[TRADUCTION]
Citation : JM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 1435
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision relative à une demande de
permission de faire appel
Partie demanderesse : | J. M. |
Partie défenderesse : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 30 septembre 2024 (GP-24-1176) |
Membre du Tribunal : | Kate Sellar |
Date de la décision : | Le 20 novembre 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-748 |
Sur cette page
Décision
[1] Je refuse de donner à la requérante, J. M., la permission de faire appel. L’appel n’ira pas plus loin. Voici les motifs de ma décision.
Aperçu
[2] La requérante a divorcé en 2008.
[3] En 2009, elle a demandé le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (aussi appelé le « partage des crédits ») entre elle et son ex-époux au titre du Régime de pensions du Canada.
[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a confirmé le partage des crédits en 2009.
[5] L’ex-époux de la requérante est décédé en 2018. Elle a donc demandé une pension de survivant en juin 2019. Le ministre a rejeté sa demande. La requérante lui a demandé de réviser sa décision sur la pension de survivant. Elle lui a aussi demandé d’annuler le partage des crédits remontant à 2009.
[6] Le 21 octobre 2019, après avoir révisé le dossier, le ministre a maintenu sa décision Note de bas de page 1. La requérante n’était pas admissible à la pension de survivant parce qu’elle avait divorcé de son ex-époux et qu’elle n’avait pas vécu avec lui en union de fait pendant au moins un an avant qu’il décède. Le ministre a aussi expliqué que, dans le cas d’un couple divorcé, si l’une des deux personnes décédait, il ne pouvait pas annuler le partage des crédits entre elles.
[7] La requérante a fait appel au Tribunal plusieurs années plus tard, soit le 4 juillet 2024 Note de bas de page 2. La division générale a refusé d’examiner l’appel parce que la requérante l’avait déposé plus d’un an après que le ministre lui a communiqué sa décision de révision.
Questions en litige
[8] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
- a) Peut-on soutenir que la division générale a fait une erreur parce qu’elle n’a pas examiné les raisons pour lesquelles la requérante a déposé son appel en retard?
- b) Les arguments fondés sur la Charte, que la requérante présente, pourraient-ils mener à la conclusion que la division générale a fait une erreur?
- c) La demande de permission apporte-t-elle des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la division générale et qui pourraient justifier la permission de faire appel?
Je refuse la permission de faire appel
[9] Je peux donner à la requérante la permission de faire appel si la demande soulève une cause défendable selon laquelle l’une des choses suivantes s’est produite :
- la procédure devant la division générale n’était pas équitable;
- la division générale a excédé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
- elle a fait une erreur de droit;
- sa décision contient une erreur de fait;
- elle s’est trompée en appliquant la loi aux faits Note de bas de page 3.
[10] Je peux aussi accorder la permission de faire appel si la demande de la requérante contient des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la division généraleNote de bas de page 4.
[11] Comme la requérante n’a pas soulevé une cause défendable et qu’elle n’a présenté aucun nouvel élément de preuve qui se rapporte aux questions en litige, je refuse la permission de faire appel.
On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur de fait parce qu’elle n’a pas regardé pourquoi la requérante était en retard
[12] La requérante soutient qu’elle avait de bonnes raisons de retarder le dépôt de son appel à la division générale. Elle semble faire valoir que la division générale aurait dû tenir compte de ses raisons et autoriser l’examen de l’appelNote de bas de page 5.
[13] La division générale a expliqué que, si une personne n’est pas d’accord avec la décision de révision, elle doit faire appel au Tribunal dans les 90 jours suivant la date où le ministre lui communique la décisionNote de bas de page 6.
[14] Si la personne dépose son appel après les 90 jours, le Tribunal peut prolonger le délai et accepter d’examiner l’appel quand même. Toutefois, elle ne peut en aucun cas déposer son appel plus d’un an après que le ministre lui a communiqué la décision de révisionNote de bas de page 7. Autrement dit, si le délai d’un an est déjà écoulé, le Tribunal n’a pas le pouvoir de donner plus de temps pour faire appel.
[15] La division générale a conclu que le délai d’un an était expiré et que, par conséquent, l’appel de la requérante ne pouvait pas aller de l’avantNote de bas de page 8.
[16] La division générale a reconnu les raisons pour lesquelles l’appel de la requérante était en retard. Son père était malade, puis il est décédé, elle a déménagé à plusieurs reprises et elle aussi est tombée malade. La pandémie est également entrée en ligne de compte. Mais la division générale a expliqué qu’elle n’avait pas la compétence requise pour faire avancer l’appel parce qu’elle doit respecter la loiNote de bas de page 9. Et la loi lui interdit d’examiner un appel après le délai d’un an.
[17] La requérante n’a présenté aucun argument qui permettrait de soutenir que la division générale a commis une erreur de fait.
La requérante présente des arguments fondés sur la Charte, mais ils ne peuvent pas mener à la conclusion que la division générale a fait une erreur
[18] La requérante soutient que l’issue de l’affaire devant la division générale viole ses droits à l’égalité de traitement et à la sécurité de la personne qui sont garantis par la CharteNote de bas de page 10. Elle affirme qu’elle n’a pas reçu le même bénéfice de la loi parce que le ministre a donné le partage des crédits à son ex-époux alors qu’elle-même [traduction] « s’est vu refuser la part de [ses] cotisations à la caisse de pensionNote de bas de page 11 ».
[19] La requérante soutient aussi que le fait que la division générale n’a pas examiné l’appel simplement en raison de son retard est incompatible avec les principes de justice fondamentale. Les raisons pour lesquelles son appel était en retard échappaient à son contrôle et elle n’avait pas la capacité logistique ni émotionnelle de faire appel plus tôt.
[20] Le problème dans la présente affaire, c’est que la requérante n’a pas soulevé ses arguments fondés sur la Charte devant la division générale. Elle a mentionné une possible violation de la Charte seulement à la division d’appel.
[21] Je peux donner à la requérante la permission de faire appel uniquement pour les critères que j’ai présentés au paragraphe 9 ci-dessus.
[22] J’ai examiné le dossier et je n’ai trouvé aucune référence à la Charte dans les observations que la requérante a présentées à la division générale. La requérante n’a soulevé aucun argument fondé sur la Charte (en conséquence, la division générale ne s’est penchée sur aucun argument de cette nature). Le dossier ne contient aucun argument fondé sur la Charte qui me permettrait de conclure que la procédure de la division générale était peut-être inéquitable ou que la division générale aurait commis une erreur de fait, une erreur de droit ou une erreur de droit et de fait. Je ne peux pas donner à la requérante la permission de faire appel pour qu’elle puisse maintenant présenter des arguments fondés sur la Charte.
[23] L’invocation de la Charte par la requérante ne peut pas justifier la permission de faire appel, car de tels arguments n’ont rien à avoir avec une possible erreur de la division générale.
La requérante n’a déposé aucun nouvel élément de preuve qui justifierait la permission de faire appel
[24] La requérante a présenté des éléments de preuve dont la division générale n’avait pas connaissance. Les voici :
- de la correspondance montrant une demande d’assistance auprès d’une élue;
- les documents relatifs au décès du père de la requérante (en lien avec la succession);
- un document sur les études postsecondaires de la fille de la requérante;
- des rapports médicaux sur la requérante;
- des documents confirmant les mesures d’adaptation mises en place au travail;
- une preuve d’identification (puisque la mauvaise date de naissance figurait sur l’un des rapports médicauxNote de bas de page 12).
[25] Ces documents aident à expliquer pourquoi la requérante a déposé son appel en retard. Mais la loi interdit l’examen de son appel parce qu’il a plus d’un an de retard. Par conséquent, les renseignements supplémentaires qu’elle a déposés ne permettent pas de lui donner la permission de faire appel. Malheureusement, les raisons de son retard ne sont pas pertinentes, car la loi n’autorise pas le Tribunal à les prendre en considération.
[26] J’ai examiné le dossierNote de bas de page 13. Je suis convaincue qu’il n’y a aucun élément de preuve que la division générale aurait ignoré ou mal compris et qui aurait pu changer l’issue de l’affaire pour la requérante.
Autres questions
[27] La façon dont le Tribunal fonctionne laisse la requérante perplexe. Elle se demande pourquoi le Tribunal traite les appels qui sont déposés après le délai d’un an s’ils n’ont aucune chance d’aboutirNote de bas de page 14. Elle se demande aussi pourquoi le Tribunal demande des renseignements sur les raisons du retard de l’appel si elles ne sont d’aucune pertinence.
[28] Voici l’explication. Le Tribunal traite les appels même s’ils semblent en retard parce que, parfois, ils ne sont pas vraiment en retard.
[29] Par exemple, quand on invite une personne à expliquer son retard, elle peut dire qu’elle n’a jamais reçu la décision de révision ou que, pour une raison ou pour une autre, elle ne l’a pas reçue dans les délais normaux. Ainsi, même si la date sur la lettre de révision semble indiquer que le délai d’un an est dépassé, il se peut que ce soit seulement le délai de 90 jours qui est expiré. Dans un tel cas, la loi autorise la division générale à envisager la prolongation du délai d’appel, ce qui permettrait à l’appel de passer la prochaine étapeNote de bas de page 15. La raison du retard est alors importante pour la division générale.
Conclusion
[30] J’ai refusé de donner à la requérante la permission de faire appel. Par conséquent, l’appel n’ira pas plus loin.