Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : MJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 330

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : M. J.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision du ministre de l’Emploi et du
Développement social datée du 10 juillet 2023
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 3 avril 2024
Numéro de dossier : GP-23-1512

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, M. J., n’est pas admissible à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard du cotisant décédé, E. D. J’explique dans la présente décision pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a demandé une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard d’E. D. après son décès, survenu le 25 septembre 2019Note de bas de page 1. Elle a présenté une demande le 3 décembre 2019, et de nouveau le 22 août 2022Note de bas de page 2. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande à deux reprises. L’appelante a porté en appel la deuxième décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Le ministre affirme que l’appelante n’est pas admissible à une pension de survivant parce qu’elle n’était pas la conjointe de fait d’E. D. au cours de l’année ayant précédé son décès. L’appelante affirme qu’ils étaient des conjoints de fait.

[5] Je partage l’opinion du ministre.

Ce que je dois décider

[6] Selon la loi, seul le survivant d’un cotisant au Régime de pensions du Canada maintenant décédé a droit à une pension de survivantNote de bas de page 3. Le Régime de pensions du Canada définit le terme « survivant » comme étant le conjoint de fait ou (s’il n’y a pas de conjoint de fait) le conjoint marié de la personne décédéeNote de bas de page 4.

[7] En vertu du Régime de pensions du Canada, un conjoint de fait est une personne qui a vécu avec une autre personne dans une relation conjugale pendant au moins un an immédiatement avant le décès de l’autre personneNote de bas de page 5.

[8] Pour décider si deux personnes sont des conjoints de fait, je dois examiner des éléments commeNote de bas de page 6 :

  1. a) le partage d’un toit, notamment le fait qu’elles vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. b) les rapports sexuels et personnels, notamment le fait qu’elles avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. c) les services, notamment leur rôle dans la préparation des repas, la lessive, les courses, l’entretien ménager et d’autres services ménagers;
  4. d) les activités sociales, notamment leur participation ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité, et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. e) l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers elles, considérée en tant que couple;
  6. f) le soutien, notamment leurs dispositions financières pour répondre à leurs besoins et pour l’acquisition et la propriété de biens;
  7. g) l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[9] Pour que son appel soit accueilli, l’appelante doit prouver qu’elle est la conjointe survivante d’E. D. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a vécu avec E. D. dans une relation conjugale pendant au moins un an immédiatement avant son décès. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire qu’il est plus probable qu’improbable que ce soit vrai)Note de bas de page 7.

Questions que je dois examiner en premier

Je n’ai pas accepté des documents déposés en retard

[10] L’appelante a demandé une audience par écrit. Le 28 septembre 2023, je lui ai envoyé une lettre expliquant ce que signifie être le survivant d’une personne en vertu du Régime de pensions du Canada et quels sont les facteurs pertinents pour prendre cette décisionNote de bas de page 8. Le 20 février 2024, je lui ai envoyé une liste de questions écrites et je lui ai donné jusqu’au 20 mars 2024 pour y répondre. J’ai donné au ministre jusqu’au 10 avril 2024 pour réagir aux réponses de l’appelanteNote de bas de page 9.

[11] Les réponses de l’appelante et du ministre ont été reçues les 18 et 25 marsNote de bas de page 10. Les observations du ministre étaient brèves et n’ont présenté aucun nouvel élément de preuve ou argument qui m’obligeait à donner à l’appelante l’occasion de répondre.

[12] Le 27 mars, l’appelante a envoyé un courriel au Tribunal pour exprimer sa déception à l’égard de la décision du Tribunal. Toutefois, le Tribunal n’avait pas encore pris de décision. Il semble que l’appelante ait cru à tort que la réponse du ministre en date du 25 mars constituait la décision du Tribunal. Quoi qu’il en soit, le courriel de l’appelante en date du 27 mars n’ajoutait rien de pertinent et de substantiel à sa preuve ou à ses observations. Elle l’a soumis après sa date limite (20 mars) et je n’avais aucune raison de l’accepterNote de bas de page 11.

Motifs de ma décision

[13] Je conclus que l’appelante ne vivait pas avec E. D. dans une relation conjugale pendant au moins un an immédiatement avant le décès de celui‑ci, soit du 25 septembre 2018 au 25 septembre 2019. Elle n’était pas sa conjointe de fait et, par conséquent, elle n’est pas sa survivante et n’est pas admissible à une pension de survivant.

Ce que l’appelante dit au sujet de sa relation avec E. D.

[14] L’appelante a indiqué deux dates pour préciser la date à laquelle elle et E. D. ont commencé à vivre ensemble : le 1er septembre 2010 et le 1er janvier 2014Note de bas de page 12.

[15] À un moment donné, ils ont cessé de vivre ensemble parce qu’E. D. éprouvait des problèmes de santé mentale et de toxicomanie qui rendaient la vie commune difficile. E. D. a déménagé à Powell River, en Colombie-Britannique, tandis que l’appelante a déménagé à Port Moody, en Colombie‑BritanniqueNote de bas de page 13. En 2018, l’appelante a déménagé à Powell River pour pouvoir prendre soin d’E. D., qui avait reçu un diagnostic de cancer. Son état de santé a continué de se détériorer jusqu’à ce qu’il finisse par mourir. Ils n’ont jamais emménagé ensemble à Powell River.

[16] Bien qu’elle n’ait pas vécu sous le même toit qu’E. D. au cours de l’année précédant le décès de celui‑ci, l’appelante affirme qu’elle a pris soin de [traduction] « tous les aspects de sa vie » en s’acquittant des tâches suivantes :

  • acheter son épicerie
  • préparer ses repas
  • entretenir son logement
  • payer ses factures
  • lui donner des « conseils financiers »
  • être son « défenseur professionnel »
  • administrer ses médicaments
  • le conduire à des rendez-vous
  • lui rendre visite à l’hôpital.

[17] Elle dit qu’ils avaient des relations sexuellesNote de bas de page 14.

[18] E. D. a donné une procuration à l’appelante en août 2019 afin qu’elle puisse gérer sa succession à son décès. Elle a organisé son service commémoratifNote de bas de page 15.

[19] Une lettre de la sœur de l’appelante indique que cette dernière et E. D. ont célébré leurs anniversaires et Noël ensemble et se sont offert des cadeaux. La même lettre mentionne la fille de l’appelante issue d’un mariage antérieur et précise qu’elle vivait avec l’appelante et E. D., alors que ceux‑ci vivaient toujours dans la même maison. Cela doit s’être produit avant que l’appelante et E. D. commencent à vivre séparément, c’est-à-dire avant 2018Note de bas de page 16.

[20] L’appelante a également fourni des lettres de W. B. et de D. E., deux amis communs de l’appelante et d’E. D. Ils réitèrent une grande partie de ce que l’appelante a écrit dans ses propres observationsNote de bas de page 17.

Le témoignage de l’appelante n’est pas fiable

[21] Le mode de vie décrit par l’appelante pourrait faire état d’une union de fait. Le témoignage de l’appelante comporte cependant des incohérences et des lacunes, ce qui, en fin de compte, le rend peu fiable. Ces incohérences et lacunes ont trait à des facettes clés de la relation de l’appelante avec E. D.

Moment où l’appelante et E. D. ont vécu ensemble

[22] L’appelante a donné des dates différentes du moment où elle et E. D. vivaient ensemble. Dans une déclaration solennelle datant de décembre 2019, elle dit qu’ils ont vécu ensemble du 1er janvier 2014 au 30 décembre 2016Note de bas de page 18. Dans sa demande datée d’août 2022, elle a déclaré qu’ils avaient vécu ensemble à compter du 1er septembre 2010Note de bas de page 19. Dans une deuxième déclaration solennelle datée du 7 mars 2023 (qu’elle n’a pas demandé), elle a déclaré qu’ils vivaient séparément à compter du 3 avril 2017Note de bas de page 20.

[23] Lorsque j’ai demandé à l’appelante pourquoi elle avait donné des dates différentes, elle a répondu qu’il s’agissait d’un [traduction] « oubli complet d’une période très déroutante et accablante »Note de bas de page 21. Peu importe la raison des différentes dates, elles m’amènent à douter de la fiabilité de l’appelante. D’autres incohérences et lacunes intensifient ce doute.

La nature de la relation de l’appelante avec E. D.

[24] E. D. a demandé l’aide médicale à mourir le 13 septembre 2019Note de bas de page 22. Un demandeur d’aide médicale à mourir en Colombie‑Britannique doit remplir une demande écrite devant deux témoins. L’appelante et W. B. ont servi de témoins. L’appelante a indiqué qu’elle avait une relation avec E. D. à titre d’« amie » et non d’épouse ou de conjointe de fait. Il importe davantage, cependant, de préciser qu’elle a apposé ses initiales à côté de chacun de ces énoncés :

  • « Je ne sais pas ou ne crois pas que je suis une bénéficiaire du testament du patient [E. D.], ou une bénéficiaire, d’une autre façon, d’un avantage financier ou matériel résultant du décès du patient. »
  • « Je ne prodigue pas directement de soins personnels au patient. »

[25] La première déclaration va à l’encontre de la déclaration solennelle de l’appelante selon laquelle elle était la bénéficiaire désignée de l’assurance vie d’E. D.Note de bas de page 23. La deuxième déclaration entre en conflit avec le récit de l’appelante selon lequel elle a effectivement fourni de nombreux soins personnels à E. D. au cours de l’année avant son décès.

[26] Lorsque j’ai demandé à l’appelante d’expliquer ces incohérences, elle a dit qu’elle était très bouleversée et qu’elle n’avait pas l’esprit clair lorsqu’elle a rempli le formulaire d’aide médicale à mourirNote de bas de page 24. J’admets que l’appelante était peut-être bouleversée, mais je n’admets pas son erreur. Une demande d’aide médicale à mourir est littéralement une question de vie et de mort. C’est un document à remplir avec soin. Elle a apposé ses initiales à côté de chaque déclaration individuellement et a écrit le mot « amie » plutôt que « conjointe » ou « partenaire ». Les déclarations ne sont pas ambiguës et sa partie du formulaire ne comptait qu’une page, de sorte qu’il est peu probable qu’elle ait mal lu ou négligé quelque chose.

[27] Cette incohérence mine davantage la fiabilité de l’appelante et remet en question sa participation aux soins personnels d’E. D. avant son décès.

L’appelante et les dispositions financières prises par E. D.

[28] Dans la première déclaration solennelle de l’appelante, elle a indiqué qu’E. D. et elle avaient signé conjointement un bail résidentiel, une hypothèque ou un contrat d’achat et qu’ils détenaient un compte conjoint de banque, de fiducie, de caisse populaire ou de carte de créditNote de bas de page 25. J’ai demandé à l’appelante de fournir des copies de documents à l’appui de ces déclarations. En réponse, elle a dit qu’elle n’avait pas de contrat de location, d’hypothèque ou d’achat avec E. D. Elle a déclaré qu’elle et E. D. partageaient des ressources financières, mais elle n’a fourni aucun document à l’appui d’un arrangement financier officiel comme celui qu’elle avait mentionné avoirNote de bas de page 26.

Dossiers fiscaux manquants

[29] J’ai demandé à l’appelante si elle avait déjà produit des déclarations de revenus avec E. D. et, si elle l’avait fait, de fournir des copies. Elle a répondu qu’elle avait toujours déclaré son état matrimonial dans ses déclarations de revenus et qu’elle communiquait les renseignements d’E. D. en même tempsNote de bas de page 27. Je comprends que cela signifie qu’elle a déclaré E. D. comme conjoint de fait dans ses déclarations de revenus jusqu’au décès d’E. D. Cependant, elle n’a fourni qu’une capture d’écran de sa déclaration de revenus de 2014Note de bas de page 28. Elle n’a fourni aucun dossier fiscal récent au Tribunal ni n’a expliqué pourquoi elle ne pouvait pas fournir de tels dossiers. Je doute donc qu’elle ait donné son statut de conjointe de fait dans les déclarations de revenus postérieures à 2014. Si elle l’avait fait, elle aurait probablement pu produire ces documents.

Il n’y a pratiquement aucune preuve documentaire

[30] Le manque de fiabilité des déclarations de l’appelante m’amène à accorder plus de poids à la preuve documentaire. Toutefois, il n’y a pratiquement aucune preuve documentaire à l’appui d’une union de fait au cours de la période pertinente.

Certains éléments de preuve documentaire ne sont pas pertinents

[31] Un dossier de crédit Equifax pour l’appelante et E. D. datant de 2012 ne traite pas de leur relation au cours de l’année qui a précédé son décèsNote de bas de page 29. Il en va de même pour la déclaration de revenus de 2014 de l’appelante.

La procuration

[32] Outre le formulaire d’aide médicale à mourir et le certificat de décès, le seul autre élément de preuve documentaire est la procuration d’E. D. datée du 3 août 2019 et établie peu avant son décès. À mon avis, le fait qu’E. D. a accordé à l’appelante une procuration confirme qu’il lui faisait confiance et qu’ils entretenaient une sorte de relation en 2019. Mais cela ne me convainc pas qu’ils ont entretenu une relation conjugale pendant au moins un an immédiatement avant son décès.

[33] Bien que je doute de la fiabilité des déclarations de l’appelante, je note que celle‑ci affirme qu’E. D. avait une pension privée (mais pas de testament). E. D. aurait fait de sa fille la bénéficiaire de cette pension lorsque lui et l’appelante se sont séparés. L’appelante affirme que la maladie d’E. D. l’a empêché de rétablir l’appelante à titre de bénéficiaire (probablement en référence à sa pension)Note de bas de page 30.

[34] Si j’accepte les déclarations de l’appelante sur ce point, le fait qu’E. D. n’a pas modifié la désignation de bénéficiaire de sa pension malgré l’exécution d’une procuration peu avant son décès laisse croire qu’il a pris la décision consciente de garder sa fille comme bénéficiaire.

Ce que démontrent les éléments de preuve

[35] Au mieux, la preuve montre que l’appelante et E. D. ont mis fin à leur relation lorsque ce dernier a déménagé à Powell River, puis, lorsque l’état de santé d’E. D. s’est détérioré, l’appelante a commencé à prendre soin d’E. D. Leur relation de 2018 à 2019 aurait pu ressembler à celle d’amis proches, comme l’indique la demande d’aide médicale à mourir. Toutefois, je ne peux conclure qu’elle est redevenue une union de fait au 25 septembre 2018.

[36] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’absence de preuve documentaire dans cette affaire est préoccupante parce que, selon les déclarations de l’appelante, il devrait y en avoir davantage. Il devrait y avoir un bail ou un document semblable, ainsi qu’une preuve d’ententes financières partagées, comme un relevé de compte bancaire conjoint. Il devrait y avoir des déclarations de revenus récentes. L’appelante n’a pas fourni ces documents.

[37] L’absence de preuve documentaire et le manque de fiabilité des déclarations de l’appelante prises ensemble me laissent une preuve fiable insuffisante pour appuyer l’existence d’une union de fait du 25 septembre 2018 au 25 septembre 2019, selon la prépondérance des probabilités. Je ne suis pas disposé à conclure que l’appelante est la survivante d’E. D. principalement en fonction des lettres que l’appelante elle-même a recueillies auprès de sa sœur et de deux amis pour appuyer son appel. Je ne peux pas être certain que ces lettres soient fiables étant donné mon manque de confiance dans le témoignage même de l’appelante.

Conclusion

[38] Je conclus que l’appelante n’est pas admissible à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à l’égard d’E. D. parce qu’elle n’est pas sa survivante.

[39] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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