Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : NB c Ministre de l’Emploi et du Développement social et BD, 2024 TSS 162

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : N. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : B. D.

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 20 juin 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 21 février 2024
Numéro de dossier : GP-23-1599

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le ministre de l’Emploi et du Développement social doit annuler le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension de l’appelant et de la mise en cause. Je vais expliquer pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant et la mise en cause se sont mariés le 12 février 1982. Ils se sont séparés le 20 avril 1989Note de bas de page 1 et ont signé un règlement de divorce le 21 août 1991Note de bas de page 2. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a accordé le divorce le 3 décembre 1992Note de bas de page 3.

[4] Le 27 juin 2022, la mise en cause a demandé au ministre un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, aussi appelé un « partage des crédits »Note de bas de page 4. Dans un partage des crédits, les cotisations des époux au Régime de pensions du Canada au cours de certaines années sont combinées et partagées également lorsque survient une séparation ou un divorce.

[5] Le ministre a accueilli la demande de la mise en cause et a avisé l’appelant, comme il était tenu de le faire. L’appelant a demandé au ministre d’annuler le partage des crédits parce que, dans le règlement de divorce, la mise en cause et lui avaient convenu de ne pas partager leurs cotisations au Régime de pensions du Canada. La mise en cause a changé d’avis et a aussi demandé au ministre d’annuler le partage des créditsNote de bas de page 5. Le ministre a rejeté les deux demandes.

[6] L’appelant a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Avant l’audienceNote de bas de page 6, la mise en cause a encore changé d’avis. Elle veut maintenant que le partage des crédits soit maintenuNote de bas de page 7. Le ministre a aussi changé d’avis : il dit maintenant qu’il n’aurait pas dû procéder au partage des crédits et demande au Tribunal de l’annulerNote de bas de page 8.

Ce que je dois décider

[7] Je dois décider si le ministre devait effectuer le partage des crédits demandé par la mise en cause.

Motifs de ma décision

[8] Le ministre n’aurait pas dû effectuer le partage des crédits demandé par la mise en cause. Il doit donc l’annuler. Voici pourquoi.

Circonstances où le ministre doit ou non effectuer un partage des crédits

[9] Le ministre doit procéder au partage des crédits lorsqu’il est informé d’un divorceNote de bas de page 9. Une exception s’applique en présence des quatre conditions suivantes :

  1. 1) Les ex-époux ont conclu un contrat écrit après le 3 juin 1986, lequel contient une disposition qui mentionne expressément le Régime de pensions du Canada et qui exprime leur intention de ne pas faire de partage des crédits.
  2. 2) La disposition est expressément autorisée selon le droit provincial applicable.
  3. 3) Le contrat a été conclu avant que le jugement accordant le divorce soit rendu.
  4. 4) La disposition n’a pas été annulée par une ordonnance d’un tribunal.

[10] Dans les cas où toutes ces conditions sont réunies, le ministre ne doit pas effectuer le partage des créditsNote de bas de page 10.

Les conditions 1, 3 et 4 sont réunies

[11] Il est évident, d’après la preuve, que les conditions 1, 3 et 4 sont réunies.

[12] L’appelant et la mise en cause ont conclu un contrat écrit (règlement de divorce) le 21 août 1991. C’était donc après le 3 juin 1986 et avant que le jugement accordant le divorce soit rendu le 3 décembre 1992.

[13] La disposition 9 du règlement de divorce prévoit ce qui suit :

[traduction]
Les parties reconnaissent par la présente qu’aucune disposition législative provinciale en vigueur en Alberta ne permet à l’une ou l’autre de renoncer à tout droit qu’elle pourrait avoir de présenter une demande visant à partager ou à réclamer de quelque façon que ce soit tout intérêt, maintenant ou dans l’avenir, qui découle du Régime de pensions du Canada, que l’autre partie détient ou pourrait détenir dans l’avenir. Indépendamment de ce qui précède, les parties conviennent par la présente que ni l’une ni l’autre ne demandera de partager ou de réclamer de quelque façon que ce soit tout intérêt, maintenant ou dans l’avenir, qui découle du Régime de pensions du Canada ou de tout autre régime de pension de retraite ou régime enregistré d’épargne-retraite, ou toute prestation afférente, que l’autre partie détient ou pourrait détenir dans l’avenirNote de bas de page 11.

[14] Cette disposition mentionne expressément le Régime de pensions du Canada et exprime l’intention de l’appelant et de la mise en cause de ne pas faire de partage des crédits. Rien ne prouve que cette disposition a été annulée par une ordonnance d’un tribunal.

Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la deuxième condition est respectée

[15] Les parties ne s’entendent pas sur la deuxième condition, à savoir si la disposition 9 est expressément autorisée selon le droit provincial applicable, dans ce cas-ci, le droit de l’Alberta, là où le divorce a été conclu.

[16] Le ministre et l’appelant soutiennent que la deuxième condition est respectée. L’article 82.2 de la Family Law Act de l’Alberta [loi sur le droit de la famille] dit ce qui suit : [traduction] « Tout contrat écrit conclu entre époux ou conjoints de fait le 4 juin 1986 ou après cette date peut prévoir que, malgré le Régime de pensions du Canada (Canada), aucun [partage des crédits] n’aura lieu. » Selon le ministre et l’appelant, le règlement de divorce remplit cette exigence. Par conséquent, le ministre n’avait pas le pouvoir d’effectuer le partage des crédits demandé par la mise en cause.

[17] La mise en cause soutient que la deuxième condition n’est pas respectée parce que l’article 82.2 n’était pas en vigueur (c’est-à-dire qu’il n’était pas dans la loi) avant 2005. À ce moment-là, le divorce avait déjà eu lieu. Lorsque le règlement de divorce a été signé et que le jugement accordant le divorce a été rendu, le droit albertain ne permettait pas expressément aux époux de renoncer au partage obligatoire des crédits conformément au Régime de pensions du Canada.

J’estime que la deuxième condition est respectée

[18] Je suis d’accord avec le ministre et l’appelant. Je conclus que la deuxième condition est respectée. Comme les quatre conditions sont réunies, le ministre n’avait pas le pouvoir de procéder au partage des crédits.

[19] Le Régime de pensions du Canada prévoit qu’un contrat entre époux visant à ne pas partager leurs cotisations au Régime de pensions du Canada lie le ministre seulement si la loi provinciale applicable autorise expressément les époux à renoncer au partage des crédits. L’article 82.2 de la Family Law Act a manifestement cette fonction.

[20] Il est vrai que l’article 82.2 n’était pas en vigueur lorsque le règlement de divorce a été signé et que le jugement accordant le divorce a été rendu. Mais c’est sans importance. L’article 82.2 dit ce qui suit : [traduction] « Tout contrat écrit conclu entre époux ou conjoints de fait le 4 juin 1986 ou après cette date peut prévoir que, malgré le Régime de pensions du Canada (Canada), aucun [partage des crédits] n’aura lieu. » [c’est moi qui souligne] L’article 82.2 adopté en 2005 s’applique aux contrats conclus dans le passé, et pas seulement à ceux conclus en 2005 ou après. La disposition 9 du règlement de divorce démontre précisément ce scénario.

[21] Je suis au courant d’une affaire où la Commission d’appel des pensions (l’organisme qui a précédé le Tribunal) est arrivée à la conclusion contraire. La décision Moore c Canada (Ministre du Développement social) concerne un divorce qui a eu lieu en 1989, en AlbertaNote de bas de page 12. En 1993, une des personnes visées a demandé le partage des crédits. Le ministre a accueilli sa demande même si l’autre personne s’y opposait. Par la suite, l’article 82.2 est entré en vigueur. La personne qui s’était opposée au partage des crédits a tenté de faire annuler le partage des crédits en s’appuyant sur cet article.

[22] En concluant que le ministre devait procéder au partage des crédits, la Commission a expliqué que l’article 82.2 ne s’appliquait pas parce que, comme il revêt un caractère réparateur, « on estime qu’[il] n’est pas rétroacti[f] ». Les époux étaient donc soumis à la loi telle qu’elle existait lorsqu’ils ont divorcéNote de bas de page 13.

[23] La Commission avait raison de dire que l’on présume qu’une loi s’applique seulement à ce qui s’en vient, et non à ce qui est arrivé dans le passé. Mais ce n’est qu’une présomption. On peut réfuter cette présomption si l’on démontre que l’intention de la loi était de s’appliquer à ce qui est arrivé dans le passéNote de bas de page 14. Je suis d’avis que la référence expresse de l’article 82.2 aux contrats conclus bien avant 2005 démontre une telle intention.

[24] La mise en cause a fait référence à une autre décision, qui s’intitule BG c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas de page 15. Il s’agit d’une décision de la division d’appel du Tribunal. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que l’appelante ne pouvait pas annuler son partage des crédits parce qu’il est obligatoire lorsque deux personnes divorcent après 1986 et que le ministre reçoit certains renseignements. Cependant, cette affaire ne comportait aucun contrat de séparation, comme c’est le cas dans la présente affaire. De plus, les faits sont différents. L’issue de l’affaire est donc forcément différente.

Conclusion

[25] Je conclus que le ministre n’aurait pas dû effectuer le partage des crédits demandé par la mise en cause. Les quatre conditions énoncées dans le Régime de pensions du Canada sont réunies. Par conséquent, le ministre était lié par le règlement de divorce. Il n’avait pas le pouvoir de partager les cotisations au Régime de pensions du Canada de l’appelant et de la mise en cause.

[26] L’appel est donc accueilli.

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