Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée devant la division générale.

Introduction

[2] L’appelant a terminé ses études secondaires et a occupé plusieurs emplois. Il a également suivi de nombreux cours de formation dans le but, notamment, de pouvoir trouver différents emplois. La dernière fois que l’appelant a travaillé remonte à 2009. Il allègue qu’il a cessé de travailler parce qu’il est devenu invalide, au sens du Régime de pensions du Canada, en raison de douleurs chroniques, de maux aux jambes et d’une lésion d’un nerf du bras droit. Le tribunal de révision a conclu que l’appelant n’était pas invalide avant que sa période minimale d’admissibilité (PMA) prenne fin le 31 décembre 2009. Une permission d’appeler de cette décision devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale lui a été accordée.

[3] L’appelant soutient que le tribunal de révision a commis des erreurs de fait concernant ses activités professionnelles et éducatives, ainsi que le travail qu’il projetait de faire s’il touchait une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il affirme aussi que le tribunal de révision n’a pas pris en considération le dysfonctionnement du nerf cubital de son bras droit. Enfin, l’appelant demande à présenter de nouveaux éléments de preuve lors de l’audience d’appel.

[4] Pour répondre à cet argument, l’intimé soutient que les erreurs commises par le tribunal de révision n’étaient pas importantes et qu’elles ne rendaient pas la décision déraisonnable. Il précise toutefois que le tribunal de révision avait pris en considération tous les troubles médicaux de l’appelant, y compris le dysfonctionnement du nerf cubital. Subsidiairement, il indique que, si cette affection n’a pas été prise en compte, il ne s’agit pas d’une erreur, car le dysfonctionnement du nerf cubital n’a été diagnostiqué pour la première fois qu’après que la PMA a pris fin. Enfin, l’intimé soutient que les nouveaux éléments de preuve ne devraient pas être pris en considération.

Analyse

Norme de contrôle

[5] L’intimé soutient que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par la division générale du Tribunal est celle de la décision raisonnable. L’appelant n’a déposé aucune observation concernant cette question. La décision de principe qui se rapporte à cette question est la décision Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada avait conclu que, lorsqu’il faut examiner une décision concernant des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit et des questions de droit se rapportant à la loi habilitante du tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est‑à‑dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. J’estime que les observations détaillées de l’intimé concernant cette question constituent un exposé du droit pertinent et je conclus que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[6] Dans la présente affaire, la norme de contrôle doit être appliquée aux trois questions suivantes : déterminer si le tribunal de révision a commis les erreurs de fait alléguées concernant la capacité de travailler de l’appelant; déterminer s’il a pris en considération le dysfonctionnement du nerf cubital de l’appelant; et déterminer si les motifs donnés par le tribunal de révision dans cette décision sont suffisants. Enfin, j’ai examiné la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve pouvaient être présentés lors de l’audience d’appel.

Erreurs de fait

[7] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (ci‑après « la Loi ») énonce les moyens d’appel qui peuvent être examinés par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (voir l’annexe en pièce jointe). Un de ces moyens d’appel consiste à invoquer le fait que le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] L’appelant soutient premièrement que le tribunal de révision a commis une erreur de ce genre, car il a mal interprété la preuve présentée par l’appelant concernant sa capacité de travailler. Selon la décision du tribunal de révision, l’appelant passait son temps à effectuer des travaux sur son bateau. L’appelant affirme qu’il avait seulement voulu dire qu’il s’occupait à concevoir des bateaux [traduction] « dans sa tête », mais qu’il ne pouvait effectuer aucuns travaux physiques sur un bateau. De la même façon, il est indiqué dans la décision du tribunal de révision que, si une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada était accordée à l’appelant, ce dernier allait s’établir sur l’île de Vancouver pour réparer des petits moteurs et des freins. L’appelant soutient qu’il a déclaré qu’il réfléchissait à une façon de concevoir un système de freinage qui n’a pas à être actionné à la main pour un vélo couché. Il n’a rien réalisé de concret à cet égard. L’appelant allègue que le tribunal de révision a fondé sa décision sur ces erreurs et que celle‑ci est donc déraisonnable.

[9] À l’inverse, l’intimé soutient que même si ces erreurs factuelles avaient été commises, elles n’auraient eu aucune incidence sur l’issue de la décision, car le tribunal de révision s’était fondé sur plusieurs autres facteurs pour rendre sa décision, notamment le niveau de scolarité de l’appelant, ses divers antécédents professionnels et la preuve médicale. Il affirme que la décision du tribunal de révision ne découlait pas de conclusions de fait qui auraient été tirées par erreur; elle n’était pas déraisonnable et devrait être maintenue.

[10] Je ne disposais d’aucune transcription ni d’aucun document de l’audience devant le tribunal de révision que j’aurais pu examiner. Après avoir entendu les arguments des parties et examiné les documents versés au dossier d’appel, je constate que le tribunal de révision a tiré des conclusions de fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans la décision du tribunal de révision, l’appelant est décrit comme une personne qui mène une vie active, qui travaille sur un bateau presque tous les jours et qui veut aller s’établir sur l’île de Vancouver pour effectuer des travaux de génie mécanique et réparer des voitures, des affirmations qui, selon l’appelant, ne concordent pas avec son témoignage. Il ressort à la lecture de la décision que ces conclusions de fait étaient importantes et que le tribunal de révision devait en tenir compte pour rendre sa décision. Par conséquent, si ces conclusions de fait ont été tirées par erreur, la décision serait alors déraisonnable.

[11] L’appelant soutient également que le tribunal de révision n’a pas pris en compte le fait qu’il était atteint d’un dysfonctionnement du nerf cubital. Il affirme que cette affection était présente avant que sa PMA prenne fin et que cette information est donc pertinente. Il allègue aussi qu’on ne devrait pas lui reprocher de ne pas avoir présenté de rapports médicaux en temps opportun pour étayer sa demande, puisqu’il n’avait pas de médecin de famille avant que sa PMA prenne fin.

[12] L’intimé soutient que le tribunal de révision a dû prendre en considération l’affection de l’appelant, puisque la décision contient notamment le résumé d’un autre rapport du Dr McLean, qui a diagnostiqué le dysfonctionnement du nerf. Subsidiairement, le tribunal de révision s’est fondé sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Simpson c. Canada (Procureur général) 2012 CAF 82 dans laquelle il a été établi qu’il n’est pas nécessaire que chacun des éléments de preuve qui sont présentés soit mentionné dans la décision, mais qu’il faut présumer que tous les éléments de preuve ont été pris en considération avant qu’elle soit rendue. Enfin, en l’espèce, l’avocat de l’intimé allègue aussi qu’étant donné que le dysfonctionnement du nerf a été diagnostiqué après que la PMA a pris fin, ce fait ne concerne aucunement la question juridique dont était saisi le tribunal de révision et que c’est probablement pour cette raison qu’il n’en a pas pris compte.

[13] Je ne souscris pas à l’argument de l’intimé selon lequel la preuve concernant le dysfonctionnement du nerf cubital n’était d’aucune pertinence pour la décision que devait rendre le tribunal de révision. On ne peut pas conclure, du seul fait que les rapports médicaux concernant cette affection n’ont été rédigés qu’après que la PMA a pris fin, que l’affection n’était pas présente avant ce moment‑là, et ce, surtout si l’on tient compte de la note rédigée par le Dr Burton en 2009 dans laquelle ce dernier déclare que l’appelant était incapable de travailler depuis 2005.

[14] Je ne souscris également pas à l’argument de l’intimé selon lequel, puisque la décision fait déjà référence à un autre rapport écrit par le Dr McLean, tous les rapports rédigés par ce dernier ont été examinés, y compris ceux qui portaient sur le dysfonctionnement du nerf. Bien qu’il soit présumé que le tribunal de révision a examiné tous les éléments de preuve, cette présomption peut être réfutée. En l’espèce, la décision ne fait nullement mention de la lésion au nerf ni des limitations du bras de l’appelant. Je conclus donc que la présomption est réfutée et que le dysfonctionnement du nerf n’a pas été pris en compte par le tribunal de révision. Le tribunal de révision a donc commis une erreur, car il doit prendre en considération tous les troubles médicaux de l’appelant pour rendre sa décision.

[15] Enfin, dans sa décision, le tribunal de révision dresse une longue liste des cours d’études postsecondaires suivis par l’appelant. Il ne donne toutefois pas les raisons pour lesquelles le tribunal de révision n’a pas tenu compte de la preuve démontrant que l’appelant était incapable de terminer certains de ses cours ou qu’il a été obligé de changer de cours pour s’adapter à ses limitations physiques. J’estime donc que le tribunal de révision a commis une erreur de fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, puisqu’il n’a pas pris en considération tous les renseignements sur les cours suivis par l’appelant.

Suffisance des motifs

[16] L’appelant fait aussi référence à une note datée du 15 juin 2009 et rédigée par le Dr Burton, dans laquelle ce dernier déclare que l’appelant a été incapable de travailler de 2005 jusqu’à cette date. Bien que cette note ait été présentée au tribunal de révision, la décision n’en fait pas mention. Dans l’affaire R. c. Sheppard 2002 CSC 26, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si une cour d’appel devrait intervenir lorsque les motifs donnés par l’instance inférieure sont inadéquats. Elle avait conclu qu’une cour d’appel devrait intervenir lorsque l’instance ne donne pas les motifs pour lesquels elle a rejeté les éléments de preuve contradictoires portés à sa connaissance. La Cour d’appel fédérale a repris ce raisonnement dans une affaire concernant une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, soit la décision Doucette c. Ministre du Développement des ressources humaines 2004 CAF 292, dont je suis obligée de tenir compte. En l’espèce, le tribunal de révision disposait d’éléments de preuve démontrant que l’appelant n’était pas capable de travailler, notamment la note du Dr Burton datant du 16 juin 2009, et il semble que le tribunal de révision ne les aurait pas pris en considération. Ce dernier n’y a pas fait référence ou n’a pas expliqué pourquoi il ne leur avait accordé aucun poids. Il disposait aussi d’éléments de preuve démontrant que l’appelant n’avait pas été capable de terminer ses programmes d’études, mais il n’a pas expliqué pourquoi il avait rejeté cette preuve. Ce sont ces erreurs commises par le tribunal de révision qui ont rendu la décision déraisonnable.

Nouveaux éléments de preuve

[17] L’appelant a également déposé d’autres rapports médicaux à l’appui de sa demande portée en appel. Ces rapports n’avaient pas été présentés lors de l’audience devant le tribunal de révision. L’intimé s’est opposé au dépôt de tout élément de preuve nouveau relatif au présent appel. L’article 58 de la Loi indique clairement les seuls moyens d’appel que peut examiner la division d’appel du Tribunal. Il doit s’agir d’erreurs de droit, d’erreurs de fait ou de manquements à des principes de justice naturelle. Le dépôt de nouveaux éléments de preuve ne figure pas parmi les moyens d’appel énumérés. La Loi prévoit une autre procédure pour les parties qui demandent l’annulation ou la modification d’une décision en raison de l’existence de faits nouveaux et essentiels. Je conclus donc que les nouveaux éléments de preuve présentés par l’appelant ne doivent pas être pris en considération dans le cadre du présent appel.

Conclusion

[18] L’appel est accueilli. Les erreurs commises par le tribunal de révision ont rendu cette décision déraisonnable. L’affaire est renvoyée à la division générale de ce Tribunal pour que soit tenue une audience de novo étant donné que les questions de crédibilité et de poids à accorder à la preuve doivent être tranchées.

Annexe : Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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