’ai conclu que l’appelant et la mise en cause ont seulement recommencé à habiter ensemble et à vivre une relation conjugale en novembre 2008. Je suis arrivé à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

Il n’y a aucune preuve solide que l’appelant et la mise en cause ont vécu ensemble avant novembre 2008

[15] L’une des principales raisons de ma décision est l’absence de preuve convaincante et objective montrant que l’appelant et la mise en cause ont cohabité entre avril 2002 et novembre 2008. En tant que personne ayant demandé un PGNAP, il appartenait à la mise en cause de prouver qu’elle et l’appelant vivaient sous le même toit pendant la période qu’elle a déclarée. À mon avis, elle ne l’a pas fait.

[16] L’appelant a déclaré qu’après sa première rupture avec son épouse, il a quitté l’ancien foyer conjugal au X et est allé vivre avec ses parents au X. Il a dit qu’il y avait seulement environ un kilomètre entre les deux maisons, ce qui signifie qu’il avait facilement accès à ses enfants, dont la résidence principale serait chez leur mère. Aux termes d’une entente de séparation signée en août 2004, les enfants devaient vivre avec l’appelant une fin de semaine sur deux et lui et la mise en cause devaient [traduction] « discuter de vacances conjointes dans l’intérêt des enfants »Note de bas de page 7.

[17] L’appelant admet avoir fréquemment vu la mise en cause au cours des années qui ont suivi. Ils partageaient la garde de leurs enfants. Ils vivaient l’un près de l’autre dans la communauté relativement petite de Thunder Bay. Ils ont même travaillé au même endroit après que l’appelant a obtenu un emploi pour la mise en cause à la scierie de sa famille. Cependant, il maintient qu’il n’a pas recommencé à vivre avec la mise en cause avant novembre 2008, date à laquelle, à son invitation, il est retourné au X pour se rétablir après avoir eu une crise cardiaque.

[18] Toutefois, la mise en cause raconte une autre histoire. Elle a déclaré que l’appelant et elle ont commencé à essayer de se réconcilier en 2004 et qu’ils ont recommencé à vivre ensemble en avril 2005. Elle a dit que l’appelant et elle entretenaient une relation sexuelle, même si elle a concédé qu’il avait aussi des relations avec d’autres femmes à partir de 2005. Malgré cela, a-t-elle dit, ils vivaient sous le même toit et s’offraient du soutien émotionnel, faisant les choses que les couples font, comme manger ensemble, socialiser ensemble et partir en vacances ensemble. La mise en cause a fait remarquer que l’appelant a eu une crise cardiaque à leur maison au X.

[19] Cependant, je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve pour me convaincre que l’appelant et la mise en cause ont recommencé à vivre ensemble avant novembre 2008.

Il n’y a pas de trace écrite pour corroborer le récit de la mise en cause

[20] La mise en cause affirme que l’appelant est revenu vivre avec elle en avril 2005, mais rien au dossier documentaire ne le confirme. À l’appui de sa demande, la mise en cause a déposé de nombreux relevés de compte de services publics, des billets d’avion, des photographies et des déclarations de témoins, mais rien de cela ne constitue une preuve matérielle que l’appelant habitait avec elle lorsqu’elle a dit que c’était le cas.

[21] Il est vrai que la plupart des gens n’avisent pas immédiatement les établissements et les fournisseurs de services lorsqu’ils changent d’adresse. L’incitation à le faire est encore réduite lorsque, comme dans le cas présent, le déménagement n’est qu’à une courte distance d’une ancienne résidence qui continue d’être occupée par des membres de la famille. La mise en cause a produit, entre autres, une facture de gaz indiquant que l’appelant était inscrit comme résident au X en novembre 2004Note de bas de page 8. Cependant, tout cela signifiait probablement que l’appelant ne s’est pas donné la peine d’enlever son nom du compte lorsqu’il a quitté le foyer conjugal deux ans plus tôt. De plus, la mise en cause elle-même n’a jamais prétendu que l’appelant vivait avec elle à quelque moment que ce soit en 2004.

[22] L’historique du permis de conduire de l’appelant ne donne pas non plus une image claire de sa résidence pendant les années en questionNote de bas de page 9. Encore une fois, de nombreuses personnes prennent leur temps pour signaler les changements d’adresse au ministère des Transports. Toutefois, le relevé de l’appelant indique qu’il a changé son adresse de X à X le 2 octobre 2003 et qu’il l’a changée de nouveau le 28 août 2012. Ces dates ne correspondent pas exactement aux histoires de l’une ou l’autre des parties, mais elles laissent croire que l’appelant et la mise en cause ont été séparés pendant beaucoup plus que trois ans.

[23] Les déclarations de revenus de l’appelant sont une tout autre affaire. Lorsqu’une personne remplit une déclaration de revenus, elle est activement invitée à aviser l’Agence du revenu du Canada si elle a changé d’adresse au cours de l’année précédente. La loi exige que des renseignements exacts soient fournis. Dans la présente affaire, les sommaires d’impôt sur le revenu de l’appelant indiquent qu’il a changé son adresse enregistrée de son ancien domicile conjugal à la maison de ses parents à temps pour l’année d’imposition 2003. En même temps, il a inscrit son état matrimonial comme étant « séparé »Note de bas de page 10. Les relevés fiscaux et les avis de cotisation subséquents montrent que l’appelant n’a pas changé d’adresse ou d’état matrimonial avant l’année d’imposition 2010Note de bas de page 11. À ce moment-là, il a changé son adresse résidentielle pour retourner au X, où il avait déjà vécu avec son épouse et ses enfants.

[24] Ces déclarations de revenus ne constituent pas une preuve définitive de la résidence de l’appelant, mais elles concordent en grande partie avec son récit selon lequel il n’a repris sa cohabitation avec la mise en cause que bien après 2005.

L’appelant et la mise en cause sont partis en vacances en famille ensemble, mais cela ne veut pas dire qu’ils vivaient ensemble

[25] Une grande partie de l’argument de la mise en cause repose sur le fait que l’appelant et elle ont pris plusieurs vacances ensemble de 2002 à 2008. La mise en cause a déclaré qu’ils ont voyagé ensemble sept ou huit fois pendant cette période, la plupart du temps avec leurs trois enfants, mais à deux reprises sans eux. Pour illustrer son point de vue, elle a déposé des douzaines de photographies de l’appelant et d’elle-même, habituellement avec leurs enfants, ainsi que des billets d’avion, des cartes d’embarquement et des reçus d’hôtel pour diverses destinations, dont Las Vegas (Nevada), Bristol (Tennessee) et Talladega (Alabama).

[26] Toutefois, je ne crois pas que ces éléments constituent une preuve convaincante de quoi que ce soit, sauf du fait que l’appelant et la mise en cause ont pris des vacances ensemble. Les deux parties ont reconnu que, même dans les années où elles vivaient séparées, leurs vies demeuraient liées. Ce n’est pas seulement qu’ils ont eu des enfants ensemble, mais ils ont continué de vivre près les uns des autres et sont demeurés civilisés, voire amicaux. Les deux admettent avoir tenté de se réconcilier après 2004, bien qu’ils n’aient pas été d’accord sur le moment où la réconciliation a finalement eu lieu.

[27] Il n’est pas surprenant qu’un couple dans ces circonstances prenne des vacances ensemble « en famille », mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils s’étaient réconciliés ou qu’ils vivaient ensemble. Selon l’appelant, ils l’ont seulement fait pour que les enfants se sentent heureux et en sécurité. J’aurais été beaucoup plus sceptique quant à cette explication s’il n’y avait pas eu le fait que les vacances partagées étaient expressément envisagées aux termes de l’entente de séparation de 2004 entre l’appelant et la mise en cause. Selon cette entente, les parties ont convenu de [traduction] « discuter de prendre des vacances ensemble pour le bien des enfants »Note de bas de page 12. Cette disposition inhabituelle donne à penser que le fait de voyager en famille, plutôt que de témoigner d’une réconciliation ou d’une cohabitation, n’était qu’une manifestation de deux personnes qui tentaient de remplir leurs obligations légales.

[28] Je n’accorde pas non plus beaucoup de poids au fait que l’appelant et la mise en cause ont passé leurs vacances au moins deux fois sans leurs enfants. Ils sont allés une fois à Las Vegas, avec un autre couple, et une fois au Texas et au Mississippi, mais l’appelant a dit qu’ils y étaient allés en grande partie à des fins professionnellesNote de bas de page 13. L’appelant a déclaré que les deux voyages ont eu lieu à des moments où la mise en cause et lui tentaient de se réconcilier.

[29] J’admets que les deux parties ont tenté de se réconcilier plus d’une fois, mais les tentatives de réconciliation ne signifient pas qu’elles ont réussi ni qu’elles ne sont nécessairement la preuve d’une cohabitation.

Les lettres de soutien de la famille et des amis n’ont qu’un certain poids

[30] Le dossier contenait de nombreuses déclarations de divers amis et membres de la famille déclarant que, selon leurs souvenirs, l’appelant et la mise en cause se présentaient comme mari et femme à partir de 2005. Je ne suis pas enclin à accorder beaucoup d’importance à de tels éléments de preuve pour les raisons suivantes : i) ils sont rarement objectifs, provenant habituellement de personnes qui sont proches de la partie qui les a sollicités; ii) ils ont tendance à être peu fiables, souvent fondés sur des souvenirs fragmentaires d’événements qui se sont produits il y a des années.

[31] Par exemple, les parents de la mise en cause ont écrit que l’appelant et la mise en cause étaient prêts à réunifier leur famille deux ans après leur séparation initiale en 2002. Ils se rappelaient avoir accompagné leur fille, leur gendre et leurs petits-enfants lors d’une croisière de deux semaines en Floride en 2003. Ils ont dit que plus tard, ils gardaient leurs petits-enfants lorsque l’appelant et la mise en cause partaient en voyage ensembleNote de bas de page 14.

[32] Les parents ont naturellement tendance à subvenir aux besoins de leurs enfants, et il n’est pas surprenant que la mère et le père de la mise en cause appuient sa position. Cependant, je ne peux m’empêcher de remarquer qu’ils minent peut-être involontairement l’argument de leur fille en confirmant que l’appelant et la mise en cause voyageaient ensemble en 2003, une époque où ils s’entendent pour dire qu’ils étaient toujours séparés. La déclaration des parents de la mise en cause contribue donc à brosser un portrait plus large d’un couple qui a continué à faire des choses ensemble même après s’être officiellement séparé et avoir vécu dans des résidences séparées. Pour l’appelant et la mise en cause, qui avaient de la difficulté à se réconcilier tout en présentant une image d’unité familiale, le fait qu’ils faisaient des activités ensemble ne signifiait pas nécessairement qu’ils vivaient ensemble à ce moment-là de leur vie.

L’appelant a continué de verser la pension alimentaire pour époux à la mise en cause

[33] Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, le fait que l’appelant et la mise en cause aient tenté de se réconcilier ne voulait pas dire qu’elles avaient effectivement réussi. Ce point entre de nouveau en ligne de compte lorsqu’on examine un jugement sur consentement en date du 4 avril 2005, qui reflète l’accord de l’appelant et de la mise en cause de réduire le montant mensuel de la pension alimentaire pour époux de 1 600 $ à 1 375 $ pour une période temporaire de 15 mois.

[34] La mise en cause soutient que cette entente visant à modifier l’obligation de l’appelant à verser une pension alimentaire est une preuve qu’ils s’étaient réconciliés. Elle affirme que sa volonté d’accepter un versement mensuel moins élevé [traduction] « visait à démontrer sa sincérité à aller de l’avant avec leur réconciliation »Note de bas de page 15. Cela aurait pu être le cas, mais, encore une fois, cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils se sont réconciliés ni que l’appelant a recommencé à vivre avec la mise en cause en 2005.

[35] De plus, même si la mise en cause a accepté un montant moins élevé, il n’en demeure pas moins que l’appelant était toujours tenu, en vertu de son entente et de l’ordonnance sur consentement, de continuer à verser la pension alimentaire pour époux à la mise en cause. L’existence même d’un tel arrangement, qui a été négocié par des avocats et ratifié par un tribunal, n’est pas l’acte d’un couple qui s’était réconcilié au début de 2005.

[36] Je vois d’autres éléments de preuve montrant qu’aucune réconciliation n’a eu lieu au début de 2005. Il semble que le montant de la pension alimentaire pour époux de la mise en cause soit revenu à 1 600 $ après l’expiration de la période de 15 mois précisée dans l’ordonnance sur consentement. Dans un témoignage non contredit, l’appelant a déclaré qu’il a continué de verser la pension alimentaire à la mise en cause jusqu’en 2010 environ, soit un an ou deux après leur véritable réconciliation.

[37] Finalement, j’ai trouvé le récit de l’appelant plus crédible que celui de la mise en cause. Il est difficile d’imaginer pourquoi une personne continuerait de verser la pension alimentaire exigée par la cour à son époux pendant des années après s’être soi-disant réconciliée et avoir recommencé à vivre ensemble. La mise en cause a soutenu que l’appelant était heureux de continuer à lui verser nominalement des pensions alimentaires parce qu’il pouvait les déduire aux fins de l’impôt sur le revenu. Cependant, je juge que cela est peu probable.

[38] Il semble plus probable que, si une réconciliation avait eu lieu, les époux auraient pris des mesures pour annuler leur entente de séparation antérieure. Comme nous le verrons, c’est précisément ce qui s’est passé, mais ce n’est qu’après 2008 que cela s’est produit.

La réconciliation de l’appelant et de la mise en cause s’est traduite par une entente en août 2011

[39] Selon l’appelant, il [sic] n’a pas repris la vie avec l’appelant avant novembre 2008. C’est à ce moment-là qu’il a obtenu son congé de l’hôpital après avoir subi une crise cardiaque deux mois plus tôt. Il a déclaré qu’après avoir subi une intervention chirurgicale pour insérer deux endoprothèses vasculaires dans ses artères coronaires, la mise en cause lui a suggéré de se rétablir à X parce qu’elle, plutôt que sa mère vieillissante, serait mieux placée pour s’occuper de lui. Il a accepté l’invitation et sa relation avec la mise en cause a rapidement été rétablie.

[40] Encore une fois, le récit de l’appelant est largement appuyé par le dossier documentaire. Il y a une entente de réconciliation au dossier signé par l’appelant et la mise en cause en août 2011Note de bas de page 16. Il précise que les parties [traduction] « poursuivaient leurs efforts de réconciliation » et qu’elles allaient reprendre leur cohabitation et [traduction] « vivre ensemble en tant que mari et femme » à compter de la date d’entrée en vigueur de l’entente. L’appelant a déclaré qu’à l’origine, il avait demandé une période de cohabitation qui coïncidait avec la date précisée dans l’entente de réconciliation, mais qu’il a finalement concédé que la mise en cause et lui avaient en fait commencé à vivre sous le même toit près de trois ans plus tôt. Il a dit que même si la mise en cause et lui ont commencé à discuter des modalités de leur réconciliation en 2009, il a fallu deux ans pour que tous les détails soient réglés et que l’entente soit finalisée.

[41] À mon avis, l’entente de réconciliation signifie quelque chose. Même si cela ne reflète pas précisément le moment où l’appelant et la mise en cause ont repris leur cohabitation, cela laisse croire qu’elles ont commencé à vivre ensemble plus tard que plus tôt. Si, comme la mise en cause le prétend, l’appelant et elle se sont réconciliés au début de 2005, il semble peu probable qu’il aurait fallu plus de six ans pour finaliser une entente reflétant ce fait. Il est beaucoup plus probable qu’un tel accord aurait émergé d’une réconciliation ultérieure.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli. L’appelant et la mise en cause, qui se sont mariés en juillet 1992, se sont d’abord séparés en avril 2002, mais ne se sont pas réconciliés avant novembre 2008. C’est le mois où l’appelant a obtenu son congé de l’hôpital et où il a recommencé à vivre avec la mise en cause et à avoir une relation conjugale avec elle, entente qui a duré jusqu’en novembre 2016, date à laquelle ils se sont définitivement séparés.

[43] Cela signifie que le PGNAP s’applique de 1992 à 2001 et de 2008 à 2015.

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