Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

De 1984 à 1992, la requérante a entretenu une relation avec le cotisant. En 1992, celui-ci s’est installé à une adresse distincte pas très loin. Il était ingénieur et travaillait par quarts. Il était aussi alcoolique. Pour la requérante, la relation avec le cotisant représentait une partie importante de sa vie. Elle s’est poursuivie même si le couple ne vivait pas sous le même toit. Le cotisant a eu le cancer. Il est décédé le 10 février 2020.

Le 4 décembre 2020, la requérante a demandé la pension de survivant du Régime de pensions du Canada. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande une première fois, puis une autre fois après la révision du dossier. La requérante a porté la décision du ministre en appel à la division générale. Celle-ci a rejeté l’appel, car elle a conclu que la requérante n’était pas admissible à la pension de survivant. La requérante a donc contesté la décision de la division générale devant la division d’appel. Cette dernière a tenu une nouvelle audience pour vérifier si la requérante était admissible à la pension de survivant.

Selon le Régime de pensions du Canada, si la personne qui a cotisé au Régime décède, son conjoint ou sa conjointe de fait au moment du décès est la personne survivante. En l’absence d’un conjoint ou d’une conjointe de fait admissible, la personne survivante est celle qui était mariée au cotisant ou à la cotisante au moment du décès. Par conjoint ou conjointe de fait, on entend la personne qui vivait avec le cotisant ou la cotisante dans une relation conjugale depuis au moins un an avant le décès. La Cour fédérale a énuméré les facteurs à prendre en considération pour décider si une personne est le conjoint ou la conjointe de fait.

Dans la présente affaire, le ministre a fait valoir que, pour les périodes où la requérante et le cotisant ne vivaient pas ensemble, les éléments de preuve entourant les autres facteurs devaient être solides pour établir l’existence d’une union de fait. La division d’appel n’était pas du même avis. Elle a soutenu que la Cour suprême du Canada a clairement établi que la cohabitation (le fait de vivre ensemble) n’est pas synonyme de corésidence. Deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit et, inversement, elles peuvent ne pas cohabiter au sens où il faut l’entendre même si elles vivent sous le même toit. Les périodes de séparation physique ne mettent pas nécessairement fin à l’union de fait s’il existe une intention commune de continuer la relation.

La division d’appel a conclu que la requérante n’était pas la simple amie, amoureuse, voisine ou proche aidante du cotisant. La division d’appel était convaincue que les deux vivaient en union de fait depuis longtemps. La requérante et le cotisant partageaient leur vie et étaient partenaires – et, durant leur vie commune, il y a eu des complications découlant de la nature éprouvante de l’horaire de travail du cotisant, de sa dépendance ultime à l’alcool et, plus tard, de son cancer. L’une et l’autre n’avaient pas de liens avec leur famille d’origine comme d’autres personnes peuvent en avoir. Après avoir examiné tous les facteurs et tenu compte des circonstances uniques de leur relation, la division d’appel était convaincue que la requérante était la survivante du cotisant. Elle a donc accueilli l’appel et a conclu que la requérante était admissible à la prestation de survivant du Régime de pensions du Canada.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 114

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : L. C.
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant :
Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 5 décembre 2022 (GP-21-1837)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 20 juin 2023

Personnes présentes à l’audience :


Appelante
Représentant du défendeur

Date de la décision : Le 7 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-18

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La requérante a droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada. Voici les motifs de ma décision.

Aperçu

[2] L. C., la requérante, a entretenu une relation avec S. D., le cotisant, de 1984 à 1992. En 1992, le cotisant a déménagé à proximité. C’était un ingénieur qui travaillait par quarts. Il était alcoolique. Le cotisant occupait une place importante dans la vie de la requérante. Leur relation a continué même s’ils ne vivaient pas sous le même toit. Le cotisant est décédé du cancer le 10 février 2020Note de bas de page 1.

[3] La requérante a demandé une pension de survivant du Régime de pensions du Canada le 4 décembre 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande une première fois et après révision. La requérante a fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a rejeté l’appel de la requérante, concluant qu’elle n’avait pas droit à la pension de survivant. J’ai accordé à la requérante la permission de faire appel. J’ai tenu une nouvelle audience pour décider si la requérante a droit à la pension de survivant.

Question en litige

  1. a) La requérante a-t-elle droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada parce qu’elle vivait avec le cotisant dans une relation conjugale au moment de son décès et de façon continue pendant au moins un an avant son décès?

Analyse

[4] Dans la présente décision, je vais :

  • définir ce que veut dire « survivant » (et plus précisément, « conjoint de fait ») selon le Régime de pensions du Canada;
  • expliquer comment j’ai soupesé tous les facteurs pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la requérante est la survivante du cotisant au titre du Régime de pensions du Canada et qu’elle a droit à la pension de survivant.

Comment une partie requérante peut-elle avoir droit à une pension de survivant au titre du Régime de pensions du Canada?

[5] Pour recevoir une pension de survivant, une partie requérante doit démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’elle répond à la définition de « survivant » dans le Régime de pensions du Canada.

[6] Le Régime de pensions du Canada précise qu’un survivant est le « conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci ». S’il n’y a pas de conjoint de fait admissible, le survivant est « l’époux du cotisant au décès de celui-ciNote de bas de page 2 ». Par conjoint de fait, on entend « la personne qui […] vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an [au décès de celui-ci]Note de bas de page 3 ».

[7] La Cour fédérale a énuméré les facteurs que les décisionnaires doivent prendre en compte pour décider si une personne est un conjoint de fait :

  • le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivent sous le même toit ou partagent le même lit ou le fait qu’une autre personne habite chez elles;
  • les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties ont des relations sexuelles, sont fidèles l’une à l’autre, communiquent bien entre elles sur le plan personnel, prennent leurs repas ensemble, s’entraident face aux problèmes ou à la maladie ou s’offrent des cadeaux;
  • les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, la lessive, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  • les activités sociales, notamment le fait que les parties participent ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  • l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  • le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui est de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  • les enfants (le cas échéant), notamment l’attitude et le comportement des parties à leur égardNote de bas de page 4.

[8] La question essentielle est de savoir si la requérante et le cotisant vivaient ensemble en union de fait au moment de son décès et tout au long de l’année précédant son décès.

[9] Le ministre soutient que lorsqu’une partie requérante et une personne cotisante ne vivent pas ensemble, il doit y avoir des éléments de preuve solides pour établir les autres facteurs à l’appui d’une union de fait. Le ministre me renvoie à plusieurs décisions de la division générale pour appuyer cette idée.

[10] Je vais décrire brièvement les affaires sur lesquelles le ministre s’appuie dans la présente décision :

  • LC c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 5 : Le cotisant et la requérante avaient trois enfants. Le cotisant a déménagé chez son frère jusqu’à ce qu’il devienne sobre. Le cotisant continuait d’aider la requérante avec les enfants. La requérante a organisé les funérailles du cotisant. Elle a dit qu’ils entretenaient une relation engagée même s’ils ne vivaient pas sous le même toit. Il n’y avait aucune intention mutuelle de mettre fin à la relation. La requérante avait droit à la pension de survivant.
  • CC c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 6 : Le cotisant a entretenu une relation avec la mise en cause pendant plus de deux décennies. La dernière année de sa vie, le cotisant était dans une maison de soins infirmiers. Il n’avait pas de biens avec la mise en cause et ils ne s’étaient pas mutuellement désignés comme bénéficiaires de leur assurance (le cotisant était marié). Ils avaient un compte conjoint. La mise en cause soutenait le cotisant, et ils formaient encore un couple à tous les égards. La requérante avait droit à la pension de survivant.
  • IM c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 7 : Le requérant a déclaré dans sa demande qu’il ne vivait plus avec le cotisant au moment de son décès. Le requérant a déclaré qu’ils étaient des conjoints de fait séparés. Après révision, le requérant a expliqué qu’il vivait en union de fait avec le cotisant au décès de celui-ci. Ils vivaient sous le même toit, mais avaient des adresses différentes en raison de leur plan d’investissement. Le requérant a accepté la responsabilité des inexactitudes figurant dans la demande initiale au sujet de leurs adresses. Les autres documents écrits appuyaient une union de fait continue, y compris le testament, la police d’assurance-vie et les factures démontrant qu’ils cohabitaient dans leur maison. Le requérant a organisé les funérailles. Le certificat de décès indiquait que le requérant était le partenaire et le liquidateur du cotisant. Le requérant avait droit à la pension de survivant.
  • JL c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 8 : La requérante et le cotisant avaient chacun leur propre adresse pour conserver leurs prestations gouvernementales aux États-Unis et au Canada. Cependant, pendant la majeure partie de chaque mois, ils vivaient sous le même toit. Le cotisant a désigné la requérante comme sa conjointe de fait dans son testament. Le cotisant a laissé à la requérante tous ses biens. La requérante n’a pas participé aux funérailles.
  • SC c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 9 : Le cotisant était un homme alcoolique et violent. Il a déménagé, mais il a maintenu sa relation avec la requérante. Le Tribunal ne dispose d’aucune preuve que la requérante ou le cotisant a passé à autre chose en entamant une relation intime avec une autre personne à la suite de leur séparation physique en 2004, ou que le cotisant souhaitait que sa relation prenne fin. Peu après leur séparation en 2004, la requérante a déménagé dans un logement locatif près de la résidence familiale, là où le cotisant est resté. Ils vivaient tous deux seuls. La requérante se rendait régulièrement à la résidence familiale pour prendre soin du cotisant. Elle lui apportait des repas, faisait le ménage et s’occupait de l’entretien extérieur. Elle était celle qui s’occupait principalement de lui. Ils détenaient conjointement un compte d’investissement et un compte de chèque. La requérante a découvert le corps du cotisant au cours d’une visite de routine qu’elle effectuait pour s’assurer qu’il allait bien. Elle a pris possession de ses restes. Elle avait droit à la pension de survivant.

[11] Je suis d’avis que ces décisions ne confirment pas la proposition selon laquelle une partie requérante doit assumer un fardeau plus lourd pour démontrer qu’elle vivait dans une relation conjugale si elle ne résidait pas avec la personne cotisante au moment de son décès et de façon continue pendant un an avant son décès. L’affaire CC est particulièrement importante parce qu’il s’agissait d’une relation qui a duré des décennies et que ni la requérante ni le cotisant ne vivaient ensemble pendant la dernière année de vie du cotisant en raison de sa maladie. La requérante a été reconnue comme une survivante aux fins de la pension.

[12] Ces décisions ne sont pas contraignantes. Le ministre ne s’est pas appuyé sur la jurisprudence contraignante pour étayer sa position. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que la cohabitation n’est pas synonyme de corésidenceNote de bas de page 10. Deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit et, inversement, elles peuvent ne pas cohabiter au sens où il faut l’entendre même si elles vivent sous le même toit. Les périodes de séparation physique peuvent ne pas mettre fin à l’union de fait s’il existe une intention commune de continuer.

[13] Je n’ai pas connaissance d’une jurisprudence contraignante sur cette question de la part des tribunaux fédéraux concernant la norme que les parties requérantes doivent respecter pour d’autres facteurs si elles ne vivent pas à la même adresse.

[14] Le ministre n’a pas contesté le fait que les parties entretenaient une relation depuis des décennies, soit depuis le milieu des années 1980, qu’elles avaient cessé de vivre ensemble en 1992 et qu’elles ont maintenu une relation quelconque jusqu’au décès du cotisant. Le ministre soutient que la requérante n’a pas démontré au sens du Régime de pensions du Canada qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant lorsqu’il est décédé en février 2020 et de façon continue pendant un an avant son décès.

[15] Je ne peux pas conclure que lorsqu’une partie requérante n’a pas vécu sous le même toit qu’une personne cotisante, il y a une norme plus élevée qui s’applique aux autres facteurs à prendre en considération pour décider si la relation est une union de fait.

[16] Il ne fait aucun doute que la requérante et le cotisant entretenaient une relation étroite. La question est de savoir si cette relation répond au critère juridique d’une union de fait. Je dois me concentrer sur la dernière année de vie du cotisant.

Application des facteurs

La requérante n’habitait pas à la même adresse que la requérante [sic] depuis 1992. Étant donné les raisons qui expliquent cette situation (tant dans le passé que durant la dernière année de vie de la requérante [sic]), il ne s’agit pas d’un facteur important qui va à l’encontre de l’existence d’une union de fait.

[17] Il ne fait aucun doute que la requérante et le cotisant ont cessé de vivre sous le même toit de nombreuses années avant son décès. En fait, ils ne vivaient plus à la même adresse depuis 1992. Il s’agit d’un facteur pertinent lorsqu’on examine si les deux personnes vivaient en union de fait.

[18] La requérante a déclaré que le cotisant était un ingénieur qui dirigeait une usine depuis 37 ans. Il travaillait par quarts : il faisait trois quarts de jour, avait deux jours de congé, puis travaillait trois quarts de nuit. À ses 50 ans, le cotisant ne dormait plus et était devenu alcoolique. Il avait suivi une cure de désintoxication en milieu hospitalier à deux reprises. La requérante travaillait pendant les heures de bureau et devait dormir. Elle dirigeait une entreprise à partir de chez elle.

[19] Le cotisant a déménagé à trois pâtés de maisons et a loué un appartement. La requérante a déclaré que lorsque le cotisant a déménagé, il a pris une partie de leurs biens pour en faire [traduction] « leur » foyer là-bas. Ils ont accroché des photos et elle a aidé à décorer. Elle a dit qu’il avait reçu du courrier chez elle en 2011, en 2012, en 2013 et en 2017.

[20] La requérante a expliqué que le cotisant avait cessé de boire dans les cinq années précédant son décès. La requérante n’est pas retournée vivre avec lui. Il avait un cancer de la gorge et a eu une laryngectomie complète, suivie de deux chirurgies. Il avait beaucoup de douleurNote de bas de page 11.

[21] La raison des adresses séparées est, à mon avis, très importante.

[22] Premièrement, la requérante et le cotisant avaient des raisons de vivre à des adresses différentes pendant de nombreuses années, ce qui n’avait rien à voir avec la proximité de leur relation. Ce choix concernait la santé et le bien-être des parties. À mon avis, c’était une façon de maintenir la relation malgré les difficultés causées par l’alcoolisme du cotisant et son horaire de travail, qui ont affecté la requérante. Cela n’est pas sans rappeler les situations où un couple vit séparément parce qu’une personne est à l’hôpital ou dans un foyer de soins – la raison de la séparation physique est liée à la santé et ne devrait pas constituer un obstacle important à la conclusion d’une union de fait. Je conclus que les parties n’avaient pas l’intention de se séparer (et qu’elles ne l’ont pas fait) lorsque le cotisant a déménagé à trois pâtés de maisons.

[23] Le ministre fait remarquer que la requérante et le cotisant n’ont pas vécu ensemble même après que celui-ci a cessé de boire dans les années précédant son décès. Je ne considère pas que cela aille à l’encontre d’une union de fait dans le présent appel. La requérante a témoigné non seulement au sujet de la consommation d’alcool du cotisant, mais aussi au sujet d’autres facteurs qui ont aidé à expliquer pourquoi le fait de vivre séparément avait un sens pour eux en tant que couple. Ces facteurs comprennent notamment :

  • l’horaire de travail par quarts du cotisant;
  • les habitudes sociales du cotisant (il était solitaire);
  • la nature de la situation de vie de la requérante (y compris le fait qu’elle a fini par ouvrir un gîte touristique chez elle).

[24] Deuxièmement, la requérante a déclaré que même lorsque le cotisant a développé un cancer, ils n’ont pas réemménagé ensemble. À ce moment-là, il était à l’aise chez lui et prenait beaucoup de médicaments. J’admets que le fait de s’occuper de la requérante [sic] tout en conservant sa propre adresse allait à l’encontre d’une union de fait à ce moment-là, compte tenu de leur passé. Ils ont entretenu cette relation pendant de nombreuses années avec des adresses distinctes. Je conclus que la requérante s’est occupée du cotisant lorsqu’il était malade, notamment en se rendant à des rendez-vous médicaux avec lui et en l’aidant chez lui.

La requérante et le cotisant avaient des rapports sexuels. Il s’agit d’un facteur qui favorise la conclusion d’une union de fait.

[25] La requérante a livré son témoignage, et j’admets que le cotisant et elle entretenaient une relation de nature sexuelle depuis le milieu des années 1980. Leur relation a été exclusive presque tout le temps, sauf pendant une courte période où la requérante a eu un enfant. J’admets que leurs rapports ont changé pendant la dernière année de vie de la requérante [sic] en raison de sa maladie.

[26] Je suis d’avis qu’il s’agit d’un facteur important à prendre en considération parce qu’ils ont entretenu une relation exclusive pendant de nombreuses années.

La requérante et le cotisant communiquaient bien entre eux sur le plan personnel, prenaient régulièrement leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes et s’offraient des cadeaux. Il s’agit d’un facteur qui favorise la conclusion d’une union de fait.

[27] La requérante a déclaré que pendant des années, le cotisant et elle ont dîné ensemble chez elle lorsqu’il faisait ses quarts de jour. Elle a précisé qu’ils passaient autant de temps chez elle que chez lui et que le cotisant marchait pour se rendre d’un endroit à l’autre.

[28] Quand la requérante [sic] a été opérée pour son cancer, ils se voyaient plus souvent. En août 2015, le cotisant s’est absenté du travail et a commencé à recevoir des prestations d’invalidité de courte durée, puis de longue durée. La requérante a estimé qu’elle voyait le cotisant tous les jours ou tous les deux jours, surtout pendant la dernière année de sa vie, parce qu’il avait besoin de soins et de soutien. La requérante s’est rendue à tous les rendez-vous et réunions de groupes de soutien du cotisant.

[29] La requérante a déclaré qu’en ce qui concerne les cadeaux, le cotisant la gâtait [traduction] « assez bien » et qu’elle lui achetait beaucoup de fleurs.

[30] À l’audience de la division d’appel, le ministre a soutenu que les détails de certains aspects de la relation n’étaient pas clairs à la division générale, comme la fréquence à laquelle la requérante prenait ses repas avec le cotisant ou ce qu’elle faisait précisément pour l’aider lorsqu’il était malade. Cependant, je suis convaincue que l’estimation de la requérante selon laquelle elle voyait la requérante [sic] tous les jours ou tous les deux jours pendant la dernière année de sa vie était assez précise. Ces renseignements n’ont pas été contestés à l’audience de la division d’appel.

La requérante et le cotisant se partageaient les tâches en ce qui concerne la préparation des repas, la lessive, les courses et l’entretien ménager. Il s’agit d’un facteur qui favorise la conclusion d’une union de fait.

[31] Je suis convaincue que la requérante aidait parfois le cotisant à faire l’épicerie et la lessive et à acheter de la nourriture pour chats. Le cotisant aidait la requérante avec l’entretien de sa maison parce qu’elle était propriétaire et qu’il était locataire.

[32] Dans l’année précédant son décès, le cotisant n’allait pas bien. Il est clair que la requérante l’a beaucoup aidé dans les tâches ménagères. J’admets qu’elle s’est rendue à de nombreux rendez-vous médicaux avec lui.

[33] Dans une lettre qui figure au dossier de la division générale, un ami de la requérante a écrit que le cotisant ne conduisait pas et que la requérante l’emmenait faire l’épicerie et d’autres coursesNote de bas de page 12. La lettre n’a pas le même poids que le témoignage sous serment qui fait l’objet d’un contre-interrogatoire, mais elle est pertinente et conforme à la preuve de la requérante concernant la proximité de sa relation avec le cotisant. L’ami a aussi décrit la requérante comme une proche aidante, ce qui, selon moi, signifie qu’elle s’est occupée du cotisant, et non qu’elle a été une personne soignante rémunérée pendant une période de maladie de plusieurs décennies.

[34] Le ministre a soutenu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve concernant une situation de vie commune. À mon avis, ce facteur a favorisé l’existence d’une union de fait : il n’est pas nécessaire que les parties partagent tous les travaux ménagers pour vivre en union de fait. Cela est particulièrement vrai lorsqu’une des deux personnes est atteinte d’un cancer et qu’elle est en congé d’invalidité.

La vie sociale de la requérante et du cotisant (et la façon dont ils ont été perçus par leur collectivité), dans la mesure où elle s’applique compte tenu de leur situation, est un facteur qui favorise la conclusion d’une union de fait.

[35] J’admets que la requérante a déclaré que le cotisant était solitaire. Elle a aussi expliqué qu’elle est une enfant unique et que sa mère est décédée lorsqu’elle avait 19 ans. La requérante a dit que le cotisant n’était pas du tout en contact avec sa famille. Il ne voyageait pas et ne prenait pas de vacances, notamment en raison de son travail et de son horaire. Les parties ne faisaient pas activement partie d’une communauté religieuse. J’admets que la requérante et le cotisant ont passé beaucoup de temps ensemble, même s’ils ne communiquaient pas régulièrement avec les membres de leur famille élargie ou leurs amis.

[36] Le cotisant est décédé juste avant les fermetures liées à la pandémie de la COVID-19. Les funérailles se sont donc limitées à la requérante et à une autre personne. La requérante a expliqué qu’il n’y avait pas d’article nécrologique et qu’aucun salon funéraire ne s’était occupé des services funéraires. La requérante et le cotisant semblaient faire partie intégrante de la vie sociale de l’autre, et c’est un facteur qui favorise la conclusion d’une union de fait.

La requérante et le cotisant n’avaient pas besoin du soutien financier de l’un ou l’autre, mais le cotisant a bel et bien désigné la requérante comme bénéficiaire de son assurance-vie.

[37] La requérante et le cotisant ne partageaient pas de comptes bancaires. La requérante a expliqué que le cotisant payait le loyer de son appartement et qu’elle payait les impôts de la maison dans laquelle elle vivait et qu’elle avait héritée de sa mère. Ils ne payaient pas les factures de l’autre, puisqu’aucun d’eux n’avait besoin de l’aide financière de l’autre.

[38] Le cotisant a désigné la requérante comme bénéficiaire de son assurance-vieNote de bas de page 13. Selon l’état matrimonial qui figure sur les documents du régime de retraite de la fonction publique du cotisant, celui-ci était célibataire. Toutefois, les documents indiquent que la requérante est sa bénéficiaireNote de bas de page 14.

[39] En revanche, le certificat de décès du cotisant ne précise pas que la requérante est sa plus proche parenteNote de bas de page 15.

[40] Dans sa déclaration de revenus de décembre 2020, la requérante a déclaré qu’elle était célibataire. À l’audience, lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet, la requérante a déclaré qu’elle était encore sous le choc lorsqu’elle a rempli ce formulaire. En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’étant donné le temps écoulé depuis le décès du cotisant, elle n’était plus en état de choc. Elle a témoigné au sujet de l’anxiété qu’elle avait ressentie en vidant l’appartement du cotisant (pendant la pandémie), du chagrin qu’elle éprouvait et des changements liés à son emploi.

[41] De toute évidence, le fait que la requérante a écrit qu’elle était célibataire dans sa déclaration de revenus contredit l’idée qu’elle vivait en union de fait. Cependant, je pense que la nature de la relation entre la requérante et le cotisant était complexe, étant donné la durée pendant laquelle ils ont formé un couple exclusif, même s’ils ne vivaient pas à la même adresse et qu’il était atteint d’un cancer dans la dernière année de sa vie. Ainsi, même si ces documents sont un facteur qui va à l’encontre de la conclusion d’une union de fait, je juge qu’il ne s’agit que d’un facteur parmi tant d’autres et que, tout bien considéré, cette relation était une union de fait, même si ce n’est pas l’option que la requérante a choisie dans son formulaire de déclaration de revenus en 2020 après le décès du cotisant.

[42] En ce qui concerne les dispositions financières, étant donné que les parties n’étaient pas dépendantes financièrement de l’une ou l’autre, j’accorde beaucoup d’importance au fait que les documents d’assurance du cotisant décédé désignaient la requérante comme bénéficiaire. Ainsi, même si le cotisant et la requérante ne dépendaient pas financièrement de l’un ou l’autre pour les affaires courantes, lorsqu’on leur a donné la possibilité de désigner une personne bénéficiaire, le cotisant a nommé la requérante.

[43] La requérante a expliqué que le cotisant n’avait pas de testament. Elle a trié les effets personnels du cotisant, a fait beaucoup de dons et a donné les outils du cotisant à sa fille. Elle a gardé l’ensemble de trains du cotisant.

[44] Je suis d’avis que certains éléments de preuve dans la présente affaire sont en faveur d’une union de fait (comme l’assurance-vie), alors que d’autres ne le sont pas (comme le fait que la requérante a déclaré être célibataire dans sa déclaration de revenus).

La requérante et le cotisant n’ont pas d’enfants ensemble, et l’enfant de la requérante était adulte dans l’année précédant le décès du cotisant.

[45] La requérante et le cotisant n’ont pas eu d’enfants ensemble. Toutefois, la requérante a déclaré qu’en 2000, ils se sont séparés pendant une courte période et elle a eu une fille. J’admets que la requérante n’avait pas de relation avec le père de sa fille après la naissance de celle-ci. Il n’a fait partie de leur vie, à quelque titre que ce soit, que pendant quelques années. Si le cotisant et la requérante n’ont pas toujours formé un couple exclusif, j’estime qu’il s’agissait d’une courte période précédant la naissance de la fille de la requérante, bien avant la dernière année de vie du cotisant.

[46] Le cotisant a donné des cadeaux à la fille de la requérante au fil des années, mais il n’était pas responsable de ses soins.

[47] Dans la dernière année de vie du cotisant, la fille de la requérante était alors devenue grande, et la requérante avait passé beaucoup de temps avec le cotisant.

En résumé

[48] Les facteurs que je dois prendre en considération ne sont pas exhaustifs et seront appréciés différemment selon le cas. La requérante était propriétaire de sa maison et le cotisant vivait seul depuis de nombreuses années. Il ne dormait plus. Il était un ancien alcoolique et, dans la dernière année de sa vie, il était atteint d’un cancer. La requérante et le cotisant avaient chacun leur propre revenu et ne dépendaient pas financièrement de l’un ou l’autre. Ils partageaient le coût des choses comme l’épicerie.

[49] En examinant les facteurs dans leur ensemble, je suis d’avis que la requérante et le cotisant ont vécu plus qu’une simple relation – il s’agissait d’une union de fait. Ils partageaient la même situation de vie au cours de la dernière année de vie du cotisant, même si la requérante dormait chez elle à plusieurs pâtés de maisons de là. Le cotisant était solitaire. Leur vie sociale cette année-là ne révèle pas grand-chose quant au fait de savoir si leur relation était une union de fait. La requérante possédait sa propre maison et avait un revenu; elle était financièrement indépendante du cotisant. Il ne semble pas juste de conclure à l’absence d’une union de fait simplement parce qu’aucune des parties ne dépendait financièrement de l’autre. Le cotisant et la requérante n’avaient pas besoin de mettre leurs ressources en commun de cette façon. Ils n’avaient pas de comptes conjoints, pas plus que les autres personnes survivantes qui sont mariées, par exemple.

[50] La requérante et le cotisant n’étaient pas seulement des amis, des amoureux, des voisins ou dans une relation de proche aidance. Je suis convaincue qu’ils vivaient en union de fait depuis longtemps. Ils partageaient une vie commune et étaient partenaires – et cette vie comprenait des complications qui découlaient de la nature de l’horaire de travail éprouvant du cotisant, de sa dépendance éventuelle à l’alcool et, plus tard, de son cancer. Ils n’étaient pas liés à leur famille d’origine comme le sont certaines personnes.

[51] Chaque union de fait est différente. Les facteurs doivent être assez flexibles pour qu’une personne puisse avoir droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada malgré ses liens sociaux ou familiaux, sa vie sociale ou sa santé.

[52] Lorsque j’examine tous les facteurs selon les circonstances uniques de cette relation, je suis convaincue que la requérante est la survivante du cotisant. Tout comme les mariages, les unions de fait sont uniques. La requérante et le cotisant se trouvaient dans une situation unique pour les raisons suivantes :

  • Ils entretenaient une relation à long terme qui a duré de nombreuses années.
  • Ils ont vécu à des adresses différentes pendant des décennies en raison de leurs besoins liés au travail et à la santé, mais ils ont maintenu une relation exclusive pendant des décennies, à l’exception d’une très courte période pendant laquelle la requérante a eu un enfant. Ils formaient certainement un couple exclusif dans la dernière année de vie du cotisant. L’alcoolisme du cotisant ainsi que son horaire de travail extrêmement difficile faisaient en sorte qu’il avait besoin de son propre espace, surtout pour dormir la nuit.
  • Le cotisant était solitaire, de sorte que la façon dont les membres de la collectivité ou de la famille élargie ont pu voir sa relation n’est pas aussi applicable qu’elle pourrait l’être autrement.
  • Le cotisant était atteint d’un cancer dans la dernière année de sa vie, et la requérante le voyait régulièrement pendant cette période et passait plus de temps avec lui.
  • Il n’y avait pas de dépendance financière, mais le cotisant a désigné la requérante comme bénéficiaire de son assurance-vie, ce qui, dans la présente affaire, démontre un lien financier plus important que celui d’une amie proche ou d’une proche aidante.
  • La requérante a déclaré être célibataire dans sa déclaration de revenus, et le cotisant n’a pas précisé que la requérante était sa plus proche parente. Cependant, ils vivaient dans une relation conjugale dans la dernière année de vie du cotisant.

[53] Je suis convaincue que la requérante n’était pas seulement la petite amie, l’amie ou la proche aidante du cotisant au moment de son décès. Elle était sa conjointe de fait. Par conséquent, elle a droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada.

Conclusion

[54] J’accueille l’appel de la requérante. La requérante a droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada.

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