Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  • Appelante : S. W.
  • Représentant de l’appelante : Jim Franklin
  • Témoin de l’appelante : J. W.
  • Avocat de l’intimé : Hasan Junaid
  • Témoin de l’intimé : Dre Micheline Bégin
  • Observateur : Dallas Yuan

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Introduction

[2] Le 20 septembre 2012, un tribunal de révision a déterminé qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (la « Loi ») ne doit pas être payée à l’appelante.

[3] L’appelante avait originalement présenté à la Commission d’appel des pensions (« CAP ») une demande de permission d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision (« Demande de permission d’en appeler ») le 27 décembre 2012.

[4] En application de l’article 260 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, cette demande de permission d’en appeler a été transférée à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») le 1er avril 2013, et la permission d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision a été accordée par la division d’appel du Tribunal le 6 mai 2013.

[5] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience par comparution en personne des parties pour les raisons énoncées dans l’Avis d’audience daté du 6 janvier 2014.

Droit applicable

[6] Par souci d’équité, le présent appel sera examiné en fonction des attentes légitimes de l’appelante au moment du dépôt de sa demande de permission d’en appeler devant la CAP. Pour cette raison, la décision visant à déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès sera rendue sur la base d’un appel de novo en application du paragraphe 84(1) du Régime de pensions du Canada (la « Loi ») dans sa version antérieure au 1er avril 2013.

[7] L’alinéa 44(1)b) de la Loi énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui :

  1. a) n’a pas atteint l’âge de 65 ans;
  2. b) ne touche pas de pension de retraite du Régime de pensions du Canada;
  3. c) est invalide;
  4. d) a versé des cotisations valides au Régime de pensions du Canada pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[8] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’invalidité ou avant cette date.

[9] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée être atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

[10] Le paragraphe 44(2) de la Loi prévoit qu’aux fins de l’admissibilité à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, une personne peut faire prolonger sa période cotisable si elle était bénéficiaire d’une allocation familiale à l’égard d’un enfant pour la période allant de sa naissance jusqu’au moment où l’enfant atteint l’âge de sept ans.

Question en litige

[11] La date de la période minimale d’invalidité n’est pas contestée, puisque les parties conviennent et que le Tribunal conclut que la date de la fin de la période minimale d’invalidité de l’appelante est une date future en application du paragraphe 44(2) de la Loi (clause d’exclusion pour élever des enfants) et en tenant compte du nombre d’années de cotisations valides de l’appelante.

[12] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si l’appelante était vraisemblablement atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience ou avant cette date.

Preuve

[13] L’appelante avait 38 ans, en date de l’audience. Elle a terminé ses études secondaires. Elle a indiqué, lors de son témoignage, qu’elle a obtenu un diplôme de réceptionniste médicale, mais qu’elle n’a jamais occupé d’emploi dans ce domaine. L’appelante a également obtenu un certificat en perçage corporel, et elle a travaillé dans ce domaine de 2005 jusqu’à août 2007. Elle a quitté cet emploi en raison d’une grossesse et de maux de dos chroniques. L’appelante n’a occupé aucun emploi rémunéré depuis ce temps. Pour cette raison, sa famille se trouve dans une situation financière difficile.

[14] L’appelante dit souffrir de lombalgie, de douleurs musculosquelettiques généralisées et d’agoraphobie, des affections qui, selon elle, la rendent invalide aux termes de la Loi. Dans sa demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pension du Canada, l’appelante a écrit que lorsqu’elle est en position debout, il lui faut prendre appui sur quelque chose, et elle ne peut marcher sur une distance plus longue qu’un pâté de maisons. Il lui est plus difficile de marcher lorsque le sol est irrégulier. Elle utilise un fauteuil roulant lorsqu’elle sort de la maison, affirmant, lors de son témoignage, que cela est très dur pour sa fierté car elle n’aime pas être vue en fauteuil roulant. Elle évite de se pencher et ne peut rien atteindre qui se trouve au dessous de la taille.

[15] Lors de son témoignage, l’appelante a décrit comment se déroule une journée typique. Elle n’a pas un sommeil réparateur. Elle se lève à 7 h 25 du matin pour aider son plus jeune fils à s’habiller pour l’école. Son mari prépare les collations et le repas du midi des enfants et fait toutes les autres tâches requises pour que les enfants puissent partir pour l’école. Après le départ des enfants, l’appelante se repose et attend que ses médicaments pour la douleur agissent. Elle lave ensuite la vaisselle. L’appelante fait des travaux ménagers légers, surtout des tâches qu’elle peut accomplir au niveau du comptoir. L’appelante fait des étirements à différents moments de la journée en vue de réduire quelque peu la douleur.

[16] L’appelante a expliqué que son mari et elle préparent ensemble le souper. Tous les jours, l’appelante prend un bain chaud pendant environ une heure après le souper, après quoi elle se retire pour la nuit. Un matelas lui a été donné, qui rend son sommeil plus confortable. Son lit est équipé de ridelles, qui l’aident à se retourner ou à se déplacer dans le lit. L’appelante se déplace en fauteuil roulant lorsqu’elle quitte la maison, sa salle de bain est munie de barres d’appui et d’une chaise élévatrice pour baignoire et elle utilise de longues pinces pour atteindre des objets hors de sa portée. La présence de ces appareils fonctionnels a été confirmée par une ergothérapeute que l’appelante a consultée.

[17] L’appelante a aussi déclaré lors de son témoignage que l’une des seules choses qu’elle peut faire pour son plus jeune fils (âgé de cinq ans) est de l’aider à s’habiller le matin. Elle tient à s’en occuper personnellement pour le sentiment d’utilité qu’elle en retire. Le soir, avant que son fils ne se couche pour la nuit, l’appelante ou son mari lui lisent une histoire.

[18] En 2012, l’appelante a essayé de travailler comme bénévole à raison de deux heures par semaine, à aider les gens à se servir de l’ordinateur. C’est un travail bénévole qu’elle faisait par téléphone à partir de chez elle. Elle a déclaré qu’elle n’a pas pu continuer à faire ce travail car elle ne pouvait rester en position assise pendant deux heures.

[19] L’appelante a été soignée par un bon nombre de professionnels de la santé. Lors de son témoignage, elle a dit qu’il lui était très difficile d’obtenir de son médecin de famille qu’il l’adresse à un spécialiste pour une consultation. Elle a récemment appris par elle même qu’il existait un programme pour les personnes aux prises avec des maladies chroniques et a demandé à son médecin de l’adresser à ce programme. Au bout d’une attente d’environ 18 mois, elle a pu parler à une travailleuse sociale qui s’occupe du programme, qui l’a mise sur une liste d’attente en vue d’une consultation avec un spécialiste de la douleur approprié à son cas. Elle a dit que 145 personnes la précèdent sur cette liste d’attente.

[20] L’appelante a expliqué qu’à l’âge de neuf ans elle a fait une chute et qu’elle a mal au dos depuis. À l’âge adulte, elle a consulté un neurochirurgien, le Dr Chan. Dans un rapport daté du 3 décembre 2003, celui ci indique qu’en novembre 2002, l’appelante a commencé à ressentir une douleur au dos qui irradiait dans la jambe gauche jusqu’aux orteils, accompagnée d’engourdissement et de faiblesse. Des traitements de physiothérapie n’ayant rien donné, le Dr Chan a recommandé une discectomie. Cette intervention a eu lieu le 3 février 2004.

[21] Suivant la chirurgie, le Dr Chan a rédigé des rapports en février et mars 2004. Il y confirme que l’intervention a été un succès et recommande à l’appelante de faire des exercices et des étirements.

[22] L’appelante a indiqué, lors de son témoignage, que l’intervention a permis d’enrayer la douleur et l’engourdissement qu’elle ressentait dans la jambe gauche. L’intervention n’a pas atténué sa douleur au dos, pas plus qu’elle n’était censée le faire.

[23] L’appelante est vue par le Dr Barclay, son médecin de famille, depuis des années. Dans un rapport daté du 6 mai 2010, celui ci indique que l’appelante souffre de dorsalgie chronique depuis la discectomie. Il lui prescrit du Percocet et note que l’appelante n’a, par le passé, tiré aucun bénéfice des traitements de physiothérapie et de chiropratique qu’elle a reçus. Il en conclut que le pronostic est réservé, indiquant qu’il pourrait ne pas y avoir de remède à la dorsalgie de l’appelante, mais espérant qu’elle trouve un moyen de composer avec sa douleur.

[24] Le 15 février 2012, le Dr Barclay écrit que l’appelante a une capacité de travailler qui est grandement limitée.

[25] L’appelante a consulté le Dr Filbey, qui a produit un rapport daté du 6 août 2010. Il y mentionne que l’appelante souffre de lombalgie et de douleur projetée dans la jambe gauche. Ses symptômes s’accentuent le soir et sont aussi exacerbés par des mouvements ou une position prolongée. L’appelante lui donne l’impression d’avoir une lombalgie chronique avec sensibilisation centrale et un mauvais sommeil chronique.

[26] L’appelante a également consulté une ergothérapeute, Mme Anderson. Dans un rapport daté du 12 décembre 2012, celle ci rapporte que l’état de santé de l’appelante a un impact notable sur sa capacité de fonctionner pleinement au niveau familial et sur son accès aux services et activités communautaires. L’appelante a de la difficulté à s’habiller, surtout en ce qui concerne ses membres inférieurs; de même, elle s’assoit pour faire sa toilette personnelle, utilise un tabouret lorsqu’elle est dans la cuisine et ressent de la douleur lorsqu’elle transporte un panier à linge. Elle ne peut se pencher pour ramasser un objet et elle chuté à deux reprises au cours des six mois précédents.

[27] L’appelante a déclaré lors de son témoignage que bien qu’elle en ait fait la demande à son médecin de famille, elle n’a pas été adressée à un rhumatologue. Les notes cliniques du Dr Barclay figurent également à la pièce 1. On y lit que le 24 juillet 2009, le Dr Barclay a indiqué qu’une infirmière en santé publique lui avait demandé si l’appelante avait une dépression post partum, que l’appelante avait des crises de panique et était très agoraphobe. L’appelante a expliqué lors de son témoignage qu’à la suite de son accouchement d’un enfant mort né au début de 2008, qu’elle a eu recours à du counselling pour personnes endeuillées. Elle a appris des « trucs » pour composer avec le stress et l’anxiété, qu’elle essaie de mettre en pratique encore aujourd’hui. Elle n’a plus de crises de panique comme elle avait auparavant.

[28] L’appelante a aussi dit qu’elle même et sa famille ont eu recours à du counselling familial et qu’ils ont bénéficié de l’aide d’un conseiller familial jusqu’en décembre 2013.

[29] L’appelante a déclaré qu’elle a essayé plusieurs antidépresseurs. Ces divers médicaments ont entraîné des effets secondaires importants, notamment une prise de poids de 60 livres. Ces médicaments la rendaient « incohérente » dans ses rapports avec ses enfants, ce qui était inacceptable à ses yeux.

[30] J. W., le mari de l’appelante, a aussi témoigné à l’audience. Il a déclaré qu’il connaissait l’appelante depuis qu’elle avait 13 ans. Alors qu’ils étaient tous deux élèves à l’école, l’appelante ne participait à aucun sport ni n’allait aux cours d’éducation physique en raison de son dos. Après la fin de leurs études secondaires, ils se sont perdus de vue jusqu’en 2007, année où ils ont commencé à faire vie commune. Monsieur W. a déclaré que l’appelante travaillait alors les fins de semaine comme perceuse. En 2007, il a convaincu l’appelante de cesser de travailler pendant sa grossesse puisque celle ci avait trop de difficulté à exécuter son travail et à faire le trajet entre Salt Spring Island et Maple Ridge, en Colombie Britannique, pour y travailler les fins de semaine.

[31] Monsieur W. a également déclaré qu’il a vu les capacités physiques de l’appelante décliner au cours des sept dernières années. Elle ne peut plus nettoyer la maison ni s’occuper des enfants. C’est lui qui accomplit ces tâches; de même, il fait l’épicerie seul 95 % du temps. Les autres fois, il amène l’appelante avec lui à l’épicerie. Répondant à des questions lors de l’audience, Monsieur W. a déclaré que l’appelante lave la vaisselle à l’occasion et plie du linge à hauteur du comptoir. Il met le linge dans la laveuse et la sécheuse et l’aide à plier le linge. Lui, l’appelante et leurs quatre enfants vivent dans une maison de deux étages. L’appelante a beaucoup de difficulté à monter l’escalier et elle ne le fait que pour aller dormir la nuit.

[32] La Dre Bégin a témoigné à l’audience pour l’intimé. Elle a été acceptée comme témoin expert en médecine générale. Elle a examiné la preuve médicale dans ce dossier afin de se faire une opinion.

[33] La Dre Bégin a déclaré que la discectomie effectuée en 2004 visait à remédier à la douleur que l’appelante avait à la jambe gauche et non pas celle qu’elle avait au dos. C’est effectivement ce que l’intervention a permis de faire. À son avis, lorsque le Dr Barclay a écrit que l’intervention au dos réalisée en 2004 avait échoué, il était dans l’erreur.

[34] La Dre Bégin a aussi déclaré que l’appelante souffre de dorsalgie de type mécanique, c’est à dire de douleur aux muscles et aux ligaments entourant l’os. L’appelante a reçu des traitements de physiothérapie et de chiropratique. Elle a reçu des injections d’anesthésie tronculaire et prend des antidouleurs narcotiques.

[35] La Dre Bégin a déclaré que le Dr Filbey a écrit que l’appelante souffre de dorsalgie chronique et de sensibilisation centrale. Elle explique que cela signifie que l’appelante est plus sensible à sa douleur au dos en raison de son état.

Observations

[36] L’appelante soutient qu’elle est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) elle a travaillé jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus continuer et travaillerait aujourd’hui si elle le pouvait;
  2. b) elle ne peut pas travailler et nécessite même de l’aide pour accomplir ses activités de la vie quotidienne;
  3. c) elle a essayé divers modes de traitement, mais ils n’ont pas permis de la soulager.

[37] L’intimé soutient que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) la situation financière de l’appelante n’est pas un facteur pertinent;
  2. b) l’appelante n’a présenté aucun élément de preuve d’ordre médical faisant état d’une affection grave, et les éléments de preuve portant sur sa douleur ne sont pas suffisants pour qu’elle soit déclarée invalide;
  3. c) l’appelante n’a pas officiellement reçu de diagnostic d’agoraphobie ni n’a officiellement été traitée pour cela.

Analyse

[38] L’appelante doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience ou avant cette date.

Caractère grave

[39] La gravité de l’invalidité doit être évaluée dans un contexte « réaliste » (Villani c. Canada (PG), 2001 CAF 248). Cela signifie que pour évaluer la capacité de travailler d’une personne, le Tribunal doit tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. L’appelante est jeune, ayant 38 ans au moment de l’audience. Elle a terminé ses études secondaires et a un diplôme collégial de réceptionniste médicale. Elle n’a aucune expérience de travail dans ce domaine. Son expérience de travail se limite au perçage corporel, travail pour lequel elle a obtenu un certificat. J’estime donc qu’elle a peu de compétences de travail transférables qui lui permettraient de trouver d’autre type de travail.

[40] L’appelante dit souffrir d’agoraphobie. Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle ne sort pas de chez elle en raison de problèmes de mobilité et du fait qu’elle ne veut pas qu’on la voie en fauteuil roulant. Le Dr Barclay, le médecin de famille de l’appelante, l’a décrite dans une note clinique comme étant « très agoraphobe ». Aucun élément de preuve n’indique qu’elle a fait l’objet d’une évaluation ou d’un diagnostic officiel d’agoraphobie. De même, aucun élément de preuve n’indique qu’elle a été adressée à un spécialiste, quel qu’il soit, pour traiter cette affection.

[41] Bien que l’appelante n’ait pas eu recours à des soins de santé mentale expressément pour l’agoraphobie, elle a déclaré dans son témoignage que, de 2008 jusqu’en décembre 2013, elle a pris part à des séances de consultation pour personnes endeuillées et de counselling familial. Elle applique des « trucs » qu’elle a appris de ce conseiller pour composer avec les crises de panique et l’anxiété. Je ne suis pas convaincue selon la prépondérance des probabilités que l’appelante a une maladie mentale « grave » au sens de la Loi.

[42] L’appelante souffre manifestement de douleur. Les rapports médicaux présentés à l’audience font état d’une lombalgie (douleur dans le bas du dos). Toutefois, à l’audience l’appelante a dit que la douleur est présente dans tout le corps. Elle a récemment été adressée à un programme à l’intention de personnes aux prises avec une maladie chronique ou la fibromyalgie pour une évaluation plus approfondie, une démarche actuellement en cours. Elle a demandé à voir un rhumatologue, mais son médecin n’y a pas donné suite.

[43] L’avocat du ministre a fait valoir que l’appelante n’est pas atteinte d’invalidité puisqu’aucun élément de preuve ne démontre qu’elle a une affection médicale grave. L’avocat fonde son raisonnement sur l’arrêt Ministre du Développement des ressources humaines c. Angheloni 2003 CAF 140, dans lequel la Cour d’appel fédérale a établi que les souffrances de l’appelante ne constituent cependant pas un élément sur lequel repose le critère de l’« invalidité ». Dans cette affaire, l’appelante souffrait d’affections médicales qui avaient été diagnostiquées sur la foi de tests objectifs. Au contraire, dans le cas qui nous occupe l’appelante souffre de douleur. La douleur ne peut être mesurée de façon objective comme on le ferait pour mesurer la force de préhension d’une personne ou le taux de certains éléments dans le sang. Il n’existe pas de test médical pour la douleur. La douleur est vécue de façon différente d’une personne à l’autre. Par conséquent, en ce qui a trait à la douleur dont souffre l’appelante, je dois me fonder sur la description qu’en ont faite les professionnels de la santé ainsi que sur les témoignages subjectifs entendus à l’audience.

[44] Je suis d’avis que l’appelante était un témoin crédible. Elle a livré un témoignage franc et sans détour. Ses propos lors du témoignage concordaient avec les renseignements qu’elle avait fournis dans sa demande pour une pension d’invalidité du Régime de pension du Canada. Monsieur W. a témoigné à l’audience avant l’appelante et la description qu’il a faite de la douleur de l’appelante concorde avec celle qu’en a donnée l’appelante elle même.

[45] En outre, je trouve convaincant le raisonnement formulé par la Commission d’appel des pensions dans l’affaire Ministre des ressources humaines c. Hounsell (18 septembre 2000, CP 10061). Dans cette affaire, la Commission a conclu que même si le Règlement sur le Régime de pensions du Canada exige qu’un requérant fournisse des renseignements sous forme d’éléments de preuve médicale, ni la Loi ni le Règlement ne prévoient que l’admissibilité à une pension d’invalidité soit limitée aux demandeurs qui fournissent « des preuves médicales objectives » de leur état. En l’espèce, la preuve médicale établit clairement que l’appelante souffre de maux de dos, et qu’elle en souffre depuis longtemps. Cette douleur persiste malgré que divers traitements aient été tentés.

[46] Je conclus que l’appelante souffre de douleur grave. Des antidouleurs narcotiques lui ont été prescrits pour traiter la douleur. Tous les jours, elle s’assoit sur son divan et attend que le médicament soulage sa douleur. Même à ce moment, elle ne peut effectuer ses tâches que sur le comptoir. Elle parvient à laver un peu de vaisselle, à habiller son fils et à préparer certains repas. Elle peut plier du linge avec de l’aide.

[47] L’appelante a besoin d’un fauteuil roulant lorsqu’elle se déplace à l’extérieur de la maison. Un matelas lui a été donné. Sa maison est équipée d’appareils et d’accessoires fonctionnels divers, notamment des barres d’appui et une chaise élévatrice pour baignoire.

[48] L’appelante s’est conformée aux traitements médicaux. Elle a participé pendant plusieurs années à des séances de counselling pour divers problèmes. Elle a suivi des traitements de physiothérapie et de chiropratique et a reçu des injections d’anesthésie tronculaire. Elle a demandé à être dirigée vers des spécialistes. Sa démarche la plus récente concerne un programme à l’intention de personnes aux prises avec une maladie chronique.

[49] L’appelante a déclaré lors de son témoignage qu’elle se trouve dans une situation financière difficile. L’avocat du ministre a fait valoir que la situation financière difficile de l’appelante n’est pas une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne est invalide aux termes de la Loi. Dans la décision Carter c. Procureur général du Canada (2008 CF 1046), la Cour fédérale a confirmé ce principe et je suis liée par cette décision. Par conséquent, malgré la sympathie que m’inspire la situation financière de l’appelante, ce facteur n’entre pas en considération dans la décision que je suis appelée à rendre.

[50] La Cour d’appel fédérale a établi que lorsqu’il y a des preuves de capacité de travail, un demandeur doit démontrer que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé (Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117). Je suis d’avis que l’appelante n’a aucune capacité de travail, compte tenu de son invalidité. Toutefois, même si j’étais dans l’erreur sur cette question, je suis d’avis que l’appelante a démontré qu’elle ne peut conserver un emploi en raison de son invalidité. Elle a travaillé chez elle comme bénévole à raison de deux heures à la fois afin d’aider les gens à se servir de l’ordinateur. Elle a dû cesser de faire ce travail car elle ne pouvait pas maintenir la même position aussi longtemps. Cela démontre clairement que l’appelante ne pouvait pas conserver un emploi, même bénévole, malgré des conditions d’exécution souples, comme travailler depuis chez elle et choisir à quel moment faire ce travail. Aucun emploi rémunéré dans le marché du travail ne pourrait lui offrir des conditions aussi souples.

Caractère prolongé

[51] Je suis d’avis que l’appelante a une invalidité prolongée. Elle a des douleurs au dos depuis l’âge de neuf ans. La douleur est maintenant intense. Comme elle l’a fait par le passé, l’appelante cherche encore un traitement pour la douleur, mais toujours sans succès. Aucun élément de preuve d’ordre médical ou subjectif ne laisse entrevoir que sa douleur pourra être soulagée à l’avenir.

Conclusion

[52] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en janvier 2009, lorsque, suite à la naissance de son dernier enfant, elle a été incapable de s’occuper de lui. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) de la Loi). La demande a été reçue en mai 2010; par conséquent, l’appelante est réputée invalide depuis février 2009. Selon l’article 69 de la Loi, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité réputée. Les paiements commenceront en juin 2009.

[53] L’appel est accueilli.

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