Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Comparutions

  • Appelant : G. T.
  • Témoin de l’appelant : M. T.
  • Avocat de l’intimé : Vanessa Luna
  • Témoin de l’intimé : Dr Michael Cain

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Le 23 août 2010, un tribunal de révision a déterminé qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (la « Loi ») n’était pas payable.

[2] L’appelant a initialement présenté à la Commission d’appel des pensions (la « CAP ») une demande de permission d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision (la « demande de permission d’en appeler ») le 29 octobre 2010.

[3] Le 7 janvier 2011, la CAP a accordé la permission d’interjeter appel. En application de l’article 259 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, la division d’appel du Tribunal est réputée avoir accordé la permission d’en appeler le 1er avril 2013.

[4] Le présent appel a été instruit selon le mode d’une audience par comparution en personne des parties pour les raisons énoncées dans l’avis d’audience daté du 24 juillet 2013.

Droit Applicable

[5] Afin de garantir l’équité, le présent appel sera examiné en fonction des attentes légitimes de l’appelant au moment du dépôt de sa demande de permission d’en appeler devant la CAP. Pour cette raison, la décision relative à l’appel sera rendue sur la base d’un appel de novo en application du paragraphe 84(1) du Régime de pensions du Canada (la Loi) dans sa version antérieure au 1er avril 2013.

[6] L’alinéa 44(1)b) de la Loiénonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne touche pas de pension de retraite du Régime de pensions du Canada;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au Régime de pensions du Canada pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

[7] Le calcul de la période minimale d’admissibilité est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’invalidité ou avant cette date.

[8] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme étant atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[9] La date de la période minimale d’invalidité n’est pas contestée puisque les parties conviennent et le Tribunal conclut que la période minimale d’invalidité de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2006.

[10] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si, selon toute vraisemblance, l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de la période minimale d’admissibilité ou avant cette date.

Preuve

[11] L’appelant avait 56 ans à la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité. Il a obtenu un grade universitaire en génie aux États-Unis et a travaillé en Arabie Saoudite et dans le Nord de l’Ontario pendant des années. En 1991, alors qu’il était au travail, il a glissé sur une surface glacée et s’est blessé au genou et dans le bas du dos. Dans sa demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’appelant a indiqué que, de 1987 à 2003, il a tenté d’exploiter sa propre entreprise en tant qu’inspecteur en génie civil, entrepreneur général et rénovateur. Dans son témoignage, il a déclaré que cette entreprise a été un échec. Il a entrepris un programme de recyclage pour devenir inspecteur en bâtiments, mais n’a pas terminé le programme, car son médecin lui a dit qu’il ne pourrait faire ce travail en raison de ses limitations physiques. Il a travaillé pendant environ quatre semaines comme adjoint d’un coordonnateur de projet, mais a expliqué, lors de son témoignage, qu’il ne pouvait pas continuer à faire ce travail, car il n’entendait pas assez bien pour prendre les commandes par téléphone. Il a, par la suite, obtenu un permis de chauffeur de taxi et a conduit un taxi d’octobre 2005 à mars 2006. Il a également obtenu un permis de chauffeur d’autobus scolaire et a conduit un autobus scolaire puis une fourgonnette scolaire de 2008 à 2009, un emploi à temps partiel. Il n’a pas travaillé depuis.

[12] L’appelant soutient que quatre états pathologiques le rendent invalide : douleur au genou ; douleur au dos et syndrome du pied tombant au pied gauche ; perte auditive ; nausée et étourdissements lorsqu’il conduit un véhicule. Il souffre également de diabète et d’hypertension, mais n’en a pas parlé à l’audience.

[13] L’appelant a indiqué, dans son témoignage, qu’il peut faire des travaux ménagers en y allant à son rythme et en prenant des pauses. Il fait aussi un somme pendant la journée. Il vit dans un condominium avec sa femme et leur fils cadet.

[14] L’appelant a aussi déclaré qu’il a une douleur aux genoux. Lors de sa chute au travail en 1991, il s’est blessé au genou droit. Il est retourné au travail par la suite, mais a été affecté à des tâches adaptées ; il espérait pouvoir se remettre complètement de cette blessure.

[15] Le 8 juillet 1992, le Dr Gollish a indiqué dans un rapport que l’appelant continuait de ressentir une douleur au genou droit, et ce, huit mois après avoir subi une chirurgie arthroscopique du genou. L’appelant se déplaçait à l’aide d’une canne. Des radiographies ont été prises, mais n’ont révélé aucune anormalité ; le médecin a estimé que l’appelant continuerait à présenter des symptômes qui l’empêcheraient d’occuper un emploi nécessitant de s’agenouiller, de s’accroupir ou de grimper, et que l’appelant devrait envisager un recyclage professionnel. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il voulait alors travailler comme directeur de travaux de construction, mais que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail ne voulait pas défrayer le coût de la formation requise.

[16] De 1987 à 2003, l’appelant a ensuite tenté d’exploiter sa propre entreprise comme inspecteur technique, entrepreneur général et rénovateur. Il a déclaré, dans son témoignage, que l’entreprise avait été un échec. L’appelant avait de la difficulté à s’acquitter des tâches comportant des exigences physiques. Il n’avait aucune expérience antérieure en matière d’embauche de travailleurs, etc., ce qui se répercutait sur les résultats financiers de l’entreprise. Il a aussi déclaré qu’il n’a pas occupé d’emploi véritablement rémunérateur depuis 2002 en raison de ses restrictions à l’emploi : il lui fallait faire des quarts de travail plus courts, avoir un régulateur de vitesse pour conduire un véhicule et porter un casque d’écoute en guise de prothèses auditives.

[17] Le 9 août 2003, le Dr English, chirurgien orthopédiste, a indiqué dans un rapport que plusieurs cycles de traitement de physiothérapie et de repos n’ont pas permis d’enrayer complètement les symptômes de l’appelant. Celui-ci avait aussi développé une lombalgie mécanique associée à la déambulation et au mouvement. Puisque l’appelant ne fléchit pas les genoux lorsqu’il marche, mais se tord le dos au complet, le Dr English n’était pas surpris qu’il souffre de dorsalgie. Le Dr English ayant conclu que le genou ne révélait aucune anormalité importante, il se demandait si l’appelant amplifiait ses symptômes. Dans son témoignage, l’appelant a nié avoir amplifié ses symptômes.

[18] Le 28 juin 2005, le Dr Schwartz a indiqué dans un rapport que le stress et les mouvements comme soulever des charges, monter un escalier ou s’accroupir occasionnent à l’appelant des maux de dos. Ce dernier ressent une douleur intermittente aux genoux. Lorsqu’il s’accroupit, il tombe à droite. Pour cette raison, le Dr Schwartz a recommandé que l’appelant ne suive pas de programme de recyclage pour devenir inspecteur en bâtiments. L’appelant a suivi ce conseil et n’a pas poursuivi la formation en réorientation professionnelle qu’il avait entreprise par l’entremise de Ressources humaines et Développement des compétences en 2004. Il a déclaré, à l’audience, qu’il n’estimait pas pouvoir se lancer en affaires et obtenir des recommandations des clients s’il tombait lors d’une inspection et que, s’il devait monter sur un toit, ce risque de chute le mettrait en danger.

[19] Le 17 février 2006, le Dr Krystolovich a indiqué dans un rapport que l’appelant ne pourrait pas travailler comme gestionnaire de projet en raison des exigences physiques de l’emploi et du fait qu’il ressent une douleur permanente aux genoux.

[20] Le 12 juillet 2006, le Dr Zarnett a indiqué dans un rapport qu’en attendant l’intervention qu’il devait subir au genou, l’appelant ne pouvait pas reprendre le travail sans être affecté à des tâches modifiées. L’appelant devait éviter de rester debout pendant une longue période, de soulever de lourdes charges, de se pencher, de s’accroupir ou de s’agenouiller. En novembre 2006, l’appelant a subi une chirurgie du genou visant à réparer une déchirure de ménisque et une arthrose.

[21] Le 14 janvier 2008, le Dr Vandersluis a indiqué dans un rapport que l’appelant pourrait avoir besoin d’une arthroplastie totale du genou gauche un jour ou l’autre et qu’il devait éviter d’effectuer de gros travaux. Le Dr Vandersluis a recommandé que, d’ici là, l’appelant suive des traitements de physiothérapie et prenne des médicaments anti-inflammatoires.

[22] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que depuis 1991, il doit prendre de façon intermittente des analgésiques sous ordonnance. Il n’aime pas prendre ce genre de médicaments. Il en avait davantage besoin après s’être blessé de nouveau au genou en 2002. Il prend actuellement des narcotiques analgésiques en raison de douleurs ressenties dans plusieurs régions, dont les genoux, le dos et, plus récemment, une épaule (cette douleur s’étant manifestée longtemps après la fin de sa période minimale d’admissibilité, il n’en a pas été tenu compte à l’audience). Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que les analgésiques le rendent somnolent et entraînent des problèmes de concentration. Il planifie le moment de la prise de ces médicaments afin d’en limiter l’incidence sur ses activités sociales.

[23] L’appelant a aussi déclaré qu’il a rapidement obtenu un permis de chauffeur de taxi en 2005. Ayant dit, lors de son témoignage, que sa dorsalgie n’est pas ce qui l’empêchait de continuer à occuper cet emploi, il a clarifié en contre-interrogatoire que lorsqu’une personne est en douleur, elle ne sait pas toujours précisément d’où provient la douleur. L’appelant a cependant déclaré, lors de son témoignage, qu’il pouvait se reposer dans le taxi entre les courses, ce qui lui procurait un certain soulagement, et que la douleur aux genoux qu’il ressentait lorsqu’il conduisait est ce qui l’a empêché de continuer d’occuper cet emploi. Lorsqu’il était chauffeur de taxi, il ne soulevait pas de sacs pour les clients puisqu’il n’était pas en mesure de le faire. L’appelant a déclaré qu’il avait déjà une perte auditive importante à ce moment-là, mais que cela ne lui nuisait pas dans son travail.

[24] L’appelant souffre d’une déficience auditive. Dans une lettre datée du 6 novembre 2009, il a indiqué au tribunal de révision que ce problème l’empêche de tenir une conversation. M. T., le fils de l’appelant, a témoigné pour ce dernier. Il a déclaré qu’il est très proche de son père. Il a quitté la maison pour faire des études universitaires à Hamilton en Ontario, de 2001 à 2005, puis a travaillé pendant quatre ans à la centrale de Bruce Power, dans le nord-ouest de l’Ontario. Il a malgré tout maintenu un contact régulier avec son père, par téléphone. En dépit de la déficience auditive de l’appelant, il s’agissait là d’un mode de communication efficace, car l’appelant utilisait la fonction mains libres (haut-parleur) du téléphone tout en tenant l’appareil près de l’oreille pour entendre. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il n’a essayé d’utiliser un téléphone pour malentendants qu’une seule fois, et qu’il a raccroché lorsqu’il a réalisé qu’une assistance allait être fournie par un téléphoniste. L’appelant préfère maintenant communiquer par courriel ou message texte.

[25] Dans un rapport daté du 30 mai 2002, le Dr Kaul, oto-rhino-laryngologiste, a indiqué que l’appelant avait commencé à perdre l’ouïe au cours de la dernière année. Il s’agissait d’une perte marquée. L’appelant avait une déficience auditive importante et une audition médiocre. Si la perte auditive s’aggravait, cela rendrait l’appelant invalide.

[26] Le 28 septembre 2007, le Dr Tassios, audiologiste, a indiqué dans un rapport que l’appelant avait, à l’oreille droite, une perte auditive sensorielle profonde et, à l’oreille gauche, une perte modérée à grave. Il portait des prothèses auditives dans les deux oreilles. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il portait des prothèses auditives dans les deux oreilles, mais il n’a pas fait savoir clairement si ces appareils l’aidaient. Il a toutefois clairement indiqué qu’il avait eu beaucoup de problèmes avec les prothèses auditives et avait dû, à au moins quatre reprises, les faire remplacer en raison d’humidité dans les appareils et les faire rajuster souvent. La dernière fois, on lui a offert d’acheter un autre type de prothèse auditive, mais il ne l’a pas fait, car on ne pouvait pas lui garantir que cela l’aiderait. L’appelant a déclaré qu’il a cessé de porter des prothèses auditives en raison de leurs désagréments. L’appelant envisage maintenant plutôt la possibilité d’utiliser un casque d’écoute comme aide auditive, comme celui qu’il utilise avec son ordinateur.

[27] L’appelant participe actuellement aux travaux d’un comité sur l’accessibilité de la municipalité de Richmond Hill. Il a déclaré à l’audience qu’il a eu de la difficulté à entendre lors des réunions de ce comité, mais qu’à la prochaine réunion, un nouvel amplificateur sera mis à l’essai pour lui.

[28] L’appelant a aussi déclaré, dans son témoignage, que sa déficience auditive a eu une incidence sur sa capacité de travailler comme adjoint d’un gestionnaire de projet. C’est un emploi qu’il avait décroché afin d’être formé pour le travail de gestionnaire de projet. Il ne pouvait toutefois pas bien entendre ce qu’on lui disait au téléphone et avait de la difficulté à prendre les commandes de pièces et autres. Il a quitté cet emploi en raison de ses problèmes auditifs. L’appelant a déclaré que ses compétences médiocres en rédaction de lettres avaient eu aussi une incidence sur sa capacité d’occuper cet emploi.

[29] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que sa déficience auditive n’a pas eu d’incidence sur sa capacité de travailler comme chauffeur de taxi ni comme chauffeur d’autobus scolaire, même s’il ne pouvait pas entendre les communications de son employeur pendant qu’il conduisait.

[30] L’appelant souffre également de lombalgie, ce qui entraîne dans son cas un syndrome du pied tombant au pied gauche. Il a subi une laminectomie en 2004 qui a permis d’atténuer un peu la douleur, mais il continue de ressentir une douleur et d’avoir un pied tombant. M. T. a déclaré, à l’audience, que l’appelant doit porter un appareil orthopédique pour le pied et le mollet. Il n’a plus aucun muscle dans le mollet gauche. Lorsqu’il est assis et doit se lever debout, cela lui prend beaucoup de temps, et il a besoin d’une canne pour pouvoir se déplacer.

[31] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’à partir du moment où il se lève le matin, il lui faut environ une heure pour se redresser le dos, ou au moins quinze minutes s’il prend une douche chaude. Dès qu’il marche sur une courte distance, il commence à avoir des crampes aux genoux, ce qui aggrave la douleur. Il lui est très difficile de se relever lorsqu’il est au sol. Le repos, l’application de glace et la prise de médicaments soulagent sa douleur. Parfois, s’il a été plus actif qu’à l’habitude, sa douleur se poursuit jusqu’au lendemain.

[32] Le 14 janvier 2003, le Dr Schwartz a indiqué dans un rapport que l’appelant avait une sténose marquée en L4-5 et qu’il en résultait un syndrome du pied tombant au pied gauche. Le 31 août 2004, il a aussi indiqué dans un rapport que l’appelant avait subi une intervention chirurgicale le 17 mai 2004, mais continuait de ressentir une douleur insupportable au dos. Il a dit que l’appelant avait toujours le syndrome du pied tombant au pied gauche et qu’il ne pouvait courir. Le Dr Schwartz a conclu que l’appelant ne pourrait pas retourner travailler dans le domaine de la construction et que, s’il devait faire un retour au travail, il faudrait que ce soit dans un bureau.

[33] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que lorsqu’il a commencé à conduire un autobus scolaire il s’est senti nauséeux. Cela s’est produit alors qu’il suivait la formation en vue d’obtenir son permis. Comme le fait de conduire l’autobus aggravait sa douleur aux genoux, il a pu, à la place, obtenir un poste de chauffeur de fourgonnette scolaire. L’appelant a été congédié en juin 2009 parce qu’il circulait sur l’autoroute 407, qui n’était pas sur le parcours établi.

[34] Dans sa demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’appelant a indiqué que conduire un autobus scolaire n’était pas une occupation appropriée, parce qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel et qu’il ne pouvait pas en tirer un revenu adéquat. Cela produisait un stress constant pour son genou droit et amplifiait la douleur et l’inconfort qu’il ressentait au bas du dos. Conduire un tel véhicule lui occasionnait aussi des nausées et des maux de tête.

[35] Le 12 août 2009, le Dr Ramzy (médecin de famille) a indiqué dans un rapport que la perte auditive de l’appelant causait les nausées, et il a conseillé à ce dernier d’éviter de conduire un véhicule scolaire. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il a commencé à prendre des médicaments pour des étourdissements en 2009.

[36] Le dernier employeur de l’appelant a rempli un questionnaire pour l’intimé. On y mentionne que le rendement de l’appelant était satisfaisant, qu’il ne s’absentait pas du travail et qu’il n’avait nécessité aucune mesure d’adaptation au cours de cet emploi.

[37] Le Dr Michael Cain a été accepté comme témoin expert en médecine générale. Il a témoigné au nom de l’intimé. Il n’a pas examiné l’appelant. Son témoignage se fonde sur un examen de tous les éléments de preuve d’ordre médical figurant dans le dossier d’audience.

[38] Dans son témoignage, le Dr Cain a déclaré que, le 27 janvier 2009, le Dr Zarnett, chirurgien orthopédiste, a écrit que l’appelant ne pouvait effectuer aucun travail physique dans le domaine de la construction.

[39] Dans un rapport daté du 5 novembre 2007, le Dr Ramzy a indiqué que l’appelant souffre d’une perte auditive, d’arthrose aux deux genoux, d’un pied tombant, et qu’il ne pouvait pas retourner au travail en janvier 2006. Le Dr Ramzy ne précise toutefois pas le type de travail pour lequel l’appelant est inapte.

[40] Le Dr Cain a également déclaré, à l’audience, qu’aucun rapport médical datant de la fin de la période minimale d’admissibilité de l’appelant n’indique que celui-ci est inapte à tout travail ; cependant, des documents médicaux font état de son incapacité à faire un travail exigeant sur le plan physique.

[41] Un rapport du 14 août 2008 adressé à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) mentionne que l’appelant pourrait occuper certains types d’emploi, mais que celui-ci a déclaré qu’un travail de bureau serait une insulte pour lui.

[42] Ce n’est qu’en décembre 2010 qu’un membre d’une profession médicale mentionne dans un rapport que l’appelant ne serait probablement pas capable d’occuper un emploi dans la vente au détail ou dans un bureau en raison de ses affections médicales.

Observations

[43] L’appelant soutient qu’il est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) Il n’a pas réussi à gagner un revenu véritablement rémunérateur depuis 2002. Il était donc invalide en 2002;
  2. b) Tous ses troubles physiques, conjugués à son âge, à son niveau de scolarité et à son expérience de travail, démontrent qu’il est invalide.

[44] L’intimé soutient que l’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) Tout en reconnaissant que l’appelant a des contraintes physiques, celles-ci ne faisaient pas de lui une personne invalide à la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité ;
  2. b) L’appelant est une personne instruite qui possède une vaste expérience de travail ; il a donc des capacités transférables;
  3. c) L’appelant a travaillé pendant plus de deux ans après la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité, ce qui démontre une capacité de travailler.

Analyse

[45] L’appelant doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités, il était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2006 ou avant cette date.

Caractère grave

[46] La gravité de l’invalidité doit être évaluée dans un contexte « réaliste » (Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248 (CanLII)). Cela signifie que pour évaluer la capacité de travailler d’une personne, le Tribunal doit tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. En l’espèce, l’appelant avait 56 ans à la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité. Très instruit, il a obtenu un grade universitaire en génie il y a de nombreuses années, ainsi que des permis de chauffeur de taxi et de chauffeur d’autobus. Il a aussi suivi une partie d’un programme de formation pour devenir inspecteur en bâtiments. L’appelant parle couramment l’anglais, même s’il a un accent. Il a déclaré, à l’audience, que ses difficultés de communication sont liées à sa perte auditive plutôt qu’à des problèmes de compréhension ou de connaissance de la langue comme telle.

[47] Il est clair que l’appelant souffre de douleur au dos et aux genoux, une situation avec laquelle il est aux prises depuis de nombreuses années. Les rapports médicaux font aussi clairement état du fait que l’appelant ne peut occuper un emploi comportant des exigences physiques en raison de sa douleur et de ses limitations physiques. L’appelant a cessé de travailler dans le domaine de la construction il y a plusieurs années puis a tenté d’exploiter sa propre entreprise. Il n’y a pas réussi. Il a alors suivi une formation pour devenir chauffeur de taxi, un emploi qu’il a occupé pendant près d’un an. Il a aussi cessé de faire ce travail en raison de sa douleur aux genoux.

[48] L’appelant a ensuite suivi une formation pour devenir chauffeur d’autobus scolaire et il a obtenu le permis requis. Après avoir travaillé comme chauffeur d’autobus pendant un certain temps, il a conduit une fourgonnette scolaire, mais a continué de ressentir de la douleur, des étourdissements et des nausées. L’appelant a été congédié de cet emploi pour n’avoir pas suivi le parcours établi pour ce véhicule. À l’audience, l’appelant a expliqué qu’il avait emprunté l’autoroute 407 (motif de son congédiement) pour réduire le temps qu’il devait passer à conduire. Il a aussi déclaré qu’on lui avait offert un autre parcours, mais il ne l’a pas essayé. Selon le questionnaire rempli par l’employeur, l’employé n’a pas fait l’objet de mesures d’adaptation du travail de la part de cet employeur.

[48] L’appelant a, pendant une brève période, essayé de travailler dans un bureau comme adjoint d’un gestionnaire de projet. Il s’agissait d’un emploi sédentaire. Il a quitté cet emploi, car il n’entendait pas suffisamment bien et ne pouvait donc pas accomplir toutes ses tâches. À ce moment-là, l’appelant s’est fait prescrire des prothèses auditives. Il a cependant eu bien des difficultés avec les prothèses qu’il a achetées, celles-ci nécessitant plusieurs remplacements et rajustements. L’appelant a fini par abandonner l’idée de porter des prothèses auditives, bien que des prothèses différentes lui aient été proposées. Il se sert maintenant d’un casque d’écoute branché à l’ordinateur comme aide auditive.

[50] L’appelant a indiqué dans sa demande de prestations d’invalidité qu’il a de la difficulté à tenir une conversation en raison de sa perte auditive. Toutefois, lors de son témoignage, le fils de l’appelant a déclaré que pendant les années où il étudiait à l’université et celles où il travaillait à la centrale de Bruce Power, il est resté en contact avec l’appelant, communiquant avec lui par téléphone, et que celui-ci se servait alors de la fonction haut-parleur du téléphone pour bien entendre.

[51] L’appelant n’a pas suivi toutes les recommandations médicales relatives à son trouble auditif, puisqu’il n’a pas essayé toutes les prothèses auditives qui lui avaient été recommandées. Dans l’arrêt Bulger c. Ministre du Développement des ressources humaines (CP 9164 mai 2000), la Commission d’appel des pensions a conclu que pour qu’une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada soit accueillie, le demandeur doit avoir suivi toutes les recommandations de traitement raisonnables qui lui ont été faites, sinon il lui faut expliquer pourquoi il n’a pas tenté de le faire. En l’espèce, l’appelant s’est vu prescrire le port de prothèses auditives dans les deux oreilles. Il a acheté des prothèses et il les a essayées même s’il lui a fallu les faire remplacer et rajuster à de nombreuses reprises. D’autres prothèses auditives lui ont alors été recommandées. Je conclus qu’il était raisonnable de la part de l’appelant de ne pas acheter ces autres prothèses puisqu’on ne pouvait lui garantir qu’elles feraient l’affaire. L’appelant utilise maintenant plutôt un casque d’écoute branché à son ordinateur comme aide auditive.

[52] Après avoir examiné la preuve médicale au dossier, entendu les témoignages et pris connaissance des observations des parties, je suis convaincue qu’à la date marquant la fin de la période minimale d’admissibilité, l’appelant avait une capacité de travailler. Bien qu’il soit évident que l’appelant n’aurait pas pu occuper un emploi exigeant un grand effort physique, il a pu obtenir des emplois moins exigeants physiquement, comme des postes de chauffeur, qu’il a occupés pendant de courtes périodes.

[53] Lorsqu’il y a des éléments de preuve établissant qu’une personne est capable de travailler, celle-ci doit montrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de son état de santé (Inclima c. Canada (Procureur général) 2003 CAF 117 (CanLII)). En l’espèce, en dépit de ses limitations physiques l’appelant a occupé divers emplois. Il a exploité sa propre entreprise et a travaillé comme chauffeur. Il a également tenté de travailler en gestion de projet. Il n’a pu conserver ces emplois en raison de douleurs, de nausées (quoiqu’il bénéficie maintenant d’un traitement pour les nausées). Il a quitté l’emploi de chauffeur de taxi en raison de douleur aux genoux. Il a été congédié de son emploi de chauffeur de véhicule scolaire parce qu’il avait pris un raccourci comme mesure d’adaptation pour ses problèmes de santé. Il n’a pas pu continuer à travailler en gestion de projet en raison de sa perte auditive.

[54] L’appelant soutient qu’il est invalide depuis 2002, puisque c’est à partir de cette année-là qu’il n’a pu gagner un revenu correspondant à celui d’une occupation véritablement rémunératrice. Un examen du registre des gains de l’appelant qui figure au dossier d’audience révèle que celui-ci n’a jamais gagné plus que 9 400 $ par année après 2002. Les gains de l’appelant avant 2002 étaient également faibles, puisque celui-ci avait essayé de mettre sur pied une entreprise, mais n’y était pas parvenu, comme l’appelant l’a déclaré à l’audience.

[55] Je conclus que, depuis 2002, l’appelant n’a pas eu d’occupations véritablement rémunératrices. Bien que le Régime de pensions du Canada ne donne pas de définition de l’expression « véritablement rémunératrice », il a été établi de façon constante dans la jurisprudence que cette expression comprend les emplois pour lesquels la rémunération offerte pour services rendus ne serait pas une compensation modique, symbolique ou illusoire, mais plutôt une compensation qui correspond à une rémunération appropriée selon la nature du travail effectué (Poole c. Ministre du Développement des ressources humaines CP20748, 2003). L’appelant a un revenu modique. Il a revenu moindre que ce qu’une personne en Ontario gagnerait en travaillant à mi-temps au salaire minimum. Il s’agissait également d’emplois non spécialisés, tandis que l’appelant possède des compétences en génie, en construction et rénovation, ainsi qu’en exploitation d’une entreprise.

[56] En outre, l’appelant n’a pas pu s’acquitter de toutes les tâches liées aux emplois en question. Lorsqu’il était en train de conduire un taxi, il ne pouvait entendre ni ses passagers ni son employeur. Il ne sortait pas du véhicule pour soulever les sacs des clients. En tant qu’adjoint d’un gestionnaire de projet, il ne pouvait pas s’acquitter des tâches à faire par téléphone. Comme chauffeur d’autobus scolaire, il ne pouvait s’en tenir au parcours établi et souffrait de nausées et d’étourdissements pendant qu’il conduisait le véhicule. Par conséquent, l’appelant a démontré qu’il n’a pu conserver des emplois véritablement rémunérateurs en raison de ses incapacités.

[57] Pour ces motifs, je conclus que la douleur que l’appelant ressent aux genoux et au dos, conjuguée à sa perte auditive, constituent une invalidité grave au sens de la Loi.

Caractère prolongé

[58] Je conclus que l’invalidité de l’appelant est prolongée. L’appelant souffre de douleur aux genoux et au dos depuis un bon nombre d’années et rien n’indique que la situation s’améliorera. De même, sa perte auditive remonte à 2002, au moins, et aucun pronostic n’indique qu’il pourrait y avoir une amélioration.

Conclusion

[59] Je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en 2004, lorsqu’il a subi une intervention chirurgicale au dos, qui n’a pas permis d’enrayer la douleur complètement ni de corriger le pied tombant. À ce moment-là, l’appelant souffrait aussi de douleur constante aux genoux et il avait besoin de porter des prothèses auditives, lesquelles ne se sont pas avérées bénéfiques dans son cas. L’appelant n’a pas pu détenir une occupation véritablement rémunératrice par la suite. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) de la Loi). La demande a été reçue en mars 2009 ; par conséquent, l’appelant est réputé invalide depuis décembre 2007. Aux termes de l’article 69 de la Loi, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité. Les versements commenceront en avril 2008.

[60] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.