Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : LB c Ministre de l’Emploi et du Développement social et EB, 2024 TSS 318

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : L. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Ian McRobbie
Mise en cause : E. B.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 20 mars 2023
(GP-21-2205)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 6 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimé
Mise en cause
Date de la décision : Le 27 mars 2024
Numéro de dossier : AD-23-427

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant et la mise en cause se sont séparés en janvier 2016. Un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (ci-après appelé partage des crédits) sera appliqué de 1984 à 2015.

Aperçu

[2] Cette affaire porte sur la façon dont les crédits du Régime de pensions du Canada d’un ancien couple devraient être répartis entre eux.

[3] L’appelant et la mise en cause ont tous deux 68 ans. Ils sont mariés depuis 40 ans, mais il est juste de dire qu’ils sont maintenant séparés. Ils continuent de vivre sous le même toit, mais ils ont peu de contacts et habitent des zones distinctes bien délimitées.

[4] En août 2020, la mise en cause a demandé un partage des crédits du Régime de pensions du Canada. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle et l’appelant se sont mariés en juillet 1984 et se sont séparés en janvier 2016Note de bas de page 1. Le ministre a accordé à la mise en cause le partage des crédits pour la période demandéeNote de bas de page 2.

[5] L’appelant a ensuite fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal. L’appelant a reconnu que la mise en cause et lui-même étaient séparés, même s’ils vivaient sous le même toit. Cependant, il soutient que la séparation a eu lieu en 2009, lorsqu’ils ont fermé leur compte conjoint et ont ouvert des comptes distinctsNote de bas de page 3. Plus tard, l’appelant a soutenu que la séparation a effectivement commencé en 2005, lorsque son épouse et lui ont emménagé dans des chambres distinctesNote de bas de page 4.

[6] La division générale a tenu une audience par voie de téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu que l’appelant et la mise en cause se sont séparés le 1er janvier 2016, date indiquée dans un projet d’accord de séparation établi dans le cadre d’une procédure de divorce que l’appelant a amorcée, mais qu’il a ensuite abandonnée.

[7] L’appelant a demandé la permission de faire appel devant la division d’appel. Il allègue que la division générale n’a pas tenu compte des faits suivants :

  1. (i) Il était toujours marié à la mise en cause.
  2. (ii) Il vivait toujours sous le même toit que la mise en cause.
  3. (iii) Il n’avait jamais signé d’entente de séparation avec la mise en cause.

[8] En mai dernier, une de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelant la permission de faire appel parce qu’elle croyait qu’il avait soulevé au moins une cause défendable. Plus tôt ce mois‑ci, j’ai tenu une audience pour discuter en long et en large du dossier des parties.

Question en litige

[9] Le Régime de pensions du Canada prévoit un partage égal des crédits de pension accumulés par les deux parties pendant qu’elles étaient mariées ou qu’elles ont vécu dans une relation conjugaleNote de bas de page 5. Le partage a lieu à partir du moment où les parties ont commencé à vivre « séparément », selon ce que permettent d’établir des facteurs comme :

  • Le fait que les parties vivaient sous le même toit et partageaient le même lit.
  • S’ils avaient des relations sexuelles et s’ils étaient fidèles l’un à l’autre.
  • S’ils effectuaient ensemble des tâches domestiques, comme faire des courses, préparer des repas, etc.
  • S’ils ont socialisé ensemble.
  • Si la collectivité les considérait comme un couple.
  • S’ils avaient des biens communs et des arrangements financiersNote de bas de page 6.

[10] Dans cette affaire, l’appelant et la mise en cause ne contestent pas le fait qu’ils se sont mariés en juillet 1984, ni le fait qu’ils continuent de vivre sous le même toit. Je note que l’appelant a changé de position au cours de l’année depuis l’audience devant la division générale. En effet, alors qu’il avait déjà reconnu que lui et la mise en cause s’étaient séparés dès 2005, il nie maintenant qu’il y ait eu quelque séparation que ce soit.

[11] Dans le cadre du présent appel, j’ai dû décider si l’appelant et la mise en cause se sont séparés et, le cas échéant, à quel moment cette séparation a eu lieu.

Analyse

[12] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelant et la mise en cause se sont séparés en janvier 2016. J’en suis arrivé à cette conclusion pour les raisons suivantes :

L’appelant et la mise en cause vivent séparés même s’ils habitent la même maison

[13] L’appelant insiste sur le fait que, comme la mise en cause et lui continuent de vivre sous le même toit et demeurent mariés, il n’est pas assujetti au partage des crédits.

[14] Je ne suis pas d’accord. La majeure partie de la preuve suggère fortement que l’appelant et la mise en cause sont séparés et demeurent mariés de nom seulement. Bien qu’ils continuent de vivre dans leur ancien foyer conjugal, ils n’ont plus rien qui ressemble à une relation conjugale :

  • Ils vivent dans des parties séparées de la maison qui sont clairement délimitées, soit par des rideaux ou des portes. Il y a des aires communes — la cuisine et la salle à manger — mais leurs interactions mutuelles dans ces aires sont limitées.
  • Ils n’ont pas de conversations. Ils se parlent uniquement dans le but de gérer les tâches ménagères et les dépenses communes.
  • Ils n’ont pas eu de relations sexuelles depuis une décennie.
  • Ils achètent leur propre épicerie et cuisinent des repas séparés. Ils peuvent manger ensemble, mais seulement lorsque d’autres membres de la famille sont présents.
  • Ils ont des comptes bancaires et des cartes de crédit distincts et n’ont pas d’arrangements financiers communs, à l’exception de la copropriété de la maison et de leur responsabilité mutuelle à l’égard de son hypothèque.
  • Ils ne nouent pas de contacts et ne fréquentent pas des lieux de culte ensemble.
  • Ils sont souvent en conflit, et ils ont fait appel à la police à de nombreuses reprises au fil des ans.
  • L’appelant a mentionné à plusieurs reprises la mise en cause comme étant « son ex-épouse » dans de la correspondance récenteNote de bas de page 7.

[15] La meilleure preuve selon laquelle l’appelant et la mise en cause n’entretiennent plus une relation semblable au mariage est le fait même qu’ils se disputent le partage des crédits du Régime de pensions du Canada. La mise en cause a déclaré qu’elle avait présenté une demande de partage des gains ouvrant droit à pension il y a trois ans parce qu’elle voulait, dans la mesure du possible, s’isoler des habitudes de dépenses irresponsables de son mari. L’appelant s’est vigoureusement opposé à la demande de son épouse à chaque étape, mais il n’a pas expliqué pourquoi, s’ils ne sont pas effectivement séparés, elle cherche à maximiser son indépendance financière par rapport à lui.

[16] L’appelant a demandé : [traduction] « Si nous nous haïssons autant, pourquoi vivons-nous encore ensemble? » La mise en cause avait des réponses à ce sujet. Elle a déclaré que, lorsque son mari était encore employé, ils continuaient de se présenter comme un couple afin qu’elle puisse avoir accès à ses prestations liées au travail. Elle a également déclaré qu’après des années de mauvaise gestion financière, ni l’un ni l’autre ne pouvait se permettre de vivre séparément, comme elle l’aurait voulu. Elle a ajouté que pendant un certain temps, elle n’était pas disposée à faire face à la fin de son mariage.

[17] L’appelant a tenté de présenter son mariage d’un point de vue plus positif. Il a souligné qu’il s’était occupé de sa femme après l’arthroplastie du genou subie par cette dernière en 2013. Il a souligné une occasion récente où l’appelant s’est joint à elle lorsqu’ils ont ramassé une charge d’engrais et l’ont livrée à leur fille.

[18] Toutefois, j’ai conclu qu’aucun de ces événements ne constituait une preuve convaincante d’une relation étroite. La mise en cause a reconnu qu’elle et l’appelant se sont brièvement réconciliés après son intervention chirurgicale, mais elle a déclaré que c’était il y a 10 ans et que leur relation était hostile depuis. Elle a reconnu qu’elle s’est occupée du fumier avec l’appelant. Elle a cependant insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un événement ponctuel et qu’elle y a pris part pour voir sa fille et non pour passer du temps avec son époux.

[19] Le témoignage de la mise en cause a été renforcé par le témoignage de son fils adulte, J. B., qui a rappelé que ses parents avaient été éloignés pendant de nombreuses années, et que cette situation remonte à son enfance. Il a dit que, sur le plan de l’émotion, il ne voyait rien qui s’apparentait à un mariage. Ses parents se disputaient toujours pour l’argent. Ils vivaient sous le même toit pour des raisons purement financières.

[20] Lors des audiences de la division générale et de la division d’appel, les deux parties se sont décrites en des termes sévères et peu flatteurs. J’ai cru sans difficulté que, bien qu’ils partagent une habitation commune, ils mènent des vies séparées. L’appelant et la mise en cause sont toujours mariés, mais, à toutes fins utiles, ils ne sont plus ensemble.

L’appelant et la mise en cause se sont séparés en janvier 2016

[21] Si l’appelant et la mise en cause ne sont plus ensemble, quand se sont-ils séparés? Il y a plusieurs possibilités, mais une seule a du sens.

[22] À la division générale, l’appelant a reconnu qu’il y a eu une séparation et a soutenu qu’elle s’était produite en 2005 après un vilain incident domestique au cours duquel des policiers l’ont expulsé de force du domicile conjugal. Il raconte qu’il a finalement été autorisé à revenir, mais qu’à partir de ce moment, il a dormi dans l’ancienne chambre de son fils. La mise en cause a déclaré que, bien que l’appelant ait choisi de faire chambre à part, elle était satisfaite du nouvel arrangement, puisqu’il lui a donné [traduction] « quelques nuits paisibles sans violence verbaleNote de bas de page 8 ».

[23] L’appelant avait déjà fait valoir qu’une séparation s’était produite à la suite d’un autre incident domestique survenu en 2009, après quoi lui et la mise en cause ont fermé leur compte bancaire conjoint. Il a aussi dit qu’il avait commencé à payer lui-même l’hypothèque à partir de cette date. Pour sa part, la mise en cause a nié que quelque chose de décisif se soit produit en 2009. Elle a soutenu qu’elle et son mari avaient séparé leurs comptes quatre ans plus tôt, après leur première grande crise conjugale. Elle a déclaré qu’à l’époque, il avait retiré de ses comptes le nom de la mise en cause après qu’elle eut accepté malgré lui un emploi à l’extérieur.

[24] Il ne fait aucun doute que l’appelant et la mise en cause ont entretenu une relation trouble pendant de nombreuses années, mais cela ne signifiait pas qu’ils étaient séparés. J’admets qu’ils avaient des chambres à coucher et des comptes bancaires distincts dès 2005, mais il existe des preuves qu’ils se considéraient toujours comme un couple. Pendant un certain temps, ils ont suivi des séances de counseling dans le but de sauver leur mariage. En 2013, la mise en cause a menacé l’appelant de séparation par l’intermédiaire d’un avocat s’il ne modifiait pas son comportement. En soi, cet acte laissait entendre qu’elle ne les considérait pas encore comme séparés. Ils ont fini par se réconcilier, ne serait-ce que pour une courte période, allant jusqu’à exécuter un testament conjoint en juillet 2014.

[25] La réconciliation a toutefois été de courte durée. À la fin de 2015, l’appelant a retenu les services d’un avocat, qui a entrepris des démarches pour négocier un accord de séparation. On ne sait toujours pas où ont mené ces négociations, mais il semble que les deux parties aient convenu qu’elles se séparaient en janvier 2016.

[26] L’appelant soutient qu’il n’a jamais signé quelque document que ce soit acceptant une date de séparation. Je reconnais que le dossier ne contient pas d’entente de séparation dûment signée. Toutefois, il renferme un certain nombre d’autres documents qui, pris ensemble, suggèrent fortement que l’appelant et son épouse ont convenu d’une séparation en date du 1er janvier 2016, par exemple :

  • Les formulaires et déclarations précisant le 1er janvier 2016 comme date de la séparation du conjoint et de l’évaluation conjointe de l’actifNote de bas de page 9.
  • Une lettre de l’appelant au ministre indiquant qu’il [traduction] « a signé la [date de séparation] de 2016 par crainte et confusion »Note de bas de page 10.
  • Une lettre de l’appelant confirmant que lui et la mise en cause se sont entendus sur leur date de séparation en 2016.

[27] La mise en cause signale également des lettres échangées entre les avocats de l’appelant et de sa famille au sujet de l’évaluation des propriétés communes au 1er janvier 2016. Par exemple, l’avocat de l’appelant a écrit à la fin de 2019 :

[Traduction] 

Ces parties vivent séparément sous le même toit depuis le 1er janvier 2016. Pendant la plus grande partie d’une période de deux ans, il n’a pas été possible de conclure une entente relative à la date d’évaluation, ce qui a eu une incidence sur les calculs liés à la propriété. Toutefois, la maison aurait dû être mise en vente il y a longtemps. Aucun des clients ne peut se permettre d’acheter la part de l’autre […] [soulignement ajouté]Note de bas de page 11.

[28] Bien qu’une date d’évaluation n’ait pas été fixée, l’avocat de l’appelant, qui a vraisemblablement donné suite à ses instructions, a reconnu que les parties vivaient séparément depuis le 1er janvier 2016. D’autres preuves démontrant que cette date a marqué un tournant se trouvent dans les déclarations de revenus des deux parties. En 2014 et en 2015, l’appelant et la mise en cause ont tous deux produit des déclarations indiquant que leur état matrimonial était « marié ». En 2016, la déclaration de revenus de la mise en cause indiquait qu’elle était « séparée »Note de bas de page 12.

[29] Bref, la preuve montre que, même si l’appelant et la mise en cause ont vécu un mauvais mariage pendant de nombreuses années, ils ne se sont considérés comme séparés qu’au début de 2016, après que leur réconciliation eut irrémédiablement échoué.

L’appelant a un problème de crédibilité

[30] L’appelant n’a pas aidé sa cause en changeant son fusil d’épaule à plusieurs reprises, apparemment pour des raisons qui lui sont propres.

[31] Le dossier montre qu’après avoir entamé une procédure de divorce au début de 2016, l’appelant a convenu provisoirement d’une date de séparation, soit le 1er janvier 2016Note de bas de page 13. Il semble avoir demandé à son avocat en droit familial de négocier un règlement sur cette base.

[32] Toutefois, l’appelant a eu des doutes plus tard au sujet de la date de séparation. Comme il l’a expliqué plus tard :

[Traduction] 

En 2016, j’ai ouvert par erreur une lettre adressée à ma conjointe. On pouvait y lire qu’elle avait une énorme somme d’argent investie. Mon avocat l’a lue et a laissé entendre que ma conjointe était une bonne épargnante. Cela m’a amené à croire que c’était légitime, mais quatre ans plus tard, j’ai constaté que ce n’était pas le cas.

[N]ous avons convenu que 2016 serait un bon compromis pour une date de séparation. Puis, peu après avoir signé pour la date de séparation de 2016, j’ai été informé par mon ancien avocat que les placements de ma conjointe n’étaient qu’une proposition d’investissement. Ma conjointe n’avait pas l’argent que je pensais qu’elle avaitNote de bas de page 14.

[33] L’appelant a par la suite déclaré qu’il avait accepté la date de séparation du 1er janvier 2016 parce qu’il était malade et incapable de réfléchir clairement. Toutefois, il semble qu’il ait renoncé à la date convenue dans le but de s’assurer que les biens matrimoniaux comprendraient un héritage imaginaire qu’il croyait à tort que son épouse lui avait caché.

[34] Lorsque la mise en cause a présenté une demande de partage des crédits en août 2020, l’appelant a répondu par une lettre au ministre affirmant que la séparation avait eu lieu en 2009, l’année, selon ses souvenirs (peut-être erronés) de la fermeture de son compte conjoint avec la mise en causeNote de bas de page 15. Lorsque cette affaire a été soumise à la division générale, l’appelant a de nouveau changé son fusil d’épaule. Il a alors établi la séparation à 2005, date à laquelle lui et la mise en cause ont commencé à faire chambre à partNote de bas de page 16. Après que la division générale eut refusé sa version l’an dernier, l’appelant a offert une autre version des événements. Il a alors fait valoir devant moi qu’une séparation n’avait jamais eu lieu, ce qui a carrément exclu la mise en cause d’un partage des crédits.

[35] Au fil des ans, l’appelant a adopté quatre positions différentes sur la question de savoir si et quand lui et la mise en cause se sont séparés, chaque changement semblant être adapté pour lui donner un meilleur résultat financier. Comme l’appelant ne cesse de changer son histoire pour des raisons apparemment intéressées, je n’ai pas accordé beaucoup de poids à ses déclarationsNote de bas de page 17.

Conclusion

[36] L’appel est rejeté. L’appelant et la mise en cause, qui se sont mariés en juillet 1984, se sont séparés en janvier 2016. Bien que le dossier ne contienne pas de document démontrant que l’appelant a officiellement signé à cette dernière date, la preuve, prise dans son ensemble, laisse croire que c’est à ce moment que la mise en cause et lui ont cessé d’entretenir une relation assimilable à un mariage.

[37] Cela signifie que le partage des crédits s’appliquera de 1984 à 2015 inclusivementNote de bas de page 18.

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