Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  • Représentante de l’appelant : Penny Brady (avocate) (par vidéoconférence)
  • Défendeur : B. P. (en personne)
  • Observatrice : Susan Johnston (parajuriste en formation auprès de l’appelant, par vidéoconférence)

Introduction

[1] Appel d’une décision du tribunal de révision rendue le 3 mai 2013.  Le tribunal de révision a calculé la période minimale d’admissibilité du défendeur comme étant le 31 décembre 2012 et a jugé celui-ci invalide en vertu du Régime de pensions du Canada, à compter de juin 2012. Le tribunal de révision a établi que les prestations d’invalidité commenceraient en octobre 2012. L’appelant interjette appel de cette décision pour les motifs que le tribunal de révision a fait diverses erreurs de droit et erreurs mixes de fait et de droit.

Contexte et décision du tribunal de révision

[2] Le défendeur était âgé de 55 ans lorsqu’il a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, en mai 2010.

[3] Selon le questionnaire relatif aux prestations d’invalidité, le défendeur a occupé son dernier emploi entre octobre 1988 et août 2009.  Il a été responsable des véhicules pour l’Alberta Motor Association (l’« AMA »), mais on lui a confié un emploi de bureau en raison de limites résultant d’une crise cardiaque.  Le défendeur a indiqué, dans le questionnaire, qu’il a cessé de travailler parce que « [traduction] son cœur [ne pouvait pas] prendre le travail ».  Il a également indiqué qu’il avait maintenant une très mauvaise mémoire et se fatiguait rapidement en raison d’une crise cardiaque. Il a décrit plusieurs restrictions et limites fonctionnelles.

[4] Après avoir quitté son emploi, le défendeur est déménagé en Thaïlande avec l’intention d’y vivre indéfiniment parce que le coût de la vie y est plus favorable.  Pour divers motifs, il est revenu au Canada. Des contraintes financières l’ont empêché de retourner en Thaïlande.

[5] À  l’audience devant le tribunal de révision, en février 2013, le défendeur a mentionné qu’il avait récemment commencé à travailler à temps partiel dans un atelier de réparation automobile, bien que parfois de manière irrégulière en raison de sa santé. Il a déclaré qu’il pouvait habituellement travailler deux jours par semaine, mais devait parfois annuler en raison de sa santé. Il a qualifié ses employeurs de bienveillants.  Le défendeur a déclaré tirer de son emploi un montant estimatif d’environ 1 000 $ par mois, ce qui est considérablement inférieur à ce qu’il gagnait à l’AMA.  Ces récents gains provenant de l’atelier de réparation automobile n’étaient pas reflétés dans le relevé d’emploi. (S’ils avaient été documentés, ils auraient peut-être pu servir à prolonger la période minimale d’invalidité.)

[6] Il a été jugé que le dossier médical soumis au tribunal de révision appuyait les prétentions du défendeur.  Le défendeur a reçu un diagnostic de coronaropathie, cardiomyopathie ischémique, discopathie dégénérative de la colonne lombaire accompagnée de douleurs chroniques, hyperthyroïdie, œsophagite peptique, dysthymie et troubles dépressifs majeurs répétitifs.

[7] Le tribunal de révision a reconnu que le défendeur souffre de « problèmes de santé graves »; il a toutefois gardé à l’esprit que le défendeur occupait un emploi à temps partiel dans un atelier de réparation automobile.  Lorsqu’il a évalué si l’invalidité du défendeur était « grave » au sens du Régime de pensions du Canada, le tribunal de révision s’est demandé si l’emploi à temps partiel était « [traduction] sensiblement rémunérateur ». Ultimement, le tribunal de révision a conclu que le défendeur n’était pas en mesure d’exercer régulièrement une « occupation sensiblement rémunératrice ».  C’est sur ce point que l’appelant demande que la décision du tribunal de révision soit infirmée.

Aperçu des procédures

[8] Le tribunal de révision a rendu sa décision le 3 mai 2013.  Vers le 8 août 2013, l’appelant a demandé la permission d’en appeler de cette décision pour divers motifs. La division d’appel a accordé, le 30 juin 2014, la permission d’interjeter appel pour les trois motifs suivants :

  1. (1) la question de savoir si le tribunal de révision a correctement défini le terme « grave » prévu par le Régime de pensions du Canada comme signifiant « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » ou s’il a appliqué une autre définition comme « [traduction] emploi sensiblement rémunérateur »;
  2. (2) la question de savoir si le tribunal de révision a utilisé la définition juridique correcte d’« occupation véritablement rémunératrice »;
  3. (3) la question de savoir si le tribunal de révision a appliqué la définition juridique correcte pour établir si le défendeur exerce une occupation véritablement rémunératrice.

[9] La division d’appel a fixé au 26 janvier 2015 une audience d’appel en personne, avec le consentement mutuel des parties.

[10] Les observations de l’appelant sont énoncées dans la demande de permission et avis d’appel, en deux volumes.  Après qu’une prolongation de délai lui ait été accordée, le défendeur a produit une lettre estampillée reçue le 24 octobre 2014, contenant un rapport médical du Dr Clarke, daté du 14 octobre 2014.

[11] Au début de l’audience devant moi, l’avocate de l’appelant a retiré le premier des trois motifs d’appel, convenant qu’il n’y a pas de différence perceptible entre « sensiblement rémunératrice » et « véritablement rémunératrice ».  L’avocate a également soutenu que l’audience devrait prendre la forme d’un examen en appel.

Questions en litige

[12] Les questions qui me sont présentées donc sont les suivantes :

  1. La question préliminaire porte sur la forme que devrait prendre le présent appel. L’appel devrait-il prendre la forme d’un examen en appel ou d’un contrôle judiciaire?
  2. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la révision d’une décision du tribunal de révision?

Motifs d’appel

  1. Le tribunal de révision a-t-il erré en droit dans sa définition d’« occupation véritablement rémunératrice »?
  2. Le tribunal de révision a-t-il erré en droit et en fait lorsqu’il a décidé si le défendeur exerçait une occupation véritablement rémunératrice?

Réparations

  1. Si la norme est celle de la décision raisonnable, la décision du tribunal de révision est-elle raisonnable?  Si la norme est celle de la décision correcte, à quelle conclusion le tribunal de révision aurait-il dû arriver?
  2. Si le tribunal de révision a commis des erreurs de droit ou de fait, quelles sont les réparations appropriées, le cas échéant?

Question préliminaire– examen en appel ou contrôle judiciaire

[13] L’avocate soutient que, selon la pratique actuelle du ministère de l’Emploi et du Développement social, les appels devant la division d’appel sont des examens en appel.  Néanmoins, elle soutient également que, pour la forme, un examen en appel n’est pas très différent d’un contrôle judiciaire, et a soumis des observations verbales comme si la question était un appel de la nature d’un contrôle judiciaire.

[14] Selon elle, l’appel est un examen en appel, puisque le libellé et les dispositions de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi ») utilisent le terme « appel », et ne parlent pas de contrôle judiciaire.  Elle souligne, par exemple, que la rubrique du paragraphe 58(1) de la Loi utilise les termes « moyens d’appel », tandis que la rubrique du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales utilise le terme « motifs ».

[15] Elle ajoute que la division d’appel exerce une fonction de surveillance sur la division générale (ou le tribunal de révision, en l’espèce) et que son rôle est de voir à ce que la division générale ou le tribunal de révision applique la loi de manière uniforme. Elle déclare finalement que, puisque la division générale n’a pas d’expertise supérieure à celle de la division d’appel, celle-ci n’a pas à faire preuve de déférence envers la division générale.

[16] Le défendeur n’a pas soumis d’observations sur ce point.

[17] Le tribunal de la sécurité sociale est un tribunal administratif entièrement indépendant et impartial qui n’a aucun lien de dépendance avec le Ministère.  Il n’est pas lié par des politiques, pratiques ou procédures internes conçues par le Ministère et, même si le Ministère a maintenant une politique selon laquelle les appels devant la division d’appel sont de la nature d’un examen en appel, je ne suis aucunement liée par cette politique.

[18] Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, si l’article est clair et ne comporte pas d’ambiguïté, la rubrique n’aura pas pour effet d’en modifier le sens.  Je ne pense pas que les rubriques visent à définir la nature de l’audience devant les Cours fédérales, dans le cas de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, ni de la division d’appel dans le cas de l’article 58.1 la Loi. Il n’est certainement pas possible qu’une rubrique descriptive ait à elle seule cet effet.  Il est toujours nécessaire d’examiner le libellé de la loi pour établir la nature de l’audience.

[19] J’ai examiné récemment la question de la nature d’une audience en appel devant la division d’appel.  Dans F.D. c. Ministère de l’Emploi et du Développement social (19 mars 2015, 2015) SST-AD-200 (décision non publiée), je me suis penchée sur certaines des questions que soulève aujourd’hui l’avocate et j’ai ultimement conclu que les appels à la division d’appel sont des appels de la nature d’un contrôle judiciaire. L’avocate ne m’a pas convaincue que la nature de l’appel devrait être différente.  J’en viens à cette conclusion, comme ce fut le cas dans F.D., parce que j’estime que le paragraphe 58(1) de la Loi limite les motifs d’appel que peut invoquer un appelant, ce qui définit réellement la nature et la portée de l’appel devant la division d’appel comme étant un appel de la nature d’un contrôle judiciaire.  Ce paragraphe de la Loi marque la principale différence entre l’ancienne Commission d’appel des pensions et la division d’appel; aucune disposition similaire notamment ne régissait la Commission d’appel des pensions.  Je suis également d’avis que l’existence de ces motifs d’appel en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi n’annule pas l’analyse de l’affaire Dunsmuir sur la norme de contrôle.  (Mon exposé sur la norme de contrôle suit ci-après.)

[20] Si j’avais été disposée à souscrire à la position selon laquelle l’appel aurait dû être entendu comme un examen en appel ou appel de novo, j’aurais peut-être ajourné l’appel pour permettre aux parties d’appeler des témoins et de présenter des preuves.  Les parties auraient ainsi pu soumettre des preuves, y compris la preuve des gains liés à l’emploi récents du défendeur.  En réalité, l’avocate de l’appelant a tenté de produire un relevé des gains avec la demande de permission.  Le relevé indiquait que les gains du défendeur s’élevaient à 10 004 $ et à 52 625 $ en 2011 et en 2012 respectivement.  Dans le cadre de la demande de permission, j’ai toutefois jugé que le paragraphe 58(1) de la Loi ne me permet pas d’étudier de nouveaux avis, à moins qu’ils aient été liés aux motifs d’appel ou en aient fait partie.  Ce paragraphe ne donne pas aux parties une possibilité de réévaluation de la preuve ni d’une nouvelle audition.

[21] De même, le rapport médical du Dr Clarke, datée du 14 octobre 2014, produite par le défendeur, est inadmissible en appel puisqu’elle ne porte pas sur les motifs d’appel selon le paragraphe 58(1) de la Loi.

Norme de contrôle

[22] Le défendeur n’a pas soumis d’observations sur la norme de contrôle.

[23] D’autre part, l’avocate soutient que, comme les points en litige sont des points de droit, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.  Elle réfute la notion selon laquelle l’« occupation véritablement rémunératrice » comporte l’interprétation de la loi habilitante du Tribunal de la sécurité sociale et déclare que, bien que la décision Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9 soit « instructive », elle n’a pas d’effet déterminant sur les questions en l’espèce.  Selon l’avocate, la norme de la décision correcte s’applique, je n’ai pas à faire preuve de déférence envers le tribunal de révision et je dois réaliser ma propre analyse.  Elle déclare également que si j’en viens à une conclusion différente de celle du tribunal de révision, je dois remplacer cette dernière par ma propre décision.

[24] Dans l’affaire F.D., je me suis également penchée sur la norme de contrôle.  L’arrêt Dunsmuir fait jurisprudence sur la norme de contrôle et, à mon avis, non seulement elle a un effet déterminant, mais je suis également lié par elle.  Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a établi l’existence de seulement deux normes de contrôle en common law au Canada : la décision raisonnable et la décision correcte.

[25] Les questions de droit sont généralement décidées en fonction de la norme de la décision correcte. La norme de la décision correcte est généralement réservée aux questions de compétence, des questions constitutionnelles ou encore des questions qui ont une grande importance générale pour le système juridique globalement et en dehors de l’expertise du tribunal.  Lorsqu’il applique la norme de la décision correcte, le tribunal qui procède à un contrôle n’a pas à faire preuve de déférence envers le processus de raisonnement du décideur, mais doit plutôt procéder à sa propre analyse. Ultimement, si un tribunal qui procède à un contrôle n’est pas d’accord avec la décision d’un décideur, il doit remplacer celle-ci par la décision correcte.  La norme de la décision correcte est essentielle puisqu’elle permet de prendre et d’assurer la prise de décisions justes, cohérentes et prévisibles du point de vue du droit.

[26] Les questions mixtes de fait et de droit sont généralement décidées en fonction de la décision raisonnable. L’arrêt Dunsmuir énumère également les facteurs qui permettent de conclure qu’il y a lieu de faire preuve de déférence envers le processus de raisonnement d’un décideur et d’appliquer la norme de la décision raisonnable.

  • - Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.
  • - Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).
  • - La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003]3 S.C.R. 77, au par. 62).  Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

[27] Dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline, [2011] CSC 7, [2011] R.C.S. 160, au par. 26, la Cour suprême du Canada décrit également la portée de la norme de décision raisonnable pour y inclure les questions qui : (1) se rapportent à l’interprétation de la loi habilitante du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie; (2) soulèvent des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) soulèvent des questions de droit et de fait intimement liées.

[28] Compte tenu de ces considérations, je ne peux voir comment la question de l’« occupation véritablement rémunératrice » comporte une question de droit d’importance capitale pour le système juridique, étrangère au domaine d’expertise du Tribunal de la sécurité sociale. La définition de « véritablement rémunératrice »Note de bas de page 1 au sens du Régime de pensions du Canadaest vraisemblablement unique au Régime de pensions du Canada ainsi que peu pertinente et de peu d’intérêt en dehors des paramètres du Régime de pensions du CanadaPar exemple, les polices d’assurance de personnes ont leurs propres termes définis, et il est peu probable que les assureurs trouvent utile la définition d’occupation véritablement rémunératrice pour l’application du Régime de pensions du Canada lorsqu’ils doivent établir si un assuré peut exercer une occupation véritablement rémunératrice, étant donné que l’assuré qui souhaite une protection aux termes de sa police d’assurance devrait quand même respecter la définition de l’« occupation véritablement rémunératrice » aux termes de sa propre police. Je suis donc d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique.

[29] Selon la décision Dunsmuir, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et je dois être en mesure d’établir comment le tribunal de révision en est venu sa décision.  Cependant, selon l’arrêt Dunsmuir, il incombe également de vérifier l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  Si la décision appartient aux issues acceptables, alors nous ne devrions pas intervenir.

[30] Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a indiqué que les cours de révision ne doivent pas effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat, lorsqu’elles appliquent la norme de la raisonnabilité.  La décision Newfoundland a décrit le contrôle d’une décision administrative comme un exercice global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.  La Cour suprême du Canada a également affirmé qu’il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat aux termes de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. C’est ce principe qui est appliqué lorsqu’on utilise la norme de la décision raisonnable.

Motifs de l’appel

[31] La permission d’interjeter appel a été accordée pour trois motifs, dont le premier a été retiré par l’appelant, ce qui en laisse deux, à savoir que le tribunal de révision (1) a pu errer en droit dans sa définition de l’expression « occupation véritablement rémunératrice » et (2) a pu en venir à une conclusion erronée sur des questions mixtes de droit et de fait dans sa décision selon laquelle l’appelant n’exerçait pas une « occupation véritablement rémunératrice ».

Le tribunal de révision a-t-il erré dans sa définition d’« occupation véritablement rémunératrice » et commis ainsi une erreur de droit?

[32] Selon l’avocate, le tribunal de révision a erré en droit en appliquant une définition incorrecte de « véritablement rémunératrice ».  Le tribunal de révision s’est fondé sur l’affaire Alexander c. MHRD (5 juin 2000), CP 9448 (CAP), pour établir que le défendeur ne pouvait pas occuper un « emploi sensiblement rémunérateur », compte tenu de l’écart de revenu entre son emploi à l’AMA et son emploi actuel.

[33] Selon l’avocate, le tribunal de révision a erré en procédant à une analyse comparative des niveaux de revenu antérieur et actuel du défendeur. Elle cite la cause Fancy c. Canada, 2008 CF 1414 au par. 13, au soutien de sa prétention selon laquelle l’évaluation de la gravité d’une invalidité au sens du Régime de pensions du Canada n’inclut pas une analyse comparative du revenu actuel d’une personne par rapport à son revenu passé.

[34] Le défendeur n’a pas soumis d’observations sur ce point.

[35] Je suis d’accord avec l’appelant sur le fait que le tribunal de révision a erré en droit lorsqu’il s’est fondé sur la décision Alexander, puisque celle-ci est mal fondée en droit et incompatible avec la décision Fancy, décision contraignante de la Cour fédérale du Canada.  Bien que, dans Fancy, la Cour fédérale n’ait pas défini « véritablement rémunératrice », elle a quand même énoncé clairement qu’il n’y a pas lieu de faire une analyse comparative du revenu actuel de l’employé par rapport à son revenu passé.

[36] Doit-on appliquer la norme de la décision correcte à cette erreur de droit?  Comme je l’ai indiqué précédemment, la norme de la décision correcte est généralement réservée aux questions de compétence, aux questions constitutionnelles ou aux questions qui ont une importance capitale pour le système juridique et sont étrangères à l’expertise du tribunal.  Bien que l’avocate souligne que l’« occupation véritablement rémunératrice est visée par l’alinéa 42(2)a)(i) duRégime de pensions du Canada et soutient qu’une interprétation judiciaire est nécessaire, je dois me demander si la définition d’« emploi véritablement rémunérateur » a une importance centrale pour le système juridique dans l’ensemble et est étrangère à l’expertise du tribunal.  À mon avis, ce n’est pas le cas, et c’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique.  En fait, l’interprétation de l’expression « occupation véritablement rémunératrice » se rapporte à la loi habilitante de ce tribunal administratif, dont le tribunal de révision a une connaissance approfondie.

[37] Bien que le tribunal de révision ait erré en droit en procédant à une analyse comparative des niveaux de revenu du défendeur et qu’il a donc jugé celui-ci régulièrement incapable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur, est-ce que cela a nécessairement un résultat déraisonnable ou est-ce que le résultat appartient à une issue possible acceptable?  J’évaluerai le caractère raisonnable de la décision sous la rubrique « Raisonnabilité de la décision du tribunal de révision » ci-après.

Le tribunal de révision a-t-il erré en droit et en fait lorsqu’il a rendu jugement sur l’exercice, par le défendeur, d’une occupation véritablement rémunératrice ?

[38] La capacité d’exercer régulièrement une « une occupation véritablement rémunératrice » fait partie des nombreux facteurs qui servent à établir l’invalidité pour l’application du Régime de pensions du Canada.  Le défendeur a lui-même admis avoir réalisé des gains après sa période minimale d’admissibilité. Selon l’avocate de l’appelant, les gains du défendeur postérieurs à la période minimale d’invalidité démontrent qu’il était et demeure régulièrement apte à exercer une occupation véritablement rémunératrice et qu’il n’est donc pas invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

[39] Le paragraphe 68.1(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, S.R.C., ch. 385, est entré en vigueur le 29 mai 2014. Ce paragraphe définit l’expression « véritablement rémunératrice ».  Il se lit comme suit :

68.1 (1) Pour l’application du sous-alinéa 42(2)a)(i) de la Loi, « véritablement rémunératrice » se dit d’une occupation qui procure un traitement ou un salaire égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invalidité . . .

[40] Si la formule s’appliquait, des gains égaux ou supérieurs à 14 836 $ pour 2014 constitueraient un « emploi véritablement rémunérateur » puisqu’ils démontreraient qu’une occupation procure un traitement ou un salaire égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’une personne pourrait recevoir à titre de pension d’invalidité.

[41] Le défendeur a commencé à occuper un emploi à temps partiel à un atelier de réparation automobile vers 2012.  Si le paragraphe 68.1(1) du Règlement avait été en vigueur en 2012, la somme annuelle maximale qu’une personne aurait pu recevoir à titre de pension d’invalidité en 2012, selon cette formule, aurait été de 14 226 $.  Autrement dit, si les gains de 2012 avaient été égaux ou supérieurs à cette somme (tirée d’un emploi à temps partiel auprès d’un employeur bienveillant ou non) ils auraient été considérés provenir d’une occupation « véritablement rémunératrice ».

[42] Avant le 29 mai 2014, le Régime de pensions du Canada ne définissait pas « véritablement rémunératrice ».  Toutefois, la définition prévue par la loi pourrait donner certaines indications sur ce qui est « véritablement rémunérateur », même si elle ne s’applique bien sûr pas aux demandes antérieures au 29 mai 2014 et est nulle et sans effet sur celles-ci.

[43] La jurisprudence donne certaines indications sur ce qui était « véritablement rémunérateur », mais le tribunal de révision a omis de citer la jurisprudence et a limité son analyse à une analyse comparative.  Il s’agit d’une erreur.

Raisonnabilité de la décision du tribunal de révision

[44] De quelle façon évalue-t-on le caractère raisonnable?  Selon cette norme, je n’ai pas à apprécier les faits, à revoir le poids de la preuve, à réaliser ma propre évaluation, à intervenir dans les conclusions ni à remplacer la décision du tribunal de révision par la mienne. Comme l’enseigne Dunsmuir, mon rôle est d’établir l’appartenance de la décision du tribunal de révision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il ne faut pas étudier chaque ligne de la décision, mais plutôt la décision dans son ensemble.

[45] Selon l’avocate, je devrais appliquer la décision Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c. Scott, [2003] F.C.J. no 80, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a jugé que la Commission d’appel des pensions avait erré lorsqu’elle avait jugé Mme Scott incapable d’occuper un emploi régulier.  Le juge Strayer J.A., s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré que c’est l’invalidité de Mme Scott, et non son emploi, qui doit être « régulière » et l’emploi peut être toute « occupation véritablement rémunératrice ».  Le juge Strayer  a également déclaré que la Commission d’appel des pensions avait également erré en ne tenant pas compte de la preuve médicale non contredite qui ne confirmait pas que Mme Scott était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.  La Cour a accueilli la demande et infirmé la décision de la Commission.  Elle a également renvoyé la question à une formation différente de la Commission pour que l’affaire soit de nouveau entendue. L’avocate soutient que la Cour d’appel fédérale a jugé déraisonnable la décision de la Commission selon laquelle Mme Scott était incapable, compte tenu de la preuve. Le juge Strayer a écrit :

8 En outre, à mon avis, la Commission a fondé sa décision sur une erreur de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ce qui constitue un motif de contrôle judiciaire aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit une norme légale de contrôle généralement équivalente à « une décision manifestement déraisonnable ». La Commission disposait d’une preuve non contredite de trois médecins, dont aucun n’avait confirmé qu’elle était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en décembre 1997.  En outre, la Commission disposait d’une preuve qui, de façon compatible avec les avis des médecins, indiquait qu’elle avait été capable de louer des appartements et d’assurer une partie de sa subsistance, c’est-à-dire son logement, en échange de ce qui constitue une forme « d’occupation véritablement rémunératrice ».  Elle ne semble pas avoir tenu compte de cette preuve.

[46] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a fondu en une seule norme de raisonnabilité les normes de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable.  Toutefois, la norme de la décision manifestement déraisonnable était empreinte de déférence pour le décideur.

[47] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans Scott, que la norme de contrôle qui s’appliquait à l’incapacité de Mme Scott était celle de la décision correcte,  la Commission ayant erré entièrement en appliquant le critère juridique.  En l’espèce, le tribunal de révision a choisi le bon critère pour établir la gravité de l’incapacité du défendeur, mais a mal interprété le critère et la manière de l’appliquer et, en conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique.

[48] Tout en déclarant qu’il convient d’appliquer à la décision du tribunal de révision la norme de la décision correcte, l’avocate soutient que la décision ne pourrait être maintenue même si on lui appliquait la norme de la décision raisonnable, compte tenu de la preuve.  Elle déclare que le défendeur travaillait deux à trois jours par semaine, a organisé un long voyage en Thaïlande et, en 2010, a suivi un cours en enseignement dans le but d’enseigner l’anglais.  Selon elle, je devrais suivre la décision S.E. c. MHRSD, (16 décembre 2013) SST-CP-28475 (décision non publiée), selon laquelle fréquenter l’école à temps partiel peut servir de preuve de la capacité de travailler.  Dans cette affaire, mon collègue a jugé que l’appelant S.E. avait la capacité de travailler, puisqu’elle était en mesure de passer 35 à 40 heures par semaine à l’école. S.E. travaillait également à temps partiel.  La fréquentation d’une école par S.E pouvait être considérée comme étant à temps plein, puisqu’elle y passait environ 35 à 40 heures par semaine; il n’est pas clair si ce nombre d’heures comprenait le transport, les devoirs et les travaux.

[49] Il y a certains parallèles entre S.E. et le défendeur, en ce qu’ils travaillaient tous les deux à temps partiel et fréquentaient une école, mais je n’ai pas suffisamment de preuves devant moi sur l’étendue de la formation du défendeur comme enseignant en anglais.  Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que S.E. n’est pas particulièrement utile et se distingue quant aux faits.

[50] Il ressort de la preuve devant moi que le tribunal de révision a rendu une décision qui pourrait être considérée comme étant raisonnable.  Contrairement à ce qui s’était produit dans l’affaire Scott, il y avait une preuve médicale qui aurait pu appuyer une décision d’invalidité du défendeur.  Et bien que le défendeur ait travaillé à temps partiel, la preuve démontre que sa présence était irrégulière et qu’il avait des employeurs bienveillants qui s’adaptaient à son invalidité. Bien que le défendeur ait suivi un cours d’enseignement de l’anglais et ait pu faire un voyage en Thaïlande et en revenir, les renseignements au dossier au sujet de la preuve soumise au tribunal de révision sont insuffisants à l’égard de la capacité de travailler du défendeur.  Il est donc impossible de dire que l’évaluation des faits par le tribunal de révision était nécessairement déraisonnable.

[51] Cependant, la décision ne peut se défendre en droit.  Il était déraisonnable que le tribunal de révision ne tienne pas compte de la cause Fancy et ait procédé à une analyse comparative des niveaux de revenu du défendeur pour établir s’il était régulièrement en mesure d’exercer une occupation « véritablement rémunératrice ».

[52] Pour ces motifs, la décision du tribunal de révision ne peut être confirmée.

Réparations

[53] En vertu du paragraphe 59(1) de la Loi, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale (ou le tribunal de révision) aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale (ou du tribunal de révision).

[54] Il ne relève pas de ma compétence de rendre une décision sur de « nouvelles preuves » que l’appelant pourrait souhaiter me soumettre sous forme de relevé des gains à jour, même s’ils ont soi-disant démontré que le défendeur avait des gains supérieurs aux niveaux qui suggèrent qu’il était ou est capable d’exercer régulièrement une occupation « véritablement rémunératrice », après sa période minimale d’admissibilité.  La preuve n’a pas été et devrait être vérifiée de même que conciliée avec le témoignage du défendeur selon lequel ses gains s’élevaient à environ 1 000 $ par mois.

Conclusion

[55] Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de renvoyer la question à la division générale pour que l’affaire soit de nouveau entendue en tenant compte des présents motifs.

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