Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  • Appelante: R. D. G.
  • Avocat de l’appelante: Rajinder Singh Johal
  • Avocat de l’intimé: Amichai Wise
  • Témoin expert de l’intimé: Dr Donald Jewer
  • Interprète: D. G.

Introduction

[1] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) parce qu’elle souffre de dépression et d’anxiété entraînant des baisses d’énergie, des vertiges, de la fatigue et une crainte de sortir à l’extérieur, et qu’elle est incapable de travailler. Elle soutient que ses problèmes de santé la rendent invalide et que cette invalidité est grave et prolongée.

[2] L’intimé a apposé le timbre dateur sur la demande de pension d’invalidité du RPC de l’appelante le 28 janvier 2010. Il a refusé la demande de l’appelante à l’étape initiale et à celle de la révision. L’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Le 24 octobre 2012, un tribunal de révision a déterminé qu’aucune pension d’invalidité du RPC n’était payable à l’appelante et a rejeté la demande.

[3] L’appelante a présenté une demande de permission d’appeler de la décision du tribunal de révision à la Commission d’appel des pensions (CAP). Le 8 février 2013, la CAP lui a donné la permission d’en appeler.

[4] Suivant l’article 259 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) est réputée avoir accordé la permission d’interjeter appel le 1er avril 2013.

[5] L’audience d’appel s’est déroulée en personne pour les raisons données dans l’avis d’audience envoyé aux parties le 22 août 2013.

[6] Par souci d’équité, l’appel a été examiné en fonction des attentes légitimes qu’avait l’appelante au moment où elle a présenté sa demande d’autorisation d’appel à la CAP. Pour cette raison, la décision d’appel a été rendue sur la base d’un appel de novo, conformémentau paragraphe 84(1) du Régime de pensions du Canada (la Loi) tel qu’il était formulé avant le 1er avril 2013.

Droit applicable

[7] L’alinéa 44(1)b) de la Loi énumère les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une telle pension, le demandeur :

  1. a) ne doit pas avoir atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne doit pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) doit être invalide;
  4. d) doit avoir versé des cotisations valides pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

Question en litige

[8] Le RPC est un régime contributif. Les demandeurs sont admissibles à des prestations d’invalidité uniquement s’ils ont cotisé au RPC pendant un certain nombre d’années. Ce nombre d’années correspond à la période minimale d’admissibilité et est calculé selon les dispositions de la Loi en vigueur à la date pertinente. Le calcul de la période minimale d’admissibilité est important, car le demandeur doit établir qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de cette période ou avant cette date.

[9] La question de la période minimale d’admissibilité n’a pas été contestée en l’espèce : les parties ont convenu dès le début de l’audience que la période minimale d’admissibilité de l’appelante avait pris fin le 31 décembre 2011. Le Tribunal conclut donc que, en l’espèce, la date de fin de la période minimale d’admissibilité est le 31 décembre 2011.

[10] Dans l’affaire qui nous occupe, le Tribunal doit déterminer si l’appelante était vraisemblablement atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date. Il revient donc à l’appelante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2011 ou avant cette date.

[11] Selon l’alinéa 42(2)a) de la Loi, une personne est considérée invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle n’est prolongée que si elle est déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès. L’alinéa en question est reproduit ci-après :

  1. 42.(2)a) Pour l’application de la présente loi :
  2. a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :
    1. i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
    2. ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.

Preuve

[12] En l’espèce, la preuve est composée du témoignage de vive voix des témoins et du contenu du dossier d’audience. Le dossier d’audience contient divers documents et rapports, y compris des rapports médicaux, des rapports d’examen indépendant, des évaluations et des rapports d’imagerie diagnostique, dont la plupart ont été fournis par l’appelante. Il contient également des documents fournis par l’intimé. Les pièces suivantes ont aussi été versées au dossier lors de l’audience :

  • Pièce 1 :        Rapport du Dr R. Kakar, daté du 25 octobre 2013.
  • Pièce 2 :        Curriculum vitæ du Dr Donald Lemont Jewer.
  • Pièce 3 :        Sommaire du témoignage proposé par le Dr D.L. Jewer.

[13] Les faits pertinents, le contexte et la preuve sont résumés dans le paragraphe qui suit.

Discussion du cas de l’appelante

[14] L’appelante est née le 9 février 1958. Elle avait 52 ans lorsqu’elle a présenté sa demande en janvier 2010, 53 ans au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin et 55 ans lors de l’audience. Elle est mariée, a deux enfants d’âge adulte et habite avec son mari. Elle a quitté l’Inde pour venir s’installer au Canada en 2000.

[15] L’appelante a fait ses études en Inde. Elle a atteint la 14e année, ce qui correspond environ à un baccalauréat ès arts au Canada. Elle était spécialisée en histoire et en sciences politiques. Elle a étudié en langues hindi et punjabi et a suivi un cours en anglais.

[16] L’appelante parle couramment l’hindi et le punjabi, mais a de la difficulté en anglais. Son fils a agi en qualité d’interprète de l’anglais à l’hindi et vice versa.

[17] Avant d’immigrer au Canada, l’appelante a travaillé pour la Commission de l’électricité de l’Inde pendant 21 ans. La Commission menait ses activités en hindi et en punjabi.

[18] Au cours du mois ayant suivi son arrivée au Canada, l’appelante a fait des travaux de couture pour lesquels elle n’était pas rémunérée.

[19] En octobre 2001, l’appelante a obtenu un emploi au sein de l’entreprise Canadian Starter Drives Inc., où elle a travaillé jusqu’au 13 septembre 2009. Elle occupait un emploi de travailleuse à la chaîne dans le cadre duquel elle assemblait des démarreurs.

[20] L’appelante a cessé de travailler pour Canadian Starter Drives Inc. parce qu’elle avait des étourdissements périodiques au travail. Lors de ces périodes d’étourdissement, elle se rendait dans la salle de premiers soins de son employeur, retournait à la maison ou se faisait conduire chez son médecin de famille, le Dr Ralh.

[21] En contre-interrogatoire, l’appelante a affirmé que son superviseur demandait à l’occasion à des collègues de la conduire à la maison, et qu’il l’avait lui-même fait. En mai 2009, elle a été conduite à la maison à quatre ou cinq reprises.

[22] Lors de son témoignage, l’appelante a indiqué que le Dr Ralh l’avait traitée pour ses pensées négatives, mais que la médication ne l’avait pas aidée. Le Dr Ralh l’a dirigée vers le Dr Kakar, psychiatre.

[23] L’appelante a déclaré que, depuis, elle voit le Dr Kakar. Les séances de consultation avec le médecin durent entre 20 et 25 minutes. Elle a pris les médicaments qui lui ont été prescrits. Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a indiqué faire confiance à ce médecin. Elle prend les médicaments qu’il lui prescrit, selon ses recommandations. Toutefois, malgré la médication, ses symptômes de dépression ne se sont pas améliorés.

[24] L’appelante a indiqué avoir eu des attaques de panique à de nombreuses occasions. Lors de ces attaques, son coeur se mettait à battre très vite, elle avait des étourdissements et avait l’impression qu’elle allait tomber.

[25] L’appelante a déclaré avoir des pensées négatives et préférer ne pas sortir, de peur d’être témoin d’un accident ou de voir mourir quelqu’un.

[26] L’appelante a indiqué se sentir mieux après avoir parlé au Dr Kakar. Cependant, ses pensées négatives reviennent lorsqu’elle est de retour à la maison.

[27] L’appelante a indiqué que sa médication causait de la somnolence. Elle dort environ trois heures puis ses pensées négatives refont surface.

[28] L’appelante a indiqué ne pas avoir d’énergie, avoir de la difficulté à se concentrer, et prier et pleurer parce qu’elle ne sait pas ce qui l’attend. Elle ne regarde pas la télévision. Elle lit des livres de religion hindoue, mais a de la difficulté à se concentrer. Elle ne sort pas marcher et craint d’utiliser le transport en commun ou de se rendre à l’épicerie.

[29] L’appelante a déclaré qu’elle n’était pas d’une grande aide à la maison et que sa belle-fille, qui ne travaille pas, préparait son dîner.

[30] L’appelante a affirmé qu’elle perdait facilement sa concentration lorsqu’elle essayait de lire et qu’elle n’arrivait pas à se rappeler ce qu’elle avait lu. Elle oublie facilement des choses, y compris sa médication.

[31] L’appelante a indiqué qu’elle n’avait pas d’amis, qu’elle n’allait pas au temple, qu’elle se sentait triste toute la journée et qu’elle préfèrerait mourir. Elle pleure beaucoup et se fâche facilement pour des riens, sans savoir ce qui la met en colère.

[32] L’appelante ne dort pas beaucoup. Parfois, elle s’endort pendant trois ou quatre heures. Elle n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi elle n’arrivait pas à dormir plus longtemps.

[33] Bien que l’appelante ait déclaré avoir peur d’utiliser le transport en commun et de se rendre au supermarché, elle n’a pas pu décrire une occasion au cours de laquelle elle s’est sentie effrayée, que ce soit à bord d’un bus ou dans un supermarché. Elle a toutefois répété à plusieurs reprises qu’elle avait peur de se retrouver en public avec d’autres personnes et que la simple pensée de sortir l’effrayait.

[34] Lors de son témoignage, le jour de l’audience, l’appelante a indiqué qu’elle se sentait mieux, mais que sa dépression restait la même et que la médication ne l’avait pas aidée.

[35] L’appelante a déclaré avoir consulté un médecin à l’hôpital général d’Etobicoke relativement à ses douleurs aux yeux. Elle ne se souvenait toutefois plus du nom du médecin, des médicaments prescrits ou du nombre de fois qu’elle avait rencontré l’ophtalmologue. Elle a précisé que les médicaments pour les yeux l’avaient soulagée pendant un certain temps, mais que la douleur était revenue. D’après un rapport daté du 10 août 2010 (onglet B, p. 76) et rédigé par le Dr Singal, qui se spécialise en médecine interne, l’appelante a été vue par un ophtalmologue de l’hôpital général d’Etobicoke pour ses douleurs aux yeux. Selon le Dr Singal, l’appelante se plaignait de douleurs aux yeux qui empiraient avec le stress, et d’une augmentation du stress causée par cette douleur.

[36] L’appelante a déclaré que sa pression artérielle et son taux de cholestérol étaient contrôlés à l’aide de médicaments. Son taux élevé de cholestérol est contrôlé au moyen de Crestor.

[37] Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a confirmé que les rapports médicaux du Dr Kakar indiquant qu’elle avait travaillé chez Sears étaient incorrects.

[38] Toujours lors du contre-interrogatoire, l’appelante a été invitée à expliquer pourquoi elle n’avait pas utilisé certaines des ordonnances du Dr Kakar. Elle a déclaré que le Dr Kakar lui avait donné des échantillons, mais elle s’est montrée incohérente quant à la quantité fournie. À une occasion, elle a mentionné avoir reçu des échantillons à quelques reprises, mais ne pas pouvoir se rappeler davantage des détails. À une autre occasion, elle a indiqué que le Dr Kakar lui avait donné 10 pilules, mais elle ne s’en souvient pas. Une autre fois encore, elle a déclaré que le Dr Kakar lui avait peut-être fourni des échantillons à une occasion.

[39] Lors de son témoignage, l’appelante a indiqué qu’elle avait des problèmes avec ses deux genoux, plus avec le droit qu’avec le gauche. Les veines de ses jambes engourdissent, puis ses deux jambes au complet. Elle ne peut rester assise pendant de longues périodes et, au bout de 10 minutes, elle doit exercer une pression sur ses jambes et marcher un peu. Selon l’appelante, ses jambes engourdissent plusieurs fois par jour et souvent, lorsque cela arrive, elle doit s’étendre. L’appelante a demandé de courtes pauses de cinq minutes pendant l’audience pour se dégourdir.

[40] L’appelante a déclaré que son médecin de famille, le Dr Ralh lui faisait des injections dans les genoux tous les six mois. Elle avait ses médicaments avec elle lors de l’audience, notamment une bouteille contenant du Meloxicam. Elle a indiqué qu’elle prenait du Meloxicam pour ses douleurs aux genoux et qu’elle en avait déjà fini une bouteille. Elle consommait auparavant du Tylenol et de l’Advil pour contrôler ces mêmes douleurs.

[41] Dans un rapport daté du 18 juin 2009 (onglet A, p. 51), le Dr Singal a indiqué que l’appelante avait des palpitations, mais que ces symptômes étaient liés au stress et à l’anxiété et non à une insuffisance coronaire.

[42] Dans un rapport daté du 12 août 2009 (onglet A, p. 55), le Dr Singal a mentionné que les résultats du test de résistance au stress avaient écarté toute possibilité de maladie coronarienne grave. Selon un rapport du Dr Singal daté du 10 août 2010 (onglet B p. 76), l’appelante a continué à se plaindre de palpitations. Le médecin a demandé que sa patiente passe un test de Holter et un test de résistance au stress. Les résultats de ces tests se sont révélés négatifs.

[43] Une tomodensitométrie de la tête effectuée le 15 septembre 2009 n’a rien révélé d’anormal. Les résultats des tests réalisés par un spécialiste de l’ORL, le Dr Morrow, étaient aussi normaux.

Témoignage du Dr Jewer

[44] Le Dr Donald Lemont Jewer a été admis comme témoin expert pour l’intimé. Lors de son témoignage, il a indiqué que l’appelante était traitée avec de l’Elavil. Selon lui, l’Elavil à un dosage de 10 mg est utilisé principalement pour favoriser le sommeil et non pour traiter la dépression. Le dosage normal pour le traitement de la dépression se situe entre 50 et 150 mg, et le dosage maximal recommandé est de 300 mg par jour. Le Dr Kakar a indiqué dans ses rapports que l’appelante était traitée avec 250 mg d’Elavil, mais les dossiers de la pharmacie mentionnent qu’elle n’en reçoit que 25 mg. Selon le Dr Jewer, consommé à raison de 200 à 250 mg, l’Elavil cause de la somnolence.

[45] Fait intéressant : le Tribunal a remarqué qu’après son témoignage, pendant que le Dr Jewer examinait sa consommation d’Elavil, l’appelante a posé sa tête sur la table d’audience et était principalement endormie par la suite. Elle était physiquement présente, mais avait la tête ailleurs, et ce, pendant le reste des procédures, y compris lors du témoignage du Dr Jewer et des observations faites au nom des deux parties.

[46] Le Dr Jewer soutient que, même si l’appelante consomme de l’Elavil et du Remeron à raison de 250 mg et de 60 mg respectivement, elle pourrait être traitée avec d’autres médicaments disponibles qui seraient susceptibles d’entraîner de meilleurs résultats.

[47] Le Dr Jewer a souligné les nombreuses erreurs figurant dans les six rapports préparés par le Dr Kakar.

Rapports du Dr Kakar

[48] Le Dr Kakar a préparé six rapports datés du 20 septembre 2009, du 14 juin 2010, du 15 novembre 2010, du 1er avril 2011, du 23 septembre 2011 et du 25 octobre 2013. Ces rapports sont truffés d’erreurs et il est très difficile de les accepter comme preuve. Il n’est pas nécessaire de passer en revue les nombreuses erreurs, mais le Tribunal accordera davantage de poids au témoignage de l’appelante plutôt que de s’en remettre aux rapports du Dr Kakar.

[49] Le premier rapport du Dr Kakar est daté du 20 septembre 2009 et est adressé au Régime de pensions du Canada (RPC). Moins d’un mois après avoir vu l’appelante et avant même d’avoir laissé suffisamment de temps aux médicaments prescrits pour faire effet, le Dr Kakar était en mesure d’affirmer que Mme R. D. G. était incapablede reprendre quelque emploi rémunérateur que ce soit en raison de son état mental, et que sa condition était grave et prolongée.

[50] Dans son dernier rapport, daté du 25 octobre 2013 et aussi adressé au Régime de pensions du Canada, le Dr Kakar a répété ce qui suit : [traduction] « Pour recevoir des prestations dans le cadre du régime d’assurance-invalidité de longue durée du RPC,ma patiente, Mme R. D. G.,doit répondre à la définition d’une personne atteinte d’une invalidité mentale ou physique grave et prolongée. Mme  R. D. G. pourrait être considérée comme atteinte d’une invalidité mentale grave et prolongée, selon la définition fournie dans les dispositions pertinentes […] elle est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice […] ».

[51] Bien qu’il puisse être compréhensible que le Dr Kakar veuille défendre sa patiente, en agissant ainsi, il a témoigné de ce qui semble être un manque d’objectivité, au risque de miner sa crédibilité. Comme il a outrepassé sa compétence de psychiatre traitant pour se faire le défenseur de l’appelante, peu de poids peut être accordé à ses rapports; au final, il n’aura pas vraiment aidé sa patiente. Ses actions auront fait en sorte que peu d’importance sera accordée à ses rapports, et cela risque de nuire à l’appelante plutôt que de l’aider.

Rapports médicaux, diagnostiques, d’imagerie et d’évaluation

[52] Comme il a été mentionné précédemment, le dossier d’audience contient divers documents et rapports de nature médicale. J’ai examiné attentivement tous ces documents et rapports, mais il n’est pas nécessaire que je fasse référence à chacun d’entre eux. Dans Simpson c. Canada (Procureur général) 2012 CAF 82, la Cour a indiqué que le tribunal de révision est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve, mais qu’il n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés dans sa décision. J’ai discuté certains des documents médicaux précédemment. Bien que certains d’entre eux ne soient pas expressément mentionnés, tous les documents ont été examinés avec attention.

Observations de l'intimé

[53] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’était pas admissible à une pension d’invalidité parce que son invalidité n’était ni grave ni prolongée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2011, ou avant cette date. Il s’en est remis au témoignage de son témoin expert, le Dr Donald Lemont Jewer.

[54] L’intimé soutient aussi que peu de poids devrait être accordé aux rapports du Dr Kakar étant donné que le médecin a outrepassé sa compétence de psychiatre pour se faire le défenseur de l’appelante. Afin d’étayer sa position, l’intimé s’est appuyé sur la décision Canada (MDRH) c. Angheloni [2003], 2003 CAF 140.

Jurisprudence

[55] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, l’appelante doit satisfaire à deux exigences : elle doit avoir versé des cotisations valides au RPC pendant une période minimale d’admissibilité et doit prouver que son invalidité est grave et prolongée au sens de l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada. Pour être considérée comme « grave », l’invalidité doit rendre l’appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Pour être considérée comme « prolongée », elle doit être déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir vraisemblablement entraîner la mort.

[56] Le Régime de pensions du Canada est une loi qui confère des avantages sociaux et qui doit être interprétée de façon libérale et généreuse. Au Canada, les tribunaux se sont montrés soucieux de donner une interprétation libérale aux lois dites sociales. Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes 1998 1 R.C.S. 27, au paragraphe 36, la Cour suprême a souligné que la législation conférant des avantages devait être interprétée de façon libérale et généreuse, et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes devait se résoudre en faveur du demandeur.

[57] Dans l’affaire Canada (MDRH) c. Rice, 2002 CAF 47, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le but des dispositions du Régime de pensions du Canada est d’assurer aux personnes qui sont invalides une pension d’invalidité parce qu’elles sont incapables de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Au paragraphe 13, la Cour indique aussi que les dispositions relatives à l’invalidité ne sont pas un régime d’assurance-emploi supplémentaire.

[58] Le RPC est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. Il s’agit non pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un requérant (Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28.

[59] Dans la décision Canada (MDRH) c. Henderson, 2005 CAF 309, la Cour d’appel fédérale a déterminé que l’article 42 a pour objet d’aider ceux qui sont incapables de travailler pour une longue période et non de dépanner ceux qui ont des problèmes temporaires.

[60] Dans la décision Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248, le juge d’appel Isaac a rendu le jugement qui favorisait ce critère du contexte « réaliste ». Au paragraphe 38, il indique ce qui suit :

Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[61] Au paragraphe 39 de la même décision, le juge d’appel Isaac s’est exprimé ainsi :

[…] d’après le sens ordinaire des mots utilisés au sous-alinéa 42(2)a)(i), le législateur doit avoir eu l’intention de faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité soit appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde réel ». Il est difficile de comprendre quel objectif la Loi pourrait poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible avec le langage clair de la Loi.

[62] Au paragraphe 42, il poursuit de cette façon :

Le critère relatif à la gravité n’est pas celui d’une invalidité « totale ». Pour exprimer le critère moins rigide de la gravité en vertu du Régime, les rédacteurs ont donc instauré la notion de gravité comme étant l’incapacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Le libellé sans équivoque de la Loi, les dispositions connexes du Règlement, et l’intention manifeste des rédacteurs indiquent tous avec autant de force que l’expression essentielle de la définition de la gravité au sous-alinéa 42(2)a)(i) ne peut être ignorée ni réduite.

[63] Au paragraphe 50, il mentionne ce qui suit :

Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi.

[64] Dans la décision Ministre du Développement des ressources humaines c. Scott, 2003, dossier A-117-02, la juge d’appel Strayer, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a indiqué ceci au paragraphe 7 :

En toute déférence, je crois que la Commission a commis une erreur de droit en déclarant que le critère applicable était celui de savoir si l'appelante était « incapable d'occuper un emploi régulier ». La norme de contrôle sur ce point est celle de la décision correcte. Comme nous l'avons noté ci-dessus, le critère pour déterminer si une invalidité est « grave », ce qui est la question en litige en l'espèce, est défini dans la Loi comme étant le fait que cette invalidité rend la personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice [...] ». C'est l'invalidité, et non l'emploi, qui doit être « régulière » et l'emploi peut être toute « occupation véritablement rémunératrice ».

[65] Dans l’affaire Inclima c. Procureur général du Canada 2003 CAF 117, le juge d’appel Pelletier, s’exprimant au nom de la Cour, a indiqué ce qui suit au paragraphe 2 :

Le paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, précité, dispose qu'une personne est atteinte d'une incapacité grave si cette personne est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Dans Villani c. Canada [2002] 1 C.F. 130, au paragraphe 38, la Cour a dit qu'une incapacité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice.

[66] Toujours dans l’affaire Inclima, la Cour a également déclaré ce qui suit :

Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu'ils souffrent d'une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu'une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l'existence des possibilités d'emploi. En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d'incapacité grave doit non seulement démontrer qu'il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[67] Dans l’affaire Klabouch c. Ministre du Développement social 2008 CAF 33, la Cour d’appel fédéral a répété ceci :

[…] le critère permettant d’évaluer si une invalidité est « grave » ne consiste pas à déterminer si le demandeur souffre de graves affections, mais plutôt à déterminer si son invalidité « l’empêche de gagner sa vie » […]. En d’autres termes, c’est la capacité du demandeur à travailler et non le diagnostic de sa maladie qui détermine la gravité de l’invalidité en vertu du RPC.

[68] Les facteurs socio-économiques comme les conditions du marché du travail ne sont pas pertinents au moment de déterminer si une personne est invalide au sens de la Loi. Il faut considérer la notion d’emploi véritablement rémunérateur du point de vue de la situation personnelle de l’appelant, et non en fonction de ce qui est offert sur le marché du travail. Dans la décision Canada (MDRH) c. Rice, 2002 CAF 47, la Cour a déclaré ce qui suit :

Quand les mots du sous-alinéa 42(2)a)(i) sont examinés, il ressort clairement qu'ils font référence à la capacité d'une personne d'occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateur. Ils ne font pas référence aux conditions du marché du travail.

Analyse

[69] Il incombe à l’appelante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité était grave et prolongée au sens de la Loià la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2011, ou avant cette date.

[70] Les dispositions d’autres régimes publics ou privés d’assurance-invalidité ou d’autres paiements périodiques varient de celles dont il est question en l’espèce. Les règles législatives dont il est question précédemment, qui déterminent l’admissibilité à une pension du RPC, sont strictes et non flexibles. Bien que le seuil établi pour l’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC soit élevé et rigoureux, il n’est pas inatteignable.

Caractère grave

[71] Le critère de la gravité doit être évalué dans un contexte réaliste, comme mentionné précédemment dans l’affaire Villani c. Canada. Cela signifie que, lors de l’évaluation de la capacité d’une personne à travailler, le Tribunal doit garder à l’esprit des facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de la vie. L’appelante avait 52 ans lorsqu’elle a présenté sa demande en janvier 2010, 53 ans à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité et 55 ans au moment de l’audience. Malgré qu’elle possède l’équivalent d’un baccalauréat, elle n’a pas été en mesure de trouver d’emploi ailleurs qu’en usine. Ses compétences limitées en anglais ne l’ont pas empêchée d’obtenir et de conserver un emploi régulier au Canada, mais il y a peu de chances qu’elle soit une bonne candidate au recyclage en lien avec la langue, les compétences ou l’emploi. Du point de vue mental, l’appelante souffre clairement de problèmes psychiatriques. Du point de vue physique, elle a des problèmes avec ses deux genoux qui lui causent de l’engourdissement dans les jambes et l’empêchent de demeurer en position assise pendant de longues périodes. Il est très peu probable qu’un employeur ordinaire l’engage en sachant qu’il ne pourra pas compter sur elle pour exercer les fonctions de son poste à cause de ses limitations mentales et physiques.

[72] Malgré le fait que peu de poids ait été accordé aux rapports du Dr Kakar, il n’en reste pas moins que l’appelante l’a consulté à 29 reprises, qu’elle continue à le voir, qu’elle lui fait confiance et qu’elle suit presque religieusement ses recommandations de traitement. Ces faits peuvent difficilement être ignorés.

[73] L’appelante avait de la difficulté à se souvenir de la quantité d’échantillons que le Dr Kakar lui avait fournis et à décrire des situations où elle s’était sentie effrayée dans des endroits publics, par exemple dans le bus ou au supermarché. J’estime que ces problèmes de mémoire s’apparentent plus au pronostic de pseudo-démence du Dr Kakar qu’à une tendance de l’appelante à se montrer évasive.

[74] La santé mentale de l’appelante a entraîné chez elle une incapacité à sortir à l’extérieur; c’est ce qui ressort de son témoignage, au cours duquel elle a indiqué être effrayée de sortir de peur que quelqu’un ait un accident ou meure. La question n’est pas de savoir si sa crainte de sortir est fondée ou raisonnable. Il faut plutôt se demander s’il s’agit d’une conséquence de ses problèmes de santé mentale qui l’empêche d’être en mesure de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. J’accepte la déclaration de l’appelante selon laquelle elle souffre d’attaques de panique et n’a pas surmonté sa dépression.

[75] J’accepte aussi la déclaration de l’appelante selon laquelle elle souffre de problèmes aux genoux, problèmes qui causent un engourdissement de ses jambes et l’obligent parfois à s’allonger.

[76] J’ai étudié et analysé attentivement la preuve, les observations et la jurisprudence. J’ai également examiné l’incapacité mentale de l’appelante dans le contexte de son incapacité physique. J’estime qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice le 31 décembre 2011 ou avant cette date. L’appelante a satisfait à son obligation légale de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité était grave au sens de la Loi et de la jurisprudence.

Caractère prolongé

[77] J’estime que l’invalidité de l’appelante doit être considérée comme longue et prolongée, et ce depuis la fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2011, et après cette date. Aucune information de nature médicale ne laisse entendre que la dépression de l’appelante et les douleurs dont elle souffre s’amélioreront, que ce soit à court ou à long terme.

Conclusion

[78] Je conclus que la date de début de l’invalidité, soit septembre 2009, correspond à la date à laquelle l’appelante ne pouvait plus travailler. Aux termes de l’article 69 de la Loi, les paiements débutent le quatrième mois qui suit la date où le requérant devient invalide. Les paiements débuteront donc à partir de janvier 2010.

Décision

[80] L’appel est accueilli.

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