Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le Tribunal refuse la permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

Contexte et historique des procédures

[2] Le demandeur présente une demande de permission d’en appeler de la décision rendue par le tribunal de révision le 5 mars 2013. Le tribunal de révision a déterminé qu’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada n’était pas payable au demandeur parce que son invalidité n’était pas « grave » au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin, le 31 décembre 1988. Le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler de cette décision (ci-après « la demande ») à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (ci-après « le Tribunal ») le 5 juin 2013, dans le délai prévu par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (ci-après « la Loi »).

Question litige

[3] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Droit applicable

[4] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi, « [il] ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « [la division d’appel] accorde ou refuse cette permission ».

[5] Le paragraphe 58(2) de la Loi énonce ce qui suit : « La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

Observations du demandeur

[6] Le demandeur a déposé une lettre datée du 30 mai 2013, à laquelle étaient joints deux documents intitulés « Moyens d’appel » et « « Énoncé des allégations ». Le demandeur s’appuie sur de nombreux motifs pour justifier sa demande de permission d’en appeler :

  1. (a) Le tribunal de révision a mal calculé sa période minimale d’admissibilité (ci-après « la PMA »). Le demandeur soutient que sa PMA a pris fin en 1998 et pas en 1988, comme l’a calculé le tribunal de révision. La décision du tribunal de révision indique que le demandeur avait consenti à ce que l’année de fin de la PMA soit fixée à 1988, mais celui-ci réfute cette affirmation. Il est d’avis que la PMA a pris fin le 31 décembre 1998. Il se fie à la date fournie par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (ci-après « RHDCC ») (ancienne désignation) dans sa lettre du 25 août 2011.
  2. (b) Dans le calcul de sa PMA, le tribunal de révision n’a tenu compte ni de sa rémunération du bureau de santé du district de Perth ni de sa clause d’exclusion pour élever des enfants. Malgré les observations du demandeur rapportées au préalable, au paragraphe (a), celui-ci affirme que si le tribunal de révision avait tenu compte de sa rémunération supplémentaire et de la clause d’exclusion pour élever des enfants, sa PMA se serait prolongée au-delà du 31 décembre 1998. Il ne précise toutefois pas quelle devrait être sa PMA d’après ses calculs.
  3. (c) D’après lui, [traduction] « la décision comporte des fausses déclarations […] sur lesquelles on a ensuite fondé des conclusions fausses et injustes, par exemple au sujet des fonctions cognitives d’une personne par rapport à ses capacités fonctionnelles physiques, ce qui a servi à établir la gravité de l’incapacité et qui représente sans nul doute une analyse discriminatoire ». Je comprends donc que le demandeur est convaincu que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en concluant que comme il avait encore, dans une certaine mesure, la capacité de parler, il ne pouvait pas avoir une invalidité physique. Il fait en effet valoir que le tribunal de révision a mis l’accent sur ses capacités cognitives et sur sa capacité de parler plutôt que sur ses incapacités physiques.
  4. (d) Le tribunal de révision n’a pas examiné correctement la question de l’« occupation véritablement rémunératrice » pour déterminer si l’invalidité du demandeur pouvait être considérée comme grave. Le demandeur soutient que le tribunal de révision n’a pas tenu compte du fait que (1) il participait à un programme d’emploi financé par RHDCC en 2005 et que (2) toutes ses tentatives de retour au travail s’étaient soldées par une hospitalisation (3) en plus d’entraîner une détérioration de son état de santé, ce qui avait fini par l’obliger à renoncer à occuper un emploi. Je comprends que le demandeur soutient que le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que l’invalidité dont il souffrait n’était pas grave.
  5. (e) Le tribunal de révision n’a pas fait référence à certains éléments de preuve cruciaux de nature médicale, à certains avis d’experts et aux témoignages de la famille et des amis proches, ou bien n’en a pas tenu compte, lorsqu’il a déterminé si l’invalidité du demandeur était grave et prolongée. Le demandeur fait notamment valoir que le tribunal de révision n’a pas fait référence à plusieurs dossiers médicaux du service d’urgence qui ont été déposés à l’audience, ou qu’il n’en a pas tenu compte, et que le tribunal de révision a fait de même en ce qui concerne le témoignage du Dr Michael Ford et d’autres personnes, ou encore qu’il a pris ces éléments de preuve hors contexte. Le demandeur a souligné qu’au départ, une partie de la documentation n’avait pas été versée au dossier et déposée en preuve. Il croit que cette omission a fait en sorte que le tribunal de révision n’a pas tenu compte des documents en question, ou bien qu’il s’était déjà fait une idée au sujet de sa demande. Je comprends donc que le demandeur croit que le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
  6. (Dans son « Énoncé des allégations », le demandeur a laissé entendre que le tribunal de révision n’avait pas tenu compte, dans sa décision, du rapport médical du Dr Ford daté du 2 février 2011. Or, je remarque que le tribunal de révision a bel et bien fait référence au rapport du Dr Ford du 2 février 2011 au paragraphe 35 de sa décision.)
  7. (f) Le tribunal de révision a commis plusieurs erreurs de droit et de fait, notamment aux paragraphes 28, 29, 39, 40, 46, 48 et 49 de sa décision. Le demandeur ne précise pas en quoi consistent exactement les erreurs qu’il attribue au tribunal de révision.
  8. (g) Le tribunal de révision n’a pas tenu compte du fait qu’en 2007, la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (ci-après « la CSPAAT ») a déterminé que le demandeur était invalide et donc admissible aux prestations de la CSPAAT. Le demandeur fait valoir que comme la CSPAAT l’a jugé invalide, le tribunal de révision aurait dû parvenir à la même conclusion. Le demandeur estime donc que le tribunal de révision a commis une erreur de droit.
  9. (h) La décision du tribunal de révision est erronée et injuste en raison de son incidence sur le (h) demandeur et sa famille. Le demandeur croit également qu’en vertu du Régime de pensions du Canada, une certaine forme de discrimination est exercée et qu’on refuse les prestations d’invalidité à toute personne de 21 ans et moins.

Observations de l'intimé

[7] L’intimé n’a pas présenté d’observations écrites.

Analyse

[8] Bien que la demande d’autorisation d’interjeter appel soit un premier obstacle que le demandeur doit franchir – et un obstacle inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond – il reste que la demande doit soulever un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel – Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF).

[9] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Aux fins de la présente instance, la décision du tribunal de révision est considérée comme étant une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[11] Je suis chargée de déterminer si l’une ou l’autre des raisons invoquées par le demandeur correspond aux motifs d’appel et si cet appel a des chances raisonnables de succès.

Erreurs de droit

Période minimale d’admissibilité

[12] On ne saurait trop insister sur l’importance de la PMA, puisqu’un demandeur doit être considéré comme invalide au plus tard à cette date et être demeuré invalide depuis.

[13] Je traiterai des observations (a) et (b) en même temps. Le demandeur soutient que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en calculant sa PMA. Il affirme que sa PMA a pris fin en 1998 et pas en 1988. Il s’appuie sur la date indiquée dans la lettre datée du 25 août 2011 que lui a fait parvenir RHDCC.

[14] RHDCC a également préparé des lettres datées du 25 janvier 2011 et du 9 juin 2011. Dans ces lettres, la date de fin de la PMA est fixée en 1988. Dans des observations datées du 8 décembre 2011, RHDCC donne 1988 comme date de fin de la PMA et fournit également une explication détaillée de la façon dont cette PMA a été calculée. Pour autant que je puisse en juger, RHDCC n’a jamais expliqué pourquoi il y avait un si grand écart entre son calcul du 25 août 2011 et ses autres calculs.

[15] Le demandeur soutient également que lorsque l’on tient compte des dispositions relatives aux demandes tardives, de la clause d’exclusion pour élever des enfants et de la rémunération qu’il a reçue du bureau de santé du district de Perth, sa PMA s’étend au-delà de 1998. Toutefois, hormis la disposition et la clause, la rémunération supplémentaire reçue et la lettre de RHDCC datée du 25 août 2011, le demandeur n’a pas donné de justification pour expliquer pourquoi il croyait que le tribunal de révision avait mal calculé sa PMA. Le demandeur n’a pas fourni ses propres calculs à cet égard et n’a pas suggéré de date de fin de sa PMA. Il a uniquement mentionné que la PMA devrait prendre fin en 1998 ou à une date ultérieure qui n’est pas précisée. Comme le demandeur ne décrit pas d’erreur précise commise par le tribunal de révision, tout ce que je peux examiner dans le cadre de la demande de permission qu’il a présentée est la question de savoir si le tribunal de révision a erré en droit en ne tenant pas compte des dispositions relatives aux demandes tardives, de la clause d’exclusion pour élever des enfants ou de toute autre rémunération touchée dans le calcul de la PMA du demandeur.

[16] Voici l’historique des gains du demandeur :


Année

Rémunération / revenu imposable

Exemption de base en matière d’invalidité

Cotisations valides

1985

3 731 $

2 300 $

Oui

1986

4 449 $

2 500 $

Oui

1987

6 338 $

2 500 $

Oui

1988

0

2 600 $

Non

1989

0

2 700 $

Non

1990

0

2 800 $

Non

1991

0

3 000 $

Non

1992

0

3 200 $

Non

1993

0

3 300 $

Non

1994

0

3 400 $

Non

1995

0

3 400 $

Non

1996

0

3 500 $

Non

1997

0

3 500 $

Non

1998

0

3 600 $

Non

1999

0

3 700 $

Non

2000

12 182 $

3 700 $

Oui

2001

0

3 800 $

Non

2002

0

3 900 $

Non

2003

37 986 $

3 900 $

Oui

2004

32 032 $

4 000 $

Oui

2005

0

4 100 $

Non

2006

0

4 200 $

Non

2007

0

4 300 $

Non

2008

0

4 400 $

Non

2009

0

4 600 $

Non

2010

0

4 700 $

Non

[17] Le tableau ci-dessus montre aussi les années au cours desquelles le demandeur a fait des cotisations valides au Régime de pensions du Canada. Ainsi, il a fait des cotisations valides en 1985, 1986, 1987, 2000, 2003 et 2004.

[18] L’alinéa 44(2)b) du Régime de pensions du Canada précise la façon dont est calculée la PMA. Le calcul s’appuie en partie sur le moment où le demandeur a fait des cotisations valides au Régime de pensions du Canada.

[19] En l’espèce, le demandeur doit avoir fait des cotisations valides au Régime de pensions du Canada pendant au moins deux des trois années comprises dans la période allant de 1986 à 1988. Pendant ces années, le demandeur a versé des cotisations valides au Régime de pensions du Canada en 1986 et en 1987, de sorte qu’après le 31 décembre 1988, il a cessé de satisfaire aux exigences en matière de cotisations. En d’autres mots, la date de fin de sa PMA est le 31 décembre 1988. Le tribunal de révision devait être convaincu que le demandeur était invalide au plus tard le 31 décembre 1988, sans quoi il devait conclure que ce dernier n’était pas admissible à une pension d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada.

[20] Le demandeur fait valoir que les dispositions relatives aux demandes tardives devraient s’appliquer, ce qui prolongerait sa PMA. En fait, les dispositions en question ont bel et bien été appliquées dans le dossier du demandeur, puisqu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de cotisations au moment de la présentation de sa demande en juin 2010.

[21] Pour satisfaire aux exigences en matière de cotisations en vertu du Régime de pensions du Canada au moment de sa demande, le demandeur doit avoir versé des cotisations valides pendant au moins quatre des six dernières années civiles, ou trois des six dernières années, s’il a cotisé pendant au moins 25 ans. Il ne répondait à aucune de ces deux exigences, mais le tribunal de révision a appliqué les dispositions relatives aux demandes tardives afin de déterminer s’il aurait pu satisfaire aux exigences à un autre moment de sa période cotisable de façon à fixer une date pour la fin de sa PMA. Si le tribunal de révision n’avait pas appliqué les dispositions relatives aux demandes tardives, il n’aurait pas pu déterminer de date de PMA et il n’aurait même pas été nécessaire pour le tribunal de révision de se pencher sur la question de savoir si le demandeur pouvait être considéré comme invalide. J’estime donc sans fondement l’argument du demandeur selon lequel le tribunal de révision aurait dû appliquer les dispositions relatives aux demandes tardives pour calculer sa PMA, car il est manifeste que le tribunal l’a bel et bien fait.

[22] La question devient donc de savoir si le demandeur a pu versé des cotisations valides au Régime de pensions du Canada en plus de celles faites en 1985, 1986, 1987, 2000, 2003 et 2004, puisque de telles cotisations pourraient prolonger sa PMA.

[23] Le demandeur fait valoir qu’il a touché une rémunération supplémentaire du bureau de santé du district de Perth, ce qui prolongerait sa PMA. Toutefois, aucun élément de preuve ne montre à quel moment il a touché cette rémunération ni s’il a fait des cotisations valides au Régime de pensions du Canada en lien avec celle-ci. Comme le tribunal de révision ne disposait d’aucun élément de preuve attestant l’existence d’une rémunération supplémentaire et de cotisations valides, on ne peut affirmer que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en refusant de prolonger la PMA pour cette raison.

[24] Le demandeur fait valoir que le tribunal de révision n’a pas appliqué la clause d’exclusion pour élever des enfants pour prolonger sa PMA. La clause d’exclusion pour élever des enfants permet à un demandeur de soustraire à sa période cotisable un maximum de six ans par enfant, si les gains sont inférieurs à l’exemption de base de l’année ou à l’exemption de base de l’année pour l’invalidité. Les enfants du demandeur sont nés en 1993, 1996 et 2001. Même en tenant compte de la clause d’exclusion pour élever des enfants, la PMA du demandeur n’est pas prolongée. Un demandeur doit tout de même faire des cotisations valides au Régime de pensions du Canada pendant au moins la PMA. En l’espèce, le demandeur n’a tout simplement pas versé suffisamment de cotisations valides au Régime de pensions du Canada. Par conséquent, j’estime que le demandeur ne peut invoquer le motif selon lequel le tribunal de révision a commis une erreur en refusant de prolonger sa PMA pour cette raison.

Capacité de parler

[25] Le demandeur prétend que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en tenant compte de ses capacités cognitives et de sa capacité de parler plutôt que de se concentrer uniquement sur ses incapacités physiques.

[26] Pour évaluer si un demandeur est invalide au sens du Régime de pensions du Canada, un tribunal de révision doit tenir compte de l’avis et des dossiers des médecins et des autres spécialistes, mais il n’est pas forcé de se contenter d’examiner uniquement les diagnostics, symptômes et pronostics du demandeur. Ces éléments ne constituent qu’une partie du portrait global de la situation relative à l’invalidité du demandeur, et à elles seules, ne permettent pas de trancher la question de savoir si l’invalidité du demandeur est considérée comme grave. Le tribunal de révision peut prendre en compte de nombreux facteurs pour évaluer l’invalidité d’un demandeur.

[27] Un tribunal de révision veut nécessairement constater l’incidence de l’état de santé et des symptômes du demandeur sur ses activités quotidiennes, ses loisirs, sa vie sociale ainsi que sur son travail et ses activités bénévoles. Il se peut donc que le tribunal examine, entre autres choses, les capacités du demandeur par rapport à ses limitations fonctionnelles; qu’il cherche à savoir si ce dernier reçoit ou demande de l’aide pour l’exécution de ses tâches au travail, l’entretien ménager, les travaux ou les soins personnels; ou encore qu’il lui demande s’il a modifié sa façon de pratiquer certaines activités, s’il s’y adonne moins souvent ou s’il y a carrément renoncé. Un tribunal de révision pourrait aussi examiner les recommandations de traitement d’un demandeur, son historique de traitement, les démarches qui ont été faites pour atténuer son problème de santé ainsi que le type et le dosage des médicaments qu’il prend.

[28] De plus, dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, la Cour a jugé que même si une preuve médicale doit être présentée, ainsi que des preuves des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence de possibilités d’emploi, il était également possible de tenir compte de la situation particulière du demandeur pour évaluer son invalidité. La Cour s’est exprimé en ces termes :

« Chacun des mots utilisés au sous-alinéa [42(2)a)(i)] doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique […] que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le demandeur incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. […] il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du demandeur, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. »

[29] À mon avis, le tribunal de révision était tout à fait en droit de tenir compte de la situation particulière du demandeur, comme ses capacités cognitives et sa capacité de parler, pour déterminer s’il était capable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[30] J’estime donc que le demandeur ne peut invoquer le motif selon lequel le tribunal de révision a erré en droit en tenant compte de facteurs comme ses capacités cognitives et sa capacité de parler au lieu de se concentrer uniquement sur ses incapacités physiques lorsqu’il a déterminé s’il pouvait être considéré comme invalide au moment de sa PMA.

Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario

[31] La CSPAAT a déterminé que le demandeur était invalide et qu’il était donc admissible aux prestations de la CSPAAT, mais cette décision n’a rien à voir avec la détermination de l’admissibilité du demandeur à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et ne peut donc être un motif d’appel. Le tribunal de révision n’est lié par aucune des décisions de la CSPAAT ni d’ailleurs par celles d’aucun autre organisme. Le Régime de pensions du Canada définit l’invalidité de façon stricte et le demandeur doit tout de même démontrer qu’il est invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

Paragraphes 28, 29, 39, 40, 46, 48 et 49

[32] Même si le demandeur a désigné de nombreux paragraphes dans lesquels il estime que le tribunal de révision a commis diverses erreurs de droit ou tiré des conclusions de fait erronées, il n’a pas indiqué avec précision en quoi consistaient les erreurs qu’il reproche au tribunal de révision. Un demandeur doit éviter les généralités et énoncer clairement les erreurs que le tribunal de révision aurait commises. Il ne suffit pas, pour qu’une demande de permission soit acceptée, de faire des observations imprécises et sans aucun motif pour les appuyer. Je pourrais faire des suppositions sur les intentions du demandeur, mais ce serait injuste pour les deux parties. De un, c’est au demandeur qu’il incombe de préciser en quoi consiste l’erreur; de deux, il se pourrait que je sous-estime ou que je surestime grandement l’erreur présumée. Pour que je puisse déterminer si un appel a des chances raisonnables de succès lorsqu’un demandeur invoque une erreur de droit ou une conclusion de fait erronée, il faut que ce dernier, à tout le moins, désigne correctement l’erreur de droit ou la conclusion de fait qu’il estime fautive.

[33] De plus, si le demandeur soutient que des conclusions de fait erronées ont été tirées, il faudrait que je sois convaincue, dans le cadre de la présente demande de permission, que le tribunal de révision a bel et bien tiré les conclusions auxquelles le demandeur fait allusion.

[34] Je formulerai toutefois certains commentaires généraux au sujet de ces observations.

[35] Le demandeur mentionne que les paragraphes 28, 29 et 39 renferment des erreurs de droit ou des conclusions de fait erronées. Or, les paragraphes 28 et 29 résument la preuve dont le tribunal de révision a été saisi. On n’y trouve pas de conclusions de fait tirées par le tribunal de révision, de sorte que l’on ne peut affirmer que le tribunal de révision a tiré des conclusions de fait erronées dans ces deux paragraphes.

[36] Le paragraphe 39 renferme des observations formulées par l’intimé. Tout comme le demandeur, l’intimé est l’une des parties impliquées dans la demande. Le demandeur n’a pas fait la distinction entre l’intimé et le tribunal de révision. Il s’agit de deux entités distinctes. Le tribunal de révision est un tribunal administratif indépendant de toutes les parties, y compris l’intimé. Le tribunal de révision agit de manière indépendante et n’est lié par les observations d’aucune des parties qui comparaissent devant lui. Les moyens d’appel sont fondés sur des erreurs commises par le tribunal de révision, et pas par l’intimé, ni par aucune autre partie. Il n’est pas permis d’appeler de la décision d’un tribunal de révision simplement en s’appuyant sur des observations formulées par l’intimé.

[37] Dans le paragraphe 40 de sa décision, le tribunal de révision a décrit en quoi consistait la question qu’il devait trancher. Je comprends que le demandeur est d’avis que la PMA mentionnée par le tribunal de révision est incorrecte. J’ai traité de cette question ci-dessus.

[38] Les paragraphes 46, 48 et 49 énoncent certaines des conclusions tirées par le tribunal de révision. Le demandeur n’a désigné avec précision aucune conclusion de fait erronée. Je ne vais pas faire de suppositions sur les erreurs factuelles que le tribunal de révision pourrait avoir commises. Tant que les conclusions s’appuient sur des faits et à moins qu’elles ne renferment une erreur flagrante, je vais présumer que le tribunal de révision a tiré ses conclusions correctement, après avoir évalué et analysé la preuve. Si le demandeur est incapable de désigner avec précision une erreur dans les conclusions de fait, je ne vais pas intervenir dans la compétence du tribunal de révision de rendre une décision en s’appuyant sur la preuve dont il est saisi.

[39] On précise aussi au paragraphe 49 que [traduction] « une invalidité n’est grave que si elle rend l’appelant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».  L’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada précise qu’une invalidité n’est « grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Je ne constate aucune différence sensible entre la reformulation de la Loi présentée au paragraphe 49 de la décision et l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada qui constituerait un motif valable pour prétendre que le tribunal de révision a commis une erreur de droit.

[40] Ainsi, en ce qui concerne ces observations, j’estime que le demandeur ne peut invoquer le motif selon lequel le tribunal de révision aurait commis une erreur de droit ou tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Erreurs dans les conclusions de fait

La preuve

a. Occupation véritablement rémunératrice

[41] Le demandeur fait valoir que le tribunal de révision n’a pas correctement examiné la question de l’occupation véritablement rémunératrice lorsqu’il a déterminé si son invalidité pouvait être considérée comme grave. Le demandeur fait valoir que le tribunal de révision n’a pas tenu compte du fait que (1) il participait à un programme d’emploi financé par RHDCC en 2005 et que (2) toutes ses tentatives de retour au travail s’étaient soldées par une hospitalisation, (3) en plus d’entraîner une détérioration de son état de santé. Il a déposé des dossiers médicaux du service d’urgence pour les années 2002 et 2003 (voir pages 30 à 34 du dossier de demande de permission d’en appeler). Il fait valoir que ces dossiers médicaux témoignent de la détérioration de son état de santé.

[42] Or, le tribunal de révision a bel et bien tenu compte du fait qu’il participait à un programme d’emploi financé par RHDCC en 2005. En effet, au paragraphe 44 de sa décision, le tribunal précise ceci : [traduction] « Le prestataire a aussi essayé de suivre un programme de recyclage professionnel offert par RHDCC en 2005 ».

[43] En ce qui concerne les deux autres documents, un tribunal de révision n’est pas tenu de faire référence à tous les éléments de preuve dont il est saisi, et on peut présumer que le tribunal de révision a examiné l’ensemble de la preuve.

[44] Les cours fédérales se sont déjà prononcées, dans d’autres affaires, sur l’argument selon lequel les tribunaux de révision ou la Commission d’appel des pensions n’avaient pas examiné l’ensemble de la preuve. Dans l’arrêt Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, l’avocate de la demandeure faisait mention de rapports médicaux que la Commission d’appel des pensions avait, à son avis, ignorés, mal compris ou mal interprétés ou auxquels elle avait accordé trop de poids. La Cour d’appel a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la demandeure et tiré la conclusion suivante :

« Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée[…] »

[45] En s’appuyant sur l’arrêt Simpson, il est loisible àun tribunal de révision de passer au crible les faits pertinents, d’évaluer la qualité des éléments de preuve, de déterminer ceux qu’elle acceptera et qu’elle écartera et de décider de leur importance relative. Un tribunal de révision est en droit d’examiner les éléments de preuve dont il est saisi et d’y attacher l’importance qu’il estime juste, puis de rendre une décision en se fondant sur son interprétation et son analyse de ces éléments de preuve. Le tribunal de révision n’était pas tenu de faire mention de tous les éléments de preuve dont il était saisi, même si le demandeur croit que ces éléments de preuve auraient dû faire pencher la balance en sa faveur.

[46] J’ouvre une parenthèse pour souligner que le tribunal de révision a fait référence à la rémunération touchée par le demandeur après sa PMA, mais qu’il n’a pas précisé l’incidence de cette dernière sur la décision relative à la gravité de l’invalidité du demandeur. La rémunération du demandeur en 2003 et 2004 s’élevait à 37 000 $ et à 32 000 $, respectivement. La décision du tribunal de révision exprime donc implicitement que ce dernier a jugé que le demandeur détenait une occupation véritablement rémunératrice après la date de la fin de sa période minimale d’admissibilité : le demandeur aurait bien du mal à affirmer le contraire, surtout quand la preuve montre aussi que le demandeur travaillait à temps plein et manifestait une bonne assiduité au travail du 1er avril 2003 au 31 juillet 2004, ce que le tribunal de révision a aussi constaté. De plus, l’employeur du demandeur lui a offert un second contrat lorsque le premier a pris fin en juillet 2004. Le tribunal de révision était donc en droit de conclure que le demandeur détenait une occupation véritablement rémunératrice après la date de la fin de sa période minimale d’admissibilité, puisque la preuve était suffisante pour qu’il puisse tirer ces conclusions.

[47] Dans sa lettre datée du 25 mai 2010, le demandeur a indiqué qu’il avait détenu une occupation véritablement rémunératrice pour la dernière fois en 2005. Dans son questionnaire daté du 25 mai 2010, le demandeur a affirmé qu’il n’était plus en mesure de travailler à compter du 1er janvier 2000. Or, le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2005 sont deux dates qui ne sont pas comprises dans la PMA. Je ne saurais dire si le tribunal de révision ou l’intimé ont interrogé le demandeur et cherché à obtenir des éclaircissements sur ces éléments bien précis.

[48] Si le demandeur demande que je réévalue la preuve et rende une décision qui lui est favorable, je ne suis pas en mesure de le faire, puisque je dois déterminer si l’une ou l’autre des raisons pour lesquelles il veut en appeler cadrent avec l’un des moyens d’appel et déterminer ensuite si l’un des moyens d’appel présente une chance raisonnable de succès. La demande de permission ne constitue pas une occasion de réévaluer la preuve ou de réentendre la demande pour déterminer si le demandeur est invalide aux termes du Régime de pensions du Canada.

[49] J’estime donc que le demandeur ne peut invoquer le motif selon lequel le tribunal de révision a commis une erreur en n’examinant pas correctement la question de savoir s’il détenait une occupation véritablement rémunératrice.

b. Avis d’experts et témoignage des témoins

[50] Le demandeur fait valoir que le tribunal de révision n’a pas fait référence à certains éléments de preuve cruciaux de nature médicale, à certains avis d’experts et aux témoignages de la famille et des amis proches, ou bien n’en a pas tenu compte, lorsqu’il a déterminé si l’invalidité du demandeur était grave et prolongée.

[51] Le demandeur était particulièrement préoccupé par le fait que le rapport médical du Dr Ford daté du 2 février 2011 n’ait pas été versé au dossier au début du processus. Si j’ai bien compris le demandeur, il soutient que le tribunal de révision n’a pas assez eu l’occasion d’examiner le rapport du Dr Ford, qui était, selon lui, d’une importance cruciale pour déterminer si son invalidité était grave et prolongée.

[52] Je souligne une fois de plus que le tribunal de révision a bel et bien fait référence au rapport du Dr Ford daté du 2 février 2011 au paragraphe 35 de sa décision.

[53] À mon avis, même si le rapport du Dr Ford daté du 2 février 2011 a été versé au dossier de façon tardive, le tribunal de révision avait tous les rapports à sa disposition à la suite de l’audience et a bel et bien eu l’occasion de les examiner et d’en tenir compte dans ses délibérations et, ultimement, pour parvenir à sa décision.

[54] Même si le demandeur est d’avis que le tribunal de révision aurait dû accorder davantage d’importance à certains éléments de preuve de nature médicale, à certains avis d’experts et aux témoignages de la famille et des amis proches, il ne précise pas sur quels éléments de preuve précis le tribunal de révision aurait dû se pencher davantage (à part le rapport médical du Dr Ford du 2 février 2011). Si un demandeur veut obtenir une permission d’en appeler, il lui faut être plus précis au sujet des éléments de preuve qui n’ont pas été pris en compte à son avis.

[55] Cela dit, comme je l’ai indiqué précédemment, il était loisible au tribunal de révision d’évaluer la qualité des éléments de preuve et de déterminer lesquels, le cas échéant, il acceptait ainsi que leur importance respective afin de rendre sa décision. Le tribunal de révision n’était pas tenu de mentionné tous les éléments de preuve qui ont guidé sa décision. Le tribunal de révision a souligné que le dossier d’appel renfermait de nombreux dossiers médicaux et qu’il les avait tous examinés en détail. Le tribunal de révision a brièvement résumé beaucoup des rapports médicaux et a conclu que ceux-ci ne renfermaient que bien peu d’information sur la nature exacte de l’invalidité du demandeur au moment de sa PMA en 1988.
[56] J’estime donc que le demandeur ne peut invoquer le motif selon lequel le tribunal de révision a commis une erreur en n’examinant pas correctement les les avis d’experts et le témoignage des témoins.

Manquement aux principes de justice naturelle – Discrimination systémique et résultat injuste

[57] Le demandeur n’affirme pas explicitement que le tribunal de révision n’a pas respecté un principe de justice naturelle ou qu’il n’a pas reçu une audience équitable, mais il fait valoir que le Régime de pensions du Canada est discriminatoire, puisque toutes les personnes de 21 ans et moins ne sont pas admissibles au prestations d’invalidité. Cette observation est purement spéculative et n’est d’aucune pertinence particulière pour le demandeur, et je n’ai pas à m’y attarder pour les besoins de la présente demande de permission d’en appeler.

[58] Le demandeur fait valoir que le résultat de la décision est injuste et qu’il devrait avoir droit aux prestations d’invalidité étant donné qu’il a cotisé au Régime de pensions du Canada pendant six ans.

[59] Dans la décision Miceli-Riggins c. Procureur général du Canada, 2013 CAF 158, la Cour d’appel fédérale a examiné les objectifs du Régime de pensions du Canada. La Cour s’est exprimée en ces termes :

[69] […] Le Régime n’est pas censé satisfaire les besoins de tout le monde. C’est plutôt un régime contributif qui remplace en partie des revenus dans certaines circonstances définies de façon technique. Il est conçu pour être complété par les régimes de pension privés, l’épargne privée, ou les deux. Voirl’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 9.

[70] En fait, on ne peut même pas dire du Régime qu’il vise à accorder des prestations à tels ou tels groupes démographiques. Il convient plutôt de le considérer comme une assurance obligatoire basée sur des cotisations et un régime de pension conçu pour fournir une certaine aide – loin d’être complète – aux personnes qui répondent à des critères de qualification techniques.

[71] Tout comme dans un régime d’assurance, les prestations sont payables en fonction de critères d’admissibilité hautement techniques.

. . .

[74] Pour reprendre les termes de la Cour suprême :

Le [Régime] est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. Il s’agit non pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un demandeur.

(arrêt Granovsky, précité, au paragraphe 9)

(souligné par mes soins)

[60] Les prestations d’invalidité ne sont pas offertes à tous ceux qui ont une invalidité. Il est évident qu’un demandeur doit répondre à certains critères pour avoir droit aux prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Le fait que celui-ci ait fait des cotisations valides au Régime de pensions du Canada ne revêt, à lui seul, aucune importance, et il en va de même pour l’incidence de la décision du tribunal de révision pour le demandeur et sa famille. En effet, pour être admissible aux prestations d’invalidité, le demandeur devait répondre à ces critères très techniques.  Or, le tribunal de révision a déterminé qu’il ne répondait pas à ces critères. Le Régime de pensions du Canada ne permet pas à un tribunal de révision de tenir compte de l’incidence de ses décisions sur l’une ou l’autre des parties en cause et ne lui confère aucune latitude qui lui permettrait de tenir compte de facteurs autres que ceux du Régime de pensions du Canada pour décider si un demandeur est invalide au sens où l’entend cette Loi. Par conséquent, on ne peut affirmer que le tribunal de révision n’a pas observé un principe de justice naturelle ou qu’il a excédé ou refusé d’exercer sa compétence.

Conclusion

[61] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

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