Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Conparutions

  • Appelante : M. C.
  • Représentant de l’appelante : Dr. John Wodak
  • Représentant du l'intimé : Michael Stevenson (avocat)

Introduction

[1]  Il s’agit d’un appel de la décision du tribunal de révision rendue le 15 février 2013, qui rejetait la demande de prestations d’invalidité de l’appelante, car il a considéré que l’appelante n’avait pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada, avant la fin de sa période minimale d’admissibilité au 31 décembre 2005.  La demande de permission d’en appeler a été accordée le 31 mars 2014, aux motifs que le tribunal de révision pouvait avoir fondé sa décision sur des conclusions factuelles erronées, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Les faits

[2] L’appelante a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en novembre 2010.  Le questionnaire des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada indique que le dernier emploi de l’appelante était dans une épicerie entre octobre 2001 et décembre 2003, alors qu’elle a arrêté de travailler, pour des motifs tant personnels que médicaux.

[3] Dans le questionnaire, l’appelante a indiqué qu’elle souffrait de diverses maladies ou incapacités qui l’empêchaient de travailler, notamment l’engourdissement et la faiblesse des mains et des jambes, des migraines (ayant occasionné un mini-AVC), des douleurs dorsales chroniques, des douleurs articulaires à la hanche et au cou, ainsi que de la douleur dans la colonne vertébrale.  Elle affirme qu’elle n’a pu travailler depuis décembre 2003. Elle a décrit de nombreuses limitations et restrictions fonctionnelles, notamment la capacité limitée de s’asseoir, de se tenir debout, de lever ou de transporter des charges ou de marcher, sans douleur grave.  L’appelante s’appuie sur les avis médicaux de son médecin de famille et de son neurologue, ainsi que sur divers examens diagnostiques.  Elle indique que son état est progressif et qu’elle n’a vu aucun soulagement de ses symptômes, bien qu’elle se conforme à toutes les recommandations de traitement raisonnables.

Apperçu des procédures

[4] Le tribunal de révision a rendu sa décision le 15 février 2013.  Le 18 avril 2013 ou autour de cette date, l’appelante a demandé l’autorisation d’interjeter appel pour de nombreux motifs.  La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a accordé la permission d’en appeler le 31 mars 2014, aux motifs que le tribunal de révision pourrait avoir commis une erreur dans ses conclusions sur la preuve médiale et sur la preuve relative à la fonctionnalité de l’appelante.

[5] La division d’appel a fixé une audience en personne relativement à l’appel pour le 26 janvier 2015, par consentement mutuel des parties.

[6] Les observations de l’appelante ont été présentées dans la demande de permission d’en appeler ou dans l’avis d’appel.  Le représentant de l’appelante (le représentant) a allégué de nombreuses erreurs et omissions.  Le représentant a déposé des observations supplémentaires le 27 juin 2014. Il a également souligné sa préoccupation quant aux questions d’accès à la justice et fourni une interprétation du sous-alinéa 42(2)a)(ii) du Régime de pensions du CanadaLe représentant a déposé d’autres observations le 15 juillet 2014, soulevant encore une fois des questions d’accès à la justice.

[7] L’avocat de l’intimé (avocat) a déposé des observations le 15 mai 2014 et des observations supplémentaires le 15 octobre 2014.  L’avocat soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que la décision du tribunal de révision est globalement raisonnable.

Décision du tribunal de révision

[8] À l’audience devant le tribunal de révision en janvier 2013, l’appelante a présenté une preuve de l’incidence de ses symptômes.  L’appelante a décrit les difficultés et les limitations fonctionnelles qu’elle a connues en novembre 2010 et témoigné qu’elles étaient « à peu près les mêmes » en décembre 2003 et 2005 et à l’audience.  Le tribunal de révision a déterminé que le conjoint de l’appelante n’avait pas de preuve pertinente à présenter et ne l’a donc pas entendu.

[9] Le tribunal de révision a constaté que la documentation médicale était limitée pour la période entourant la période minimale d’admissibilité de l’appelante.  Bien que le tribunal de révision [TRADUCTION] « ne puisse pas imaginer comment [l’appelante] pourrait détenir une occupation véritablement rémunératrice dans son état actuel », il a constaté qu’il n’y avait aucune preuve médicale que c’était le cas soit en décembre 2003, lorsqu’elle a arrêté de travailler, soit à la fin de décembre 2005, à la fin de sa période minimale d’admissibilité. Le tribunal de révision a pris en compte les soins médicaux reçus et en est venu à la conclusion que l’appelante n’avait pas encore épuisé toutes les modalités de traitement raisonnables.

[10] Le tribunal de révision a également pris en compte Villani v. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, ainsi que la situation personnelle de l’appelante, notamment son âge, son niveau de scolarité et ses antécédents professionnels et personnels, dans l’évaluation de son invalidité.  L’appelante a reçu des prestations d’assurance-emploi durant la majeure partie de 2004, mais rien n’indique qu’elle ait cherché à se recycler en retournant aux études, et elle n’arrivait à se souvenir d’aucune tentative de retour au travail. Pour ce qui est de sa situation personnelle, le tribunal de révision a constaté qu’elle faisait régulièrement de longs voyages en auto, bien que cela la fatiguait et la rendrait inconfortable. Après avoir pris en compte certains éléments de sa situation personnelle, le tribunal de révision a conclu que la preuve n’établissait pas que l’appelante répondait aux critères de gravité définis dans le Régime de pensions du Canada.

[11] Comme le tribunal de révision a conclu que l’invalidité de l’appelante n’était pas grave, il n’a pas déterminé si l’invalidité de l’appelante pouvait être considérée comme étant de longue durée.

Questions en litige

[12] Les questions qui me sont présentées sont les suivantes :

  1. (a) Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. (b) Le tribunal de révision a-t-il fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  3. (c) La division d’appel peut-elle prendre en compte de nouveaux motifs d’appel, y compris ceux que l’appelante a soulevés au cours de l’audience d’appel?  Dans ce cas, le tribunal de révision a-t-il enfreint un principe de justice naturelle?
  4. (d) Si la norme est celle de la décision raisonnable, la décision du tribunal de révision est-elle raisonnable?  Si la norme est celle de la décision correcte, à quelle conclusion le tribunal de révision aurait-il dû arriver?
  5. (e) Si le tribunal de révision a commis une ou plusieurs erreurs, quels sont le ou les recours appropriés, le cas échéant?

Question en litige 1 : Norme de contrôle

[13] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a déterminé qu’il n’existe que deux normes de contrôle en common law au Canada : la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Les questions de droit sont généralement décidées en fonction de la norme de la décision correcte.  La norme de la décision correcte est généralement réservée aux questions juridictionnelles ou constitutionnelles, ou aux questions d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du tribunal. Lorsqu’il applique la norme de la décision correcte, le tribunal de révision ne doit pas tenir compte du processus de raisonnement du décideur, mais plutôt procéder à sa propre analyse.  En fin de compte, s’il n’est pas d’accord avec la décision du décideur, il doit lui substituer sa propre vision du résultat correct.  La norme de la décision correcte est essentielle puisqu’elle permet de prendre et d’assurer la prise de décisions justes, cohérentes et prévisibles du point de vue du droit.

[14] Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont tranchées suivant la norme de la décision raisonnable. Un tel examen appelle nécessairement une norme déférente. L’arrêt Dunsmuir a défini une liste de facteurs qui mènent à la conclusion qu’un décideur fasse l’objet de déférence et que la norme de la décision raisonnable soit appliquée :

  1. - Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.
  2. - Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail)
  3. - La nature de la question de droit.  Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003]3 S.C.R. 777, au par. 62).  Par contre, une question de droit qui ne s’élève pas à ce niveau peut être incompatible avec la norme de décision raisonnable lorsque les deux facteurs mentionnés précédemment l’indiquent.

[15] Dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline, [2011] CSC 7, [2011] R.C.S. 160, au par. 26, la Cour suprême du Canada décrit également la portée de la norme de décision raisonnable pour y inclure les questions qui : (1) se rapportent à l’interprétation de la loi habilitante du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie; (2) soulèvent des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général; (3) soulèvent des questions de droit et de fait intimement liées.

[16] L’avocat de l’intimé soutient que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle par défaut commandant la déférence lorsqu’un tribunal « interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie ». Il s’appuie sur diverses sources où les tribunaux ont retenu que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle par défaut : Dunsmuir, ibid., par. 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) v. Alberta Teachers’ Assn., 2011 CSC 61 par. 34; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 par. 21. Et, pour les causes d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, l’avocat soutient que depuis l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable s’applique, avec un haut degré de déférence : Gaudet c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254, par. 9. L’avocat, bien entendu, suppose que les questions en litige ici ne concernent que l’interprétation du Régime de pensions du Canada.

[17] L’avocat de l’intimé soutient que je devrais suivre l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 et qu’en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, je ne dois pas entreprendre une analyse distincte des motifs du tribunal de révision. L’avocat souligne que la Cour suprême du Canada a décrit la révision d’une décision administrative comme un exercice global où les motifs du tribunal doivent être considérés en corrélation avec le résultat et doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie d’un ensemble d’issues potentielles acceptables.  L’avocat de l’intimé soutient que, peu importe si le tribunal de révision a commis des erreurs, le critère ultime à appliquer est d’évaluer si sa décision fait partie d’un ensemble d’issues acceptables. Il soutient que je dois déterminer si la décision du tribunal de révision fait partie d’un ensemble d’issues acceptables.

[18] La Cour suprême du Canada a défini la démarche de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 47 :

Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  Le tribunal qui procède à un examen du caractère raisonnable étudie les qualités qui rendent une décision raisonnable, tenant ainsi compte à la fois du processus de formulation des raisons et des résultats.  Au cours de la révision judiciaire, le caractère raisonnable porte surtout sur la justification, la transparence et l’intelligibilité au cours du processus décisionnel. Cependant, il incombe également de vérifier si la décision fait partie d’un ensemble de dénouements potentiels acceptables qui pourraient être défendus dans le contexte des faits et des principes de droit en cause.

[19] L’appelante n’a présenté aucune observation sur la norme de contrôle, mais soutient que la décision du tribunal de révision est déraisonnable et indéfendable quant aux faits.

Question en litige 2 : Le tribunal de révision a-t-il fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[20] Au paragraphe 15 de sa décision, le tribunal de révision a écrit :

[TRADUCTION] L’appelante a arrêté de travailler, en décembre 2003, en raison de l’engourdissement et de la faiblesse de ses mains et de ses jambes, ainsi que de migraines (il y a environ sept ans)

[21] Le représentant soutient que le tribunal de révision a tiré des conclusions erronées relativement à la preuve médicale, et notamment, en concluant que l’appelante a arrêté de travailler en raison de l’engourdissement et de la faiblesse de ses mains et de ses jambes, ainsi que de migraines, lorsque des éléments de preuve dans le Questionnaire indiquaient qu’elle avait arrêté de travailler pour d’autres raisons également.  Le représentant soutient que même en 2003, la principale invalidité de l’appelante était sa douleur dorsale. Exclusion faite du fait que l’appelante a cessé de travailler deux ans avant la fin de sa période minimale d’admissibilité, le représentant soutient que si le tribunal de révision n’avait pas reconnu la gravité de sa douleur dorsale alors, il n’aurait vraisemblablement pas pu reconnaître la gravité de sa douleur dorsale à la fin de sa période minimale d’admissibilité en décembre 2005.

[22] Le représentant soutient également que le tribunal de révision a mal cité l’appelante sur la preuve relative à la fréquence des voyages pour visiter sa famille, et à la régularité de longs voyages en auto.  À l’alinéa 38 (c) de sa décision, le tribunal de révision a écrit :

[TRADUCTION] L’appelante a indiqué que la douleur au fil des années qui l’avait empêchée d’avoir la plupart des activités, tant professionnelles que sociales, était essentiellement la même aujourd’hui qu’en 2005. Aujourd’hui, elle prend des médicaments antidouleur minimaux. Elle peut voyager en auto pendant une période prolongée.  Elle a reconnu qu’elle était fatiguée et qu’elle éprouvait un certain inconfort à son arrivée. Cependant, elle effectue de tels voyages régulièrement.

[23] L’appelante nie avoir jamais témoigné qu’elle effectuait de longs voyages en auto « régulièrement » et affirme avoir indiqué qu’elle éprouvait beaucoup de fatigue et d’inconfort après un long voyage. Le représentant soutient que le tribunal de révision a tiré des conclusions erronées quant à la capacité fonctionnelle, aux restrictions et aux limitations de l’appelante.

[24] L’avocat de l’intimé ne concède pas que le tribunal de révision ait fondé sa décision sur des conclusions factuelles erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il soutient que toute conclusion factuelle erronée doit également être tirée de façon abusive ou arbitraire. Il soutient qu’ici, le tribunal de révision n’a pas franchi le seuil de l’action abusive ou arbitraire. L’avocat n’a pu fournir aucune définition ni aucun exemple pratique de ce qui constitue une façon abusive ou arbitraire.  L’avocat a présenté un scénario hypothétique où une décision pourrait être considérée comme abusive. Si le tribunal de révision avait conclu que l’appelante était paralysée des suites d’un accident d’auto, cela aurait été une conclusion abusive et ridicule, car aucune preuve ne vient étayer une telle conclusion.

[25] En toute déférence, je ne crois pas que l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (« Loi sur le MEDS ») exige qu’une conclusion factuelle erronée doive nécessaire être tirée de façon abusive ou arbitraire.  Une conclusion factuelle erronée peut être tirée (1) de façon abusive, (2) de façon arbitraire ou (3) sans tenir compte des éléments portés à [la] connaissance [du tribunal].

[26] Pour évaluer si un appelant a gain de cause dans l’établissement des motifs d’appel en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS, trois éléments doivent être établis : (1) que la division générale ou le tribunal de révision ait fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée, (2) qu’il y ait effectivement conclusion factuelle erronée et (3) que la décision ait été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[27] Je conclus que le tribunal de révision a commis une erreur lorsqu’il a résumé la preuve et soutenu que l’appelante avait arrêté de travailler en raison de l’engourdissement et de la faiblesse de ses mains et de ses jambes, ainsi que de migraines, lorsqu’il y avait d’autres motifs, comme une douleur dorsale chronique, pour expliquer pourquoi elle avait arrêté de travailler en 2003. Cependant, je ne trouve pas que le tribunal de révision ait nécessairement fondé sa décision sur cette conclusion.  Cet élément de preuve n’est pas mentionné dans la section d’analyse.  Le tribunal de révision a passé en revue les antécédents médicaux de l’appelante et la preuve documentaire. Le tribunal de révision n’était pas obnubilé par la raison pour laquelle l’appelante avait cessé de travailler en décembre 2003 et s’intéressait aux antécédents médicaux de l’appelante à la fin de la période minimale d’admissibilité et depuis. Le tribunal de révision a examiné les divers problèmes de santé de l’appelante et son histoire de soins.  Le tribunal de révision a mentionné la blessure dorsale de l’appelante et indiqué qu’elle avait affirmé qu’elle était la « cause d’une portion substantielle de sa douleur ».

[28] D’un autre côté, les conclusions du tribunal de révision quant à la fréquence de ses voyages en auto ont été l’un des facteurs sur lesquelles il a fondé sa décision relative au fait que l’invalidité de l’appelante puisse être considérée comme étant grave ou non.  Il ne fait aucun doute que l’appelante a effectué ces voyages, qu’ils l’ont fatiguée et qu’elle en a éprouvé de l’inconfort; la décision en fait clairement état. Cependant, le représentant soutient que le tribunal de révision a mal cité l’appelante relativement à la fréquence de ces voyages en auto.  Comme l’audience n’était pas enregistrée et qu’il n’y en a aucune transcription, il est difficile de déterminer précisément quelle a été la preuve devant le tribunal de révision, et si elle était tout à fait claire ou ambiguë, ou si le tribunal de révision l’a simplement mal comprise et mal interprétée.

[29] L’appelante nie avoir témoigné qu’elle a « effectué des voyages [en auto] régulièrement » et qu’au paragraphe 8 de ses observations (page AD1-11) elle indique qu’elle et son mari voyageaient entre Edmonton et Lethbridge « peut-être trois fois par année, en fonction de leur santé et de leurs finances ».  Elle a également indiqué que l’un des trois enfants de son mari réside à Edmonton et leur rend visite un week-end sur deux.  Il existe une différence substantielle entre le fait que ces voyages en auto entre Edmonton et Lethbridge aient lieu un week-end sur deux ou trois fois par année.

[30] Par conséquent, je conclus que le tribunal de révision a fondé sa décision, en partie, sur une conclusion factuelle erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, lorsqu’il a conclu que l’appelante effectuait des voyages en auto « régulièrement » un week-end sur deux entre Edmonton et Lethbridge.  Après avoir conclu que le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois maintenant déterminer la norme de contrôle applicable, d’après la ligne jurisprudentielle ci-dessus.

[31] Si je suis l’arrêt Dunsmuir, je devrais appliquer la norme déférente de la décision raisonnable.  Cela exige que je détermine si la décision du tribunal de révision peut être justifiée, si elle est transparente et intelligible et si elle fait partie d’un ensemble d’issues potentielles acceptables qui sont défendables au regard des faits et du droit. Par conséquent, en l’occurrence, même si je conclus que le tribunal de révision a commis une erreur et fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, la décision peut être maintenue si je conclus qu’elle fait partie d’un ensemble d’issues potentielles acceptables qui sont défendables au regard des faits et du droit.

[32] Cependant, avant de déterminer si la décision du tribunal de révision est globalement raisonnable, je me pencherai sur une autre question en litige soulevée par le représentant au cours de l’audience. Le représentant soutient que le tribunal de révision a enfreint un principe de justice naturelle, en ne recueillant pas la preuve auprès du conjoint de l’appelante.

Question en litige 3 : La division d’appel peut-elle prendre en compte de nouveaux motifs d’appel?

[33] Le tribunal de révision a écrit [TRADUCTION] « le mari de l’appelante n’a pas pu fournir d’éléments de preuve sur les premiers segments de la période pertinente, car il ne connaissait pas l’appelante à cette époque ».

[34] Le représentant soutient que le tribunal de révision n’a jamais demandé à l’appelante ou à son conjoint quand ils ont fait connaissance et a donc supposé de façon erronée que l’appelante et son conjoint se sont « rencontrés à la date de leur mariage ».  C’est pourquoi le tribunal de révision n’a pas recueilli de preuve auprès du conjoint.  Le représentant indique que l’appelante et son conjoint se connaissaient effectivement avant la fin de la période minimale d’admissibilité.  Le représentant soutient que le tribunal de révision aurait dû demander quand l’appelante et son conjoint ont fait connaissance et soutient que le tribunal aurait dû recueillir la preuve qu’il avait à présenter.  Essentiellement, le représentant cherche à modifier la demande de permission d’en appeler ou l’avis d’appel.  Le représentant ne cherche pas à obtenir une audience de novo devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

a. Faut-il prendre en compte de nouveaux motifs d’appel?

[35] L’avocat de l’intimé soutient qu’il est maintenant trop tard pour l’appelante et son représentant de soulever un nouveau motif d’appel, car il aurait dû être soulevé dans la demande de permission d’en appeler ou l’avis d’appel.  L’avocat soutient qu’il n’existe aucun droit d’appel et qu’une partie doit demander l’autorisation d’en appeler en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, l’appel étant en fin de compte limité aux motifs soulevés dans la demande de permission d’en appeler.  L’avocat soutient que la division d’appel est dessaisieaprès avoir rendu une décision sur la demande de permission d’en appeler.  Il s’appuie sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Merrigan, 2004 CAF 253 et soutient qu’il étaye la proposition voulant que la compétence du juge-arbitre soit limitée en cas d’appel.  (Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS est similaire à l’article 115 de l’ancienne Loi sur l’assurance emploi.) L’avocat soutient que l’intimé subirait un grand préjudice si je tenais compte de ce motif d’appel, alors qu’il n’a pas été soulevé antérieurement, car il n’est pas entièrement prêt à y répondre.  L’avocat ne demande cependant pas l’ajournement de l’audience d’appel.

[36] Dans l’arrêt Merrigan, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une lettre de la défenderesse dans cette cause n’était pas devant le conseil arbitral et ne pouvait pas être prise en compte par le juge-arbitre.  Bien que la décision porte sur la compétence du juge-arbitre, elle ne me semble pas être directement applicable à la procédure devant moi, car je me penche sur la question de la conduite du tribunal de révision lui-même, plutôt que sur la détermination des questions en litige devant le tribunal de révision.

[37] Outre l’arrêt Merrigan, les parties ne m’ont cité aucune autre source qui traite de la question de ma compétence à entendre des motifs d’appel supplémentaires, si ce n’était pas soulevé dans la demande de permission d’en appeler ou à un autre moment avant l’audience de l’appel.

[38] Je conviens que l’intimé subit un certain préjudice, lorsqu’aucun avis des nouveaux motifs n’a été donné au préalable, et lorsque cela ne permet pas à l’intimé de se préparer adéquatement au sujet de cette question et d’y répondre pleinement. Cependant, je peux remédier à ce préjudice par un ajournement, ce qui permettrait aux parties de se préparer adéquatement sur les questions en litige.

[39] J’estime que la décision relative à la demande de permission d’en appeler n’est pas une décision finale, au sens où elle ne dispense pas des procédures devant la division d’appel et je conclus donc qu’il n’y a pas dessaisissement de cettequestion.

[40] Diverses sources indiquent que la finalité des procédures est préférable et que la réouverture des procédures ne devrait pas être autorisée.  Dans l’arrêt R. c. H. (E.), 33 O.R. (3d) 202, [1997] O.J. No. 1110 (demande de permission d’en appeler devant la Cour suprême rejetée, C.S.C. dossier nº 25321. Bulletin C.S.C., 1997, p. 1544), la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de l’accusé H qui en appelait de sa condamnation.  H demandait la réouverture de l’appel pour présenter des arguments sur un nouveau motif d’appel.  La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté les demandes.  Elle a conclu qu’une fois qu’un appel est entendu quant au fond et qu’une décision finale est rendue dans un arrêt, le droit d’appel légal est épuisé. La finalité était perçue comme un objectif important.  La Cour d’appel de l’Ontario a déterminé que la demande de réouverture était une tentative de conférer à la Cour une compétence réservée à la Cour suprême du Canada.  Comme les deux demandes qui lui avaient été présentées touchaient des appels déjà jugés quant au fond, elle n’avait pas compétence sur l’une ou l’autre des demandes.

[41] Ici, je dois encore décider sur le fonds de l’appel. Suivant cette ligne jurisprudentielle, je peux me pencher sur tout nouveau motif d’appel qui n’a pas été soulevé précédemment dans la demande d’autorisation, à condition que l’appelante me convainque d’abord que ce nouveau motif d’appel a une chance raisonnable de succès et qu’il appartient à l’un des motifs d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[42] Cependant, indépendamment de la finalité, une autre ligne jurisprudentielle veut que de nouveaux motifs d’appel ne puissent être soulevés lorsque cela occasionnerait un préjudice grave à une autre partie.  Dans l’arrêt Butera c. Mitsubishi Motors Corporation, 2013 ONCA 125, la Cour d’appel de l’Ontario a retenu que de permettre aux appelants de défendre un nouvel argument serait [TRADUCTION] « manifestement injuste », car l’autre partie avait effectivement perdu l’occasion de préparer un dossier de preuve.

[43] Dans l’arrêt Osborne c. Gilbert, 2007 ONCA 202, l’appelant demandait un ajournement pour soulever un nouveau motif d’appel. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande, car elle a estimé que le motif d’appel n’était pas fondé.  En d’autres mots, la Cour d’appel de l’Ontario aurait pu être disposée à examiner le nouveau motif d’appel, même après le dépôt du mémoire de l’appelant, si ce n’est qu’elle estimait que le motif proposé n’était pas fondé.

[44] Dans l’arrêt McKesson Canada Corporation c. Canada, 2014 CAF 290, la Cour d’appel fédérale a examiné les principes qui doivent s’appliquer à une requête de dépôt d’un avis d’appel modifié devant elle.  Le juge Stratas s’appuyait sur les principes énoncés dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.) et sur la règle d’interprétation des Règles des Cours fédérales, qui prévoit l’application des notions d’équité, d’évitement des retards et de rentabilité et une préférence pour une décision sur le véritable fond des cas.

[45] Dans l’arrêt Canderel, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur un appel relatif à un jugement interlocutoire de la Cour canadienne de l’impôt, qui avait rejeté la requête de l’appelante visant l’autorisation de modifier, pour la quatrième fois, la réplique modifiée à l’avis d’appel. La requête avait été présentée le cinquième jour du procès.  La Cour d’appel fédérale a statué qu’une modification pouvait être autorisée à un stade ou l’autre d’une action, aux fins de déterminer les questions de fond entre les parties.  Il appartenait au juge de première instance de décider s’il y avait lieu d’autoriser une modification, et il devait se laisser guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, par sa perception de la justice. De multiples facteurs différents entraient en jeu dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, mais en fin de compte, comme l’indique le juge Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt, dans l’arrêt Continental Bank Leasing Corporation et autre c. La Reine, (1993), 93 DTC 298 (C.C.I.), à la p. 302, « Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite ». Compte tenu du retard de la requête, la Cour canadienne de l’impôt l’a considérée comme un abus de procédure en ce qu’elle aurait pu être présentée beaucoup plus tôt.

[46] Dans l’arrêt Lane c. Carsen Group, 2003 NSCA 42, la Nova Scotia Court of Appeal a accédé à la demande de l’appelante d’autoriser une modification à son avis d’appel, soit l’ajout d’un sixième motif d’appel.  En accédant à la demande, le juge Saunders écrivait :

[TRADUCTION] En conclusion, je suis persuadé que l’inclusion de ce motif supplémentaire est raisonnablement nécessaire pour la bonne présentation de l’appel, que cela permettra à la justice d’être rendue entre les parties et que la modification ne causera aucun préjudice à l’intimé.

[47] J’estime que ce nouveau motif soulevé par le représentant au nom de l’appelante a une chance raisonnable de succès, que le tribunal de révision a peut-être enfreint un principe de justice naturelle en refusant de recevoir la preuve du conjoint de l’appelante.

[48] Je reconnais que l’intimé n’a pas été informé au préalable de la modification proposée à la demande de permission d’en appeler et n’a pas eu l’occasion de réagir pleinement au nouveau motif d’appel. Cependant, dans l’évaluation de ma décision, je constate que l’intimé n’a pas demandé l’ajournement de l’appel et, d’après moi, la prolongation de cet appel ne servirait pas l’intérêt supérieur des parties.  Bien que cette requête de modification de la demande de permission d’en appeler soit présentée tardivement, je suis disposé à me pencher sur ce nouveau motif d’appel, puisque je dois permettre de statuer sur le fond dans sa totalité pour que justice soit rendue.

b. Le tribunal de révision a-t-il enfreint un principe de justice naturelle?

[49] Sans dossier ni transcription de l’audience devant le tribunal de révision, il est difficile de savoir comment le tribunal de révision a déterminé que le conjoint de l’appelante n’avait aucune preuve pertinente à présenter, si aucune preuve n’était avancée sur la période pendant laquelle l’appelante avait connu son conjoint avant le mariage.  La question doit toutefois avoir été soulevée, car le tribunal de révision l’évoque dans sa décision.

[50] Je ne peux que supposer que le tribunal de révision se fiait aux représentants des deux parties pour présenter les arguments appropriés au nom de leurs clients respectifs.  Vraisemblablement, le représentant de l’appelante aura voulu faire témoigner le conjoint de l’appelante pour présenter des éléments de preuve. Cependant, le représentant soutient qu’il incombait au tribunal de révision d’obtenir la preuve du conjoint de l’appelante et de lui demander quand il avait fait la connaissance de l’appelante.  Il ne me semble pas qu’il incombe au tribunal de révision de scruter ces types de questions avec des témoins potentiels.  Cela revient à l’appelant, ainsi qu’aux conseils ou représentants.

[51] Il en serait allé tout à fait différemment si le représentant avait appelé le conjoint de l’appelante à témoigner et le tribunal de révision avait refusé qu’il témoigne, sans tenir compte du moment où lui et l’appelante auraient fait connaissance.  J’aurais pu être disposé à déterminer que le tribunal de révision a enfreint un principe de justice naturelle s’il avait refusé d’entendre un témoin qui avait à présenter des éléments de preuve potentiellement pertinents et importants. Toutefois, comme j’estime que ce n’est pas le rôle du tribunal de révision d’appeler des témoins potentiels et d’en obtenir des éléments de preuve, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à un principe de justice naturelle.  Comme j’ai conclu à l’absence d’un tel défaut d’observance, je n’ai pas à déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’un tel manquement à un principe de justice naturelle est en cause.

[52] Accessoirement, je ne me pencherais sur aucune nouvelle preuve en appel, à moins qu’elle ne porte sur l’un des motifs d’appel.  Cependant, lorsqu’on soulève des allégations qu’un tribunal a refusé d’entendre un témoin, il peut être utile de fournir certains éléments de preuve sur le témoignage qu’il était censé présenter.  Dans ces circonstances, j’aurais admis de nouveaux éléments de preuve.

[53] Je reviens maintenant à la question du caractère raisonnable général de la décision du tribunal de révision.

Question en litige 4 : Caractère raisonnable de la décision

[54] Le fait que le tribunal de révision a tiré une conclusion de fait erronée ne rend pas nécessairement sa décision déraisonnable dans son ensemble.  Dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision, je dois déterminer si la décision fait partie d’un ensemble d’issues potentielles acceptables qui pourraient être défendues au regard des faits et du droit.  Cela n’exige pas de rechercher des faits, de réévaluer la preuve, d’effectuer ma propre évaluation, d’interférer avec les conclusions ou de substituer ma décision à celle du tribunal de révision.

[55] Le représentant de l’appelante soutient que la décision ne peut être raisonnable, compte tenu des erreurs qu’elle contient.  Le représentant soutient que le tribunal de révision a été sélectif dans les faits et observations qu’il a choisi de traiter, au point où il a agi de façon abusive et arbitraire. Par exemple, il n’a pas traité de l’ancienne fracture par tassement subie par l’appelante, qui est la source de son invalidité; il a cité de façon incomplète les rapports d’imagerie; il n’a pas reproduit une grande partie de la preuve et des observations écrites et il a tiré des conclusions non étayées par des éléments de preuve.

[56] Le représentant a souligné deux conclusions en particulier tirées par le tribunal de révision dans le paragraphe 38A de sa décision, que :

  1. (a) [TRADUCTION] l’appelante n’avait pas exploré toutes les modalités de traitement.
  2. (b) [TRADUCTION] il était inimaginable de voir comment l’appelante pourrait détenir une occupation véritablement rémunératrice dans son état actuel.

[57] Cependant, en ce qui a trait à l’alinéa 56 a) ci-dessus, le tribunal de révision a également constaté que, à part la consultation d’un neurologue, aucune consultation n’avait été demandée auprès d’autres spécialistes ou d’une clinique de la douleur et que l’appelante n’avait pas, à un moment opportun, été hospitalisée.  Et, au paragraphe 20 de sa décision, le tribunal de révision a indiqué que le médecin de famille de l’appelante, le Dr Chan, était d’avis qu’il y avait « des traitements limités disponibles pour son état de santé actuel et qu’elle avait utilisé au maximum ses soins médicaux ».  Le représentant soutient que, en d’autres mots, le tribunal de révision a conclu de façon erronée que l’appelante n’avait pas exploré toutes les modalités de traitement, alors que rien d’autre ne lui avait été recommandé.

[58] En ce qui a trait à l’alinéa 56 b) ci-dessus, le tribunal de révision a conclu au paragraphe 41 que l’appelante ne souffrait pas d’invalidité grave et prolongée. Le représentant soutient que les paragraphes 38A et 41 de la décision du tribunal de révision sont en conflit direct entre eux.  Au paragraphe 38A de sa décision, le tribunal de révision a conclu que l’appelante était actuellement invalide, mais au paragraphe 41 de sa décision, ne l’estimait pas invalide.

[59] L’avocat de l’intimé soutient par ailleurs que la décision du tribunal de révision est raisonnable dans son ensemble, en ce que, nonobstant qu’elle évoquait l’aptitude (erronée) de l’appelante à voyager en automobile pendant une période prolongée régulièrement, le tribunal de révision était conscient des limitations fonctionnelles de l’appelante.  Le tribunal de révision a établi ses limitations au paragraphe 16 de sa décision. Il a noté ses limitations relatives à la position assise et à la conduite automobile.  L’avocat soutient que même si le tribunal de révision a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, la question n’est pas assez importante pour influer sur la décision générale.

[60] L’avocat soutient que la décision est raisonnable dans son ensemble, car le tribunal de révision a considéré la plupart, sinon la totalité, des problèmes médicaux de l’appelante, autres que son attaque, et considéré d’autres facteurs également, dans l’évaluation de la gravité de son invalidité.  L’avocat soutient que la décision du tribunal de révision peut être justifiée, qu’elle est transparente et intelligible et qu’elle fait partie d’un ensemble d’issues potentielles acceptables qui sont défendables au regard des faits et du droit.

[61] Le fait qu’une décision ne comprenne pas tous les faits et observations ne la rend pas nécessairement déraisonnable, particulièrement lorsque ces faits et observations ne sont pas considérés comme étant pleinement pertinents ou importants pour les questions examinées.  La Cour suprême du Canada a attesté cette démarche dans l’arrêt Newfoundland [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)], au paragraphe 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local nº 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[62] Le tribunal de révision n’a pas agi de façon inappropriée et sa décision n’était pas déraisonnable, en raison du fait qu’il n’a pas reproduit en totalité les rapports d’imagerie, ou une grande partie de la preuve et des observations écrites, ou qu’elle n’a pas traité de la cause de son invalidité.  Comme l’a déterminé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33, « c’est la capacité du demandeur à travailler et non le diagnostic de sa maladie qui détermine la gravité de l’invalidité en vertu du RPC ».

[63] Ce qui nous préoccupe plus ici, c’est de savoir si le tribunal de révision a tiré des conclusions sans éléments de preuve pour les étayer. Le représentant invoque les conclusions du tribunal de révision sur le fait que l’appelante n’a pas exploré toutes les modalités de traitement, et soutient qu’elles sont en contradiction avec l’opinion du médecin de famille indiquant qu’il n’y avait que des traitements limités disponibles et que l’appelante avait utilisé au maximum ses soins médicaux.

[64] Cependant, malgré cette opinion, l’appelante a subi par la suite des examens supplémentaires et consulté un neurologue le 14 février 2011. Le neurologue a recommandé une évaluation relativement à une composante possible de fibromyalgie. Le paragraphe 35 de la décision du tribunal de révision indique que l’appelante n’a présenté aucune preuve attestant qu’elle a subi une évaluation relativement à une composante possible de fibromyalgie.  Dans cette perspective, on ne peut dire que la décision était déraisonnable et que certaines de ses conclusions n’avaient pas de fondement dans la preuve.  J’estime que ce n’était pas le cas.

[65] Bien que le tribunal de révision ait trouvé l’appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à la date de l’audience, cela n’équivaut pas nécessairement à la trouver invalide aux fins du Régime de pensions du Canada, car il aurait fallu également conclure qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée à sa période minimale d’admissibilité, comme il l’a indiqué au paragraphe 39 de sa décision. Le tribunal de révision aurait pu être plus clair dans ses conclusions au paragraphe 41, mais à la lecture de la conclusion à la lumière de son raisonnement, il ne fait pas de doute qu’il n’a pas trouvé l’appelante invalide aux fins du Régime de pensions du Canadaà sa période minimale d’admissibilité.

[66] Je suis d’accord avec les observations de l’avocat voulant que le tribunal de révision ait pris en compte plusieurs autres facteurs lorsqu’il a évalué la gravité de l’invalidité de l’appelante aux fins du Régime de pensions du CanadaIl a pris en compte la preuve médicale et, dans une certaine mesure, a pris note des symptômes de l’appelante et de leurs effets sur sa fonctionnalité générale, l’historique de ses soins, l’existence ou l’absence d’autres options de soins à explorer et la situation personnelle de l’appelante, dans l’évaluation de son invalidité.  Le tribunal de révision a conclu que l’appelante avait une certaine capacité et cherché à voir si elle avait fait des efforts pour trouver et conserver un emploi, ou si elle avait suivi un programme de recyclage ou d’études.  Bien que la preuve aurait pu étayer une autre issue qui aurait pu être vue comme étant raisonnable, ce n’est pas le critère que je dois appliquer. Étant donné que les motifs me permettent de comprendre comment le tribunal de révision en est venu à sa décision et comme j’estime que la conclusion fait partie d’un ensemble d’issues acceptables, suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable, je dois m’en remettre au tribunal de révision.

Conclusion

[67] L’appel est rejeté.

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