Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  1. K. K. : appelante
  2. Andy Rady : représentant de l’appelante
  3. Barry Barnes : observateur, membre du Tribunal de la sécurité sociale

Décision

[1] Le Tribunal conclut qu’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) est payable à l’appelante.

Introduction

[2] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité du RPC de l’appelante le 31 décembre 2010. L’intimé a rejeté la demande initiale et la demande de révision, puis l’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[3] Le présent appel a été instruit par vidéoconférence pour les raisons énoncées dans l’avis d’audience daté du 17 septembre 2014.

Droit applicable

[4] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012 prévoit qu’un appel qui a été présenté devant le BCTR avant le 1er avril 2013 et qui n’a pas été instruit par le BCTR est réputé avoir été présenté devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (la Loi) énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à cette pension, le demandeur :

  1. a) doit avoir moins de 65 ans;
  2. b) ne doit pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) doit être invalide;
  4. d) doit avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

[6] Le calcul de la période minimale d’admissibilité (PMA) est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date.

[7] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[8] Le Tribunal constate que la PMA de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2011.

[9] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer s’il est plus probable qu’improbable que l’appelante ait été atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant cette date.

Contexte

[10] L’appelante avait 47 ans à la date marquant la fin de sa PMA, soit le 31 décembre 2011; elle a maintenant 50 ans. Elle a obtenu un permis de coiffeuse en 1982, un certificat de préposé aux services de soutien personnel en 2005 et un certificat en pharmacologie pour les préposés aux services de soutien personnel en 2006. Elle a travaillé comme coiffeuse (gestionnaire) d’août 1999 à janvier 2007 pour K. K. Elle a ensuite travaillé comme préposée aux services de soutien personnel au Countryside Manor de juin 2007 à juin 2008 et à la maison de soins de longue durée Country Terrace de septembre 2006 jusqu’à ce qu’elle soit blessée dans un accident de la route le 31 août 2008.

[11] Le 31 août 2008, l’appelante occupait le siège du passager dans la fourgonnette conduite par son conjoint et portait sa ceinture de sécurité. Un autobus roulant à vive allure a embouti l’arrière de la fourgonnette. L’appelante n’a pas repris le travail depuis cet accident. Elle cite le syndrome de douleur chronique, la fibromyalgie, les maux de tête, la dépression et le trouble du sommeil comme ses principaux troubles invalidants.

Documents relatifs à la demande

[12] Dans le questionnaire sur les prestations d’invalidité du RPC, estampillé par l’intimé le 31 décembre 2010, l’appelante a indiqué qu’elle avait douze années de scolarité, un permis de coiffeuse et un certificat de préposée aux services de soutien personnel. Elle a souligné que son dernier emploi avait été comme préposée et que depuis le 31 août 2008, elle avait cessé de travailler en raison des blessures subies lors d’un accident de la route. Elle a soutenu être invalide depuis le 1er septembre 2008 et que son principal trouble invalidant était une douleur chronique grave au bas du dos. L’appelante a fait valoir qu’elle est incapable de rester debout sans s’appuyer sur quelque chose, qu’elle ne peut s’asseoir sur une chaise droite, qu’elle ne peut rester assise pendant une période prolongée et qu’elle est incapable de se pencher. Elle a ajouté qu’en date du 1er septembre 2008 elle a cessé de pratiquer toutes ses activités, comme la marche rapide, la bicyclette, la danse, le bowling et le golf.

[13] Appelée à expliquer ses difficultés/limitations fonctionnelles, l’appelante a indiqué qu’elle ne peut rester debout au même endroit plus de cinq minutes sans s’appuyer sur quelque chose, qu’elle ne peut s’asseoir sur une chaise droite, qu’elle ne peut rester assise sans bouger, qu’elle ne peut marcher pendant plus d’une heure, qu’elle est incapable de soulever des charges de plus de 10 livres et que, lorsqu’elle s’étire vers le haut, sa douleur au bas du dos s’accentue. Elle a ajouté qu’elle a de la difficulté à se teindre et à se raidir les cheveux, qu’elle a des maux de ventre et des reflux gastriques causés par les médicaments, qu’elle est limitée dans l’exécution de ses tâches ménagères, que son corps penche vers la droite et qu’elle doit se servir d’un coussin chauffant lorsqu’elle conduit. Elle n’a cependant aucune difficulté de vision, d’ouïe, de langage, de mémoire ou de concentration.

[14] Un rapport du Dr Vaides-Waran, le médecin de famille de l’appelante, daté du 18 novembre 2010, était joint à la demande de prestations du RPC. Le rapport contient un diagnostic de douleur au dos attribuable à des facteurs mécaniques et dégénératifs. Les médicaments prescrits comprennent, entre autres, du Flexeril, de l’ibuprofène, du Wellbutrin et du Lyrica. Les modalités de traitement énumérées comprennent la physiothérapie, la thérapie en piscine et la massothérapie. Le pronostic indique que la douleur au dos de l’appelante est chronique, qu’elle sera probablement toujours présente et pourrait s’aggraver. Le rapport conclut que l’appelante n’a toujours pas été en mesure de reprendre le travail comme préposée aux services de soutien personnel.

Preuve orale

[15] Durant son témoignage à l’audience, l’appelante a déclaré qu’elle est maintenant divorcée et qu’elle habite à X avec ses parents dans une maison à quatre demi‑niveaux. Elle habitait précédemment à X dans une maison à quatre demi‑niveaux avec son mari. Ses parents ont un peu plus de 80 ans et ils sont entièrement autonomes.

[16] L’appelante a passé en revue ses antécédents en matière d’études et de travail. Pendant ses études secondaires, elle a suivi des cours du soir pour devenir coiffeuse et a commencé à travailler dans ce domaine tout de suite après avoir terminé sa douzième année. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé comme coiffeuse à partir de ses dix-huit ans et qu’elle avait même été propriétaire de son propre salon de coiffure à un certain moment. À ses 40 ans, elle a commencé à suivre des cours du soir au Collège Fanshawe pour devenir préposée aux services de soutien personnel. Elle a d’abord travaillé à temps partiel comme préposée aux services de soutien personnel et comme coiffeuse. Lorsqu’elle a eu son accident de la route, elle travaillait à temps partiel comme préposée aux services de soutien personnel dans une maison de soins infirmiers et espérait progresser vers un horaire à temps plein. Pour son travail de coiffeuse, elle a expliqué qu’elle devait rester debout sur place toute la journée. Son emploi de préposée aux services de soutien personnel était plus exigeant physiquement, puisqu’elle devait rester debout toute la journée en plus de devoir soulever les patients, de les nourrir, de les tourner dans leur lit et de les habiller.

[17] Elle a décrit l’accident de la route du 31 août 2008 en indiquant qu’un autobus de ville avait embouti l’arrière de son véhicule. L’autobus avait reculé sous la force de l’impact pour frapper leur voiture à nouveau. Elle avait d’abord subi un choc, mais une fois au poste de police elle avait commencé à sentir des douleurs et des raideurs. Le matin suivant elle était incapable de bouger. Son médecin de famille lui a prescrit des relaxants musculaires, de la physiothérapie et des analgésiques. Elle a reçu cinq traitements de physiothérapie au cours des deux ou trois années qui ont suivi. Elle a également reçu des traitements de massothérapie, mais elle avait l’impression que cela aggravait sa douleur. Elle a fait des exercices en salle de gymnastique et à la maison, mais elle a conclu que cela n’aidait pas vraiment à soulager ses maux de dos. L’appelante a également essayé l’aquaforme, qui était plus facile, mais si elle en faisait trop elle devenait ensuite très endolorie. En septembre 2013, elle a reçu quatre injections de cortisone recommandées par son médecin de famille. Elle a commencé alors à sentir une douleur sciatique qui irradiait le long de sa hanche et de sa jambe droite. Elle a souligné qu’elle avait essayé plusieurs analgésiques, mais que les médicaments non narcotiques ne la soulageaient pas et que les narcotiques la rendaient malade. Elle prend maintenant de l’ibuprofène extra fort et du Tylenol contre la douleur. 

[18] Elle a consulté un psychologue, M. Benn, pendant environ huit semaines, pour traiter sa dépression. Elle a pris des antidépresseurs pendant environ cinq ans et a arrêté il y a un an parce que cela ne l’aidait pas. Elle a toujours au moins un épisode de grande [traduction] « déprime » par année, durant lequel elle pleure pendant trois jours. Elle évite de prendre des médicaments sur ordonnance parce qu’ils lui causent des problèmes d’estomac. Elle n’a remarqué aucun changement dans sa douleur ou ses symptômes dépressifs depuis qu’elle a cessé de prendre des antidépresseurs.

[19] L’appelante a déclaré que ces principaux problèmes sont une douleur lombaire constante (qu’elle ressent dans tout le bas du dos), une douleur sciatique et dans la hanche et des troubles du sommeil (elle se réveille aux deux heures). Son dos la fait souffrir sans cesse depuis l’accident, elle a le dos voûté quand elle marche et elle ne peut même plus rester debout dans la cuisine pour faire à manger. Elle a ajouté que la moitié des jours sont des [traduction] « bons jours » et l’autre moitié, des [traduction] « mauvais jours ». Dans les « bons jours », elle peut faire des tâches légères dans la maison, sortir de la maison pour aller au magasin ou prendre un café avec un ami. Les mauvais jours, elle reste allongée sur le divan toute la journée – elle ne fait rien d’autre que se déplacer de son lit au divan. Si elle tente de marcher un peu plus ou d’en faire un peu plus dans la maison, elle sait qu’elle sera complètement [traduction] « crevée » le jour suivant. Elle a indiqué qu’il est impossible de prévoir combien de bons ou de mauvais jours elle aura. Un mois moyen contient 50 % de mauvais jours.

[20] Elle a admis qu’elle n’avait pas déployé beaucoup d’efforts pour trouver un emploi moins exigeant. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi, elle a répondu [traduction] « je n’ai pas l’impression de pouvoir faire quoi que ce soit, je ne peux m’asseoir ni me servir d’un ordinateur… plus j’en fais, plus j’ai mal… je ne peux rester assise à un bureau toute la journée… je ne peux rester debout… je ne sais pas ce que je pourrais faire…je n’ai aucune formation… je ne sais rien faire… je ne peux prévoir comment ira mon dos d’un jour à l’autre. »

Preuve médicale

[21] Le Tribunal a examiné soigneusement toute la preuve médicale au dossier d’audience. Voici les éléments que le Tribunal trouve les plus pertinents.

[22] Une note datée du 28 octobre 2008 du Dr Vaides-Waran au Dr Clifford indique que l’appelante a été impliquée dans un accident de la route le 31 août 2008 au cours duquel un autobus a embouti le derrière de sa voiture alors qu’elle était arrêtée à un feu rouge. On peut lire dans cette note que l’appelante souffre de douleurs constantes au dos, au cou et aux épaules depuis l’accident.

[23] Le 19 janvier 2009, le Dr Clifford, physiatre, a rapporté que les douleurs lombaires de l’appelante étaient probablement causées par une combinaison de douleur myofasciale, de déconditionnement musculosquelettique et de changements dégénératifs légers relatifs aux vertèbres et/ou facettes. Le Dr Clifford a ajouté qu’il n’y avait pas de preuve clinique convaincante suggérant une myélopathie ou une radiculopathie aiguës et qu’il n’y avait aucun signe important de pathologie intra‑articulaire dans les deux hanches.

[24] Une IRM datant du 29 janvier 2009 n’a révélé aucune pathologie significative. Un changement dégénératif léger a été décelé sur une facette en L2-3 et des changements de léger à modéré en L3-4.

[25] Le 11 mars 2009, le Dr Clifford a affirmé dans son rapport qu’au vu des résultats de l’IRM, une intervention chirurgicale n’est pas indiquée. Il a cependant noté que les changements dégénératifs légers à marqués des facettes allaient probablement évoluer et provoquer des douleurs lombaires de plus en plus persistantes et intenses. Il a également noté que l’appelante continuait de suivre des séances de physiothérapie une fois par semaine, qu’elle s’entraînait dans un gymnase plusieurs fois par semaine et qu’aucun de ces efforts n’avait modifié ses douleurs au dos. Le Dr Clifford a indiqué que les limitations professionnelles permanentes de l’appelante incluaient se pencher, s’accroupir et rester debout pendant une période prolongée, effectuer des torsions et des flexions de manière répétitive et soulever des charges lourdes ou de façon répétée à partir de la taille. Il a conclu que l’appelante serait probablement incapable de recommencer à travailler à titre de préposée aux services de soutien personnel et qu’elle devrait commencer à se préparer à avoir un emploi qui réduirait au minimum la nécessité de dépasser ses limitations professionnelles.

[26] Le 30 septembre 2009, le Dr Death, physiatre, a rédigé dans son rapport que les principales plaintes de l’appelante comprenaient des douleurs au cou et aux épaules, des maux de tête réglés et des douleurs lombaires constantes. Le Dr Death a également indiqué que même s’il n’y avait pas d’invalidité musculosquelettique apparente, l’appelante développait un syndrome de douleur chronique avec une [traduction] « invalidité incohérente ». Il a recommandé l’aide d’un psychologue spécialisé en douleur chronique.

[27] En ce qui a trait aux limitations empêchant l’appelante de retourner au travail, le Dr Death a déclaré ceci :

[Traduction]
« Il a été possible de régler les légers maux de tête, la douleur au cou et la raideur au niveau de la ceinture scapulaire. La douleur mécanique lombaire n’est toutefois pas réglée et les résultats de l’IRM du 29 janvier 2009 sont normaux. Un syndrome de douleur chronique se dessine.

En me fondant sur la preuve objective, le système musculosquelettique n’impose aucune limitation ou restriction qui empêcherait un retour au travail. Toutefois, l’adaptation est problématique et l’appelante développe un syndrome de douleur chronique. Ceci peut influencer la perception qu’elle a de sa capacité à retourner travailler. »

[28] Une évaluation des risques professionnels datée du 8 janvier 2010 et rédigée par Catherine Sydor, ergothérapeute, indique que d’un point de vue thérapeutique, l’appelante n’a eu aucun succès avec la massothérapie ni la physiothérapie, elle a subi une évaluation psychologique du Dr K. Bern et des recommandations seront formulées concernant les problèmes de douleur chronique. On a d’abord prescrit à l’appelante de la cyclobenzaprine et de l’Arthrotec, le 3 septembre 2008; l’Arthrotec n’a eu aucun effet sur la douleur. De l’amitriptyline a été ajoutée un mois plus tard, soit le 9 octobre 2008, avec un renouvellement de cyclobenzaprine. Seule la cyclobenzaprine s’est avérée efficace contre la douleur lombaire après un certain temps. Un essai d’Oxycontin a été fait en janvier 2009, mais l’appelante s’est plainte des effets secondaires troublants et désorientants et la prescription n’a pas été renouvelée. De la Ratio-Codeine 15 mg (Tylenol no2) a aussi été essayée, mais s’est avérée inefficace pour gérer la douleur.

[29] Mme Sydor a aussi souligné que l’appelante n’avait pas repris le travail en raison de ses douleurs lombaires, que lorsque celle-ci envisage les besoins physiques de son emploi, elle estime ne pas avoir les capacités nécessaires pour accomplir les tâches principales sans endurer des douleurs graves et débilitantes, qu’elle a envisagé la possibilité de redevenir coiffeuse, mais qu’une fois encore l’aspect physique du travail lui fait craindre pour son dos, qu’elle demeure sans emploi et incapable de déterminer un plan pour retourner sur le marché du travail. Mme Sydor a ajouté que le Dr Clifford avait confirmé l’incapacité de l’appelante de reprendre son travail de préposée aux services de soutien personnel en raison de ses douleurs chroniques au dos et de changements dégénératifs relevés lors d’une IRM de la colonne lombaire. Le médecin a suggéré dans son rapport du 11 mars 2009 une réorientation professionnelle qui tiendrait compte des limitations permanentes qu’il avait diagnostiquées. Le rapport notait également que l’appelante avait exprimé dans ses réflexions qu’elle croyait que personne ne voudrait l’engager en raison de ses incapacités physiques et de l’impossibilité de s’engager à suivre un horaire d’activité ou de travail donné. Interrogée au sujet de programmes de recyclage, l’appelante a exprimé sa crainte face aux difficultés physiques que signifiait le fait d’être étudiant. Quant à son avenir professionnel, elle l’envisageait comme un problème important.

[30] Dans son évaluation, Mme Sydor explique que l’appelante n’a pas repris son travail de préposée aux services de soutien personnel et qu’elle a exclu un retour à son ancienne profession de coiffeuse. Elle ajoute [traduction] « elle est tout à fait incapable de définir des objectifs professionnels compte tenu de ses capacités fonctionnelles actuelles. » Le rapport indique également que les principaux handicaps de l’appelante touchent surtout [traduction] « la biomécanique et la peur » et que d’un point de vue fonctionnel, « elle souffre d’un syndrome de douleur chronique clair qui aura une incidence sur ses activités liées à la vie de tous les jours et nuira au processus de réadaptation. »

[31] Le 27 janvier 2010, M. Benn, psychologue, a fait état de son évaluation psychologique de l’appelante. Les problèmes de l’appelante comprennent des douleurs lombaires bilatérales, une raideur au cou qui peut provoquer des maux de tête, un trouble de l’humeur, de l’irritabilité ou de la colère, un trouble du sommeil et de l’anxiété du passager lorsqu’elle est dans un véhicule. M. Benn a décrit les déficiences de l’appelante relatives à l’accident de la route, notamment la douleur chronique, la limitation des activités due à des limitations fonctionnelles, une difficulté d’adaptation avec dépression et anxiété, une image de soi/confiance en soi fragilisée, de l’irritabilité ou de la colère et une angoisse reliée à une situation (être passagère dans une automobile). M. Benn a recommandé jusqu’à dix-huit séances de consultation psychologique individuelle d’une durée de 1,25 heure.

[32] Les notes de traitement de M. Benn, datant du 14 avril 2010, indiquent que l’appelante a vécu un effondrement psychologique la semaine précédente. Elle était fâchée, triste, en colère et elle criait en raison de sa douleur et de la limitation de ses activités.

[33] Allan Mills, M.Ed., RRP, de l’entreprise DMA Rehability, a préparé un rapport d’évaluation professionnelle médico-légale en date du 31 mai 2010 pour les avocats de l’appelante. Les résultats des tests démontrent que l’appelante a des habiletés de langage relativement solides et des connaissances mathématiques relativement modestes par rapport à son niveau d’études le plus élevé. M. Mills a recommandé une mise à niveau dans ce domaine et a noté que l’appelante avait les capacités de réussir des programmes professionnels ou de niveau collégial. En se fondant sur les résultats des tests, M. Mills a conclu que d’un point de vue professionnel, une des forces de l’appelante est ses antécédents de travail solides dans le domaine des soins de santé et a noté qu’au moment de l’accident de la route, elle avait deux emplois et espérait occuper un emploi à temps plein.

[34] Par contre, M. Mills a poursuivi en affirmant que le profil professionnel de l’appelante se trouve compliqué par certains facteurs, notamment la douleur chronique au dos qui est importante, persistante et qui s’aggrave avec une augmentation de l’activité, comme rester assise, rester debout, marcher, se pencher, soulever des charges et se tenir dans une position basse. Il a noté aussi que son état de santé exclut un retour à l’emploi qu’elle occupait avant l’accident, tant à titre de préposée aux services de soutien personnel que de coiffeuse, que même dans un environnement sédentaire. Elle devra avoir un emploi qui lui permet d’avoir un horaire souple et de travailler à son rythme, des mesures d’adaptation (chaise et poste de travail ergonomiques) et un employeur bienveillant qui acceptera ses absences lors de ses [traduction] « mauvais jours ». Il a ajouté que sa capacité de tolérer les exigences physiques d’un programme de recyclage n’est pas certaine, puisque ce type de programme exige principalement de rester assis alors qu’elle devrait pouvoir travailler à son propre rythme avec une charge de cours réduite.

[35] En ce qui concerne les limitations de l’appelante, M. Mills a suggéré des emplois comme assistante de bureau de médecin, travailleuse sociale, coordonnatrice de bénévoles et assistante de laboratoire médical. M. Mills a aussi suggéré qu’elle participe à des séances d’orientation professionnelle, à un programme de recyclage axé sur les compétences et qu’elle ait de l’aide en recherche d’emploi une fois qu’elle aura terminé sa préparation professionnelle. Le rapport conclut qu’en se fondant sur les antécédents en matière d’emploi et d’études ainsi que ses intérêts évalués/rapportés et son état de santé, l’appelante est considérée comme apte à poursuivre des objectifs professionnels comme ceux présentés précédemment.

[36] Un rapport d’évaluation psychologique préparé par M. Iezzi, psychologue, daté du 3 juin 2010, indique que l’accident a provoqué chez l’appelante un trouble de douleur chronique et des déficits fonctionnels affectant son style de vie. Le rapport fait état d’un diagnostic de trouble de douleur associé à une affection médicale générale et psychologique (légère à modérée) et des degrés cliniques légers de symptômes anxieux et dépressifs. Le rapport souligne que la mauvaise capacité d’adaptation de l’appelante lui complique la tâche de composer avec son problème de douleur chronique. Le pronostic dépend de la capacité de l’appelante d’avoir à nouveau un emploi et il s’améliore si elle est en mesure d’effectuer un travail moins exigeant sur le plan physique. Toutefois, si l’appelante n’est pas en mesure de trouver un emploi, alors le pronostic s’assombrit et il est fort probable que sa qualité de vie se détériore et que sa détresse émotionnelle s’accentue. Le rapport conclut que l’appelante serait vraisemblablement affligée des conséquences résiduelles physiques et psychologiques des blessures subies et il est encore trop tôt dans son processus de rétablissement pour déterminer précisément l’ampleur de ses blessures.

[37] Le 25 juin 2010, M. Smith, psychologue, a transmis à l’avocat de l’appelante l’évaluation psychoprofessionnelle qu’il avait faite de l’appelante. Celle-ci décrivait ses problèmes résiduels de la façon suivante : une douleur lombaire constante et avec « craquement et grincement », une raideur occasionnelle dans le cou et les épaules, des maux de tête presque réglés et certains troubles de sommeil. L’appelante a déclaré ne pas avoir de problèmes d’attention, de concentration ni de mémoire. M. Smith a fait observer que le Dr Death a commenté [traduction] « l’invalidité incohérente » de l’appelante, c’est-à-dire qu’elle se perçoit plus invalide qu’elle ne l’est objectivement et que le rapport de Mme Sydor suggère que le seuil de tolérance de l’appelante est plus élevé que celle‑ci ne le croit.

[38] Les tests ont indiqué que même si les résultats de l’appelante se situent dans la moyenne inférieure, celle-ci peut lire et compter facilement et qu’à l’évaluation de ses capacités intellectuelles, elle se classe dans la moyenne supérieure. L’appelante dit ne pas avoir de problème sur le plan du fonctionnement cognitif. Le rapport souligne que l’appelante a probablement la capacité de se recycler dans un domaine qui nécessite une formation collégiale ou professionnelle, même si elle a besoin, pour cela, de certaines mesures d’adaptation et de la possibilité de faire les activités à son rythme, de changer de position et d’avoir plus de temps pour faire les examens. M. Smith a suggéré de diriger les ambitions professionnelles de l’appelante vers des secteurs qui permettent le travail à temps partiel et à temps plein, et a suggéré qu’elle entreprenne une réadaptation professionnelle.

[39] Le 29 juin 2010, le Dr Potter, physiatre, a transmis à l’avocat de l’appelante son évaluation sur le plan de la physiatrie. Les principales plaintes physiques de l’appelante sont des douleurs dans la région mi-thoracique et dans le bas du dos. Le rapport souligne aussi que l’appelante a de la difficulté à dormir, qu’elle a des symptômes de dépression et des épisodes de pleurs. Après avoir examiné les documents médicaux et avoir ausculté et interrogé l’appelante, le Dr Potter a émis l’opinion qu’elle souffrira, de façon permanente, d’une invalidité partielle avec les restrictions suivantes : éviter de répéter ou de tenir une position penchée, une torsion ou une position accroupie, éviter de soulever des charges lourdes, éviter d’effectuer des tâches qui se déroulent au-dessus de sa tête compte tenu de sa faible capacité de s’étirer le dos et éviter de rester assise ou debout pendant des périodes de plus de quinze minutes. Concernant la question de la capacité de l’appelante d’exécuter toute forme de travail, le Dr Potter a affirmé que tout futur employeur devra tenir compte de ces restrictions. Il a recommandé une réadaptation professionnelle.

[40] Le 19 juillet 2010, le Dr Yee, chirurgien orthopédique, a établi à partir de sa propre évaluation orthopédique, ainsi que de celles du Dr Carey (évaluation psychologique), de Mme Dawn Rodie et de M. Danny Monck (évaluations des capacités fonctionnelles) et de Bruno Rositano (évaluation de la capacité de travail), un rapport multidisciplinaire à l’intention d’un assureur. Selon le consensus obtenu, l’appelante ne souffrirait pas d’une invalidité complète qui l’empêcherait d’occuper un emploi pour lequel elle posséderait le niveau d’études, la formation et l’expérience.

[41] Le 14 octobre 2010, M. Benn a noté que l’engagement de l’appelante et sa motivation relatifs à ses traitements ont toujours été élevés. Il a déclaré qu’elle continue de manifester d’importants symptômes psychologiques.

[42] Le 18 août 2011, la Dre Kaye, neurologue, a expliqué que l’IRM de l’appelante datée du mois de mars 2011 avait révélé un syrinx au niveau du thorax de T5 à TS ou un canal rachidien central dilaté. Le diamètre maximal était de 1,5 mm, ce qui est peu. Il n’y avait aucune augmentation apparente de la taille de la lésion depuis 2009. La Dre Kaye a diagnostiqué des douleurs lombaires chroniques, un reflux gastro-œsophagien (RGO) et une dépression. Elle n’a pas estimé que les résultats de l’IRM étaient symptomatiques et a déclaré qu’aucun traitement n’était nécessaire.

[43] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 10 juillet 2012, indique que les douleurs au dos de l’appelante sont pires qu’avant, que sa douleur irradie le long de la fesse gauche et qu’elle se sent toujours endolorie, ce qui l’empêche de dormir la nuit.

[44] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 27 juillet 2012, montre que l’appelante prend toujours du Cymbalta, qu’elle n’en a pas d’effets secondaires, qu’elle soulage sa douleur avec un coussin chauffant, et que son dossier à la cour est réglé.

[45] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 17 septembre 2012, indique que l’appelante a été suivie pour ses douleurs au dos et une dépression, qu’il n’y a eu aucun changement au niveau de la douleur, que le Cymbalta aide à traiter son problème de dépression et que ses douleurs lombaires irradient le long des jambes.

[46] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 16 janvier 2013, fait état d’une aggravation de la douleur continue que l’appelante ressent au dos. L’appelante est endolorie toute la journée.

[47] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 12 juin 2013, indique que les problèmes de dos de l’appelante empirent, qu’elle doit s’appuyer sur un panier d’épicerie pour marcher lorsqu’elle fait ses emplettes et que sa douleur irradie dans la cuisse gauche. 

[48] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 12 septembre 2013, indique qu’une infiltration dans les articulations facettaires récente n’a donné aucun résultat et que la douleur a augmenté.

[49] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 2 octobre 2013, indique que les douleurs au dos de l’appelante se sont aggravées depuis l’infiltration de cortisone, qu’elle ressent de la douleur le long de la jambe droite, qu’elle sent des picotements dans le pied droit en tout temps et qu’elle ressent des douleurs subites et déchirantes dans le dos et la cuisse. 

[50] Une note clinique du Dr Vaides-Waran, datée du 28 octobre 2013, indique que l’appelante sent des picotements dans son pied droit en tout temps, que sa douleur irradie dans la cuisse et le pied droits, qu’elle ressent une douleur continue dans la cuisse et la jambe droite, qu’elle arrive à se déplacer dans la maison, mais qu’elle passe ses nuits à tourner et à se retourner et qu’elle n’a pas un bon sommeil.

[51] Dans un rapport sur l’état de santé, daté du 3 mars 2014, en appui à la demande de l’appelante au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, le Dr Vaides-Waran a déclaré que l’état de santé de l’appelante comptait les affections suivantes : douleur mécanique lombaire due à une discopathie dégénérative, fibromyalgie (douleur chronique) et reflux gastro‑œsophagien. Le rapport révèle que l’appelante est incapable de s’asseoir, de rester debout ou de marcher pendant plus de quinze minutes. Les modalités de traitement, notamment la physiothérapie, la massothérapie, l’acupuncture les infiltrations de cortisone et différents médicaments (Cymbalta, Neurontin, nortriptyline, Lyrica, Flexeril, Wellbutrin et Percocet) ont été essayés sans succès pour soulager ses douleurs au dos. Le rapport ajoute que la douleur chronique a épuisé l’appelante tant sur le plan physique et mental qu’émotionnel. Cette douleur l’a rendue handicapée et incapable d’accomplir ses activités de la vie quotidienne et à ses tâches domestiques. Elle ne peut plus occuper un poste de préposée aux services de soutien personnel, ni de coiffeuse ni aucun autre poste qui nécessite de rester assise ou debout, de soulever des charges ou de s’étirer.

[52] Le 7 avril 2014, le Dr Harth, du Central Health & Wellness Centre, a transmis un rapport au Dr Vaides-Warren. Ce rapport affirme que l’appelante souffre de douleur lombaire aiguë suite à un accident de la route et que les solutions de traitement sont limitées. Le Dr Harth suggère certains médicaments et, comme autre traitement possible, mentionne des séances de neurotomie par radiofréquence.

Observations

[53] M. Rady soutient que l’appelante est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) les incapacités physiques et psychologiques de l’appelante, en plus de sa douleur chronique, l’empêchent d’occuper de nouveau une forme quelconque d’emploi rémunérateur dans un « contexte réaliste »;
  2. b) l’appelante a développé un syndrome de douleur chronique fondé sur sa douleur au dos et le Tribunal devrait tenir compte de ce qu’il décrit comme [traduction] « une douleur physique entremêlée de problèmes psychologiques, dont une préoccupation constante avec la douleur et une incapacité de s’adapter »;
  3. c) l’appelante est prise dans un cercle vicieux dans lequel la douleur mène à la dépression, à l’anxiété et à des mécanismes d’adaptation inefficaces, ce qui en retour augmente la douleur et ensuite accroît la dépression, etc.;
  4. d) les notes cliniques du Dr Vaides-Warren, de septembre 2008 à octobre 2013, confirment les symptômes de douleur chronique de longue date de l’appelante et le fait qu’elle a essayé de nombreuses modalités de traitement, sans succès;
  5. e) les rapports des Drs Clifford et Potter et les évaluations des risques professionnels et de la capacité de travail de Catherine Sydor et de Allan Mills confirment les limitations fonctionnelles et les compétences transférables limitées de l’appelante et qu’elle ne pourrait occuper d’emploi dans un marché du travail concurrentiel;
  6. f) les antécédents de l’appelante en matière de travail montrent son éthique professionnelle solide, et les rapports médicaux indiquent sa volonté réelle d’améliorer son état de santé et son application à suivre les recommandations de traitement.

[54] L’intimé soutient que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) bien que les limitations physiques de l’appelante l’empêchent de reprendre un emploi qu’elle occupait avant l’accident, à titre de coiffeuse ou de préposée aux services de soutien personnel, les évaluations des risques professionnels et de la capacité de travail suggèrent d’autres emplois possibles;
  2. b) l’appelante n’a fait aucun effort pour trouver un autre emploi moins exigeant sur le plan physique;
  3. c) même si la preuve médicale étaye l’existence de limitations, elle n’établit pas une invalidité grave excluant toute forme de travail rémunérateur;
  4. d) l’appelante n’avait que 44 ans au moment de l’accident et ses antécédents en matière d’études et de travail sont bons. Par conséquent, elle possède la capacité résiduelle d’occuper un autre emploi et elle n’a déployé aucun effort dans ce sens.

Analyse

[55] L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2011 ou avant cette date.

Invalidité grave

[56] Les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir une pension d’invalidité figurent au paragraphe 42(2) de la Loi, où il est mentionné qu’une invalidité (physique ou mentale) doit être à la fois « grave et prolongée ». Une invalidité n’est « grave » que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une personne doit non seulement être incapable d’occuper son emploi habituel, mais également tout emploi qu’il aurait été raisonnable de s’attendre qu’elle occupe. Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Principes directeurs

[57] Les affaires suivantes ont permis d’aider le Tribunal à trancher les questions relatives à cet appel.

[58] Le fardeau de la preuve incombe à l’appelante qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le 31 décembre 2011 ou avant cette date, elle était invalide conformément à la définition établie. Le critère de la gravité doit être évalué dans un « contexte réaliste » : Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248. Le Tribunal doit tenir compte du contexte particulier de la personne, ainsi que de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques, de ses antécédents de travail et de son expérience de la vie pour déterminer son « employabilité » en rapport avec son invalidité.

[59] L’appelante doit non seulement démontrer qu’elle a un grave problème de santé, mais dans les affaires où il y a des preuves de capacité de travail, elle doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé : Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117.

[60] On ne s’attend pas à ce que l’appelante trouve un employeur philanthrope et souple, et à ce que cet employeur apporte un grand soutien tout en étant prêt à tenir compte de l’invalidité de l’appelante. Dans la Loi, la formulation « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » est fondée sur la capacité de l’appelante de se présenter à son lieu de travail au moment où cela est nécessaire, et aussi souvent que cela est nécessaire. En outre, la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement, tel qu’indiqué dans la décision Ministre du Développement des ressources humaines c. Bennett (10 juillet 1997) CP 4757 (CAP).

[61] Aucune définition de la douleur chronique ne fait autorité. Toutefois, l’on considère généralement qu’il s’agit d’une douleur qui persiste au-delà de la période normale de guérison d’une lésion ou qui lui est disproportionnée, et qui est caractérisée par l’absence, à l’emplacement de la lésion, de signes objectifs permettant d’attester l’existence de cette douleur au moyen des techniques médicales actuelles. Malgré cette absence de signes objectifs, il ne fait aucun doute que les personnes éprouvant de la douleur chronique souffrent physiquement et moralement et que leur incapacité est réelle : Nouvelle-Écosse (Worker’s Compensation Board) c. Martin[2003] CSC 54.

Application des principes directeurs

[62] L’appelante a offert un témoignage crédible et franc au sujet de ses affections physiques et émotionnelles et de leur incidence sur sa vie et sa capacité de travailler. Elle a relaté les faits avec exactitude, et le témoignage qu’elle a donné correspondait aux nombreux documents médicaux versés au dossier d’audience et en confirmait les conclusions. Elle n’a pas tenté d’exagérer ses symptômes. Malgré le manque d’observations objectives valables, elle souffre d’un syndrome de douleur chronique sévère et le Tribunal est convaincu qu’elle « souffre physiquement et moralement » et que son incapacité est « réelle » (voir Martin, précité).

[63] La preuve établit que l’appelante a suivi les recommandations en matière de traitement et qu’elle s’est prêtée avec diligence à diverses modalités de traitement, notamment de la physiothérapie, de la massothérapie, de l’acupuncture et des infiltrations de cortisone, qu’elle a essayé de nombreux analgésiques et antidépresseurs malgré leurs effets secondaires difficiles, qu’elle a suivi un programme d’exercice à la maison et dans une salle de gym ainsi que des séances d’aquaforme du mieux qu’elle a pu et qu’elle a consulté de nombreux spécialistes et subi de nombreux examens. Malheureusement, tous ces efforts n’ont eu aucun effet sur sa douleur chronique aiguë au dos et elle continue de souffrir des symptômes physiques et émotionnels du syndrome de douleur chronique. La preuve souligne également qu’en raison de ses limitations physiques, l’appelante ne peut occuper de nouveau un des emplois physiquement exigeants qu’elle occupait, comme le travail de coiffeuse ou de préposée aux services de soutien personnel.

[64] La question essentielle que le Tribunal doit trancher est celle de déterminer si l’appelante a failli à son obligation de chercher un autre emploi moins exigeant sur le plan physique, conformément à la décision Inclima précitée. L’intimé défend la position selon laquelle l’appelante n’avait que 44 ans au moment de l’accident (47 ans à la fin de la PMA), elle est instruite et possède de bonnes compétences de travail, et les évaluations des risques professionnels et de la capacité de travail confirment qu’elle a la capacité résiduelle nécessaire pour poursuivre une formation professionnelle et occuper un autre type d’emploi. La position défendue par M. Rady est que, compte tenu des difficultés physiques et psychologiques de l’appelante, de son syndrome de douleur chronique, de ses limitations et des restrictions expliquées dans les rapports médicaux et les évaluations des risques professionnels et de la capacité de travail, l’appelante ne possède pas la capacité résiduelle de trouver un autre emploi dans un « contexte réaliste ».

[65] En l’espèce, le Tribunal est convaincu qu’en raison de l’effet cumulatif des limitations physiques et psychologiques de l’appelante, elle ne possède pas la capacité résiduelle d’occuper un autre emploi de manière régulière. La preuve établit qu’elle serait une employée peu fiable, qui aurait souvent des « mauvais jours » durant lesquels elle serait incapable de faire autre chose que de se déplacer de son lit au divan. Elle a d’importantes difficultés à rester assise ou debout et à marcher, ce qui l’empêche d’occuper un emploi sédentaire et de songer à un perfectionnement professionnel. Les rapports d’évaluation et des risques professionnels établissent que pour que l’appelante puisse occuper un autre type d’emploi, il lui faudrait un employeur souple et bienveillant qui serait prêt à s’adapter à ses limitations et à ses absences fréquentes (voir l’évaluation des risques professionnels de Catherine Sydor, paragraphes 29 et 30, précités, et l’évaluation de la capacité de travail d’Allan Mills, paragraphe 34, précité). La décision Bennet, précitée, établit qu’un appelant n’est pas tenu de trouver un tel employeur et que l’obligation de détenir une occupation véritablement rémunératrice est fondée sur la capacité de l’appelant « de se présenter à son lieu de travail au moment où cela est nécessaire, et aussi souvent que cela est nécessaire » et que la « prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement ». L’appelante est définitivement incapable de répondre à ce critère.

[66] Le Tribunal a également souligné que les antécédents de l’appelante en matière de travail sont impressionnants, qu’elle a fait preuve d’une éthique du travail solide et de la motivation nécessaire pour améliorer ses compétences en suivant des cours du soir tout en continuant à aller à l’école ou à travailler. C’est le genre de personne qui aurait continué à travailler si elle en avait été capable.  

[67] À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave aux termes de la Loi.

Invalidité prolongée

[68] Ayant conclu que l’invalidité de l’appelante est grave, le Tribunal doit aussi déterminer si elle est prolongée.

[69] Les affections invalidantes de l’appelante se sont poursuivies depuis l’accident d’automobile en août 2008 et, malgré de nombreux traitements, aucune amélioration n’a été notée. Malheureusement, l’état de santé de l’appelante semble se détériorer.

[70] L’invalidité de l’appelante dure depuis longtemps et aucune amélioration n’est à prévoir dans le futur prévisible.

Conclusion

[71] Le Tribunal conclut que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis août 2008, résultant d’un accident de la route. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) de la Loi). Comme la demande a été reçue en décembre 2010, l’appelante est réputée être devenue invalide en septembre 2009. Aux termes de l’article 69 de la Loi, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité. Les paiements débuteront donc à partir de janvier 2010.

[72] L’appel est accueilli.

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