[TRADUCTION]
Citation : RB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 1040
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | R. B. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Dylan Edmonds |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 16 novembre 2023 (GP-22-1372) |
Membre du Tribunal : | Janet Lew |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 30 juillet 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Interprète (hindi) Représentant de l’intimé |
Date de la décision : | Le 28 août 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-137 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Question en litige
- Questions préliminaires
- Contexte
- La Loi sur la sécurité de la vieillesse
- Les arguments des parties sur le droit de la requérante à l’allocation au survivant
- Analyse
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est rejeté. L’appelante, R. B. (requérante), n’a pas droit à l’allocation au survivant sous le régime de Loi sur la sécurité de la vieillesse.
Aperçu
[2] Cet appel concerne la décision du 16 novembre 2023 de la division générale. Celle-ci a conclu que la requérante n’était pas admissible à l’allocation au survivant selon la Loi sur la sécurité de la vieillesse.
[3] La division d’appel a accordé à la requérante la permission de faire appel de cette décision de la division générale. Grâce à cette permission, son appel a été traité comme une nouvelle instanceNote de bas de page 1. La division d’appel a tenu une nouvelle audience le 30 juillet 2024.
[4] La requérante soutient qu’elle et T. B. vivaient en union de fait et qu’elle avait donc droit à l’allocation au survivant. Elle a demandé à la division d’appel d’accueillir son appel. Elle demande à la division d’appel de reconnaître qu’elle vivait en union de fait avec T. B.
[5] L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, défend que la requérante n’est pas admissible à l’allocation au survivant puisqu’elle n’était ni l’épouse ni la conjointe de fait de T. B. Le ministre demande à la division d’appel de rejeter l’appel.
Question en litige
[6] La requérante a-t-elle droit à une allocation au survivant au titre de la Loi sur la sécurité de la vieillesse? Plus précisément, vivait-elle en union de fait avec T. B.?
Questions préliminaires
[7] Les deux parties ont déposé des documents après l’audienceNote de bas de page 2.
Les documents AD8 et AD9 sont admissibles
[8] La requérante a déposé un courriel le 31 juillet 2024. La Commission a pour sa part déposé une lettre le 21 août 2024.
[9] La requérante a expliqué être nerveuse lors de l’audience devant la division d’appel, et a attribué à cette nervosité les erreurs et les réponses incomplètes dans son témoignage. Elle voulait rectifier le dossier et clarifier certains aspects de son témoignage.
[10] À l’audience, la requérante a déclaré que T. B. et elle étaient demeurés si proches que ses frères et sœurs ignoraient qu’ils étaient divorcés. La requérante dit qu’elle a donné la mauvaise impression. Elle affirme qu'elle avait vite été au courant du divorce, car elle avait vu la requérante et T. B. signer les documents de divorce.
[11] La requérante affirme aussi que T. B. avait probablement parlé de leur divorce à certains de ses frères et sœurs. Il était proche de certains d’eux. Elle affirme que tous auraient fini par le savoir dès que l’un d’eux aurait appris la nouvelle.
[12] La requérante précise également que c’est sa belle-sœur, et non sa sœur, qui lui avait dit qu’elle aurait droit à une pension de veuve, et non à la pension de survivant. En d’autres termes, elle dit que sa famille la considérait comme la conjointe de fait de T. B.
[13] Le ministre ne s’oppose pas à la recevabilité de la preuve soumise par la requérante en date du 31 juillet 2024. Le ministre fait valoir que cette déclaration a peu d’importance, comme il est incontesté que la requérante était divorcée et que cette question n’est pas la principale question en litige dans l’appel. Le ministre soutient que la déclaration de la requérante de l’aide pas à démontrer qu’elle était la conjointe de fait du défunt au moment de son décès.
[14] J’accepte la déclaration de la requérante du 31 juillet 2024, car elle permet de clarifier le témoignage qu'elle a présenté à l’audience de la division d’appel.
Le document AD10 n’est pas pertinent
[15] La requérante a aussi déposé un relevé provenant du ministère de l’Emploi et du Développement social en juillet 2024. On peut y voir le montant de son paiement mensuel pour le supplément de revenu garanti, l’allocation ou l’allocation au survivant. La requérante fait remarquer que ce montant est inférieur à ce qu’elle reçoit.
[16] Je n’accepte pas ce document. Il n’est pas utile pour savoir si la requérante vivait en union de fait avec T. B.
Contexte
[17] La requérante et T. B. ont été mariés pendant environ 33 ans, de janvier 1975 à décembre 2007. Ils se sont séparés en 2000 et ont divorcé en décembre 2007.
[18] Leur culture ne leur permettait de fréquenter personne d’autre alors qu’ils demeuraient mariés. Ils ont donc divorcé pour permettre à l’autre de poursuivre sa vie. Elle pensait que T. B. pourrait avoir une relation avec quelqu’un d’autre. Cependant, ni l’un ni l’autre des ex-poux ne s’est remarié ou n’a vécu en union de fait avec quelqu’un d’autre.
[19] Malgré leur séparation, ils ont constaté qu’ils continuaient à [traduction] « entrer en relationNote de bas de page 3 ».
[20] La requérante n’a pas recommencé à vivre avec T. B. Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas vivre avec lui. T. B. avait l’habitude de fumer, ce qui aggravait la maladie thyroïdienne de la requérante. Il était aussi un alcoolique violent. La requérante a dit qu’elle ne se sentait pas en sécurité avec T. B. quand elle était seule. Elle a effectivement témoigné qu’elle ne passait jamais de temps seule avec lui.
[21] Cependant, la requérante avait bel et bien passé du temps seule avec T.B. Dans son témoignage, elle a raconté qu’elle était partie rendre visite à un proche durant un week-end, et qu’elle avait alors soupé avec T.B. avant que sa nièce vienne la chercher. Elle avait laissé sa voiture stationnée chez T. B. pendant qu’elle était partie.
[22] La requérante ne voulait pas avoir de relations intimes avec T.B. parce qu’il sentait la fumée de cigarette et était un alcoolique violent. Ils passaient cependant beaucoup de temps ensemble. Elle dit qu’ils avaient une relation conjugale et qu’ils étaient conjoints de faitNote de bas de page 4.
[23] Même s’ils étaient divorcés, ils ont continué à passer du temps avec leurs familles réciproques. La requérante affirme que sa famille avait invité T. B. à différents événements, à titre de conjoint. Ses nièces et ses neveux ont continué de l’appeler leur oncle. T. B. a participé aux préparatifs de plusieurs événements familiaux.
[24] Ils célébraient ensemble des événements familiaux, des fêtes et des réceptions religieuses. Ils assistaient aux naissances, aux anniversaires, aux mariages et aux funérailles de membres de la famille et de proches, y compris l’anniversaire de sa mère en 2014 et le 60e anniversaire de T. B. en 2011. Tous ses frères et sœurs et leurs familles étaient présents à la fête d’anniversaire de T. B..
[25] Ils étaient aussi ensemble après la naissance de leurs petits-enfants. Ils priaient et faisaient des rituels ensemble à certains de ces événements. On peut voir, sur des photos et dans une vidéo, la requérante et T. B., avec leurs enfants lors de différents rassemblements familiaux.
[26] La requérante et T. B. passaient la période des Fêtes avec leurs enfants. Ils échangeaient des cadeaux. T. B. avait préparé le souper pour la requérante, sa sœur et l’époux de sa sœur durant le temps de Noël. Ils allaient à l’église de leur fille pour différents programmes et les pièces de théâtre de Noël. Les plus jeunes amis de sa fille les appelaient [traduction] « maman et papaNote de bas de page 5 ».
[27] La requérante et T. B. voyageaient également avec leurs enfants. En novembre 2010, ils sont allés en Californie pour le mariage d’un proche. La famille a fait des voyages de pêche en 2011 et en 2015. En 2012, ils sont allés à Los Cabos. Elle partageait une chambre avec sa fille et la famille de celle-ci. T. B. dormait sur un lit escamotable dans une autre pièce. Elle a expliqué que dans leur culture, les hommes et les femmes font chambre à part. Leur fille avait dû retourner au Canada pour son emploi, et elle et T. B. étaient rentrés ensemble au pays par la suite.
[28] La requérante affirme qu’elle avait souvent visité sa cousine aux États-Unis. Elle stationnait alors son véhicule chez T. B., car il vivait près de la frontière américaine. Il préparait toujours le souper pour eux avant qu’elle parte pour le week-end.
[29] La requérante avait aidé T.B. Il est tombé malade lors d’un événement familial en Californie en novembre 2010. Même si elle avait dû rentrer à la maison plus tôt en raison d’obligations professionnelles, elle s’était occupée de prendre rendez-vous pour T. B. avec son médecin de famille. T. B. est resté chez sa sœur jusqu’à ce qu’il revienne au Canada.
[30] T.B. avait aidé la requérante en retour. Quand elle avait été au chômage en 2006 (alors qu’ils étaient encore mariés), T. B. l’avait aidée à trouver un emploi chez un employeur pour lequel il travaillait aussi. Quand elle avait été opérée en juin 2014, T. B. l’a conduite à l’hôpital et lui avait rendu visite à l’hôpital. Il était aussi allé la chercher à l’hôpital et l’avait ramenée chez elle, où il s’était occupé d’elle ce jour-làNote de bas de page 6. Il avait ensuite continué à prendre de ses nouvelles pour savoir comment elle se portait et si elle avait besoin de quoi que ce soit.
[31] En 2015, le véhicule de la requérante a été vandalisé. T. B. a amené son véhicule pour le faire réparer chez le débosseleur, où il travaillait occasionnellement. Comme il était lui-même peintre de carrosserie d’automobiles, il avait aussi repeint le véhicule de la requérante pour qu’elle n’ait pas à faire de réclamation auprès de son assurance et à payer sa franchise.
[32] En septembre 2015, la mère de la requérante est décédée. La requérante a trouvé que T.B. lui avait offert du soutien sur le plan émotionnel. Il avait assisté aux funérailles et avait participé aux rituels avec la famille, jusqu’au rituel de six mois.
[33] En janvier 2016, alors que la requérante était de nouveau chômage, T. B. l’appelait régulièrement pour prendre de ses nouvelles. Il lui avait offert de l’aide financière, même s’il avait lui-même des difficultés à ce point de vue. Environ une semaine avant que T. B. décède, le 30 avril 2016, il avait parlé à la sœur de la requérante et lui avait dit qu’il demandait une pension du Régime de pensions du Canada. Il espérait que la requérante puisse toucher ses prestations s’il lui arrivait quoi que ce soit.
[34] Quand T. B. est décédé, la requérante et ses enfants, ainsi que ses frères et sœurs et d’autres membres de sa famille, ont assisté à ses funérailles et fait leurs rituels religieux. Après les funérailles, la requérante et sa sœur ont aidé à nettoyer la maison de T. B. avec l’épouse du neveu de T. B. Plus tard ce soir-là, ils ont prié ensemble chez le frère de T. B, et des rituels se sont poursuivis pendant trois jours. D’autres rituels ont ensuite eu lieu six mois plus tard. La requérante dit avoir participé aux rituels comme si elle était la veuve de T. B. Elle a payé les frais funéraires grâce aux dons qu'elle avait reçus.
[35] La requérante et T. B. partageaient un coffre de sûreté, payé avec l’argent de leur compte conjoint. Elle a fermé ce compte conjoint et transféré le coffre de sûreté à son propre compte.
[36] La requérante a également produit la dernière déclaration de revenus de T. B.Note de bas de page 7 La déclaration demandait d’indiquer l’état matrimonial du contribuable. La requérante a coché la case indiquant [traduction] « Divorcé ». Il y avait aussi une option pour [traduction] « En union de fait », mais la requérante n’a pas choisi cette option.
[37] Dans sa demande d’allocation ou d’allocation au survivant de la Sécurité de la vieillesse, la requérante a coché la case indiquant [traduction] « Épouse ou conjointe de fait survivante » pour son état matrimonial actuel. À la question de savoir si elle était mariée au défunt au moment de son décès, elle a coché « Non ». Et à celle de savoir si elle vivait en union de fait avec le défunt au moment du décès, elle a aussi coché « NonNote de bas de page 8 ».
[38] La requérante a expliqué qu’elle ne s’identifiait pas comme étant en union de fait, car elle ne comprenait pas ce que cela voulait dire.
La Loi sur la sécurité de la vieillesse
[39] Aux termes de l’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, une allocation peut être versée à l’époux ou conjoint de fait ou à l’ancien conjoint de fait d’un pensionné pour un mois d’une période de paiement.
[40] L’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse donne la définition d’un conjoint de fait. Il s’agit d’une personne qui, au moment considéré, vit avec la personne dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès d’une personne, le « moment considéré » s’entend du moment du décès.
Les arguments des parties sur le droit de la requérante à l’allocation au survivant
[41] La requérante soutient que la preuve montre qu’elle était la conjointe de fait de T. B. et qu’elle a droit à l’allocation au survivant. Le ministre, lui, soutient qu’elle ne correspond pas à une conjointe de fait au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et qu’elle n’a donc pas droit à l’allocation au survivant.
La requérante soutient qu’elle vivait en union de fait
[42] La requérante soutient que, même si elle et T. B. n’avaient pas repris leur vie commune, ils s’étaient réconciliés et vivaient en union de fait pour l’application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Elle fait valoir que la définition de conjoint de fait devrait tenir compte des valeurs de la personne qui sont propres à sa culture. Voici ce que la requérante a dit : [traduction] « Nos valeurs culturelles, nos enfants et nos petits-enfants nous ont fait toujours préserver notre relation conjugaleNote de bas de page 9. »
La requérante soutient que plusieurs affaires judiciaires montrent que les requérants peuvent être admissibles aux prestations à titre de conjoint de fait, même s’ils ne vivaient pas avec l’autre conjoint
[43] Dans une affaire appelée McLaughlinNote de bas de page 10, on a conclu que madame Gunderman était la conjointe de fait survivante du défunt. Ils avaient vécu ensemble et avaient eu des relations sexuelles pendant plus d’un an avant le décès. Ils s’entraidaient, communiquaient sur le plan personnel et se présentaient socialement comme des conjoints de fait. Madame Gunderman était copropriétaire de leur maison, payait une partie des factures de services publics pour la maison et était nommée comme conjointe de fait dans la déclaration de revenus du défunt.
[44] La Cour fédérale a invoqué l’arrêt PrattNote de bas de page 11, où le conseil arbitral a énuméré les facteurs suivants qui « indiquent l’existence d’une relation conjugaleNote de bas de page 12 » :
- 1) le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
- 2) les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
- 3) les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
- 4) les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
- 5) l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
- 6) le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
- 7) l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.
[45] La Cour fédérale a également souligné que la Cour suprême du Canada avait confirmé qu’il s’agissait des facteurs qui doivent être pris en compte pour établir si des conjoints de fait vivent dans une relation conjugale : [traduction] « les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale [sont] le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du coupleNote de bas de page 13 ».
[46] La requérante fait valoir que ces caractéristiques peuvent être présentes à des degrés variables, mais que toutes ne sont pas nécessaires pour que la relation soit dite conjugaleNote de bas de page 14.
[47] La requérante invoque également les décisions suivantes du Tribunal de la sécurité sociale :
- DCNote de bas de page 15— La division générale a décidé que la mise en cause, L. M., était la conjointe de fait de W. C. au moment de son décès. Ils avaient cohabité chez L. M. de 1999, au moins, et jusqu’à ce que W. C. emménage dans un foyer de soins infirmiers, en février 2013. Il s’agissait donc d’une séparation involontaire qui ne mettait pas fin à leur union de fait. Jusqu’à ce que W. C. doive déménager, ils avaient eu des relations intimes et partagé la même chambre. L. M. cuisinait et faisait la lessive de W. C. Elle l’emmenait à ses rendez-vous médicaux et avait fait les démarches nécessaires pour son déménagement. Elle l'avait nommé comme son conjoint aux fins de ses régimes d’emploi et de prestations de groupe. Ils participaient ensemble à des activités religieuses, sociales et communautaires. Ils se témoignaient de l’affection en public et recevaient des invitations à titre de couple. Ils partageaient certaines dépenses.
- LCNote de bas de page 16— La division d’appel a conclu que L. C. vivait en union de fait avec le cotisant, S. D., et qu’elle était donc admissible à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada. Ils avaient cessé de vivre ensemble un certain nombre d’années avant le décès de S. D., mais S. D. ne dormait pas et était alcoolique. L. C. devait dormir. Elle exploitait aussi une entreprise à domicile. Même si le cotisant avait déménagé trois pâtés de maisons plus loin, la division d’appel a conclu que les parties n’avaient jamais eu l’intention de se séparer.
Le cotisant a cessé de boire, mais ils n’ont pas repris leur vie commune. La division d’appel a jugé que d’autres facteurs expliquaient pourquoi ils ne pouvaient pas vivre ensemble.
Même s’ils ne vivaient pas ensemble, L. C.et S. D. avaient eu des relations sexuelles durant la majeure partie de la période en cause, sauf lors de l’année précédant le décès de S. D., comme il était trop malade.
L. C. aidait le cotisant, l’accompagnait à des rendez-vous médicaux et l’aidait chez lui. La division d’appel a admis que L. C. voyait le cotisant au moins tous les deux jours durant l’année précédant son décès. Ils partageaient certaines tâches ménagères. L. C. aidait parfois le cotisant avec ses courses et la lessive, et le cotisant s’occupait de l’entretien ménager. Ils passaient beaucoup de temps ensemble et occupaient réciproquement une grande place dans la vie sociale de l’autre. Ils ne s’aidaient pas l’un l’autre sur le plan financier. Le cotisant n’avait pas nommé L. C. comme épouse, mais il l’avait nommée comme bénéficiaire aux fins de son assurance-vie et de son régime de pension de la fonction publique. L. C. s’était déclarée célibataire dans ses déclarations de revenus.
À la lumière de l’ensemble de la preuve, la division d’appel a accepté que L. C. était la conjointe de fait du cotisant décédé. - SBNote de bas de page 17— La division générale a accepté que S. B. avait droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada. La division générale a conclu que le ministre de l’Emploi et du Développement social n’avait pas le pouvoir de modifier sa décision initiale accordant à S. B. une pension de survivant. La division générale a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si S. B. et le cotisant vivaient en union de fait.
Le ministre soutient que la requérante ne vivait pas en union de fait
[48] Le ministre est d’accord que McLaughlin énonce les facteurs à examiner pour décider si des personnes vivent ensemble dans une relation conjugale. Le ministre convient également qu’il ne s’agit pas d’un critère cumulatif et qu’aucun facteur ne joue un rôle décisif dans ce qu’il décrit comme une [traduction] « analyse flexibleNote de bas de page 18 ». Le ministre soutient que le décideur doit évaluer tous les facteurs pour décider si les personnes avaient l’intention mutuelle de vivre dans une relation semblable au mariageNote de bas de page 19.
[49] Le ministre reconnaît que la requérante est demeurée en bons termes avec T. B. et qu’ils ont passé beaucoup de temps ensemble. Ils socialisaient lors d’événements familiaux et allaient à des rendez-vous médicaux ensemble en voiture.
[50] Le ministre avance toutefois que la preuve indique plutôt une amitié qu’une union de fait. Selon lui, quand le législateur a ajouté le terme « conjoint de fait » à la Loi sur la sécurité de la vieillesse, il ne cherchait pas à élargir la signification d’un conjoint pour y inclure des liens émotifs ou d’autres mesures de la solidité ou de la nature de la relationNote de bas de page 20. Dans l’affaire Leavitt, la Cour fédérale a conclu comme suit :
Selon le libellé actuel de la [Loi sur la sécurité de la vieillesse], lorsque le terme « époux » est utilisé, il est suivi des termes « conjoint de fait ». Il n’y a aucune intention, comme le voudrait le tribunal de révision, d’élargir la signification courante du terme « époux » de manière à y inclure des liens émotifs ou d’autres mesures de la solidité ou de la nature de la relation. On voulait plutôt éviter une définition qui ne correspond plus au sens contemporain du terme « époux ».
[51] En invoquant les raisons suivantes, le ministre fait valoir que la preuve montre que la relation ressemblait davantage à une amitié qu’à une union de fait :
- ils vivaient séparément;
- ils géraient chacun leurs propres finances, à l’exception d’un compte conjoint pour une pension alimentaire pour enfantsNote de bas de page 21;
- ils n’avaient pas de relations sexuelles;
- ils se présentaient comme un ancien couple à leurs amis et à leur famille.
[52] Le ministre soutient que la requérante et T. B., en public, [traduction] « se présentaient comme un ancien couple, ce qui était conforme à leurs arrangements de vie autonome et financiers, ainsi qu’à leur lien platoniqueNote de bas de page 22 ». À l’appui de cet argument, le ministre cite différents extraits de l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale. Je note toutefois que la requérante n’a jamais effectivement déclaré durant cette audience qu’elle et T. B. se présentaient comme un ancien couple.
[53] Le ministre soutient également que, même si la dépendance de T. B. était la cause de leur séparation initiale, elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si la requérante et T. B. vivaient en union de fait après leur divorce. En effet, le ministre affirme que rien ne permet de croire que l’ancien couple souhaitait reprendre sa vie commune et que la dépendance de T. B. les en aurait empêchés. Le ministre affirme qu’il [traduction] « serait contraire à la preuve de l’insinuer, comme la preuve montre que le fait de vivre séparément avait permis à l’ancien couple de mettre fin à leur “relation malsaine” et de cultiver des liens “sains”Note de bas de page 23 ».
[54] Le ministre fait valoir que le choix de la requérante de vivre séparément de T. B. pendant environ 16 ans est l’un des facteurs qui contredisent une union de fait.
[55] Le ministre affirme que la requérante et T. B. passaient parfois du temps seuls ensemble, mais qu’ils socialisaient néanmoins habituellement lors de réunions de famille, en présence d’autres personnesNote de bas de page 24.
Analyse
[56] La requérante m’exhorte à accorder beaucoup de poids au fait que T. B. et elle avaient été mariés pendant plus de 30 ans et que, même après leur séparation, ils n’avaient jamais épousé quelqu’un d’autre ni vécu en union de fait avec quiconque d'autre. Cependant, le fait qu’ils avaient été mariés longtemps et qu’ils ne s’étaient pas remariés et n’avaient vécu avec personne d’autre après leur divorce n’est pas pertinent.
[57] L’union de fait est définie par la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Elle nécessite de vivre avec l’autre personne dans une relation conjugale pendant au moins un an jusqu’à son décès.
[58] Je dois examiner l’état de la relation entre la requérante et T. B. Présentait-elle les caractéristiques d’une union de fait au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et celles décrites par la Cour fédérale dans l’arrêt McLaughlin?
Partage d’un toit et rapports sexuels
[59] Le fait d’habiter ensemble et d’avoir des relations sexuelles durant cette cohabitation est habituellement un bon indicateur d’une union de fait. La présence de ces éléments n’est toutefois pas essentielle, car des conjoints peuvent être incapables de continuer à vivre ensemble ou d'avoir des relations sexuelles pour diverses raisons, comme nous l’avons déjà vu dans DCNote de bas de page 25 et LCNote de bas de page 26.
[60] Après leur séparation en avril 2000, la requérante et T. B. n’ont pas eu de relations sexuelles. Ils ont vécu séparément par la suite. La requérante explique qu’ils étaient incapables de vivre ensemble. Elle avait peur d’être seule avec T.B., car il était un alcoolique violent. De plus, elle ne tolérait pas son odeur de cigarette à cause de sa maladie thyroïdienne. Des relations intimes étaient donc impossibles, même s’il n’avait pas été violent.
[61] Rien ne permet de croire que T. B. aurait tenté de s’attaquer à sa dépendance ou d’arrêter de fumer dans le but de recommencer à vivre sous le même toit que la requérante. Ni elle ni T. B. n’ont discuté ou envisagé de se remarier ou de vivre ensemble de nouveau.
[62] Même si la requérante ne pouvait pas habiter avec T. B., j’estime que sa situation diffère de celles dans DC et LC. Dans ces deux causes, il n’existait pas une intention mutuelle de mettre fin à la relation – ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Comme la preuve le démontre, la requérante et T. B. ont décidé de divorcer pour permettre à l’autre personne de poursuivre sa vie. On voit donc très bien qu’ils partageaient alors une intention mutuelle de mettre fin à leur relation.
[63] La requérante devait donc démontrer qu’elle et T. B. auraient recommencé à vivre ensemble dans une relation conjugale après leur divorce et pendant au moins un an jusqu’au décès de T. B.
[64] La requérante affirme que son incapacité à cohabiter avec T. B. et avoir de relations intimes avec lui ne devrait pas être décisive quant à leur union de fait.
[65] Cependant, le potentiel de violence de T. B. et son odeur de cigarette sont précisément ce qui a suscité leur séparation en 2000. La requérante et T. B. ont divorcé dans l’intention de poursuivre leur vie respective. Pour la requérante, le divorce lui permettait d’échapper à la violence potentielle de T. B. et à son odeur de cigarette.
[66] Après le divorce, le potentiel de violence et l’odeur de cigarette existaient toujours chez T. B. La requérante n’aimait pas ces caractéristiques. Elle évitait d’avoir des relations intimes avec lui, mais aussi d’être seule avec lui pendant de longues périodes, parce qu’elle craignait la violence et ces odeurs. Cette dynamique ne laisse pas croire à une union de fait entre eux.
Considérations sociales et sociétales
[67] La requérante m’exhorte à accorder beaucoup d’importance au fait que sa relation avec T. B. s’était améliorée après leur divorce, qu’ils passaient beaucoup de temps ensemble et que leurs familles les traitaient comme s’ils formaient encore un couple.
[68] Les familles sont restées proches. La sœur de la requérante appelait encore T. B. son beau-frère,Note de bas de page 27 et le neveu de T. B. appelait encore la requérante sa tanteNote de bas de page 28. Il a écrit que, [traduction] « socialement, tout le monde les traitait encore comme un coupleNote de bas de page 29 ». Les frères et sœurs de la requérante ont continué 'inviter T. B. à des mariages, à des fêtes, à des cérémonies religieuses ou rituelles et aux réceptions dans la famille.
[69] Lorsque T. B. est décédé, la requérante a reçu des dons qu’elle a utilisés pour couvrir les frais funéraires.
[70] Ces considérations favoriseraient une conclusion d’union de fait.
Rapports personnels
[71] Bien que les considérations sociales favorisent une conclusion d’union de fait, elles ne suffisent pas à satisfaire aux exigences établies par McLaughlin pour indiquer l’existence d’une union de fait.
[72] Même si la requérante et T. B. ont passé beaucoup de temps ensemble après leur divorce de décembre 2007, c’était surtout dans le contexte de grands rassemblements ou de célébrations en famille, comme des mariages, des anniversaires, des funérailles, des fêtes et des réceptions religieuses, ou pour des voyages en famille. Ces occasions leur faisaient aussi passer du temps avec leurs enfants, leurs petits-enfants et d’autres membres de leur famille.
[73] Cependant, des comportements et des interactions assimilables au mariage n’y étaient pas vraiment. La requérante et T. B. faisaient chambre à part durant les voyages en famille. Même si des relations intimes ne sont pas essentielles pour démonter une union de fait et que des raisons culturelles peuvent expliquer certains de leurs comportements, le manque d’une vie à deux est davantage révélateur.
[74] En effet, ils passaient relativement peu de temps seuls. Ils soupaient ensemble lorsqu’elle laissait son véhicule chez lui avant d’aller visiter sa cousine aux États-Unis pour le week-end. La requérante et T. B. se sont également entraidés quand ils ont eu des problèmes de santé. Quand la requérante a été opérée à la thyroïde en décembre 2004 (avant leur divorce), T. B. l’a conduite à ses rendez-vous médicaux, y compris à ses rendez-vous de suivi. Il est également resté avec elle et s’est occupé d’elle. Lorsque la requérante a été opérée en juin 2014, T. B. l’a conduite à l’hôpital. Il s’est également occupé d’elle le jour où elle a reçu son congé de l’hôpital.
[75] Toutefois, la requérante n’a mentionné aucune autre occasion où elle aurait passé du temps seule en compagnie de T. B. durant les années qui ont suivi leur divorce (bien que ce soit sûrement arrivé quelques fois). La requérante et T. B. avaient toujours eu leur propre maison. Ils ne se rendaient pas visite régulièrement, sauf quand elle laissait sa voiture et soupait avec T. B. avant que sa nièce l'emmène aux États-Unis. Hormis les événements familiaux, ils ne passaient généralement pas beaucoup de temps ensemble.
[76] Dans l’ensemble, ce facteur ne permet pas de conclure à une union de fait.
Services
[77] La requérante et T. B. ne se rendaient pas de services. Ils ne s’entraidaient pas chez eux ni dans de nombreux aspects de leur vie en dehors de leur famille. Par exemple, rien ne permet de croire qu’elle avait la lessive ou d’autres tâches ménagères ou de l’entretien ménager, sauf en 2015, lorsque T. B. avait pris en charge la réparation et peint le véhicule de la requérante qui avait été vandalisé. Ce faceteur ne favorise pas une conclusion d’union de fait.
Soutien
[78] La requérante et T. B. ne partageaient pas non plus de frais de subsistance. Ils avaient seulement un compte conjoint et un coffre de sûreté. Le compte conjoint servait à la pension alimentaire pour enfants. Ils avaient gardé ce compte ouvert pour payer le coffre de sûreté. Autrement, la requérante n’utilisait pas le compte bancaire conjoint.
[79] La requérante ne comptait pas sur le soutien financier de T. B.. De même, T. B. ne se fiait pas à la requérante. À l’exception de leur coffre de sûreté, ils avaient maintenu séparés leurs arrangements financiers. La requérante s’est occupée de son propre prêt hypothécaire et T. B. l’avait aidée quand elle avait perdu son emploi en janvier 2016. Cependant, comme la requérante l’a reconnu, T. B. n’était pas vraiment en mesure de l’aider, car il avait ses propres engagements financiers. En effet, leurs enfants adultes soutenaient financièrement T. B.
[80] Lorsque T. B. a parlé à la sœur du requérant environ une semaine avant son décès, il lui a dit qu’il présentait une demande de prestations du Régime de pensions du Canada. Il espérait que la requérante puisse obtenir ses prestations s’il lui arrivait quelque chose. Toutefois, rien ne prouve que T. B. ait indiqué dans le formulaire de demande qu’il avait une conjointe de fait avec qui il voulait partager sa pension.
[81] Rien ne démontrait que la requérante et T. B. partageaient des droits et des obligations juridiques réciproques ou un engagement de quelque nature
[82] Le facteur du « soutien » ne favorise pas une conclusion d’union de fait.
[83] Enfin, il n’y a pas de dossiers d’hospitalisation, de dossiers fiscaux ou d’autres documents démontrant que la requérante ou T. B. auraient nommé l'autre comme conjoint de fait ou plus proche parent.
Résumé des facteurs de McLaughlin
[84] Certains des facteurs énoncés dans la décision McLaughlin, comme les considérations sociales et sociétales, l’attitude et la conduite à l’égard des enfants et de la famille, seraient favorables à la requérante. Cependant, dans l’ensemble, la plupart des facteurs, y compris le partage d’un toit, les rapports sexuels, les services et les considérations de soutien, ne sont pas en faveur de la conclusion qu’elle espère. En effet, les considérations qui témoignent d’un fort engagement de type matrimonial faisaient essentiellement défaut dans leur relation.
[85] Malgré l’importance qu’il faut accorder au temps que la requérante et T. B. ont passé ensemble, à la façon dont ils l’ont passé et aux personnes avec qui ils l'ont passé, leur prétention à une union de fait aurait été renforcée si certains de ces autres facteurs avaient été présents.
[86] L’ensemble des facteurs énoncés dans McLaughlin ne démontrent pas, tout compte fait, que la relation entre la requérante et T. B. indiquait une union de fait.
Conclusion
[87] L’appel est rejeté. La requérante n’a pas droit à l’allocation au survivant en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.