Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : MK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 110

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : M. K.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Anita Hoffman

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 15 juin 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 30 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
  Représentante de l’intimée
  Interprète
Date de la décision : Le 5 février 2024
Numéro de dossier : GP-23-1115

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, M. K., n’a pas droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC) à l’égard du cotisant décédé, A. K. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante et A. K. se sont mariés le 21 juin 2008 et ont divorcé le 11 janvier 2016Note de bas de page 1. Après quelque temps, ils ont recommencé à vivre ensemble. Il y a des éléments de preuve contradictoires sur la nature de leur relation après le divorce. A. K. est décédé le 7 décembre 2021 au CanadaNote de bas de page 2. À ce moment-là, l’appelante rendait visite à sa famille en Allemagne.

[4] L’appelante a demandé une pension de survivant le 26 octobre 2022. Elle a affirmé qu’elle et A. K. vivaient ensemble en tant que conjoints de fait depuis le 20 mars 2016Note de bas de page 3.

[5] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande de l’appelante. Selon le ministre, même si l’appelante et A. K. vivaient ensemble quand il est décédé, ils n’étaient pas conjoints de fait. L’appelante semblait plutôt assumer le rôle de proche aidante de A. K. Elle n’était donc pas sa « survivante ». Seule une personne survivante peut recevoir une pension de survivant.

[6] L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que je dois décider

[7] Selon la loi, pour avoir droit à une pension de survivant, il faut être la survivante ou le survivant de la personne cotisante décédéeNote de bas de page 4. Le Régime de pensions du Canada définit une survivante ou un survivant comme étant la conjointe ou le conjoint de fait ou l’épouse ou l’époux de la personne décédéeNote de bas de page 5. La définition de survivante ou survivant au sens du Régime de pensions du Canada est différente de celle d’autres lois. Je dois appliquer celle du Régime de pensions du Canada lorsque je rends ma décisionNote de bas de page 6.

[8] Aux termes du Régime de pensions du Canada, une conjointe ou un conjoint de fait est une personne qui vivait dans une relation conjugale depuis au moins un an avec la personne cotisante au moment du décès de celle-ciNote de bas de page 7.

[9] Pour décider si deux personnes sont des conjointes ou conjoints de fait, je dois tenir compte de certains facteurs, par exempleNote de bas de page 8 :

  1. a) le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. b) les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. c) les services, notamment le rôle dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. d) les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. e) l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. f) le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. g) l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[10] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver qu’elle est la survivante du cotisant décédé. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est sa survivante).

Motifs de ma décision

[11] Je conclus que l’appelante n’est pas la survivante de A. K. Elle n’était pas en union de fait avec lui pendant au moins un an au moment de son décès. Pour expliquer ma décision, je vais d’abord discuter de la fiabilité de la preuve de l’appelante. Ensuite, je présenterai mes conclusions sur les faits importants. Je vais aussi examiner le lien entre ces faits et les facteurs que j’ai décrits ci-dessus.

La preuve de l’appelante est incohérente

[12] L’appelante a donné des versions contradictoires de sa relation avec A. K. :

  • En janvier 2019, elle a demandé un partage des crédits du RPC à l’égard des cotisations de A. K.Note de bas de page 9 Dans sa demande, elle a dit qu’ils ont vécu ensemble pour la dernière fois en mars 2015Note de bas de page 10.
  • Dans des lettres qu’elle a écrites en août et en septembre 2019, elle a précisé qu’ils vivaient effectivement ensemble, mais pas comme conjoints de fait. Elle a expliqué que sa mère est décédée en mars 2015, donc elle est allée en Allemagne (où sa mère vivait) pendant trois mois. À son retour au Canada, elle a emménagé avec des amis pour une durée de deux mois. Elle a ensuite vécu avec ses enfants pendant trois mois. Finalement, elle a loué son propre appartement. En avril 2016, elle a recommencé à vivre avec A. K. à titre de [traduction] « colocataire ». Elle a décrit cette colocation comme un arrangement temporaire qui a été conclu pour des raisons financières. Elle a dit qu’ils avaient des chambres et des [traduction] « salles de télévision » séparées. Elle lui payait un loyer en plus de sa part des charges locativesNote de bas de page 11.
  • En octobre 2022, elle a demandé une pension de survivant. Dans sa demande, elle a dit qu’ils vivaient ensemble en tant que conjoints de fait depuis mars 2016Note de bas de page 12.
  • En mars 2023, elle a rempli une déclaration officielle d’union de fait. Elle a dit qu’ils ont vécu ensemble de façon continue de mai 2008 jusqu’au décès d’A. K.Note de bas de page 13
  • À l’audience, elle a dit qu’ils ont vécu ensemble à compter de mars 2016 (deux mois après leur divorce) jusqu’en 2018. Plus tard, elle a dit 2019. Pendant cette période, ils dormaient ensemble dans le même lit. Ils se sont séparés avant de se réunir de nouveau en décembre 2019. Ils ont vécu ensemble jusqu’au décès d’A. K.

[13] En résumé, l’appelante a donné trois différentes versions des faits :

  • Ils n’ont pas cohabité du tout à compter de mars 2015 au moins jusqu’en janvier 2019.
  • Ils ont vécu ensemble à compter d’avril 2016 au moins jusqu’en septembre 2019, mais seulement comme colocataires.
  • Ils ont vécu ensemble, soit à compter de mai 2008 ou de mars 2016, jusqu’en 2018, en 2019 ou en décembre 2021, comme conjoints de fait.

[14] J’ai demandé à l’appelante d’expliquer pourquoi elle avait fourni des dates différentes pour la période où elle et A. K. étaient conjoints de fait. Elle n’a pas répondu directement à cette question. Je remarque que l’appelante n’a pas cité une barrière de la langue comme raison pour laquelle elle a fait des déclarations contradictoires dans ses documents. À l’audience, son témoignage a été traduit par un interprète de l’allemand, donc l’incohérence du témoignage lui-même ne peut pas être expliquée par une barrière de la langue.

Ma conclusion au sujet de la relation entre l’appelante et A. K.

[15] Je conclus que l’appelante et A. K. ont cessé de vivre ensemble pour la première fois en mars 2015. L’appelante a fourni une chronologie détaillée des endroits où elle a vécu après mars 2015 dans une lettre adressée à Service Canada pour appuyer sa demande de partage des crédits. Je doute qu’elle ait inventé tous ces détails. Il est plus probable que ce qu’elle a écrit soit factuel.

[16] Je conclus que l’appelante et A. K. ont recommencé à vivre ensemble en avril 2016. Cette date provient de la lettre mentionnée ci-dessus, qui selon moi fournit une chronologie fiable des événements. En ce qui concerne ce qui s’est passé en 2016, sa mémoire devait être plus fidèle au moment d’écrire cette lettre qu’au moment de remplir les documents de 2022 et de 2023 et de livrer son témoignage à l’audience. J’accepte également ce que dit la lettre sur le fait que l’appelante et A. K. vivaient ensemble en tant que colocataires et avaient des chambres séparées.

[17] Cet arrangement a duré au moins jusqu’en septembre 2019, car c’est à ce moment-là qu’elle a écrit à Service Canada à ce sujet.

[18] Ensuite, il y a deux possibilités : soit cet arrangement de colocation a duré jusqu’au décès de A. K., soit il s’est transformé en union de fait au début de 2021. Dans les deux cas, l’appelante ne répond pas à la définition de survivante.

Premier scénario : l’appelante et A. K. étaient colocataires jusqu’à son décès

[19] Certains éléments de preuve donnent à penser que l’appelante et A. K. ont vécu ensemble comme colocataires jusqu’à son décès.

[20] L’appelante est allée en Allemagne en septembre 2021. Elle avait l’intention d’y rester pendant quatre ou cinq mois. Avant de partir, elle a demandé à Service Canada de réacheminer son courrier en l’Allemagne parce qu’elle vivait [traduction] « séparément » dans la [traduction] « maison de son ex-mari » et qu’elle ne pourrait pas recevoir son courrier pendant son absence. Elle a ajouté qu’elle fournirait une nouvelle adresse postale à son retourNote de bas de page 14. J’ai demandé à l’appelante pourquoi elle avait fait réacheminer son courrier. Elle a déclaré qu’elle voulait être certaine de le recevoir.

[21] La demande de l’appelante de réacheminer son courrier est plus cohérente avec le fait qu’elle et A. K. vivaient séparément dans la même maison en tant que colocataires. En effet, c’est essentiellement l’explication que l’appelante a donnée à Service Canada. S’ils vivaient en union de fait, je crois que l’appelante aurait demandé à A. K. de vérifier son courrier et de l’aviser si elle devait s’occuper de quelque chose. Selon son témoignage, ils parlaient tous les jours, le courrier était livré à leur adresse commune et A. K. était en bonne santé.

Deuxième scénario : l’appelante et A. K. sont devenus conjoints de fait en 2021

[22] Certains éléments de preuve appuient le fait que la relation entre l’appelante et A. K. a changé au début de 2021, de sorte qu’ils sont devenus conjoints de fait.

[23] L’appelante a déclaré qu’elle et A. K. faisaient tout ensemble, comme faire les courses, préparer les repas et manger. Ils dormaient aussi ensemble. Cependant, il ressort clairement de la lettre qu’elle a écrite à Service Canada en 2019 qu’ils n’ont pas toujours vécu de cette façon. Le témoignage de l’appelante portait sur deux périodes possibles durant lesquelles leur relation est devenue plus intime : décembre 2019 ou début 2021Note de bas de page 15.

[24] Premièrement, l’appelante a déclaré que leur relation était difficile en 2018. Cependant, ils ont mis leurs différends de côté lorsque les nouvelles de la COVID-19 ont commencé à circuler en décembre 2019 parce qu’ils savaient qu’il y aurait des confinements. Ils ont craint cette situation et ont cherché du réconfort et de la stabilité dans la compagnie de l’autre.

[25] Deuxièmement, l’appelante a déclaré que l’état de santé de A. K. s’est détérioré au début de 2021 (mais s’était rétabli au moment de son départ pour l’Allemagne). En mars 2021, A. K. est tombé dans leur cour et l’appelante a dû l’aider à se relever. À ce moment-là, A. K. s’est demandé pourquoi ils étaient divorcés, laissant entendre qu’il voulait se réconcilier avec l’appelante. À peu près au même moment, il a développé des cataractes. L’appelante affirme qu’elle l’a conduit à ses rendez-vous médicaux et l’a aidé à accomplir ses tâches quotidiennes pendant sa convalescence.

[26] Entre ces deux périodes, la deuxième est la plus probable pour deux raisons. Le témoignage de l’appelante sur la période où elle a vécu avec A. K. en 2018 et en 2019 était incohérent. De plus, l’appelante n’a pas mentionné la COVID-19 du tout dans ses déclarations écrites, alors que celles-ci ont traité du fait que la mauvaise santé de A. K. avait un impact important sur leur relationNote de bas de page 16.

[27] Si la nature de la cohabitation de l’appelante et de A. K. avait effectivement changé par rapport à celle de colocation au début de 2021, cela pourrait appuyer l’existence d’une union de fait.

[28] Toutefois, la loi précise que pour être la survivante ou le survivant, une personne devait être en union de fait depuis au moins un an avec la personne cotisante décédée au moment de son décès. Ainsi, même si l’appelante et A. K. sont devenus conjoints de fait au début de 2021, ils ne l’étaient pas depuis au moins un an avant le décès de A. K. en décembre 2021.

Autres facteurs à prendre en considération

[29] Il est important de garder en tête que les facteurs que j’ai énumérés précédemment dans la présente décision ne constituent pas une liste de vérification. Tous les facteurs ne seront pas tout aussi pertinents à chaque relation. J’ai déjà discuté de bon nombre de ceux-ci. Je vais maintenant en aborder deux autres : la relation entre A. K. et les enfants de l’appelante et les arrangements financiers de A. K.

[30] L’appelante a eu des enfants d’un mariage précédent. Ils étaient déjà adultes et vivaient de manière indépendante au moment où elle a épousé A. K. Je crois comprendre que A. K. ne voyait pas souvent les enfants de l’appelante même quand ils étaient mariésNote de bas de page 17. Par conséquent, j’estime que sa relation avec les enfants de l’appelante n’est pas un facteur utile à prendre en considération.

[31] Les arrangements financiers de A. K. n’appuient pas vraiment l’existence d’une union de fait. Il était le seul propriétaire de la maison où l’appelante et lui vivaient. Il est décédé sans un testament. Apparemment, ses fils (qui étaient séparés de lui) ont hérité de la maisonNote de bas de page 18. L’appelante a déclaré qu’elle ne se souciait pas beaucoup des finances de A. K. de son vivant. Son décès était inattendu. Pourtant, elle a déclaré qu’elle lui demandait tous les jours pourquoi il n’avait pas écrit ses intentions. Quoi qu’il en soit, le fait que l’appelante n’a pas hérité de la [traduction] « maison familiale » est important.

[32] A. K. a laissé un compte d’épargne libre d’impôt à la Banque Canadienne de l’Ouest qui a été transféré à l’appelante. La lettre de transfert était adressée à la [traduction] « conjointe survivante » de A. K.Note de bas de page 19

[33] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que je ne devrais pas accorder beaucoup d’importance à cette lettre parce qu’on ne sait pas comment cette banque définit le mot « conjointe » ou comment elle décide si une personne est une conjointe. On ne sait pas quand le compte a été ouvert. De plus, l’appelante a déclaré qu’elle ne savait pas que le compte existait avant le décès de A. K.

[34] En terminant, je tiens à souligner que je n’ai accordé aucune importance au fait que l’appelante se trouvait en Allemagne quand A. K. est décédé. Son décès était inattendu et la santé de l’appelante l’a empêchée de revenir au Canada avant qu’il survienneNote de bas de page 20.

Conclusion

[35] Tout au plus, l’appelante et A. K. étaient conjoints de fait à compter du début de 2021 jusqu’à son décès en décembre de la même année. Cela représente moins que la période d’un an requise pour qu’une personne soit considérée comme une « survivante ». Comme l’appelante n’était pas la survivante de A. K. au moment de son décès, elle n’a pas droit à une pension de survivant.

[36] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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