Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Parties

  • Appelant: K. A.
  • Représentant de l’appelant: Paul Sacco
  • Représentante de l’intimé: Linda Lafond

Décision

[1] Une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada n’est pas payable à l’appelant.

Introduction

[2] L’appelant a obtenu la permission d’appeler de la décision rendue le 23 mai 2013 par un tribunal de révision qui a refusé qu’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) lui soit versée. Le membre du Tribunal de la sécurité sociale (ci-après « le Tribunal ») a accordé la permission d’en appeler en se fondant uniquement sur l’argument de l’appelant selon lequel sa participation à un programme de recyclage professionnel pendant plusieurs années, après que sa période minimale d’admissibilité (PMA) eut pris fin, ne constituait pas nécessairement une preuve solide qu’il était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur lorsque sa PMA a pris fin.

[3] Selon l’article 42 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale DORS/2013-60(ci-après « le Règlement »), une fois que la permission d’en appeler a été accordée, les parties disposent de 45 jours pour soit déposer des observations auprès de la division d’appel, soit déposer un avis précisant qu’elles n’ont pas d’observations à déposer. Le 23 juin 2014, le Tribunal a reçu les observations de l’avocat de l’appelant. Le 23 mai 2014, le Tribunal avait reçu un avis de la part du représentant de l’appelant indiquant qu’aucune observation ne serait déposée. Le 3 juillet 2014, le Tribunal a reçu les observations de la représentante de l’intimé. Le Tribunal n’a reçu aucune autre observation.

Dispositions législatives

Moyens d’appel

[4] En ce qui concerne les moyens d’appel admissibles et les pouvoirs de la division d’appel, le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les trois moyens d’appel, alors que le paragraphe 59(1) précise les pouvoirs conférés à la division d’appel.

[5] Les dispositions législatives prévoient ce qui suit :

58(1) – Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

59(1) – Décisions – La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[6] Compte tenu de la manière dont le représentant de l’appelant a formulé la demande et du moyen sur lequel repose la permission d’en appeler qui a été accordée, le Tribunal a déduit que l’appelant invoquait le deuxième ou le troisième moyen d’appel.

Observations

[7] Dans ses observations, la représentante de l’intimé a fait valoir que la décision du tribunal de révision était raisonnable, compte tenu du motif sur lequel repose la permission d’en appeler qui a été accordée, et qu’elle ne contenait aucune erreur qui justifierait l’intervention de la division d’appel. En conséquence, la division d’appel devrait rejeter l’appel.

[8] L’appelant n’a déposé aucune autre observation, mais il est manifestement d’avis que l’appel devrait être accueilli.

Analyse

Norme de contrôle applicable

[9] Dans des décisions antérieures, ce Tribunal avait conclu que la division d’appel pouvait déterminer la norme de contrôle applicable dans le cadre de ses examens des décisions de la division générale. Aux fins de la présente audience devant le Tribunal, les décisions du tribunal de révision sont considérées comme des décisions de la division générale. Le Tribunal ne voit aucune raison de s’écarter de cette position. Il est toutefois d’avis que, pour exercer la compétence énoncée au paragraphe 59(1), il doit procéder à l’analyse en deux étapes qu’exige la décision Dunsmuir au paragraphe 62, lequel est ainsi libellé :

[62] Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes.  Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[10] L’avocate de l’intimé insiste sur le fait que le critère à appliquer pour déterminer si une invalidité est « grave et prolongée » au sens du Régime de pensions du Canada ne fait pas partie des catégories auxquelles on réserve l’application de la norme de contrôle de la décision correcte. Elle soutient que le Tribunal doit appliquer la norme de la « décision raisonnable » dans le cadre de son examen de la décision du tribunal de révision. Selon l’argument de l’avocate de l’intimé, dans la décision qu’il a rendue, le tribunal de révision n’a tranché ni une question se rapportant à sa compétence ou à la constitution ni une question qui ne relevait pas de l’expertise du tribunal de révision et qui revêtait une importance essentielle pour le système juridique dans son ensemble. Le tribunal de révision a plutôt interprété et appliqué sa loi « constitutive ». L’avocate a expliqué que, selon la décision Dunsmuir, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la « décision raisonnable » et que l’application de cette norme exige que le Tribunal détermine si, prise dans son ensemble, la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant être justifiées au regard des faits et du droit. Le Tribunal est d’accord.

[11] Ce Tribunal doit donc trancher la question de savoir si le tribunal de révision a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le fait que l’appelant avait suivi et terminé un programme de recyclage professionnel après la date à laquelle sa PMA avait pris fin en décembre 2002 signifiait qu’il était capable de détenir une occupation au moment où sa PMA a pris fin.

[12] Le représentant de l’appelant soutient que ce dernier a dû consacrer beaucoup de temps à ses cours afin de les réussir et qu’au bout du compte, il n’avait pas les capacités physiques suffisantes. Il affirme également que l’appelant a fait un effort raisonnable pour suivre un programme de réadaptation professionnelle qu’il a finalement échoué. Il soutient aussi que l’appelant avait été admis à titre de candidat à un programme de recyclage professionnel offert par la CSPAAT et qu’il avait coopéré, mais que ce seul fait ne devait pas empêcher le tribunal de révision de conclure que l’invalidité de l’appelant était grave.

[13] L’argument principal est donc que le fait que l’appelant pouvait être recyclé ne signifie pas qu’il a démontré qu’il était capable de travailler.

La décision du tribunal de révision est-elle « raisonnable »?

[14] L’avocat de l’appelant soutient que le tribunal de révision a commis une erreur en affirmant que la décision Villani ne s’appliquait pas au cas de l’appelant, alors que l’avocate de l’intimé allègue que le tribunal de révision n’a pas commis d’erreur compte tenu des circonstances de l’affaire. L’avocate de l’intimé soutient qu’une fois que le tribunal de révision a conclu que l’appelant n’était pas atteint d’un [traduction] « problème médical grave », il n’était plus nécessaire, conformément à la décision Giannaros c. Canada (Ministre du Développement social) 2005 CAF 187 aux paragr. 14 et 15, qu’il applique la méthode fondée sur le contexte « réaliste ».

Dans une autre observation, l’avocate de l’intimé a soutenu que le tribunal de révision s’était penché plus particulièrement sur les facteurs énoncés dans la décision Villani et mentionnés au paragraphe 81 de sa décision :

[Traduction]
[81] Le Tribunal conclut que l’affaire Villani ne s’applique pas en raison du jeune âge de l’appelant et de sa capacité de converser en anglais et parce qu’il possède des compétences transférables qu’il a acquises en occupant divers emplois liés au milieu de la restauration, comme plongeur et superviseur d’une équipe, ainsi que d’autres emplois, comme préposé dans un poste d’essence, cuisinier à la pizzéria d’une usine et conducteur de dépanneuse, emploi dans le cadre duquel il devait effectuer des survoltages.

[15] L’avocate de l’intimé qualifie de mauvaise formulation l’affirmation du tribunal de révision selon laquelle « l’affaire Villani ne s’applique pas »; elle soutient que le raisonnement appliqué par le Tribunal indique qu’en effet, les facteurs énoncés dans la décision Villani ont été pris en compte et appliqués et que la décision est compréhensible et tout à fait raisonnable.

[16] Le Tribunal n’est pas totalement convaincu que l’opinion de l’avocate de l’intimé est fondée. Il est d’avis qu’afin qu’il puisse appliquer correctement la décision Villani, un tribunal de révision doit toujours évaluer les caractéristiques de l’appelant lorsqu’il examine la capacité de ce dernier à garder un emploi et qu’il doit déterminer si l’invalidité est « grave ». Le Tribunal estime que la Cour d’appel fédérale a fourni une orientation claire à cet égard dans la décision Villani. Selon le Tribunal, le fait d’affirmer, de la manière dont le tribunal de révision l’a fait, que la décision Villani ne s’appliquait pas constitue une erreur. Toutefois, compte tenu de l’incidence de la décision GiannarosFootnote 1, cette seule conclusion ne risque pas de compromettre la décision du tribunal de révision lorsqu’elle est prise dans son ensemble.

Incidence de la décision Giannaros sur la décision du tribunal de révision

[17] Se fondant sur la décision Giannaros, l’avocate de l’intimé avance un autre argument selon lequel, puisque le tribunal de révision a conclu que l’appelant n’avait pas un problème de santé grave, il n’était pas nécessaire qu’il applique la méthode fondée sur le contexte réaliste au cas de l’appelant. Aux paragraphes 14 et 15 de la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Giannaros, la Cour d’appel fédérale a exprimé l’opinion selon laquelle, lorsqu’une instance n’est pas convaincue de l’existence d’un problème de santé grave, il n’est pas nécessaire qu’elle applique la méthode fondée sur le contexte « réaliste ». Le Tribunal est d’avis que, pour que la décision Giannaros s’applique, il faut que la conclusion soit distincte de celle de l’analyse de la gravité de l’invalidité et que, lorsqu’il examine la décision, le Tribunal conclut que le tribunal de révision est arrivé à une telle conclusionFootnote 2 antérieurement. Au paragraphe 75, le tribunal de révision a déclaré ce qui suit :

[Traduction]
[75] Le Tribunal a remarqué le manque de preuve objective relativement à la période de 2005 à 2010 et s’est fondé sur la preuve subjective de l’appelant pour combler ce manque. Le Tribunal n’a toutefois pas conclu que l’appelant avait présenté une preuve subjective convaincante lorsqu’il a décrit sa dépression et/ou la gravité de ses douleurs aux épaules, à la tête et au bas du dos durant cette période et, plus particulièrement, durant sa PMA qui a pris fin le 31 décembre 2009.

[18] Ainsi, si l’on applique le raisonnement énoncé dans la décision Giannaros, une fois que le tribunal de révision a conclu que l’appelant n’avait pas établi qu’il avait un problème grave, il n’était plus nécessaire qu’il prenne en considération les facteurs énoncés dans la décision Villani. Par conséquent, bien que le Tribunal soit d’avis que le tribunal de révision a commis une erreur dans son application de la décision Villani, il conclut que l’erreur ne compromet pas la décision dans son ensemble.

La décision du tribunal de révision est-elle raisonnable?

[19] L’avocate de l’intimé soutient que le tribunal de révision a rendu une décision intelligible, qui fait partie des issues possibles acceptables au regard du droit et de la preuve portée à sa connaissance. Elle constate également qu’au paragraphe 75 de sa décision, le tribunal de révision a fourni une explication de la décision qu’il a rendue et que cette décision est compréhensible et tout à fait raisonnable dans son ensemble. Le Tribunal est d’accord.

[20] Lorsqu’on examine la décision du tribunal de révision, on constate que le tribunal de révision a tiré ses premières conclusions concernant la gravité des problèmes de santé de l’appelant en se fondant sur le témoignage subjectif  de ce dernier et sur la preuve objective dont il disposait. Les conclusions et la décision du tribunal de révision sont fondées en partie sur le fait que l’appelant n’a pas suivi les traitements recommandés, qu’il n’a pas pris les médicaments prescrits et qu’il a cessé d’assister à ses séances de gestion de l’anxiété et de la dépression. Les conclusions du tribunal de révision concernant la gravité de l’invalidité étaient également fondées sur l’absence de preuve médicale démontrant que l’appelant souffrait de douleurs au dos.

[21] De plus, le tribunal de révision a conclu qu’il n’y avait aucune preuve documentaire ni aucune preuve subjective concernant toutes [traduction] « investigations, consultations et/ou thérapies relatives à l’une ou l’autre de ces affections », c’est-à-dire les maux de tête et les douleurs au dosFootnote 3. C’est pourquoi le tribunal de révision est donc arrivé à la conclusion que l’appelant ne s’était pas acquitté de son fardeau qui consistait à démontrer que son problème de santé était grave au sens du Régime de pensions du Canada.

[22] Au paragraphe 14 de la décision Giannaros, le juge Nadon fait observer que, dans Villani, précité, au paragraphe 50, la Cour a affirmé sans équivoque qu’un requérant doit toujours être en mesure de démontrer qu’il souffre d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêche de travailler :

[50] Cette réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. Bien entendu, il sera toujours possible, en contre-interrogatoire, de mettre à l’épreuve  la véracité et la crédibilité de la preuve fournie par les requérants et d’autres personnes.

[23] La décision du tribunal de révision démontre clairement que ce dernier n’a pas conclu que l’appelant s’était acquitté de ce fardeau. Ainsi, selon les principes énoncés dans la décision Giannaros, ce manquement de la part de l’appelant rendrait théorique tout examen du critère visant à déterminer si l’invalidité était « grave », ou toute application de la méthode fondée sur le contexte réaliste prévue dans Villani.

[24] Il s’ensuit donc que, malgré toute erreur liée à l’affirmation selon laquelle « la décision Villani ne s’applique pas », la décision du tribunal de révision est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

Les dossiers médicaux et les documents de la CSPAAT constituent-ils des éléments de preuve nouveaux?

[25] Puisqu’il a été conclu que la décision du tribunal de révision était raisonnable, il n’est plus nécessaire que le Tribunal se penche sur la question de l’admissibilité des documents déposés par l’avocat de l’appelant à titre d’observations. Le Tribunal choisit néanmoins de le faire.

[26] Le Tribunal remarque que l’article 42 du Règlement ne précise ni le format ni le contenu des observations à déposer. Il faut également noter que la présente demande n’est pas fondée sur des faits nouveaux. Cependant, il est évident, au regard de la décision du tribunal de révision, que l’appelant avait fourni un témoignage détaillé dans sa demande auprès de la CSPAAT et dans les documents médicaux s’y rapportant, de sorte que les documents de la CSPAAT ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve parce qu’ils auraient pu être connus avant la tenue de l’audience devant le tribunal de révision, et ce, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. Le Tribunal arrive à la même conclusion que le tribunal de révision relativement aux notes et aux dossiers de traitement clinique du médecin de famille de l’appelant. En ce qui concerne la lettre du 6 septembre 2014 rédigée par le Dr Accardo, elle n’est pas admissible, puisqu’elle a été présentée après le délai de 45 jours prévu pour déposer des observations.

[27] Compte tenu de tous les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

Conclusion

[39] La demande de prorogation du délai prévu pour présenter une demande de permission d’appeler de la décision du tribunal de révision est rejetée.

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