Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Introduction

[1] Le demandeur demande la permission d’appeler de la décision de la division générale datée du 11 décembre 2014 (la « demande de permission »). La division générale a rejeté sa demande de prestations d’invalidité, ayant déterminé que le demandeur n’était pas atteint d’une invalidité « grave » au sens du Régime de pensions du Canada à la date de la fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2011. Le demandeur soutient que la division générale l’a trouvé [traduction] « suspect », parce qu’il ne se rappelait pas avoir touché un paiement de 7 000 $ en 2009, comme l’indique son historique des cotisations au Régime de pensions du Canada, ni ne pouvait l’expliquer. Pour que la demande de permission puisse être accueillie, le demandeur doit me convaincre que l’appel a une chance raisonnable de succès ou qu’il existe une cause défendable.

Question en litige

[2] Le motif d’appel soulevé par le demandeur a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations du demandeur

[3] Le demandeur soutient que la division générale l’a trouvé [traduction] « suspect », parce qu’il ne se rappelait pas avoir touché un paiement de 7 000 $ en 2009, comme l’indique son historique des cotisations au Régime de pensions du Canada, ni ne pouvait l’expliquer. Bien que le demandeur ne l’ait pas formulé ainsi, il soutient essentiellement que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, ou qu’elle n’a pas observé un principe de justice naturelle. Le demandeur affirme, au fond, que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée selon laquelle il aurait travaillé en 2009, alors qu’aucun élément de preuve n’étayait cette thèse; de même, la division générale n’a pas pu rendre une décision de façon équitable alors qu’elle mettait en doute son témoignage relatif à ses antécédents d’emploi.

Observations de l'intimé

[4] L’intimé n’a pas déposé d’observations écrites.

Analyse

[5] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi »), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[6] Le paragraphe 58(2) de la Loi porte que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[7] Bien qu’une demande d’autorisation d’interjeter appel soit un premier obstacle que le demandeur doit franchir – et un obstacle inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond – il reste que la demande doit soulever un moyen défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Par ailleurs, dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si le demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander s’il a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[8] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social porte que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] Pour que la demande de permission puisse être accueillie, le demandeur doit me convaincre que son motif d’appel s’inscrit dans les moyens d’appel prévus et qu’il a une chance raisonnable de succès.

[10] Cette demande soulève une question intéressante à savoir qu’elle pourrait être plutôt une demande d’annulation ou de modification de la décision de la division générale. C’est le cas en l’espèce puisque le demandeur a déposé des documents qu’il n’a obtenu que récemment de son employeur. La division générale n’avait de toute évidence pas ces documents en main avant de rendre sa décision. Cependant, cela exigerait du demandeur qu’il satisfasse aux conditions énoncées à l’article 66 de la Loi. Ainsi, il lui faudrait prouver que les nouveaux documents constituent des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. En outre, il lui faudrait déposer une demande d’annulation ou de modification auprès de la division même qui a rendu la décision faisant l’objet de la demande d’annulation ou de modification. Si le demandeur avait déposé une demande d’annulation ou de modification auprès de la division générale, les renseignements sur la rémunération qu’il dépose maintenant avec sa demande de permission d’en appeler auraient-ils satisfait aux exigences en vertu de l’alinéa 66(1)b) de la Loi? Cela est discutable.

Allégation relative à un manquement à l’égard de la justice naturelle

[11] Était-il juste et équitable de la part de la division générale de tirer des conclusions concernant la source des gains du demandeur en 2009, sans lui donner l’occasion d’obtenir des pièces justificatives, puis de tirer des conclusions qui semblent en défaveur du demandeur quant à sa crédibilité? Après tout, il pourrait bien être raisonnable de penser qu’il ne se souvenait pas de la source de gains remontant à cinq années auparavant et raisonnable aussi de penser qu’il ne s’attendait pas à se voir poser de questions à ce sujet et, par conséquent, qu’il n’a pas cherché à obtenir l’information avant l’audience, compte tenu qu’il s’agissait de gains de 2009, deux ans avant la fin de sa période minimale d’admissibilité.

[12] Le demandeur s’est procuré des documents auprès de son employeur après la tenue de l’audience devant la division générale. L’employeur a confirmé qu’il s’agissait d’une rémunération de vacance impayée et d’autres avantages (dont les détails ne sont pas lisibles sur la copie des documents en question). L’employeur a confirmé qu’aucun revenu d’emploi n’avait été payé au demandeur après 2007, alors qu’il était en congé d’invalidité de longue durée de son emploi.

[13] Habituellement, aucun nouveau document ne serait pris en considération, que ce soit en appel ou dans le cadre d’une demande de permission, sauf s’il soulève l’un des moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi. En l’espèce, le document provenant de l’employeur a été déposé en appui à l’allégation du demandeur que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; par conséquent, le document est admissible à cette fin.

[14] Le fait pour la division générale de tirer une conclusion défavorable au demandeur, et de tirer des conclusions qui pourraient en fin de compte s’avérer incorrectes, est-ce que cela a influé ou eu un effet préjudiciable sur son évaluation globale de la demande de prestations d’invalidité du demandeur, même si de prime abord l’évaluation puisse sembler raisonnable?

[15] Dans l’ensemble, le demandeur m’a convaincue qu’il existe une cause défendable ou une chance raisonnable de succès que la division générale puisse n’avoir pas respecté un principe de justice naturelle ou puisse avoir autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence.

Allégation relative à une conclusion de fait erronée

[16] Le demandeur soutient essentiellement que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, en ce qu’elle a tiré la conclusion qu’il était [traduction] « concevable qu’il ait pu retourner au travail en 2009, et gagné un revenu de 7 889 $ ». Le demandeur reconnaît qu’il ne pouvait pas se souvenir de la source de ces gains lors de l’audience devant la division générale, et apparemment avait offert de chercher à découvrir ce qu’il en était.

[17] Si je devais conclure que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée aux termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi, il me faudrait aussi conclure qu’elle l’a fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, ou qu’elle a tiré sa conclusion de façon abusive ou arbitraire. Étant donné qu’à l’audience, il y avait une absence de documentation concernant les gains du demandeur pour l’année 2009, la division générale a tiré une conclusion au sujet de la source des gains, en fonction des antécédents d’emploi du demandeur. Bien qu’au final cette conclusion puisse se révéler erronée, un argument pourrait être formulé que cette conclusion était fondée sur les faits ou éléments très limités dont la division générale disposait.

[18] Il me reste toutefois à déterminer la possibilité que sa conclusion pourrait avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire. Que signifie l’expression de façon abusive ou arbitraire? Ni la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ni le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale n’en fournissent une définition. Dans Synchrosat Ltd. c. Canada, 2004 CAF 55, la Cour d’appel fédérale tranchait la question de savoir si la juge de la Cour canadienne de l’impôt avait tiré des conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire. Bien que le juge Létourneau n’ait pas explicitement défini le terme, il a conclu qu’il y avait « suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les conclusions » et a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[19] Dans Canada (Procureur général) c. Schultz, 2006 CF 1351, la Cour fédérale a déterminé que la preuve devait avoir été « évidente ». La Cour a conclu que la preuve soumise à la Commission d’appel des pensions démontre de façon évidente que M. Schultz est devenu invalide au plus tôt en 1986. Il s’ensuit qu’en décidant qu’il existait des arguments défendables permettant de soutenir que M. Schultz était invalide sans interruption depuis 1976, la Commission d’appel des pensions a rendu une décision tout simplement arbitraire ou n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait. De même, dans Wirachowsky c. Canada, 2000 CanLII 16702, la Cour d’appel fédérale a conclu que compte tenu de la preuve dont disposait la Commission d’appel des pensions dans son ensemble, la décision de la Commission ne pouvait être maintenue. La Cour était convaincue que la Commission n’avait pas tenu compte de tous les éléments de la preuve médicale dont elle disposait en décidant que le demandeur n’était pas atteint d’une invalidité au sens du Régime de pensions du Canada.

[20] Cette jurisprudence laisse entendre qu’il doit y avoir un élément de preuve ou un fondement sur lequel la division générale doit s’appuyer pour tirer une conclusion de fait, pour ne pas que cela soit fait de façon abusive ou arbitraire. Dans l’affaire qui nous occupe, l’historique d’emploi du demandeur pourrait être un élément de preuve insuffisant, puisqu’il n’étaye pas de façon probante la source des gains de 2009. Il s’agit d’une distinction très fine par rapport à fonder une décision sur les éléments portés à sa connaissance, puisque les « éléments » n’ont pas nécessairement à constituer des éléments de preuve d’une question particulière.
[21] Le demandeur m’a convaincue qu’il existe une cause défendable ou une chance raisonnable de succès que la division générale puisse avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

Appel

[22] Les questions auxquelles les parties pourraient vouloir répondre en appel comprennent les suivantes :

  1. a) Avons-nous affaire ici à un contrôle en appel ou à un contrôle judiciaire? Quel est le niveau de déférence qui doit être observé par la division d’appel à l’égard de la division générale?
  2. b) Quelle est la norme de contrôle applicable?
  3. c) La division générale a-t-elle manqué d’observer un principe de justice naturelle?
  4. d) La division générale a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire? Les parties pourraient vouloir aborder certains des points que j’ai soulevés dans les paragraphes 18 à 20 et pourraient aussi vouloir aborder la question de savoir ce que signifie « de façon abusive ou arbitraire ».
  5. e) Si la réponse aux questions des alinéas 22c) ou 22d) est « oui » et si le critère de la norme correcte s’applique, quelle décision la division générale aurait-elle dû rendre? Si le critère de la décision raisonnable est ce qui s’applique, la décision de la division générale est-elle justifiée, transparente, intelligible et sa finalité participe-t-elle à une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?
  6. f) L’appel est-il devenu théorique, à la lumière du fait que la division générale s’est aussi fondée sur d’autres motifs pour conclure que l’invalidité du demandeur ne pouvait être caractérisée de grave?
  7. g) Si la division générale a commis une erreur et a rendu une décision jugée déraisonnable, quelle mesure de redressement, s’il y a lieu, est appropriée?

[23] J’invite les parties à me faire part également de leurs observations au sujet du mode d’audience (c’est-à-dire si l’audience devrait être tenue par téléconférence, vidéoconférence ou tout autre moyen de télécommunication, par comparution en personne des parties ou par le mode de questions et réponses écrites) et de l’à-propos du mode d’audience préconisé.

Conclusion

[24] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[25] Cette décision concernant la demande de permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.