Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  1. Appelant : K. S.
  2. Représentante de l’appelant : Mary Phan (avocate)
  3. Représentants de l’intimé : Michael Stevenson (avocat) et Faiza Ahmed-Hassan (stagiaire en droit)

Introduction

[1] L’appelant interjette appel de la décision rendue le 14 février 2013 par le tribunal de révision, qui a rejeté sa demande de prestations d’invalidité au motif qu’il n’a pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada. La permission d’en appeler a été accordée le 7 mars 2014, aux motifs que le tribunal de révision pourrait avoir commis une erreur de droit ou avoir fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve dont il était saisi.

Aperçu des faits

[2] L’appelant avait 46 ans quand il a présenté sa demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il a douze années de scolarité et un diplôme en technologie de l’environnement. Il a surtout occupé des postes exigeants sur le plan physique qui lui demandaient d’interagir avec les autres. Son dernier emploi, dans l’industrie du transport, s’est terminé en septembre 2009 pour des raisons médicales, d’après ses dires. L’appelant souffre de douleurs au bas du dos, d’anxiété chronique et de dépression.

[3] À l’été 2009, l’appelant a présenté des demandes d’emploi pour différents postes, mais n’a reçu aucune réponse. Il s’est inscrit à un programme de travail indépendant de l’AE et a démarré sa propre entreprise. Il a fermé son entreprise au début de l’année 2011, selon lui, en raison de son état de santé. L’appelant n’a pas travaillé depuis 2011. La période minimale d’admissibilité (PMA) de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2011.

Questions en litige

[4] Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. a) Selon quel mode d’audience devrait être instruit l’appel? Est-ce que l’appelant est en droit d’avoir une audience en personne?
  2. b) Si l’appel consiste en un contrôle judiciaire, qu’elle est la norme de contrôle à appliquer? Est-ce la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable?
  3. c) Le tribunal de révision a-t-il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  4. d) Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les principes établis dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248?
  5. e) Si la norme à appliquer est celle de la décision raisonnable, la décision du tribunal de révision est-elle raisonnable? Si c’est plutôt celle de la décision correcte,  quelle conclusion le tribunal de révision aurait-il dû tirer?
  6. f) Quelles sont les corrections à apporter si le tribunal de révision a commis une erreur?

Question préliminaire - mode d'audience de l'appel

[5] L’avocate de l’appelant a demandé une audience d’appel en personne pour que l’appelant ait l’occasion de présenter son dossier pleinement et équitablement dans le cadre d’un processus équitable, impartial et ouvert. L’avocate de l’appelant se fonde sur les éléments suivants :

  • L’avocate de l’appelant fait valoir que la division d’appel est un organisme juridictionnel qui statue sur des affaires individuelles et basées sur des faits dans le cadre d’un processus accusatoire qui [traduction] « ressemble à un processus décisionnel judiciaire ». Elle déclare que des protections procédurales – notamment l’audience en personne – assurées par un procès sont nécessaires dans un tel cas.
  • Il n’existe pas de droit d’appel à l’égard des décisions de la division d’appel.
  • Le résultat de l’appel est important pour l’appelant, car les prestations d’invalidité sont une source de remplacement du revenu.
  • L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada avant la création du Tribunal de la sécurité sociale et s’attendait légitimement à bénéficier d’une audience en personne. 
  • L’appelant souffre de problèmes de santé mentale et d’un trouble douloureux qui sont difficiles à évaluer avec des observations écrites. L’avocate de l’appelant soutient que la division d’appel doit déterminer quelle incidence l’invalidité de l’appelant a sur sa capacité de travailler.  Elle ajoute qu’une audience en personne est le seul moyen par lequel la division d’appel peut adéquatement évaluer le comportement et la crédibilité de l’appelant et que les vidéoconférences comportent certaines limites.

[6] Je suis d’avis, comme l’indique l’avocate de l’appelant dans ses observations, que l’utilisation des technologies visuelles et technologiques comporte certaines limites par rapport à une audience en personne. Ceci a été mis en évidence lorsque l’appelant et son avocate ont tenté de participer, dans le cadre de ces procédures, à une vidéoconférence du Centre Service Canada et qu’aucun système audio n’était disponible. L’avocate de l’appelant a dû se résoudre à répondre par écrit aux questions concernant la fonctionnalité de l’équipement. Les procédures se sont poursuivies uniquement lorsque tous les problèmes techniques eurent été résolus.

[7] Avant de déterminer le mode d’audience adéquat, je souligne que l’article 21 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale m’autorise à tenir des audiences au moyen de questions et de réponses écrites, par téléconférence, vidéoconférence
ou tout autre moyen de télécommunication, ou par comparution en personne des parties. Selon le Règlement, l’audience en personne n’est pas un droit absolu.

[8] Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte par le décideur pour déterminer le mode d’audience adéquat, entre autres la disponibilité et le bon fonctionnement de l’équipement ainsi que les coûts et l’aspect pratique pour les parties. À mon avis, le droit à une audience complète et impartiale est le critère principal à considérer. S’il existe un doute quant au fait qu’une partie n’ait pas droit à une audience complète et impartiale si celle-ci n’est pas en personne, le décideur doit user de prudence et opter pour une audience en personne.  

[9] Dans Bradley c. Bradley [1999] B.C.J. No 2116, la Cour suprême a conclu que la preuve d’un témoin présentée par vidéoconférence est admissible. La Cour suprême a déterminé qu’un tel procédé n’allait pas à l’encontre des principes d’équité procédurale et de justice naturelle et que si la technologie s’avérait inefficace, les procédures pouvaient être suspendues et la question de la pertinence du recours à une vidéoconférence réexaminée. En l’espèce, je suis convaincue que les parties auront droit à une audience complète et équitable par le biais d’une vidéoconférence.

[10] Il existe une idée implicite selon laquelle une audience en personne offre à une partie une audience de novo. Cela soulève une question fondamentale sur la nature des procédures devant la division d’appel : s’agit-il d’une forme de contrôle d’appel ou d’un contrôle judiciaire? Si l’appel devant la division d’appel est un contrôle d’appel, il s’agit de la continuité des procédures de la Commission d’appel des pensions, qui a précédé la division d’appel, puisque les audiences prenaient la forme de contrôles d’appel. Ce type d’appel me permettrait d’entendre de « nouvelles preuves » qui pourraient ne pas avoir été présentées au tribunal de révision. De plus, un appelant pourrait avoir accès à des avis médicaux supplémentaires et remédier à des lacunes ou à des déficiences qui pourraient être survenues devant un tribunal de révision ou la division générale. Un contrôle d’appel offrirait à un appelant une deuxième occasion de présenter son dossier.

[11] L’intimé réfute toute notion selon laquelle un appel devant la division d’appel peut donner lieu à l’évaluation complète ou la réévaluation d’une demande de prestations d’invalidité et affirme que la division d’appel est contrainte à instruire l’appel comme un contrôle judiciaire. L’avocat de l’intimé prétend que le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi) me limite à étudier les questions correspondant aux moyens d’appel énumérés dans la Loi et en fonction desquelles la permission d’en appeler a été accordée. 

[12] L’avocate de l’appelant m’a renvoyé à trois fondements juridiques distincts, mais je ne trouve pas nécessairement qu’ils s’appliquent à la question du mode d’audience en appel puisqu’ils font surtout référence à la nécessité d’avoir recours à une audience en personne lorsque de graves questions de crédibilité se posent et non à la nature de l’instance dans le cadre d’un appel devant la division d’appel. L’avocate de l’appelant suppose qu’un appel permet l’évaluation globale de la preuve, mais elle ne m’a présenté aucune jurisprudence qui prévoit définitivement qu’un appel soit autre chose qu’un contrôle judiciaire.

[13] Essentiellement, l’avocate de l’appelant affirme que les appelants ont droit à des appels de novo. Pour les raisons que j’ai déterminées dans F.D. c. ministre de l’Emploi et du Développement social (20 octobre 2014), TSSDA-13-200 (non publiée), je suis toujours d’avis que rien ne donne droit à une audience de novo à l’étape de l’appel. Dans cette décision, j’ai écrit :

[Traduction]
[40] Les dispositions de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social sont entrées en vigueur le 1er avril 2013. Le paragraphe 58(1) de cette loi énonce les moyens d’appel. Les termes qui précèdent la liste des moyens d’appel sont importants, le paragraphe précise « Les seuls moyens d’appel […] ». Le fait que les moyens d’appel concernant les décisions de la division générale (ou du tribunal de révision) soient limités depuis le 1er avril 2013 est significatif. Cela montre que parce que les moyens d’appels sont limités, alors la division d’appel ne peut instruire d’audience de novo.[…]

[42] À mon avis, depuis le 1er avril 2013, il est interdit d’instruire une audience de novo pour un appel, compte tenu du paragraphe 58(1). Il n’était donc ni légitime, ni raisonnable pour l’appelante de s’attendre à une audience de novo au moment où elle a présenté sa demande de permission. Les dispositions procédurales au moment du dépôt de la demande de permission de l’appelante, le 19 avril 2013, ne prévoyaient pas d’audience de novo, contrairement à la situation dans L.L.

[43] En plus des limites procédurales prévues au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, une partie ne peut faire valoir une expectative légitime sans certaines considérations.

[14] En l’absence d’observations complètes, je n’ai pas traité la question visant à savoir si l’appel dont j’étais saisi devait aller de l’avant à titre de contrôle judiciaire. De toute façon, même si le processus d’un contrôle d’appel diffère de celui d’un contrôle judiciaire, le résultat pourrait être le même.

Normes de contrôle judiciaire

[15] Je vais faire quelques brefs commentaires quant à la norme de contrôle judiciaire applicable. La Cour suprême du Canada a déterminé dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 qu’il n’existe que deux normes de contrôle judiciaire dans la common law au Canada : la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Les questions de droit sont généralement tranchées selon la norme de la décision correcte. La norme de la décision correcte est généralement réservée aux questions constitutionnelles ou de compétence ou aux questions d’importance générale pour le système juridique dans son ensemble et en dehors de l’expertise d’un tribunal. Le tribunal de révision qui applique la norme de la décision correcte n’a pas fait preuve de déférence à l’égard du raisonnement du décideur. Il entreprend plutôt sa propre analyse. Au bout du compte, s’il n’est pas d’accord avec la décision, le tribunal doit y substituer sa propre conclusion quant à une issue possible correcte. La norme de la décision correcte est essentielle, car elle encourage et assure des décisions équitables, la cohérence et la prévisibilité du droit.

[16] Le paragraphe 55 de l’arrêt Dunsmuir établit une liste de facteurs qui permettraient de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

  • - Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.
  • - Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).
  • - La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

[17] La portée de la norme de la décision raisonnable a été précisée et même étendue pour s’appliquer dans les cas où : 1) la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante (ou « constitutive ») du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie ; (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) la question soulève des questions de droit et de fait intimement liées : Smith c. Alliance Pipeline [2011] CSC 7, [2011] R.C.S. 160, au paragraphe 26.

[18] L’avocat de l’intimé déclare que la raisonnabilité est la norme de contrôle par défaut et qu’elle commande la déférence quand le tribunal  « interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie ». Il s’appuie sur un certain nombre d’instances qui ont, de façon constante, conclu que la raisonnabilité est la norme de contrôle par défaut : Dunsmuir, ibid, au paragraphe 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Assn., 2011 CSC 61 au paragraphe 34; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au paragraphe 21.

[19] L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision a commis une erreur de droit, mais elle convient néanmoins comme l’avocat de l’intimé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable compte tenu du fait qu’il s’agit de l’interprétation de sa propre loi constitutive.

[20] L’intimé affirme qu’indépendamment du fait que le tribunal de révision ait commis une erreur ou non, le critère décisif consiste à évaluer si la décision du tribunal de révision appartient aux issues possibles acceptables.

[21] L’avocate de l’appelante affirme, elle, que la décision du tribunal de révision n’est pas raisonnable et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22] La Cour suprême a établi l’approche relative au caractère raisonnable dans Dunsmuir, paragraphe 47 :

Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23] Par conséquent, si je suis ces fondements juridiquesNote de bas de page 1, je dois appliquer une norme déférente de la raisonnabilité. Je dois alors déterminer si la décision du tribunal de révision est justifiée, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En l’espèce, même si j’arrivais à la conclusion que le tribunal de révision avait erré, sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Moyens d'appel

a) Allégations relatives à des conclusions de fait erronées

[24] Le tribunal de révision a examiné un certain nombre de facteurs pour déterminer si l’appelant souffrait d’une invalidité grave aux termes du Régime de pensions du Canada avant la fin de sa PMA, soit le 31 décembre 2011. Entre autres, est-ce que l’appelant a fourni des efforts pour trouver un emploi ou suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire qui n’est pas exclu par ses limites fonctionnelles?

[25] Le tribunal de révision a résumé la preuve concernant les efforts de l’appelant pour trouver un emploi après le 29 septembre 2009, au paragraphe 10 de sa décision :

[Traduction]
À l’exception de quelques demandes d’emploi soumises après qu’il ait cessé de travailler en septembre 2009, l’appelant n’a pas cherché d’emploi ni considéré d’autres possibilités d’emploi autonome. L’appelant n’a pas suivi de programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire depuis qu’il a cessé de travailler en septembre 2009. Il a déclaré qu’il aurait continué de travailler à son compte dans le domaine du marketing si les ventes avaient été plus intéressantes. L’accusé affirme être maintenant incapable de travailler en raison de l’anxiété, de la dépression et des douleurs au bas du dos dont il souffre.

[26] Au paragraphe 28 de sa décision, le tribunal de révision a écrit ce qui suit :

[Traduction]
Depuis qu’il a quitté son emploi en septembre 2009, l’appelant n’a déployé aucun effort pour trouver un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles et n’a suivi aucun programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire susceptible de l’aider à trouver un tel emploi. (Souligné par mes soins.)

[27] Au paragraphe 34, le tribunal de révision a conclu de la façon suivante :

[Traduction]
Le Tribunal a conclu que, depuis qu’il a cessé de travailler en septembre 2009, l’appelant n’a déployé aucun effort pour trouver un emploi ou suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire. De plus, les faits suivants ont mené à la conclusion que ce dernier n’avait pas une invalidité "grave" avant que sa période minimale d’admissibilité (PMA) prenne fin le 31 décembre 2011 : le traitement plutôt conservateur, à supposer qu’il y en ait eu, de l’état de l’appelant depuis qu’il a cessé de travailler en septembre 2009; le fait qu’il n’a pas suivi les recommandations de traitement émises par un neurologue et un psychiatre; et la consommation continue de marijuana que le psychiatre du demandeur a signalée et qui a peut-être aggravé l’anxiété de l’appelant. Le Tribunal est d’avis que l’appelant n’a pas démontré qu’il était incapable régulièrement de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant que sa PMA prenne fin ».

[28] L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Elle soutient que le tribunal de révision a commis une erreur et qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve cruciaux lorsqu’il a conclu que le demandeur n’avait fait aucun effort pour trouver un emploi après septembre 2009, alors que la preuve démontrait le contraire. L’avocate de l’appelant soutient qu’après septembre 2009, l’appelant s’était inscrit à un programme de travail indépendant de l’AE, il avait continué de chercher un emploi et avait fait plusieurs demandes d’emploi, bien que sans succès, et en juillet 2010, il avait démarré son entreprise à partir de chez lui et pensait qu’il pourrait ainsi mieux gérer son état de santé. La preuve à cet égard est établie au paragraphe 10 de la décision du tribunal de révision. Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelant a expliqué que son entreprise avait été un échec en raison de son manque d’instruction, de formation et d’expérience. Le tribunal de révision a fait remarquer que l’appelant avait déclaré dans son témoignage qu’il aurait continué d’exploiter son entreprise si elle avait été rentable.

[29] L’avocate de l’appelant indique dans d’autres observations écrites présentées le 17 avril 2014 qu’en raison de ces lacunes, l’appelant n’avait pu prévoir ni su comment résoudre les problèmes liés à son entreprise et que son irritabilité et sa colère limitaient sa capacité de traiter avec les clients. Lors de la présentation d’observations orales devant le tribunal de révision, l’appelant a mis l’échec de son entreprise sur le compte de ses problèmes de santé mentale et de son trouble douloureux. 

[30] L’avocate de l’appelant affirme que bien que le tribunal de révision ait fait état des efforts de l’appelant pour trouver un emploi et pour se recycler, dans la section de la preuve, il a toutefois conclu que l’appelant n’avait pas déployé d’efforts pour trouver un emploi. L’avocate de l’appelant déclare qu’il faut en conclure que le tribunal de révision [traduction] « a rendu une décision entachée d’une erreur de droit ». Elle ajoute que si le tribunal de révision avait tenu compte des efforts de l’appelant qui s’est inscrit à un programme de travail indépendant de l’AE, a envoyé des demandes d’emploi et tenté de démarrer une entreprise à domicile, il aurait conclu que l’appelant souffrait d’une invalidité grave qui le rendait régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[31] L’avocat de l’intimé déclare que le tribunal de révision n’a pas commis d’erreur puisqu’il a étudié la preuve et que sa conclusion est conforme à la jurisprudence pertinente qui régit l’exigence selon laquelle les demandeurs doivent montrer (lorsqu’il existe une capacité résiduelle de travailler) qu’ils ont déployé des efforts pour trouver un emploi ou qu’ils étaient incapables de faire des recherches en raison des problèmes de santé allégués. L’avocat de l’intimé ajoute que l’appelant a omis de démontrer qu’il avait cherché du travail (à l’exception des quelques demandes d’emploi présentées) et n’a donc pas pu faire la preuve qu’il ne travaillait pas en raison des problèmes de santé allégués. 

[32] Le tribunal de révision n’a pas mentionné le fait que l’appelant avait suivi un programme de travail indépendant de l’AE ni qu’il avait envoyé des demandes d’emploi dans la section de l’analyse. Ces faits ne figurent que dans la section de la preuve. Si le tribunal de révision avait simplement indiqué que l’appelant n’avait fait aucun effort pour trouver un emploi, suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire, j’aurais conclu que ses conclusions étaient erronées compte tenu de la preuve. Cependant, le tribunal de révision a écrit au paragraphe 28 de la section de l’analyse que l’appelant n’avait déployé aucun effort pour trouver un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles et n’a suivi aucun programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire susceptible de l’aider à trouver un tel emploi. La distinction entre ce que l’appelant prétend que le tribunal de révision a conclu et ce que le tribunal de révision a réellement conclu est peut-être mince, mais elle est importante et ne doit pas être sous-estimée. Il y a une différence entre un « emploi » et un «emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles », ce dernier qualifiant la nature de l’emploi ou des efforts de recyclage déployés par l’appelant.

[33] L’avocate de l’appelant affirme qu’il n’y a pas de différence, ou si peu, entre « aucune effort pour trouver un emploi » et les termes utilisés par le tribunal de révision « aucun effort pour trouver un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles ». Il en est ainsi selon elle puisque l’appelant est incapable d’occuper tout emploi de journalier non spécialisé.

[34] Les restrictions et limites de l’appelant sont bien documentées, mais il semble que le tribunal de révision envisageait une occupation rémunératrice autre que du type « journalier » que l’appelant pourrait avoir sur une base régulière. Toute autre interprétation rendrait l’expression « malgré ses limitations fonctionnelles » creuse et vide de sens.

[35] Je reconnais que dans sa description des efforts de l’appelant à la section de l’analyse, le tribunal de révision n’est pas cohérent. Au paragraphe 34 de sa décision, il a écrit que l’appelant n’avait pas déployé des efforts pour obtenir un emploi ou pour suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire. Le tribunal de révision n’a alors pas qualifié l’emploi ou le programme de recyclage. Je ne sais pas s’il s’agit d’un oubli de la part du tribunal de révision ou si celui-ci avait déterminé qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter une qualification puisque dans les paragraphes précédents, le tribunal avait précisé que l’emploi ou le programme de recyclage devait être possible malgré les limitations fonctionnelles de l’appelant.

[36] L’avocate de l’appelant a raison de souligner que le tribunal de révision avait erré au paragraphe 34 en concluant que l’appelant n’avait déployé aucun effort pour trouver un emploi, suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire, alors que la preuve montrait clairement le contraire. Le tribunal de révision a peut-être conclu que ces efforts étaient limités ou insuffisants aux fins du Régime de pensions du Canada, mais ils étaient quand même présents. Cependant, je suis d’avis que l’incohérence du paragraphe 34 peut être expliquée par le fait que le tribunal de révision a établi la preuve et qualifié les efforts de l’appelant à deux reprises, au paragraphe 28 de sa décision.

[37] L’avocat de l’intimé a présenté une autre observation selon laquelle l’appelant ne pouvait être déclaré invalide puisqu’il n’avait pas réussi à démontrer que son état de santé était la raison pour laquelle il n’avait pas obtenu ni conservé un emploi. Dans Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 3 :

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[38] Il existe un parallèle entre la deuxième observation de l’intimé et la première, notamment dans le fait que les demandeurs doivent prouver que tous leurs efforts pour trouver et conserver un emploi ont échoué en raison de leur état de santé. 

[39] L’avocate de l’appelant affirme qu’il a fermé son entreprise en raison de ses problèmes de santé et que ce fait a été négligé par le tribunal de révision. Le tribunal de révision a résumé la preuve dont il était saisi en indiquant que l’appelant avait fermé son entreprise en février 2011 en raison du faible niveau de ventes (paragraphe 8) et « qu’il aurait continué de travailler à son compte dans le domaine du marketing si les ventes avaient été plus intéressantes » (paragraphe 10). Le dossier d’audience présenté au tribunal de révision comprend le Questionnaire relatif aux prestations d’invalidité, rempli en juin 2011. Dans les antécédents professionnels, l’appelant a indiqué qu’il avait cessé de travailler à son compte en raison du faible niveau de ventes et dans ses observations dactylographiées, datées du 23 novembre 2011, présentées au tribunal de révision, l’avocate de l’appelant a indiqué :

[Traduction]
Le travail indépendant était la dernière tentative de l’appelant pour avoir un emploi rémunérateur sans la douleur physique et le stress psychologique relatif à un emploi régulier; il n’a toutefois pas réussi à obtenir un revenu satisfaisant pour le soutenir. 

[40] Rien n’indiquait au tribunal de révision que l’appelant avait tenté de se recycler ou d’obtenir un autre emploi indépendant après la fermeture de son entreprise en février 2011.

[41] Le tribunal de révision mentionne l’affaire Inclima dans sa décision, mais ne semble pas avoir déterminé si les efforts de l’appelant pour obtenir ou conserver un emploi ont été infructueux en raison de son état de santé. Il semble que le tribunal de révision n’ait pas jugé nécessaire d’appliquer le critère Inclima et de déterminer si l’état de santé de l’appelant est la raison pour laquelle ses efforts pour obtenir et conserver un emploi ont été vains. Le tribunal de révision en est venu à cette conclusion parce ce qu’il a établi que l’appelant n’avait déployé aucun effort pour obtenir un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles et n’a suivi aucun programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire susceptible de l’aider à trouver un tel emploi.

[42] Compte tenu du fait que le tribunal de révision a qualifié les efforts de l’appelant pour trouver un emploi, on ne peut dire qu’il ait erré. L’appelant ne m’a pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le tribunal de révision a erré et qu’il n’a pas tenu compte des efforts de l’appelant pour trouver un emploi après septembre 2009, alors qu’il avait qualifié la preuve à cet égard de la manière suivante : « un emploi qu’il aurait pu occuper malgré ses limitations fonctionnelles ».

b) Erreur de droit – Défaut d’appliquer Villani

[43] L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en n’appliquant pas les principes qui ont été établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villani, puisque le tribunal n’a pas évalué son invalidité dans un contexte « réaliste ». La Cour s’est exprimée en ces termes :

[38] […] Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable. […]

[39] […] Il est difficile de comprendre quel objectif la Loi pourrait poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible avec le langage clair de la Loi.

. . .

[44] […] Le critère qu’il convient d’appliquer à la gravité est celui en fonction duquel chaque mot de la définition apporte sa contribution à l’exigence légale.

[44] Le tribunal de révision a reconnu que le critère d’invalidité « grave » devait être évalué dans un contexte réaliste et qu’il fallait tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. À mon avis, le tribunal de révision a correctement déterminé le critère juridique à appliquer, mais ceci ne conclut pas l’enquête.

[45] L’avocate de l’appelant souligne qu’en l’espèce, le tribunal de révision a omis de tenir compte des circonstances particulières de l’appelant – son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son manque de ressources financières – dans son interprétation des raisons qui ont provoqué l’échec de l’entreprise et dans l’évaluation de la capacité de l’appelant à chercher d’autres possibilités de travailler à son compte que comporte son analyse globale de la gravité de l’invalidité. L’avocate de l’appelant ajoute que le tribunal de révision a aussi omis de tenir compte de l’effet cumulatif des circonstances particulières relatives à la santé mentale et aux déficiences physiques de l’appelant.

[46] L’appelant a énoncé ses circonstances personnelles : un certificat désuet en technologie de l’environnement (domaine dans lequel il n’a jamais travaillé), une expérience de travail limitée à des travaux physiques, aucune expérience de travail sédentaire ni entrepreneurial (autre que dans le cadre de son entreprise éphémère), une incapacité d’accomplir un travail physique ou social en raison de ses douleurs chroniques au dos, de sa dépression, de son anxiété générale et d’un trouble panique. L’avocate de l’appelant affirme que si le tribunal de révision avait tenu compte des circonstances particulières de l’appelant, il aurait conclu que l’invalidité de l’appelant était assez grave pour qu’il soit régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice

[47] L’avocat de l’intimé affirme que le tribunal de révision a appliqué Villani de manière raisonnable puisqu’il n’a pas seulement expliqué adéquatement le paragraphe 24 de la décision de la Cour d’appel fédérale, mais aussi parce qu’il a appliqué le critère aux faits précis de l’affaire. Il souligne également que le tribunal de révision a fait état de l’âge, du niveau d’éducation et des antécédents professionnels de l’appelant au paragraphe 8 de sa décision. L’avocat de l’intimé déclare qu’une évaluation des circonstances personnelles de l’appelant n’est pas pertinente de toute façon puisque le tribunal de révision a conclu que l’état de santé de l’appelant n’était pas grave.

[48] L’avocat de l’intimé ajoute que les circonstances de l’appelant n’indiquent pas que dans un contexte réaliste, l’appelant serait incapable de trouver un emploi compte tenu de son âge, de son profil linguistique, de son niveau d’études, de son expérience et d’autres facteurs. L’avocat de l’intimé indique que dans un contexte réaliste, le fait que l’appelant parle anglais et qu’il soit dans la quarantaine l’aiderait à trouver un emploi plutôt que de lui nuire. Il déclare aussi que l’appelant devrait être en mesure de suivre une formation et de chercher un emploi, compte tenu de son niveau d’études et de ses habiletés générales. Le fait que l’appelant n’ait jamais tenté de se recycler infirme l’assertion selon laquelle la décision du tribunal de révision est déraisonnable.

[49] Je ne suis pas prête à accepter la déclaration de l’avocat de l’intimé selon laquelle une évaluation des circonstances personnelles de l’appelant n’est pas nécessaire parce qu’il a été conclu que l’état de santé de l’appelant n’était pas grave. L’avocate de l’appelant a mentionné le paragraphe 39 de Villani dans laquelle la Cour a écrit « le législateur doit avoir eu l’intention de faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité soit appliqué en conservant un certain rapport avec le ”monde réel” ». La Cour avait aussi trouvé un autre appui en adoptant le sens ordinaire du sous-alinéa 42(2)a)i) dans l’article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, qui exige qu’une personne demandant des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, doit d’abord fournir au ministre certains renseignements. L’article indique :

68.  (1) Where an applicant claims that he or some other person is disabled within the meaning of the Act, he shall supply the Minister with the following information in respect of the person whose disability is to be determined:

  1. a) a report of any physical or mental impairment including
    1. (i) the nature, extent and prognosis of the impairment,
    2. (ii) the findings upon which the diagnosis and prognosis were made,
    3. (iii) any limitation resulting from the impairment, and
    4. (iv) any other pertinent information, including recommendations for further diagnostic work or treatment, that may be relevant;
  2. b) a statement of that person’s occupation and earnings for the period commencing on the date upon which the applicant alleges that the disability commenced; and
  3. c) a statement of that person’s education, employment experience and activities of daily life.

* * *

68.  (1) Quand un requérant allègue que lui-même ou une autre personne est invalide au sens de la Loi, il doit fournir au ministre les renseignements suivants sur la personne dont l’invalidité est à déterminer :

  1. a) un rapport sur toute détérioration physique ou mentale indiquant
    1. (i) la nature, l’étendue et le pronostic de la détérioration,
    2. (ii) les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic,
    3. (iii) toute incapacité résultant de la détérioration, et
    4. (iv) tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnels;
  2. b) une déclaration indiquant l’emploi et les gains de cette personne pendant la période commençant à la date à partir de laquelle le requérant allègue que l’invalidité a commencé; et
  3. c) une déclaration indiquant la formation scolaire, l’expérience acquise au travail et les activités habituelles de la personne.

[50] Par conséquent, je suis d’avis qu’un tribunal de révision ou une division générale ne peut analyser adéquatement le critère de gravité uniquement sur la base du dossier médical sans évaluer les circonstances personnelles de l’appelant.

[51] Je suis d’accord avec l’observation de l’avocate de l’appelant selon laquelle le tribunal de révision n’a pas évalué les circonstances personnelles de l’appelant comme le prévoit Villani. Ce n’est pas suffisant, dans le cadre d’une évaluation, de mentionner la décision de la Cour et d’énumérer les circonstances personnelles – dans les sections de la Preuve ou de l’Analyse – sans fournir une analyse valable de l’incidence de ces circonstances sur la capacité de l’appelant d’occuper régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. En l’espèce, le tribunal de révision n’a pas réussi à mener cette analyse et a, selon moi, commis une erreur mixte de fait et de droit. 

[52] J’ai mentionné plus haut que la norme de la décision correcte s’applique aux erreurs de droit qui concernent des questions constitutionnelles ou de compétence ou des questions juridiques d’importance capitale pour le système juridique et étrangères au domaine d’expertise du tribunal et que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’il y a des erreurs mixtes de droit et de fait, lorsqu’il y a une clause privative ou qu’un décideur possède une expertise spéciale, ou encore que la question se rapporte à l’interprétation de la loi habilitante. En l’espèce, l’erreur fait partie de la dernière catégorie et la norme de la décision raisonnable doit s’appliquer. Les deux parties s’entendent sur le fait que la norme applicable est celle de la raisonnabilité.

Raisonnabilité de la décision

[53] L’avocate de l’appelant a déclaré que même si le tribunal de révision a tenir compte d’un certain nombre de facteurs, notamment le fait de ne pas avoir suivi de traitement raisonnable, pour déterminer si l’appelant pouvait être qualifié d’invalide aux termes du Régime de pensions du Canada, la décision est déraisonnable dans son ensemble.

[54] L’avocate de l’appelant affirme que le tribunal de révision ne peut éviter de faire une évaluation des circonstances personnelles d’un demandeur lorsque ces mêmes circonstances sont une partie intégrante de l’analyse qui cherche à établir si l’invalidité d’une personne est grave. Elle ajoute que le tribunal de révision échoue la vérification du caractère raisonnable puisqu’il a omis de tenir compte des antécédents professionnels de l’appelant et de ses efforts pour se recycler.

[55] L’intimé prétend que je devrais suivre le raisonnement établi dans  Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et- Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, et qu’en appliquant la norme de la raisonnabilité je ne devrais pas séparer l’analyse des motifs du tribunal de révision. L’intimé souligne que la Cour suprême a plutôt décrit la révision d’une décision administrative comme un exercice plus global dans le cadre duquel les motifs du tribunal doivent être examinés en corrélation avec le résultat et permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.

[56] L’intimé affirme que le tribunal de révision n’était pas tenu d’exposer toute son analyse, notamment son étude des circonstances de l’appelant, si sa décision est raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables. La Cour suprême a déclaré au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir que « [l]a cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. » (Souligné par mes soins.)

[57] Dans la décision Newfoundland la Cour suprême a déclaré :

[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn.[1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[17] […]Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

[18] Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56 [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57 [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

[Traduction]
La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]
(Souligné par mes soins.)

[58] La Cour d’appel fédérale a dû trancher une question semblable dans Erickson c. Canada (ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CAF 58. L’appelante avait alors déclaré que le la Commission d’appel des pensions avait fondé sa décision sur des faits erronés sans tenir compte de la preuve dont elle était saisie. Elle avait ajouté que la Commission avait complètement ignoré la preuve liée au trouble de douleur chronique musculosquelettique et les opinions affirmant que ce trouble empêchait la demanderesse de travailler. La Cour d’appel fédérale n’était pas du même avis et avait déclaré que la Commission connaissait bien sa fonction générale : déterminer si la demanderesse était atteinte d’une invalidité grave ou prolongée l’empêchant de détenir une occupation véritablement rémunératrice compte tenu des solutions réalistes qui s’offraient à elle. La Cour d’appel fédérale avait expliqué :

[11] Une lecture attentive du dossier me convainc qu’il existe une preuve médicale tendant à démontrer la condition de la demanderesse ainsi qu’une preuve concluante du manque d’efforts de sa part pour se trouver un emploi […] permettant à la Commission de conclure comme elle l’a fait. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de substituer sa propre opinion à celle de la Commission. Puisque la Commission a appliqué le critère juridique approprié et qu’elle s’est acquittée de ses fonctions, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La décision de la Commission faisait partie des issues acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

[59] Une approche raisonnable exige que je me soucie des résultats, mais peut-on prétendre à la raisonnabilité des résultats si le tribunal de révision omet d’appliquer un critère aussi essentiel que celui d’évaluer si l’appelant peut être jugé invalide et de tenir compte de ses circonstances personnelles? Après tout, la décision doit pouvoir se justifier au regard des faits et du droit. Les termes de la Cour d’appel fédérale dans Erickson, soit que la Commission avait « appliqué le critère juridique approprié » sont instructifs. On ne peut déterminer le critère juridique et ensuite omettre de l’appliquer.

[60] La cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion dans Garrett c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 84 et dans Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47. Dans Garrett, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Commission d’appel des pensions parce que la majorité avait omis de se référer à Villani ou de fonder son analyse sur ses principes. Il s’agit là d’une erreur de droit.

[61] Dans Bungay, la Cour a conclu que la décision de la Commission d’appel des pensions, rendue par sa majorité, était indéfendable à l’égard du droit. La Cour a constaté que la majorité avait omis d’évaluer l’état de santé de la demanderesse dans un contexte réaliste et de tenir compte de ses différentes incapacités. La Cour a déterminé que la majorité s’était attardée à un seul des problèmes de santé de la demanderesse, car les autres n’avaient aucun lien avec sa perte d’emploi. Outre une courte mention des antécédents professionnels de la demanderesse, la Commission n’avait pas fait état de son âge, de son niveau d’instruction, de ses aptitudes linguistiques et de son expérience de vie comme l’exige l’arrêt Villani.

[62] Dans Lutzer c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 190, la demanderesse affirme que la décision de la Commission d’appel des pensions devait être annulée en raison d’une erreur de droit parce que la Commission n’avait pas tenu compte de l’âge, de son faible niveau de scolarité et de ses problèmes de santé pour évaluer si son invalidité était d’une « gravité » telle qu’elle la rendait régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La Cour d’appel fédérale a rejeté les arguments de la demanderesse et a conclu que la constatation des faits de la Commission concernant les questions de santé était claire et justifiable par la preuve dont elle disposait. Elle a déterminé que la Commission avait fait état de l’âge de la demanderesse et de ses antécédents professionnels. La Commission avait aussi souligné que la demanderesse n’avait déployé aucun effort pour trouver des possibilités d’emploi compte tenu de sa situation particulière. La Commission avait établi le critère juridique sans expliquer son raisonnement. Le juge Linden a finalement conclu que « [m]algré le laconisme des motifs de la Commission, je ne suis pas convaincu que celle-ci a commis une erreur de droit ou a omis de tenir compte d’aspects qu’elle aurait dû prendre en considération, en raison des circonstances de l’affaire ».

[63] Dans Doucette c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 292, la majorité de la Cour a estimé qu’aucun élément de preuve au dossier n’appuyait l’opinion de la Commission d’appel des pensions selon laquelle la véritable cause de l’incapacité du demandeur à retourner au travail était l’absence de véritables efforts de sa part entre le moment de son accident et la fin de sa période minimale d’admissibilité, et « [c]ompte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse en profondeur des limitations de la capacité du demandeur de réintégrer le marché du travail en raison de son niveau de scolarité, de ses aptitudes linguistiques et de ses antécédents de travail ainsi que de son expérience de la vie ».

[64] En l’espèce, le tribunal de révision a omis de mener une analyse approfondie des facteurs établis dans Villani ou des circonstances personnelles, mais a tenu compte d’autres aspects des traitements et des antécédents médicaux de l’appelant et a souligné ses efforts limités pour obtenir un emploi ou suivre un programme de recyclage professionnel ou de rattrapage scolaire que ses limites fonctionnelles permettent. Si le tribunal de révision avait omis de tenir compte d’autres aspects des traitements et des antécédents médicaux de l’appelant et de ses efforts pour trouver des possibilités d’emploi, j’aurais pu conclure que cette affaire ressemblait aux affaires Garrett et Bungay et déterminer que la décision était déraisonnable, mais j’estime que les affaires Lutzer et Doucette sont plus utiles. Mon examen de la décision du tribunal indique que celui-ci a soigneusement étudié un certain nombre de questions juridiques relatives au critère de gravité, ainsi que la question de savoir si l’appelant avait épuisé tous les traitements raisonnables possibles. Le tribunal de révision a utilisé la décision Ministre du Développement des ressources humaines c. Mulek (13 septembre 1996), CP 4719 (CAP), dans laquelle la Commission d’appel des pensions déclare :

La Commission a toujours jugé qu’une personne qui demande une pension d’invalidité est obligée de faire tous les efforts raisonnables et nécessaires pour entreprendre et suivre les programmes et traitements recommandés par les médecins traitants et les médecins-conseils. Assez souvent, ces programmes offrent le seul espoir de redevenir un jour apte à détenir une occupation rémunératrice. On peut déterminer que l’invalidité est grave, selon la définition de ce terme, seulement lorsque ces mesures ont échoué, après des tentatives et des efforts raisonnables.

[65] Bien que l’appelant ait expliqué pourquoi il n’avait pas suivi de traitement de physiothérapie ni pris d’anxiolytiques (je ne porte aucun jugement quant au caractère raisonnable de ces explications), d’autres traitements avaient été recommandés, notamment la psychothérapie, que l’appelant n’avait pas encore entrepris au moment de l’audience devant le tribunal de révision. Le tribunal de révision a constaté que l’appelant avait omis de suivre les recommandations de traitement d’un neurologue et d’un psychiatre, et qu’il continuait de consommer de la marijuana contre les recommandations de son psychiatre, ce qui possiblement accentue son anxiété.

[66] À cet effet, j’accepte aussi les observations de l’avocat de l’intimé selon lesquelles, nonobstant l’état de santé actuel de l’appelant, le refus d’un demandeur de suivre les traitements qui lui sont recommandés peut porter un coup fatal à sa demande de prestations d’invalidité : Lalonde c. Canada (ministres du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211. La Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

Le contexte "réaliste" suppose aussi que la Commission se demande si le refus de madame Lalonde de suivre des traitements de physiothérapie est déraisonnable ou non, et quel impact ce refus peut avoir sur l’état d’incapacité de madame Lalonde, dans le cas où le refus est déraisonnable.

[67] Le raisonnement qui sous-tend la décision Lalonde est que l’invalidité d’un demandeur ne peut être prolongée s’il existe toujours des traitements possibles qui pourraient améliorer son état de manière à lui permettre de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. (À cet égard, Lalonde traite des deux questions : la gravité et le caractère prolongé.)

[68] Compte tenu de ces éléments, je suis d’avis que la décision du tribunal de révision fait partie des issues possibles acceptables et que dans l’ensemble elle se justifie au regard des faits et du droit.

Conclusion

[69] L’appel est rejeté.

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