Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Comparutions

  1. Appelante - E. K.
  2. Représentante de l’intimé - Sylvie Doire

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le 26 février 2013, un tribunal de révision a entendu l’appel d’E. K. Le tribunal de révision a rendu sa décision visant le rejet de l’appel le 9 avril 2013. L’appelante a demandé et obtenu la permission d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (« le Tribunal »), qui a accordé la permission conformément aux dispositions de l’article 260 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[3] Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a soulevé des questions d’équité procédurale et soutenu que le tribunal de révision avait commis une erreur d’appréciation de la preuve. Elle a indiqué que l’audience devant le tribunal de révision s’était tenue en l’absence de l’interprète russe qu’elle avait demandé et qu’elle n’avait pas consenti à ce que l’audience se tienne de cette façon. Elle avait donc été privée du droit de se faire entendre.  Dans sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a également fait d’autres allégations d’inconduite, y compris d’avoir été induite en erreur quant à l’issue de l’audience si elle témoignait sans interprète, bien qu’elle n’ait pas précisé qui était responsable des actes allégués.

[4] L’appelante avait été représentée par un avocat à l’audience du tribunal de révision.

Motifs de l’appel

[5] L’appelante a allégué qu’il y a avait eu manquement à la justice naturelle en l’absence d’un interprète, ce qui :

  1. a) l’avait empêchée de comprendre parfaitement l’audience du tribunal;
  2. b) l’avait empêchée de s’exprimer efficacement sur sa situation très difficile;
  3. c) avait probablement fait en sorte que la division générale discrédite certaines de ses affirmations;
  4. d) avait donné lieu à la prise d’une décision fondée sur des faits erronés.

[6] Le tribunal a accordé la permission d’en appeler au motif que [traduction] « si elle est vraie, l’allégation de l’appelante selon laquelle l’audience s’était tenue sans son consentement, en l’absence d’un interprète russe, soulevait des questions d’un manquement à la justice naturelle ».

Dispositions législatives applicables

[7] Pour les besoins du présent appel, les décisions du tribunal de révision sont considérées comme étant des décisions de la division générale. Les dispositions législatives applicables figurent aux articles 58 et 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (« la Loi »). L’article 58 prévoit trois moyens d’appel, soit les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] L’article 59 énonce les pouvoirs de la division d’appel en ces termes :

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[9] Les questions soulevées actuellement devant le Tribunal sont des questions de droit, dans la mesure où elles visent à déterminer si le tribunal de révision a enfreint un principe de justice naturelle, c’est‑à‑dire le droit de l’appelante de se faire entendre. Ces questions consistent également à déterminer si l’appelante peut faire valoir qu’il y a eu manquement à la justice naturelle pour la première fois à l’étape de l’appel. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Observations des parties

Observations de l’appelante

[10] Conformément à l’article 42 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, les deux parties soumettent des observations au Tribunal. L’appelante, qui se représente actuellement elle‑même, a soumis plusieurs observations sur ses troubles médicaux, ainsi que des rapports médicaux et les erreurs qu’elle considérait que le tribunal de révision avait commises dans sa décision. En ce qui concerne la question de l’interprète, l’appelant a réitéré qu’elle croyait que le tribunal de révision n’aurait pas dû tenir l’audience sans la présence d’un interprète.

Observations de l’intimé

[11] Au nom de l’intimé, il a été fait valoir ce qui suit :

  1. a) l’appelante ne peut pas soulever la question du manquement à la justice naturelle pour la première fois à l’étape de l’appel;
  2. b) subsidiairement, il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle, c’est‑à‑dire du droit de se faire entendre.

Questions en litige

[12] Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. 1) L’appelante peut‑elle soulever la question d’un manquement à la justice naturelle pour la première fois à l’étape de l’appel?
  2. 2) Y a‑t‑il eu un manquement à la justice naturelle?

Analyse

L’appelante peut-elle soulever la question d’un manquement à la justice naturelle pour la première fois à l’étape de l’appel?

[13] L’avocate de l’intimé a fait valoir que l’appelante ne pouvait pas soulever la question d’un manquement à la justice naturelle pour la première fois à l’étape de l’appel. Dans son observation, l’avocate de l’intimé a indiqué que l’appelante aurait dû s’opposer dans le délai prescrit à tout manquement perçu à la justice naturelle à l’audience du tribunal de révision; rien n’indique qu’elle l’ait fait. Par conséquent, l’appelante ne peut pas soulever l’objection à l’étape de l’appel. À l’appui de sa position, l’avocate de l’intimé s’est fondée sur les observations incidentes de la Cour d’appel fédérale dans BenitezFootnote 1. Benitez était un appel réuni qui contestait les Directives no 7 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, lesquelles modifiaient l’ordre des interrogatoires des demandeurs d’asile. Devant la Cour d’appel fédérale, l’avocat de l’appelante, Afua Gyankoma, a tenté de soulever plusieurs questions ne concernant pas les Directives no 7 qu’il n’avait pas soumises à la Cour fédérale.

[14] Tenu de dire pourquoi il soulevait d’autres questions pour la première fois devant la Cour d’appel fédérale, l’avocat s’est contenté de répondre qu’il avait peut‑être commis une [traduction] « erreur stratégique » en ne le faisant pas plus tôt. Le juge Evans, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit :

[31] Un appelant ne peut généralement pas soulever de nouvelles questions en appel parce que la cour d’appel serait alors obligée de se prononcer sur une question sans bénéficier de l’opinion du tribunal inférieur. Le rôle d’une cour d’appel se limite généralement à examiner la décision de l’instance inférieure pour déterminer si une erreur justifie l’infirmation de cette décision.

[15] Le juge Evans a ajouté qu’il y a des exceptions à cette règle générale, en indiquant ce qui suit au paragraphe 32 :

[32] Il y a cependant des exceptions. Par exemple, dans Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 590, 2002 CAF 148, la Cour a annulé le refus, par la Section du statut de réfugié (la SSR) (telle qu’elle était alors désignée), de rouvrir une décision sur le désistement, au motif qu’un représentant aurait dû être commis d’office à l’un des revendicateurs du statut de réfugié, un mineur. Ce point n’avait pas été soulevé devant la SSR ou devant la Cour fédérale lors du contrôle judiciaire.

[16] L’avocate de l’intimé s’est également fondée sur Mohammadian c. Canada (MCI)Footnote 2, où la qualité d’une interprétation était en cause. Rejetant la demande de contrôle judiciaire, le juge Pelletier a soutenu que « la qualité de l’interprétation aurait dû être soulevée devant la SSR, puisqu’il était évident pour le demandeur qu’il avait des difficultés de communication avec l’interprète. Comme il ne l’a pas fait, sa demande de contrôle judiciaire ne peut avoir aucune suite. »

[17] Le juge Pelletier analyse ensuite le principe de common law relatif à la renonciation notant « [qu]’il est possible que le résultat soit une question qui repose sur les faits » et fait référence aux déclarations du juge Mahoney dans la décision Aquino c. Ministre de l’Emploi et de l’ImmigrationFootnote 3 :« Il serait plus exact de dire que lorsqu’un demandeur est représenté par un avocat et qu’il y a des problèmes manifestes d’interprétation, il ne peut être question de ne pas le mentionner à l’audience pour ensuite en faire état comme motif de réparation dans une demande subséquenteFootnote 4. »

[18] Puis,  au paragraphe 22 : « Les avocats ont l’obligation de porter ces questions à l’attention du tribunal pour qu’on puisse les corriger immédiatement. Les avocats et leurs clients ne peuvent prendre une police d’assurance en ignorant la question, pour ensuite la soulever en cas d’échecFootnote 5. »

[19] En l’espèce, l’appelante avait été représentée par un avocat à l’audience du tribunal de révision. Nul ne conteste que la langue maternelle de l’appelante est le russe. Nul ne conteste non plus que l’appelante a demandé l’assistance d’un interprète russe à l’audience. Ce qui est toutefois contesté, c’est si, lorsque l’interprète russe a omis de se présenter à l’audience, l’appelante a consenti à ce que l’audience se poursuive sans interprète. Ce qui suit est un cas classique de « il a dit; elle a dit ». Le tribunal de révision a indiqué dans sa décision que c’était l’avocat de l’appelante qui avait demandé que l’audience se poursuive sans interprète. Le tribunal de révision a également indiqué que l’avocat de l’appelante lui avait donné l’assurance qu’il avait pu communiquer avec elle en anglais et qu’un interprète n’avait été demandé qu’en [traduction] « appui ».

[20] De son côté, le Tribunal a noté que l’appelante était capable de communiquer efficacement avec lui en anglais. Le Tribunal a aussi noté que l’appelante avait été représentée par un avocat, vraisemblablement autorisé à travailler en Ontario et au courant de ses responsabilités professionnelles. Par conséquent, le Tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que le conseiller juridique de l’appelante à l’époque avait bien donné l’assurance que le tribunal de révision dit qu’il avait donnée. En outre, le Tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante ne s’est pas opposée à ce que l’audience se poursuive sans un interprète russe et qu’elle n’a jamais soulevé la question au cours de l’audience.

[21] Reste la question de savoir pourquoi l’appelante a omis de porter à l’attention du tribunal de révision les difficultés alléguées dans l’interprétation. Ayant déjà essuyé deux refus, il est raisonnable de présumer que l’appelante connaissait l’importance de l’audience du tribunal de révision. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il serait également raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante signale qu’elle avait de la difficulté à parler de sa situation en anglais. Le Tribunal applique Benitez et Mohammadian pour conclure que, puisque l’appelante a poursuivi l’audience sans soulever de questions, elle avait renoncé implicitement à tout manquement présumé et ne peut donc pas faire valoir un tel manquement pour la première fois en appel.

Un manquement à la justice naturelle doit être soulevé à la première occasion

[22] Le Tribunal fonde également sa position sur les déclarations du juge Marceau dans Syndicat des travailleurs de l’énergie et de la chimie, section locale 916 c. Énergie atomique du Canada Limitée [1985] A.C.F. no 189Footnote 6 : « La seule manière d’agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d’alléguer la violation d’un principe de justice naturelle à la première occasionFootnote 7. »

[23] Le fait que l’appelante n’a soulevé aucune objection en ce qui a trait au caractère équitable de l’audience au moment où elle s’est tenue constitue une renonciation implicite du droit de faire valoir que l’audience était inéquitable. L’appelante ne s’est pas opposée à ce que l’audience se poursuive sans un interprète russe et ne peut donc pas maintenant faire valoir qu’elle n’a pas consenti à ce que l’audience se poursuive en l’absence d’un interprète russe.

Y a‑t‑il eu un manquement à la justice naturelle?

[24] Ayant conclu que l’appelante ne peut soulever la question d’un manquement à la justice naturelle pour la première fois en appel, le Tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question.

Conclusion

[25] L’appelante interjette appel de la décision d’un tribunal de révision, qui a rejeté son appel et conclut qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pension du Canada ne devait pas lui être payée. Une permission d’en appeler a été accordée au motif qu’un manquement à la justice naturelle aurait pu avoir lieu si l’appelante n’avait pas consenti à ce que l’audience du tribunal de révision se tienne sans l’interprète russe qu’elle avait demandé. L’appelante aurait dû signaler les problèmes de langue au tribunal de révision à la première occasion durant l’audience. Elle ne l’a pas fait et ne peut donc pas les soulever pour la première fois en appel.

[26] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.