Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] L’appel est rejeté et la décision de la division générale est confirmée.

Introduction

[2] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2011. Pour que l’appelante ait droit à la pension d’invalidité, il devait être établi qu’elle était invalide à la date où sa période minimale d’admissibilité (PMA) a pris fin, soit le 31 décembre 1989, ou avant cette date. L’appelante a soutenu qu’en 1988 elle était invalide en raison d’une fibromyalgie. Elle a continué de souffrir de cette invalidité jusqu’en 2007, lorsqu’elle a subi un grave accident vasculaire cérébral. L’appelante a affirmé que bien que l’accident vasculaire cérébral a résolu son problème de fibromyalgie, elle est encore invalide en raison des limites découlant de l’accident vasculaire cérébral.

[3] L’intimé a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante, initialement et après la révision. L’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Le 1er avril 2013, son appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, aux termes de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. La division générale a instruit l’appel et a rejeté la demande de l’appelante le 26 mai 2014.

[4] L’appelante a demandé d’interjeter appel auprès de la division d’appel de ce Tribunal. La permission d’interjeter appel a été accordée sur la base que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit dans son affirmation selon laquelle les facteurs énoncés dans la décision Villani c. Canada (P. G.), 2001 CAF 248 ne s’appliquaient pas, ainsi que dans son application de la décision Eng c. M. D. S. (22 octobre 2007, CP24980).

[5] Avant d’accorder la permission d’en appeler, la division d’appel a envoyé des questions écrites à l’appelante, et celle-ci y a répondu. La division d’appel a aussi demandé les observations des deux parties, lesquelles ont été déposées auprès du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée. Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit que si une permission d’en appeler auprès de la division d’appel est accordée, les parties ont 45 jours pour présenter des observations écrites à l’appui de leur cause. L’appelante n’a présenté aucune autre observation. L’intimé a présenté de longues observations sur l’appel. Avant de rendre ma décision, j’ai examiné tous les documents écrits déposés par les deux parties quant à la demande de permission d’en appeler et à l’appel.

[6] L’appelante a soutenu que cet appel devrait être accueilli, car la division générale a commis un certain nombre d’erreurs. Elle a ajouté que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive, car elle a ignoré le témoignage de ses témoins et a fait abstraction du témoignage de sa fille parce qu’elle avait 12 ans au moment de sa PMA. Elle a également prétendu que dans la décision Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, il est indiqué qu’une loi conférant des avantages devait être interprétée de façon libérale et généreuse, et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes devait se résoudre en faveur du demandeur. La division générale n’a pas fait cela et a plutôt adopté une approche stricte et abstraite à l’égard de l’exigence concernant la gravité de l’invalidité énoncée dans le Régime de pensions du Canada.

[7] De plus, l’appelante a soutenu que les éléments de preuve concernant son accident vasculaire cérébral ont été présentés non pas pour établir une affection invalidante, mais pour établir qu’elle est encore invalide même si elle ne souffre plus de fibromyalgie. Elle a aussi soutenu qu’il était déraisonnable d’exiger qu’elle produise des éléments de preuve médicale datant d’environ 20 ans, puisque les dossiers n’avaient pas été conservés par ses médecins. La division générale aurait plutôt dû être convaincue qu’elle était invalide à la lumière du témoignage présenté à l’audience. 

[8] L’appelante a aussi fait valoir que les principes énoncés dans la décision de la Cour d’appel fédérale Villani auraient dû être appliqués. Elle n’a présenté aucune observation concernant l’applicabilité de la décision Eng ou sur la norme de contrôle qui devrait s’appliquer pour le présent appel.

[9] L’intimé a soutenu que la norme de contrôle qui devait s’appliquer dans cette affaire est celle de la décision correcte, puisque la permission d’interjeter appel a été accordée sur la base de questions de droit. Il a aussi fait valoir que la division générale n’a commis aucune erreur dans son application des principes énoncés dans les décisions Villani et Eng. En ce qui concerne les autres questions soulevées par l’appelante, l’intimé a affirmé que la division générale n’a commis aucune erreur dans son examen de la preuve qui lui était soumise. L’intimé a ajouté que l’appel devrait être rejeté.

[10] Par conséquent, je dois déterminer si la division générale a commis une erreur de fait ou de droit.

Analyse

[11] L’appelante a présenté un certain nombre d’arguments pour appuyer son appel. Premièrement, elle a soutenu que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive, puisqu’elle a fait abstraction du témoignage de ses témoins ainsi que de son journal concernant sa fibromyalgie, sa gravité, et la date à laquelle elle a commencé à souffrir de cette maladie. Elle a aussi soutenu que les éléments de preuve concernant son accident vasculaire cérébral en 2007 ont été présentés pour démontrer qu’elle était toujours invalide après la fin de ses symptômes de fibromyalgie. D’une manière similaire, les éléments de preuve concernant sa tentative de travailler dans une entreprise à domicile en 1996 ont été présentés pour démontrer qu’elle a continué d’être invalide, et non qu’elle était capable de travailler. Avec ces arguments, elle demande essentiellement que la division d’appel soupèse et évalue à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion en sa faveur. Dans Gaudet c. Procureur général du Canada 2013 CAF 254, la Cour d’appel fédérale établit qu’un tribunal de révision n’est pas autorisé à refaire le procès des questions en litige, mais qu’il doit examiner si l’issue était acceptable et justifiable au regard des faits et du droit. En l’espèce, la décision de la division générale résume la preuve écrite déposée et le témoignage présenté à l’audience. La division générale a soupesé cette preuve et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que l’appelante était invalide aux termes du Régime de pensions du Canada. À ce titre, la décision de la division générale est justifiable au regard des faits. La division générale n’a commis aucune erreur de fait.

[12] L’appelante a aussi fait valoir qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle puisse trouver et présenter des éléments de preuve médicale datant de plus de vingt ans avant la date de l’audience, afin qu’elle établisse le bien-fondé de sa demande. La Commission d’appel des pensions s’est penchée sur une situation similaire dans Briggs c. Ministre du Développement social (20 juin 2005, CP21930). Dans cette affaire, la demanderesse, Mme Briggs, a fait une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en 2001. Sa période minimale d’admissibilité prenait fin le 31 décembre 1973. Elle n’a été en mesure de présenter aucun dossier médical pour la durée de sa période minimale d’admissibilité. La cour a conclu qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle était invalide. La Commission d’appel des pensions a écrit ceci :

L’appelante doit prouver que son ou ses invalidités sont graves et prolongées. Si les dossiers médicaux ne sont actuellement pas disponibles en raison du temps écoulé avant la présentation de la demande, c’est au détriment de l’appelante, et non de l’intimé.

J’estime que ce raisonnement est convaincant en l’espèce, puisque les faits sont très similaires. Comme Mme Briggs, l’appelante devait démontrer qu’elle était invalide durant la période minimale d’admissibilité, soit un certain nombre d’années avant sa demande. De plus, elle n’avait aucun élément de preuve médicale pour appuyer sa demande. Sur ce fondement, je juge que la division générale n’a fait aucune erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a soupesé l’importance de la preuve présentée, y compris le manque d’éléments de preuve médicale pour la période minimale d’admissibilité.

[13] L’appelante a aussi soutenu que la division générale devrait appliquer une interprétation libérale et généreuse des dispositions du Régime de pensions du Canada, puisqu’il s’agit d’une loi conférant des avantages (voir Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd.). Or, la division générale a adopté une approche stricte et abstraite à l’égard de l’exigence concernant la gravité de l’invalidité. L’appelante a énoncé correctement le principe de la décision Rizzo Shoes. Toutefois, dans le Régime de pensions du Canada, il n’y a aucune ambiguïté dans la signification d’« invalide ». Dans sa décision, la division générale a énoncé correctement la définition d’« invalide », et elle l’a appliquée aux faits en cause. Puisqu’il n’y a aucun doute quant à sa signification dans la loi, il n’y avait aucune raison que la division générale interprète ce terme différemment. La division générale n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

[14] L’intimé a aussi fait valoir que la division générale n’a pas commis d’erreur en se fondant sur la décision Eng. L’appelante n’a présenté aucune observation en ce qui a trait à l’application du raisonnement de cette décision en l’espèce. La décision Eng a été rendue par la Commission d’appel des pensions. Bien que ce Tribunal ne soit pas lié par cette décision, son raisonnement peut être persuasif dans un cas particulier. En ce qui concerne les documents présentés pour cet appel, je ne peux voir aucune raison de conclure que la division générale a commis une erreur de droit en faisant référence à cette décision dans son raisonnement.

[15] La dernière question à trancher a été soulevée par l’intimé : il s’agit d’établir quelle norme de contrôle doit être appliquée pour déterminer si la division générale a commis une erreur de droit. Dans la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu que deux normes de contrôle peuvent être appliquées à une décision d’un tribunal administratif : celle de la raisonnabilité et celle de la décision correcte. De plus, lorsqu’un tribunal examine une décision concernant une question de fait, une question de droit ou une question mixte de fait et de droit se rapportant à sa propre loi constitutive, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de la décision correcte doit être appliquée aux questions de compétence, aux questions constitutionnelles et aux questions de droit, qui sont à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre.

[16] Dans l’arrêt Atkinson c. Procureur général du Canada 2014 CAF 187, la Cour d’appel fédérale a examiné cette question en ce qui a trait à une décision de la division d’appel de ce Tribunal. La Cour d’appel fédérale a conclu que le raisonnement de Dunsmuir s’appliquait. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité. Les questions de droit liées à la loi constitutive du Tribunal doivent être tranchées sur la base de la raisonnabilité. Les questions de droit qui sont importantes pour le système juridique et qui sont étrangères au domaine d’expertise du Tribunal doivent être tranchées sur la base de la décision correcte.

[17] L’appelante n’a présenté aucun argument concernant la norme de contrôle qui devrait être appliquée en l’espèce. L’intimé a soutenu que malgré la décision Dunsmuir, ce Tribunal doit appliquer la norme de la décision correcte pour les erreurs de droit commises par la division générale. L’intimé a ajouté que la division d’appel du Tribunal est inspirée du modèle du Bureau du juge-arbitre, qui est l’un des tribunaux qu’elle remplace. Le juge-arbitre a appliqué la norme de la décision correcte aux questions de droit, et ce, en dépit de la décision Dunsmuir. Le Tribunal doit donc appliquer la norme de la décision correcte.

[18] De plus, l’intimé a soutenu qu’aux termes du libellé de l’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel a le pouvoir de substituer sa décision à celle de la division générale. Ce pouvoir réparateur indique que l’intention du législateur est que la division d’appel soit capable de corriger les erreurs de droit commises par la division générale. Par conséquent, elle ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale sur les questions de droit, et elle doit appliquer la norme de la décision correcte.

[19] Finalement, l’intimé a soutenu que le libellé de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui est la loi constitutive de ce Tribunal, est très similaire à celui de la Loi sur les Cours fédérales, selon lequel le juge-arbitre doit assurer le « contrôle circonscrit » des décisions. Cela comprend l’application de la norme de contrôle de la décision correcte aux questions de droit portée en appel devant lui.

[20] Il n’est pas nécessaire que je tranche cette question en l’espèce, car j’estime que la conclusion de la division générale, selon laquelle les facteurs de Villani ne s’appliquent pas en l’espèce, était à la fois déraisonnable et incorrecte. Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Bell 2013 CAF 155, la Cour d’appel fédérale a conclu que puisque le juge-arbitre n’avait pas appliqué une jurisprudence fermement établie pour rendre sa décision, celle-ci était déraisonnable. En l’espèce, la division générale n’a pas appliqué le raisonnement mentionné dans Villani, qui constitue un énoncé établi du droit pertinent. En fait, bien que la décision indiquait que l’invalidité de l’appelante devait être examinée dans un contexte réaliste, elle indiquait aussi que les facteurs de Villani ne s’appliquaient pas, car il a été jugé que l’invalidité n’était pas grave. La division générale n’a examiné aucune des caractéristiques personnelles de l’appelante pour rendre sa décision, et cela est déraisonnable.

[21] De plus, l’article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada exige qu’un demandeur fournisse, avec sa demande de pension d’invalidité du RPC, des renseignements concernant son état de santé, traitement et pronostic, ainsi que sur sa formation scolaire, l’expérience acquise au travail et ses activités habituelles. Cela montre clairement que les caractéristiques personnelles de l’appelante sont pertinentes pour déterminer si elle est invalide ou non. La division générale a eu tort de ne pas prendre ces facteurs en considération.

[22] En résumé, que la norme de contrôle soit celle de la raisonnabilité ou celle de la décision correcte, la division générale a commis une erreur de droit et n’a pas respecté la norme en omettant d’appliquer les facteurs Villani aux circonstances de la demanderesse en l’espèce.

Conclusion

[23] Malgré l’erreur commise par la division générale dans son application de la décision Villani en l’espèce, sa décision est confirmée. L’appelante n’a été en mesure de produire aucun élément de preuve médicale pour appuyer sa demande de pension d’invalidité. La division générale a soupesé la preuve orale, et elle n’a pas été convaincue qu’elle était suffisante pour pallier l’absence de preuve médicale et établir que l’appelante était invalide. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a conclu que les motifs d’une décision doivent être examinés en corrélation avec le résultat et qu’ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. En appliquant cela en l’espèce, j’ai conclu que le résultat se justifie au regard des faits et du droit, car il fait partie des issues possibles. Par conséquent, l’appel est rejeté et la décision de la division générale est confirmée.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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