Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] Le Tribunal conclut qu’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) est payable à l’appelant.

Introduction

[2] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité du RPC de l’appelant le 14 juin 2011. L’intimé a rejeté la demande initiale et la demande de réexamen, puis l’appelant a interjeté appel auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[3] Le présent appel a été instruit au moyen de questions et de réponses pour les raisons indiquées dans l’avis d’audience daté du 23 décembre 2014.

Droit applicable

[4] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012 prévoit que les appels qui ont été déposés auprès du BCTR avant le 1er avril 2013 mais qui n’ont pas été instruits par le BCTR sont réputés avoir été déposés auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (la Loi) établit les conditions d’admissibilité à la pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur doit :

  1. a) avoir moins de 65 ans;
  2. b) ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[6] Le calcul de la PMA est important, puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[7] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[8] Le Tribunal est d’avis que la date marquant la fin de la PMA est le 31 décembre 2014.

[9] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer s’il est plus probable qu’improbable que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

Preuve

[10] L’appelant avait 59 ans à la date marquant la fin de sa PMA. Il a terminé une douzième année avant de suivre une formation de conducteur de chariot élévateur, une formation sur le SIMDUT, et un cours de supervision. Il a travaillé chez Dofasco de septembre 1973 à janvier 2010, quand il a cessé cet emploi en raison d’un trouble cardiaque et de douleur à l’épaule.

[11] En 1972, l’appelant a subi une lésion par écrasement à l’épaule droite. Cette blessure a guéri en grande partie, mais a laissé des lésions nerveuses résiduelles avec lesquelles il était en mesure de composer. L’appelant avait subi une blessure à son lieu de travail en septembre 2007, qui a eu une incidence sur son épaule droite (GT3-18). Il a subi plusieurs chirurgies, notamment l’excision de sa première côte en raison du syndrome du défilé thoraco-brachial. (GT3-44)

[12] L’appelant a suivi un grand nombre de traitements de physiothérapie, tant avant qu’après ses chirurgies à l’épaule.

[13] L’appelant a subi une chirurgie de la coiffe des rotateurs en janvier 2011, car il avait une déchirure et une capsulite rétractile. Le Dr Wong, chirurgien orthopédiste, a indiqué en mars 2011 que l’appelant serait en mesure de retourner au travail dans les 3 à 6 mois, avec des tâches modifiées qui excluraient les mouvements au‑dessus de la tête ainsi que les mouvements répétitifs ou de soulèvement avec les épaules (GT3-77).

[14] En mai 2011, lors d’une consultation de suivi avec son cardiologue, le Dr Curnew, l’appelant a dit qu’il ressentait encore une douleur thoracique quelques fois par semaine, et que son rythme cardiaque était irrégulier. Il a indiqué au Dr Curnew qu’il avait pris congé de son emploi comme opérateur de grue, mais qu’il espérait retourner à un emploi de bureau (GT1-62).

[15] En juin 2011, le Dr Greenspoon, médecin de famille, a terminé le rapport médical du RPC. Il connaissait l’appelant depuis 1999. Son diagnostic comprenait les éléments suivants : coronaropathie, douleurs thoraciques et réparation de la coiffe des rotateurs du côté droit. Il indique qu’une endoprothèse a été insérée dans le cœur de l’appelant en juillet 1010, suite à un infarctus du myocarde. Il indique que l’appelant a une cardiomyopathie; en raison de ce trouble, l’appelant est affaibli et souffre d’une dyspnée à l’effort, et ses activités de la vie quotidienne sont limitées. (GT1-61)

[16] En juin 2011, l’appelant a indiqué dans le questionnaire du RPC qu’il pouvait demeurer assis ou debout pendant de 10 à 15 minutes seulement, et qu’il pouvait marcher seulement sur une distance d’environ 6 pâtés de maisons, ou durant 15 minutes. Il est capable de dormir pendant 45 à 90 minutes seulement, soit jusqu’à ce que la douleur le réveille. Il est facilement distrait et éprouve des problèmes intermittents de mémoire à court terme en raison de sa douleur. (GT1-76)

[17] L’appelant a affirmé dans ses réponses que les difficultés et les limites fonctionnelles indiquées dans son questionnaire en juin 2011 n’avaient pas changé. Il a indiqué que la plus grande différence entre 2011 et 2014 est une augmentation de ses niveaux de douleur et une moins bonne mobilité latérale à son bras droit. Il a dû augmenter sa consommation de médicaments contre la douleur, et il utilise un somnifère pour dormir plus facilement. Même avec l’utilisation de ce somnifère, il dort de façon ininterrompue pendant seulement une heure et demie avant que la douleur ne le réveille. (GT5-4)

[18] L’appelant écrit qu’il ne peut pas prévoir sa douleur ou son niveau de mobilité d’un jour à l’autre. Certains jours sont bien pires que d’autres. (GT5-3)

[19] En janvier 2013, un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révélé une rupture de la coiffe des rotateurs dans l’articulation de l’épaule gauche, ce qui nécessite une chirurgie. (GT1-65) Les dates proposées pour la chirurgie en 2013 ont été annulées en raison des endoprothèses dans le cœur de l’appelant, ainsi que de l’état cardiaque de ce dernier. En date du 4 mars 2014, cette chirurgie est toujours en attente.

[20] L’appelant indique que ses compétences en informatique sont limitées. Il est capable de jouer à quelques jeux et d’utiliser un peu Facebook.

[21] Le travail le plus à caractère administratif jamais réalisé par l’appelant consistait à travailler dans le bureau de l’usine pour aider à l’élaboration d’un manuel des pratiques sécuritaires au travail. Le reste du temps, il a travaillé à l’usine Dofasco.

Observations

[22] L’appelant soutient qu’il est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) il est en attente d’une chirurgie à l’épaule gauche, selon les résultats de son examen préopératoire;
  2. b) le dosage de ses somnifères et de ses antidouleurs a été augmenté, compte tenu de son incapacité de dormir pendant de longues périodes à cause de sa douleur aux épaules;
  3. c) il est incapable de prévoir quel sera son niveau de douleur ou de mobilité d’un jour à l’autre.

[23] L’intimé a soutenu que l’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. a) bien qu’il soit admis que l’appelant ne pouvait pas faire de travaux lourds en raison de son état de santé, la preuve médicale ne montre aucune pathologie grave qui l’empêcherait de faire des travaux légers lui convenant. L’appelant souhaitait retourner occuper un emploi de bureau;
  2. b) le cardiologue n’est pas d’avis que le travail est contre-indiqué;
  3. c) il y a preuve de capacité de travail et l’appelant serait en mesure de reprendre ses activités modifiées en évitant de soulever, de pousser ou de tirer des charges lourdes.

Analyse

[24] L’appelant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2014 ou avant cette date.

Invalidité grave

[25] Le Tribunal estime que le témoignage de l’appelant fourni par écrit est clair et concis; l’appelant décrit son état ainsi que l’effet de celui-ci sur sa vie et sa capacité de travailler. Ses réponses vont dans le sens des autres éléments de preuve des nombreux professionnels de la santé présentés dans tout le dossier d’audience.

[26] Le critère de la gravité doit être évalué dans un contexte réaliste (Villani c. Canada (P.G.), 2001 CAF 248). Cela signifie que pour déterminer si l’invalidité d’une personne est grave, le Tribunal doit tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[27] L’appelant avait 59 ans à la date marquant la fin de sa PMA. Il a acquis l’ensemble de son expérience professionnelle chez Dofasco, principalement comme conducteur de chariot élévateur. Son historique des gains montre plus de 25 années de revenus. Il a terminé une douzième année et certains cours de conducteur de chariot élévateur et de supervision, mais il n’a pas acquis beaucoup de compétences transférables pour un poste sédentaire dans son travail ou sa vie personnelle. Il a un ordinateur à la maison, qu’il utilise très peu et surtout pour jouer à des jeux. L’appelant doit maintenant subir une autre chirurgie à l’épaule gauche, et personne ne sait dans quelle mesure il se rétablira de cette opération.

[28] Pour déterminer si l’appelant respecte les conditions associées au critère de gravité, le Tribunal accorde une importance considérable à l’application des facteurs examinés dans Villani. Le Tribunal estime qu’il n’est pas raisonnable, compte tenu de la douleur, du manque de sommeil, des limites dans les activités normales de la vie quotidienne, et des antécédents professionnels de l’appelant, de présumer qu’il serait, à son âge, facilement capable de changer d’emploi pour occuper un travail de type sédentaire ou se recycler à cette fin.

[29] Le Tribunal fait référence à Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47, où il est indiqué que l’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à toutes les « circonstances ». Les circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

  1. (a) La « situation » particulière du demandeur. Des éléments comme « son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie » sont pertinents ici (Villani, précité, au paragraphe 38).
  2. (b) Les « antécédents médicaux » de demandeur. Il s’agit d’un examen approfondi dans le cadre duquel l’état du demandeur est évalué dans son ensemble. Toutes les détériorations du demandeur ayant une incidence sur son employabilité sont examinées, pas seulement les détériorations les plus importantes ou la détérioration principale. L’approche qu’il convient d’adopter pour évaluer l’état du demandeur dans son ensemble est compatible avec le paragraphe 68(1) du Règlement concernant l’application du Régime des pensions du Canada, lequel oblige le demandeur à fournir des renseignements très particuliers sur « toute détérioration physique ou mentale », pas seulement ce que le demandeur estime être la détérioration dominante.

[30] Après avoir examiné les caractéristiques personnelles de l’appelant décrites dans Villani, ses limites fonctionnelles et son employabilité, le Tribunal est convaincu qu’il satisfait au critère relatif à l’invalidité grave.

[31] En présence de preuves de capacité de travail, la personne doit démontrer que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de son état de santé (Inclima c. Canada (P.G.), 2003 CAF 117).

[32] L’intimé a noté que l’appelant a mentionné à son cardiologue qu’il espérait  retourner à un travail de bureau. Il n’avait aucune formation ou expérience de travail pour occuper un emploi sédentaire, sauf une année de travail de bureau pendant laquelle il contribuait à l’élaboration d’un manuel de sécurité au travail. Il est incapable de dormir pendant plus de 90 minutes sans interruption, et il a besoin d’antidouleurs et de somnifères pour atteindre ce maximum. L’appelant décrit des limites importantes en position assise, en position debout et lorsqu’il marche, et par conséquent même un emploi sédentaire serait difficile pour lui sur le plan physique. La preuve démontre clairement que les habiletés fonctionnelles de l’appelant ont décliné en raison de sa douleur aux épaules, de sa douleur thoracique, et de la dyspnée due à ses problèmes cardiaques. Cette déclaration a été faite au cardiologue en mai 2011, plus de trois ans avant la fin de sa PMA.

[33] La Commission d’appel des pensions a aussi conclu que les expressions d’optimisme des appelants n’équivalent pas à une capacité de travailler : MDRH c. Ethier (24 juillet 1998), CP 6086 (CAP).

[34] Le Tribunal n’accorde pas une importance considérable à l’espoir exprimé par l’appelant plusieurs années avant la fin de sa PMA. Compte tenu des longs antécédents de travail de l’appelant, il est raisonnable de conclure que si l’appelant pouvait occuper n’importe quel emploi, il le ferait. Le Tribunal estime que l’appelant n’avait pas la capacité de travailler à la date ou sa PMA a pris fin. Par conséquent, l’appelant n’avait pas l’obligation de démontrer son incapacité d’obtenir et de conserver un emploi.

[35] L’intimé soutient que le cardiologue n’a pas mentionné qu’il était contre‑indiqué à l’appelant de travailler. Le cardiologue a seulement noté la déclaration optimiste de l’appelant concernant le travail. Il mentionne dans ce rapport que les résultats de l’examen témoignent d’un syndrome de vasodépression et indiquent que ses épisodes d’étourdissement sont moins fréquents.

[36] Les rapports médicaux ne contiennent pas toujours les mots contenus dans la loi. Le Tribunal note que cette question a été traitée dans Chehade c. MDRH (14 novembre 2000), CP 14165 (CAP), dont voici un extrait :

Sauf respect, le tribunal de révision a commis une erreur en plaçant un fardeau injustifié sur l’absence des termes précis de la Loi dans les rapports médicaux. La seule conclusion raisonnable découlant des rapports médicaux est que l’appelant est probablement incapable d’occuper un emploi rémunérateur ou de se perfectionner avec succès. Bien que l’utilisation des termes employés dans la Loi permette de mieux déterminer avec certitude si une personne est admissible à une pension d’invalidité, il n’est pas essentiel d’utiliser ces termes si les exigences de la Loi ont été clairement démontrées. C’est le cas en l’espèce.

[37] Le Tribunal n’accorde aucune importance au fait que le Dr Curnew n’a indiqué aucune opinion sur l’employabilité dans le rapport de mai 2011. De plus, l’état cardiaque de l’appelant est seulement un de ses problèmes de santé, et il doit être pris en considération avec les autres problèmes et l’ensemble de leurs effets sur le fonctionnement de l’appelant.

[38] Le Tribunal a examiné attentivement les rapports médicaux et le témoignage de l’appelant sous forme de réponses fournies aux questions posées par le membre du Tribunal. Le Tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant est bien atteint d’une invalidité grave au sens de la Loi.

Invalidité prolongée

[39] Pour que l’appelant soit admissible à des prestations d’invalidité, le Tribunal doit être convaincu non seulement que l’invalidité mentale ou physique est « grave », mais aussi que cette invalidité est « prolongée ». Pour parvenir à cette conclusion, la preuve doit être suffisante pour établir que l’invalidité doit durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou qu’elle entraînera vraisemblablement le décès.

[40] L’appelant est encore en attente d’une autre chirurgie à l’épaule gauche. Il est continuellement restreint dans son fonctionnement en raison de la douleur et d’une baisse de l’amplitude des mouvements.

[41] La chirurgie a dû être retardée plusieurs fois en raison de l’instabilité de l’état cardiaque de l’appelant.

[42] Rien n’indique que le fonctionnement de l’appelant s’améliorera de manière considérable dans un avenir prévisible. Ses niveaux de douleur ont augmenté au fil des années, et il ne peut pas prédire son niveau de douleur ou sa mobilité d’un jour à l’autre.

[43] Par conséquent, le Tribunal convient qu’il est peu probable que l’état de santé de l’appelant s’améliore dans un avenir prévisible et tient pour avéré que son invalidité durera vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie.

Conclusion

[44] Le Tribunal conclut que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en janvier 2010, lorsqu’il a cessé de travailler. Aux fins du paiement, une personne ne peut être réputée invalide plus de quinze mois avant que l’intimé n’ait reçu la demande de pension d’invalidité (alinéa 42(2)b) de la Loi). Comme la demande a été reçue en juin 2011, l’appelant est réputé être devenu invalide en mars 2010. En vertu de l’article 69 de la Loi, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité. Les paiements commenceront en date de juillet 2010.

[45] L’appel est accueilli.

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