Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : DP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 828

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Viola Herbert
Partie mise en cause : S. Z.
Représentante ou représentant : Victoria Jones

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 9 décembre 2024 (GP-23-295)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 juillet 2025

Personnes présentes à l’audience :

Appelante
Représentante de l’intimé
Mise en cause
Représentante de la mise en cause

Date de la décision : Le 7 août 2025
Numéro de dossier : AD-25-150

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Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelante n’a pas droit à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada. La pension va plutôt à la mise en cause, qui selon moi, est la survivante de feu C. P. (le cotisant).

Aperçu

[2] La présente affaire concerne deux demandes concurrentes de pension de survivant.

[3] C. P. a cotisé au Régime de pensions du Canada. L’appelante et lui se sont mariés en 1989 et se sont séparés en 2015, mais sont demeurés légalement mariés pour le reste de la vie du cotisant.

[4] La mise en cause a rencontré le cotisant en 2016 et ils ont commencé à vivre ensemble l’année suivante. À la fin de 2020, le cotisant a commencé à se sentir mal. En mars 2021, il a reçu un diagnostic de cancer du pancréas en phase terminale.

[5] En mai 2021, le cotisant, qui vivait à Edmonton depuis de nombreuses années, a déménagé à X, en Colombie-Britannique. Il a expliqué entre autres qu’il voulait être près de sa mère et de son frère pour ses derniers mois. La mise en cause est restée à Edmonton, où elle travaillait sous contrat comme spécialiste en comptabilité d’entreprise, mais elle allait souvent rendre visite au cotisant à X.

[6] Le cotisant est entré dans un centre de soins palliatifs en mars 2022 et est décédé le 27 avril 2022, après s’être prévalu de la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir.

[7] L’appelante a demandé une pension de survivant en mai 2022Note de bas de page 1. Dans sa demande, elle a déclaré que même s’ils étaient séparés, le cotisant et elle étaient toujours mariés au moment du décès.

[8] Le mois suivant, la mise en cause a aussi demandé une pension de survivantNote de bas de page 2. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle avait été la conjointe de fait du cotisant d’octobre 2017 à son décès.

[9] Service Canada, qui agit pour le public au nom du ministre, a rejeté la demande de l’appelante et a accordé la pension de survivant à la mise en cause, puisque celle-ci était la conjointe de fait du cotisant. Service Canada a établi que l’appelante [sic] vivait avec le cotisant dans une relation conjugale pendant les 12 mois précédant son décès.

[10] L’appelante a porté la décision du ministre en appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence et a rejeté l’appel. Elle a examiné le mode de vie du cotisant au cours de ses derniers mois et a conclu que, même s’il avait déménagé dans une autre province, il avait continué d’être en union de fait avec la mise en cause jusqu’à son décès. La division générale a confirmé la décision du ministre d’accorder la pension de survivant à la mise en cause.

[11] L’appelante a alors demandé la permission de faire appel à la division d’appel. Plus tôt cette année, une de mes collègues de la division d’appel lui a accordé la permission de faire appel. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de son appel.

Question en litige

[12] C’est l’appelante qui a décidé de faire appel, mais le fardeau de la preuve repose sur la mise en cause.

[13] La personne légalement mariée à la personne cotisante qui est décédée obtient la pension de survivant, sauf si la personne cotisante vivait en union de fait au moment de son décès. Par conséquent, la mise en cause devait prouver qu’elle était la conjointe de fait du cotisant lorsqu’il est décédé en avril 2022Note de bas de page 3.

Analyse

[14] La loi prévoit que l’on attribue le titre de survivante ou de survivant à une seule personne. Après avoir examiné les observations des parties, j’ai conclu que la mise en cause est la survivante du cotisant. Je suis convaincu qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant au moment du décès.

La personne survivante est l’épouse ou l’époux de la personne cotisante qui est décédée, sauf si celle-ci vivait en union de fait

[15] La pension de survivant est payable à la survivante ou au survivant de la personne cotisante qui est décédée. La survivante ou le survivant est l’épouse ou l’époux de la personne cotisante au décès de celle-ci. Toutefois, si la personne cotisante vivait en union de fait à son décès, c’est sa conjointe ou son conjoint de fait qui est la personne survivanteNote de bas de page 4.

[16] Une conjointe ou un conjoint de fait est la personne qui, au moment du décès, vivait avec la personne cotisante dans une relation conjugale depuis au moins un anNote de bas de page 5. Le Régime de pensions du Canada ne définit pas l’expression « relation conjugale ». Toutefois, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une relation conjugale repose sur de nombreux facteurs, notamment les suivants :

  • le partage d’un toit (si les deux personnes vivaient sous le même toit);
  • les rapports sexuels (si les deux personnes avaient des relations sexuelles et étaient fidèles l’une à l’autre);
  • les services (si les deux personnes partageaient la préparation des repas ou d’autres tâches liées à l’entretien du logis);
  • les activités sociales (si les deux personnes participaient ensemble aux activités du quartier et de la collectivité);
  • l’image sociétale (si les deux personnes étaient considérées comme un couple dans la collectivité);
  • le soutien (si les deux personnes partageaient leurs biens et leurs économies)Note de bas de page 6.

[17] Ces facteurs peuvent se présenter à des degrés variables et ne sont pas tous nécessaires pour que la relation soit dite conjugaleNote de bas de page 7. Les personnes en union de fait doivent démontrer, par leurs actions et leur conduite, une intention mutuelle de vivre ensemble dans une relation conjugale d’une certaine permanenceNote de bas de page 8. Il doit être possible de déduire l’existence d’une intention mutuelle à partir des éléments de preuve présentés.

Selon la loi, les personnes en union de fait n’ont pas à cohabiter

[18] Une conjointe ou un conjoint de fait est la personne qui, au moment du décès, vivait avec la personne cotisante dans une relation conjugale depuis au moins un anNote de bas de page 9. Cette période d’un an doit précéder immédiatement le décès de la personne cotisanteNote de bas de page 10. L’expression « vivre avec » ne signifie pas nécessairement « cohabiter ». Selon une décision intitulée Hodge, qui est une affaire déterminante au sujet de la définition d’une union de fait au sens du Régime de pensions du Canada, il est possible pour des personnes de vivre ensemble sans nécessairement cohabiterNote de bas de page 11.

[19] Dans de nombreuses affaires, on a reconnu que des personnes en union de fait peuvent devoir vivre séparément pour des raisons valables liées à la santé, aux études ou au travail, pourvu qu’elles n’aient pas l’intention de mettre fin à leur relation. Toutes ces affaires concernent des couples qui ont été forcés de vivre séparément en raison de l’une ou l’autre des circonstances externes suivantes :

  • une perte de capacité ou une maladie en phase terminale qui oblige une personne du couple à aller vivre dans un centre d’hébergement ou un centre de soins palliatifsNote de bas de page 12;
  • une admission dans un établissement d’enseignement ou un emploi qui oblige une personne du couple à déménager pour poursuivre son parcours;
  • une personne du couple qui sombre dans la toxicomanie ou l’alcoolisme et avec qui il devient intolérable ou dangereux de vivreNote de bas de page 13.

[20] Dans la présente affaire, la question principale est de savoir si le diagnostic de cancer du cotisant suivi de sa décision de déménager dans une autre province se compare à l’une ou l’autre des situations ci-dessus. Je pense que oui. Le cotisant et la mise en cause ont commencé à vivre séparément en mai 2021, mais pour ce qui est de tous les autres aspects importants, leur relation est restée la même. Seul leur mode de vie avait changé, après que le cotisant avait appris à son plus grand désarroi qu’il avait moins d’un an à vivre.

La mise en cause et le cotisant ont cessé de cohabiter seulement en raison de circonstances exceptionnelles

[21] Tout le monde dans la présente affaire convient que le cotisant et la mise en cause vivaient en union de fait jusqu’en mai 2021, lorsque le cotisant a déménagé à X. Jusque là, leur relation présentait un grand nombre de caractéristiques que l’on trouverait chez un couple marié. La mise en cause et le cotisant :

  • vivaient sous le même toit;
  • partageaient leurs biens et assumaient leurs dépenses ensemble;
  • étaient considérés par leur entourage comme un couple aimant et engagé;
  • se sont mutuellement nommés dans leurs testaments respectifs et se sont donné le mandat perpétuel de gérer leurs affaires.

[22] Tout a changé en mars 2021, lorsque le cotisant a reçu un diagnostic de cancer du pancréas de stade 4 et a appris qu’il lui restait seulement quelques mois à vivre. La mise en cause a déclaré que le cotisant avait exprimé le désir de déménager à X, où vivaient sa mère et son frère. Elle avait accepté, même si elle savait que ce serait dur pour elle.

[23] La mise en cause a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’accompagner le cotisant à ce moment-là. En tant que comptable, elle avait un contrat de contrôleuse générale. Il aurait été difficile pour elle de travailler à distance. Le cotisant et elle ont convenu qu’elle irait le rejoindre à X une fois son contrat terminé. Elle a mis sa maison en vente en juillet 2021.

[24] La mise en cause a dit qu’elle avait aussi accepté que le cotisant déménage à X parce que vu qu’il n’aimait pas ses médecins à Edmonton et qu’il ne leur faisait pas confiance, il avait décidé de renoncer à ses traitements. La mise en cause n’était pas d’accord et espérait qu’en changeant de médecins, le cotisant déciderait de combattre sa maladie. Et c’est ce qui s’est passé. Le cotisant a accepté de subir des traitements éprouvants de chimiothérapie. Même si ces traitements ont finalement échoué, la mise en cause croit qu’ils ont donné quelques mois de plus au cotisant.

[25] Il est surprenant d’entendre qu’un couple engagé choisisse de vivre séparément après avoir appris que l’une des deux personnes avait une maladie mortelle. Selon moi, il est surprenant que le cotisant, qui n’avait plus que quelques mois à vivre, ait voulu déménager dans une autre province sans sa partenaire. Et j’ai trouvé tout aussi surprenant que la mise en cause ait accepté de le laisser partir. Cependant, après avoir entendu le témoignage de la mise en cause, j’ai compris que le cotisant et elle avaient de bonnes raisons d’avoir agi ainsi : le cotisant voulait passer ses derniers jours avec sa famille immédiate, surtout avec sa mère âgée, et la mise en cause avait des obligations professionnelles qui la retenaient.

[26] De plus, j’ai accepté que la mise en cause avait l’intention de rejoindre le cotisant en Colombie-Britannique dès que ce serait possible. Elle a essayé de vendre sa maison, mais les confinements liés à la COVID-19 ont nui à ses démarches. Le printemps suivant, après l’assouplissement des restrictions et la reprise du marché immobilier, la santé du cotisant s’est détériorée encore plus, ce qui l’a amené à demander l’aide médicale à mourir.

[27] Au cours des 11 derniers mois du cotisant, son mode de vie avait changé, mais pas sa relation avec la mise en cause. Comme nous le verrons maintenant, leur relation présentait toujours un grand nombre de caractéristiques propres à une union de fait, même si les deux vivaient dans des villes différentes. Je n’ai rien vu dans la preuve qui donne à penser que le couple avait l’intention de mettre fin à sa relation ou de la modifier de façon importante.

La mise en cause et le cotisant sont restés attachés après mai 2021

[28] Même si le cotisant a déménagé dans une autre province après avoir reçu son diagnostic de cancer, la mise en cause et lui ont conservé tous leurs autres liens. Ils ne partageaient plus le même logis, mais leur vie était intimement liée.

La mise en cause rendait régulièrement visite au cotisant

[29] La mise en cause a déclaré qu’elle rendait visite au cotisant le plus souvent possible après son déménagement à XNote de bas de page 14. Elle a dit qu’il habitait d’abord avec sa mère, puis qu’il avait déménagé chez son frère pendant la grande canicule de l’été 2021 en Colombie-Britannique.

[30] Par courriel, le frère et la belle-sœur du cotisant ont confirmé que la mise en cause leur avait rendu visite plusieurs fois pour de longs séjours. Ils ont dit que pendant ses séjours, la mise en cause dormait dans la même chambre que le cotisant et assumait entièrement le rôle de proche aidante, en cuisinant des repas spéciaux pour lui et en veillant le plus possible à son confort. Lorsque la mise en cause n’était pas à X, le cotisant lui parlait au téléphone tous les jours. Il ne faisait aucun doute que la mise en cause et lui formaient un couple profondément amoureuxNote de bas de page 15.

La mise en cause et le cotisant ont chacune et chacun désigné l’autre personne pour bénéficiaire

[31] Il semble que la mise en cause et le cotisant n’aient jamais complètement partagé leurs économies. Même sous le même toit, ils avaient apparemment gardé des comptes bancaires, des cartes de crédit et des comptes de télécommunications distinctsNote de bas de page 16. Selon moi, ce n’est pas surprenant. Les personnes qui font connaissance plus tard dans la vie sont généralement déjà établies et souvent, elles ne trouvent pas nécessaire ou commode de tout fusionner.

[32] Néanmoins, la mise en cause et le cotisant ont, dans une certaine mesure, réorganisé leurs économies pour en tirer avantage mutuellement, ce qui est typique des personnes qui entretiennent une relation solide :

  • La mise en cause a inscrit le cotisant comme personne à charge dans son régime d’assurances pour soins dentaires, achat de médicaments et soins de santé étendusNote de bas de page 17.
  • Le cotisant a inscrit la mise en cause comme personne à charge dans son compte d’investissements de retraiteNote de bas de page 18.
  • En décembre 2019, le cotisant a désigné la mise en cause pour exécutrice testamentaire et a établi qu’il lui laissait les trois quarts du reste de son patrimoine. Dans sa directive personnelle, signée le même jour, il a désigné la mise en cause pour mandataireNote de bas de page 19.
  • Le cotisant a mandaté la mise en cause dans une procuration générale en avril 2021 Note de bas de page 20. Il a fait une petite exception – qui est sans doute compréhensible – en déléguant à son frère les affaires concernant sa procédure de divorce en cours.

[33] Le cotisant a confié la plupart de ses affaires à la mise en cause peu avant son départ pour X, ce qui donne à penser qu’il considérait qu’ils vivraient séparément pour une certaine période seulement. Au cours de l’année suivante, il n’a pas modifié son testament, ce qui donne à penser que sa décision de vivre loin de la mise en cause n’avait rien à voir avec une détérioration de leur relation. Il semble que la mise en cause [sic] ait gardé ses capacités mentales jusqu’à la fin, comme l’indique sa demande d’aide médicale à mourir. Cette procédure peut avoir lieu seulement si une ou un médecin est d’avis que la personne est capable de prendre des décisions éclairées en matière de soins de santé.

Le cotisant a continué d’exprimer son amour et son dévouement à la mise en cause

[34] Le cotisant a laissé un volume considérable de lettres et de courriels qui témoignent de ses pensées et de ses sentiments alors qu’il combattait le cancer dans les derniers mois de sa vie. Dans ces écrits, il a souvent exprimé sa profonde affection pour la mise en cause :

  • [traduction] « À mes yeux, c’était tout naturel de te faire la grande demande en ce jour le plus sacré de l’année. J’ai toujours vu en toi l’amour que tu éprouves à mon égard. » Le cotisant a ajouté qu’il avait l’intention d’épouser la mise en cause après son divorce Note de bas de page 21.
  • [traduction] « J’ai beaucoup apprécié ta visite. Nous avons été ensemble seulement quelques jours, mais quand je suis à tes côtés, ce sont des jours très spéciaux. J’espère que tu réussiras à vendre ta maison rapidement pour que nous puissions continuer notre vie à deux à X… Les mots me manquent pour dire à quel point je t’aime. Que Dieu te bénisse pour toujoursNote de bas de page 22. »
  • [traduction] « Ma chérie, merci pour ta confiance et ta présence à mes côtés alors que je commence mon combat. Je t’aime de toutes les manières possiblesNote de bas de page 23. »
  • [traduction] « S. Z. : Mon grand amour, S. Z., de tous les adieux que j’ai à faire aujourd’hui, celui qui te concerne est le plus difficile et invraisemblable. Nos cœurs se sont unis il y a moins de cinq ans, mais nous avons vécu un amour auquel certains couples rêvent toute leur vieNote de bas de page 24. »
  • [traduction] « S. Z. a quitté X dimanche. Elle a été avec moi pendant les dix derniers jours. Par la grâce de Dieu, je suis uni à un ange descendu du ciel, qui vient me préparer des repas avec tout son amour et veiller sur moi avec douceurNote de bas de page 25. »
  • [traduction] « Quand je suis déprimé, sainte S. Z. m’inspire. Quand j’ai mal physiquement, sainte S. Z. m’apaise. Quand ma spiritualité est ébranlée, sainte S. Z. me rassure. Quand je manque d’énergie, sainte S. Z. m’en redonneNote de bas de page 26. »
  • [traduction] « Ton attention empreinte d’amour me permet de rester sur le chemin de la guérison, un chemin que je n’aurais jamais pu emprunter sans toiNote de bas de page 27. »

[35] Ce ne sont pas les mots de quelqu’un qui aurait décidé de mettre fin à sa relation ou de la modifier de façon importante. Ce sont les mots de quelqu’un qui considérait qu’il serait séparé de sa partenaire de vie temporairement. Ces mots m’indiquent que, même s’ils étaient physiquement chacune et chacun de leur côté la plupart du temps, le cotisant et la mise en cause ont continué de vivre dans une relation conjugale jusqu’au décès de ce dernier.

[36] Dans sa correspondance, la mise en cause exprimait en retour le même amour que le cotisant lui vouait. Cependant, une chose m’a dérangé : je ne comprenais pas pourquoi, étant donné leur dévouement mutuel, la mise en cause n’était pas présente au moment de la procédure d’aide médicale à mourir et du décès du cotisant, le 27 avril 2022. À l’audience, la mise en cause a expliqué que, même si elle comprenait que le cotisant souffrait, elle était contre le suicide pour des motifs religieux et ne voulait pas être présente le jour de la procédureNote de bas de page 28. J’ai d’ailleurs remarqué que la mise en cause a fait référence à sa foi dans ses courriels. J’ai donc accepté cette explication.

Le cotisant a continué d’appeler la mise en cause sa conjointe

[37] L’appelante fait remarquer qu’après avoir cessé de vivre sous le même toit, la mise en cause et le cotisant se considéraient parfois comme de simples camarades. Dans un courriel de juin 2021, le cotisant a qualifié la mise en cause de [traduction] « bonne amie Note de bas de page 29 ». Puis, dans un extrait d’un document, qui semble être la demande d’aide médicale à mourir signée en juillet 2021, la mise en cause a qualifié le cotisant d’[traduction] « ami Note de bas de page 30 ».

[38] Cependant, ces mentions avaient moins de poids que les nombreuses autres déclarations du cotisant qui semblaient indiquer qu’il considérait la mise en cause comme sa conjointe. Dans sa déclaration de revenus de 2020, qui a probablement été faite juste avant qu’il parte à X, le cotisant a appelé la mise en cause sa [traduction] « conjointe de fait Note de bas de page 31 ». Dans une entente de cohabitation signée en juin 2021, la mise en cause et le cotisant ont reconnu qu’ils vivaient dans une [traduction] « relation d’adultes interdépendants en raison de leur cohabitation et de leur interdépendance économique au moment présent et de façon continue depuis le 1er octobre 2017 Note de bas de page 32 ». Au cours de la dernière année de sa vie, le cotisant a appelé la mise en cause sa [traduction] « partenaire » et son [traduction] « éternelle âme sœur » Note de bas de page 33.

L’entente de cohabitation appuie les arguments de la mise en cause

[39] Dans la présente affaire, il fallait éclaircir l’entente de cohabitation que la mise en cause et le cotisant ont signée en juin 2021, juste après le départ du cotisant pour X.

[40] L’objectif de l’entente, rédigée par un cabinet juridique, était de déterminer [traduction] « le statut, la propriété et le partage de l’ensemble des biens et des dettes en la possession de chacune et chacun ou qui découlent d’une acquisition par chacune et chacun, avant leur cohabitation ou pendant leur cohabitationNote de bas de page 34 ». L’entente disait entre autres ce qui suit :

  • Le cotisant avait déménagé chez sa mère à X, mais les parties ne considéraient pas ce déménagement comme une séparation. La mise en cause a déclaré son intention d’ultimement rejoindre le cotisant.
  • Les parties ont convenu qu’elles n’avaient aucun bien en commun et que tout revenu serait réputé avoir été gagné uniquement par la partie qui l’a gagné.
  • Les parties ont reconnu que la mise en cause avait accordé au cotisant un prêt de 90 139 $. Chaque mois, il devait débourser 2 000 $ pour le loyer et les dépenses de ménage.

[41] L’entente allait dans deux sens. D’une part, elle disait sans équivoque que la mise en cause et le cotisant ne considéraient pas le déménagement comme une séparation et elle confirmait leur intention de retourner en cohabitation un jour. D’autre part, l’entente exposait ce qui, à première vue, semblait être un accord financier concernant des loyers accumulés et des dettes à rembourser. L’appelante a fait remarquer que dans une union de fait normale, un couple ne tient pas de registre pour exposer ce que chaque personne doit l’une à l’autre. Elle a fait valoir que la relation de la mise en cause et du cotisant ressemblait plus à celle de colocataires ou de camarades.

[42] Cependant, après avoir entendu la mise en cause, j’ai vu les choses différemment. La mise en cause a expliqué que le cotisant et elle avaient signé leur entente de cohabitation dans le but précis de protéger leurs biens respectifs contre l’appelante. Elle a dit que le cotisant était mêlé à une procédure de divorce prolongée qui portait sur des questions de pension alimentaire pour enfant et de partage des biens, et qu’il voulait définir leur relation en précisant qu’aucune de leurs ressources n’était mise en commun. Le cotisant, suivant les conseils juridiques reçus, croyait que l’entente réduirait le risque de toute réclamation qui viserait les biens de la mise en cause. Celle-ci a expliqué que le [traduction] « loyer » et la [traduction] « dette », simplement symboliques, visaient à documenter la réalité selon laquelle, même si le cotisant était son amoureux, il tirait néanmoins un avantage financier (et elle, un coût) de leur cohabitation.

[43] J’ai accepté cette explication. L’entente de cohabitation, considérée dans son ensemble, a clairement été rédigée dans un objectif de défense contre tout litige en cours ou à venir. Ce n’est pas une coïncidence si l’entente a été signée juste après que le cotisant et la mise en cause ont décidé de vivre séparément pendant un certain temps. On peut supposer que c’était pour préciser qu’ils demeuraient en union de fait, mais aussi pour protéger leurs biens, en commun ou non, contre l’appelante. Je considère l’entente comme une démarche du cotisant qui visait à mettre de l’ordre dans ses affaires pour faciliter la vie à son amoureuse, alors qu’il risquait la mort.

[44] Tout bien considéré, l’entente de cohabitation appuie les arguments de la mise en cause sur son statut de survivante.

Conclusion

[45] L’appelante et la mise en cause étaient toutes deux des personnes compatissantes dont la vie était intimement liée au cotisant. Toutefois, le Régime de pensions du Canada prévoit que l’on attribue le titre de survivante ou de survivant à une seule personne. J’ai suivi la loi et les éléments de preuve, et j’ai tiré la conclusion suivante : la mise en cause s’est acquittée du fardeau de démontrer qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant au moment du décès. Même s’ils étaient dans des villes différentes à ce moment-là, je suis convaincu que la mise en cause et le cotisant avaient continué de vivre dans une relation conjugale après mai 2021.

[46] L’appel est rejeté.

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