Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

J. P. : l’appelante

Celeste Courville : représentante juridique de l’appelante

Décision

[1] Le Tribunal conclut qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) est payable à l’appelante.

Introduction

[2] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité au titre du RPC de l’appelante le 28 juin 2011. Il a refusé la demande au stade initial ainsi qu’au terme d’un nouvel examen, et l’appelante a interjeté appel de cette décision au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[3] L’audience dans le cadre de cet appel a été tenue par vidéoconférence pour les motifs énoncés dans l’avis d’audience daté du 15 octobre 2014.

Droit applicable

[4] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012 prescrit que les appels qui ont été déposés auprès du BCTR avant le 1er avril 2013, mais qui n’ont pas été instruits par ce dernier, sont réputés avoir été déposés auprès de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’alinéa 44(1)b) du RPC établit les conditions d’admissibilité à la pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur doit :

  1. a) avoir moins de soixante‑cinq ans;
  2. b) ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[6] Le calcul de la PMA est important, puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[7] Aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être considérée comme étant invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[8] La PMA n’est pas en litige, car les parties s’entendent à cet égard; le Tribunal conclut que la date marquant la fin de la PMA est le 31 décembre 2013.

[9] Dans la présente affaire, le Tribunal doit déterminer s’il est probable que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

Éléments de preuve

Preuve documentaire

[10] Dans le questionnaire du RPC daté du 27 juin 2011, l’appelante a affirmé qu’elle a cessé de travailler le 24 mars 2010 parce qu’elle souffrait du syndrome de stress post‑traumatique (SSPT) – traumatisme transmis par personne interposée. Elle a indiqué avoir des idées suicidaires et des cauchemars, souffrir d’angoisse et de dépression, éprouver de la colère et avoir des crises de panique. Elle a indiqué également souffrir d’autres problèmes de santé, notamment d’asthme, de diverticulose, d’allergies, d’hypertension, d’ostéopénie et de problèmes à la thyroïde. Elle a déclaré qu’en raison du SSPT dont elle souffre, elle a fait une très grave dépression, s’est isolée et a été incapable de s’acquitter des tâches ménagères. Elle consulte un psychiatre encore aujourd’hui, et la médication suivante lui est prescrite : calcium, Cipralex, Synthroid, Losec, Apo-Fluticasone, Sandoz Calcitonin, Ventolin et Flovent. Elle consulte aussi Mme Maille, thérapeute, depuis le mois de décembre 2008.

[11] L’appelante a fréquenté un collège et obtenu un diplôme de travailleuse sociale et un certificat d’études sur la toxicomanie de l’Université X. Elle a travaillé entre le 4 avril 2005 et le 24 mars 2010 à titre de conseillère dans un refuge pour victimes de viol.

[12] Dans un rapport médical du RPC ne portant aucune date, l’on peut lire que le plus récent rendez‑vous a eu lieu au mois de juin 2011. Le Dr Kanya‑Forstner, médecin de famille, y indique qu’il a traité l’appelante pendant plus de 10 ans. Il a établi le diagnostic de syndrome de stress post‑traumatique (SSPT), signalant que l’appelante avait été exposée à maintes reprises à des situations difficiles au travail. Elle a par la suite commencé à éprouver de l’angoisse et à avoir des crises de panique. Étant donné que son emploi l’amenait à rencontrer et à conseiller des victimes de violence faite aux enfants, elle était incapable d’effectuer le travail pour lequel elle était formée. Le Dr Kanya‑Forstner s’est dit d’avis, étant donné la durée des symptômes, que l’appelante souffrirait probablement toujours d’angoisse intense et qu’elle aurait une faible fonction cognitive lorsqu’on lui rappellerait ses expériences antérieures. Il a déclaré qu’il doutait qu’elle soit en mesure de retourner au travail à quelque titre que ce soit dans un domaine convenant à ses compétences.

[13] Le 6 avril 2010, Mariette Maille, MSS/TSI, a résumé ses rapports avec l’appelante en 2008‑2009. Elle a signalé que l’appelante a initialement éprouvé des signes/symptômes de la fatigue de compassion et de traumatisme transmis par personne interposée. Elle était épuisée physiquement et émotivement et éprouvait de l’angoisse à l’idée de reprendre son ancien emploi. Bien qu’elle ait repris le travail dans un poste qui n’était pas de première ligne, elle a communiqué avec Mme Maille en état de crise après avoir tenté de reprendre un travail de première ligne.

[14] Le 4 juin 2010, Maureen Howard, MSB/TSI, a indiqué avoir rencontré l’appelante à deux reprises en séance de counseling. D’après Mme Howard, l’appelante ressentait de nombreux symptômes de traumatisme transmis par personne interposée – un problème suivant lequel un thérapeute manifeste un traumatisme en réaction aux récits des personnes qu’il aide. Elle a déclaré avoir eu des retours en arrière, de la difficulté à dormir, des cauchemars, une dépression et de l’angoisse.

[15] Le 9 juin 2010, Mme Maille a signalé qu’elle a continué à rencontrer l’appelante aux mois de mai et juin 2010.

[16] Le 10 septembre 2010, le Dr Richard, psychiatre, a évalué l’appelante. Il a indiqué qu’elle avait travaillé pendant plus de cinq ans à titre de travailleuse sociale, qu’elle avait récemment occupé un poste davantage administratif pendant environ 15 mois (mi‑janvier 2009 à mi‑mars 2010), puis qu’elle avait repris un travail clinique entre la mi‑mars 2010 et le 22 mars 2010, à la suite de quoi elle avait été incapable de poursuivre. Le Dr Richard a conclu qu’elle souffrait de SSPT chronique et il a estimé un [TRADUCTION] « FCE de 52 (pire l’an dernier : 47) ». Il a déclaré qu’elle était incapable de reprendre son travail. Il a indiqué qu’elle avait essayé d’y retourner en mars et qu’elle [TRADUCTION] « s’était littéralement effondrée » lorsqu’elle avait rencontré sa première patiente. Elle souffrait encore de SSPT « aigu ». À son avis, elle était incapable de reprendre un travail rémunérateur en raison de la gravité de ses troubles d’angoisse, des symptômes récurrents, de son comportement d’évitement associé au SSPT, de son hypervigilance, de son instabilité émotive, de sa colère et de ses accès de rage. Il a cru qu’elle serait en mesure de reprendre des tâches administratives beaucoup plus rapidement qu’un emploi clinique dans six à neuf mois.

[17] Le 16 février 2011, le Dr Eshleman, psychiatre, a vu l’appelante et constaté une amélioration depuis qu’il l’avait vue la dernière fois. Il a signalé que les rendez‑vous de l’appelante avec Mme Maille étaient passés d’un rendez‑vous aux deux semaines à un rendez‑vous aux trois semaines. Elle avait recommencé à rire, avait remarqué une certaine amélioration au chapitre du sommeil, et socialisait. En revanche, elle a exprimé également certaines inquiétudes pour ce qui est de son rendez‑vous avec le psychiatre en raison de sa crainte d’un « déclenchement ». Elle allait avoir 58 ans en avril 2011 et s’est montrée ambivalente quant au risque de retourner au travail dans le secteur du counseling et de la santé mentale. Elle ne croyait pas être en mesure de retourner au travail à quelque moment que ce soit dans ce secteur et elle craignait une rechute. D’après le Dr Eshleman, l’appelante a continué de manifester des symptômes du SSPT, qui étaient évidents dans sa salle d’attente. Il a fixé un rendez‑vous pour assurer le suivi et recommandé un rajustement de sa médication.

[18] Le 14 mars 2011, Mme Maille a résumé ses rencontres avec l’appelante à compter du mois de décembre 2008. L’appelante souffrait alors de fatigue de compassion et de traumatisme transmis par personne interposée et elle manifestait des symptômes du SSPT. En dépit d’une thérapie, elle devenait encore très angoissée à l’idée de retourner dans le secteur de « l’aide ». Elle est en bout de ligne retournée au travail et s’est fait offrir de passer d’un poste de première ligne à un poste dans lequel elle serait chargée d’organiser un refuge; elle a alors cessé sa thérapie. Le 25 mars 2010, elle a communiqué avec Mme Maille en état de crise, car elle avait récemment essayé de reprendre son travail de première ligne, mais elle avait été incapable de s’y faire. Son médecin et son psychiatre lui ont recommandé de reprendre une thérapie à long terme. Les principaux objectifs de la thérapie étaient de maintenir une stabilité émotionnelle et d’effectuer du travail au niveau du traumatisme pour régler les questions de traumatisme transmis par personne interposée et atténuer les symptômes de SSPT. D’après Mme Maille, l’état de l’appelante s’était beaucoup amélioré depuis le mois de septembre 2010. Au cours des deux mois précédents, elle avait été en mesure de maintenir une stabilité émotionnelle, sauf pendant des incidents isolés, notamment lorsqu’elle avait réagi lorsqu’un ancien client s’était approché d’elle dans la salle d’attente du psychiatre. Toutefois, elle s’était beaucoup améliorée à tous égards au niveau du fonctionnement quotidien. Après beaucoup de travail et d’efforts, elle était la plupart du temps [TRADUCTION] « capable de passer devant la résidence d’un client, de rencontrer ses collègues de travail et de fréquenter des endroits publics sans se sentir excessivement anxieuse ». Par contre, elle était encore incapable d’écouter des récits difficiles ou d’être exposée à la violence à la télévision sans se sentir dépassée. Mme Maille a dit être d’avis que, compte tenu de son âge, du degré de gravité du traumatisme transmis par personne interposée ou des symptômes de SSPT et des années au cours desquelles elle a travaillé dans le domaine, il [TRADUCTION] « semblerait peu probable qu’elle soit en mesure à quelque moment que ce soit de reprendre un travail de première ligne ou d’occuper un emploi lié au secteur d’aide sans en subir immédiatement les effets négatifs encore une fois ».

[19] Le 12 avril 2011, le Dr Eshleman a vu l’appelante, qui a dit qu’elle se sentait mieux, mais qu’elle craignait continuellement de rencontrer quelqu’un, ce qui pourrait avoir un effet déclencheur et lui rappeler leur récit d’abus. Elle a réussi à se rendre à son lieu de travail à plusieurs reprises, ce qui dénote un progrès important. Toutefois, elle a continué de se concentrer sur les retours en arrière, lesquels étaient habituellement déclenchés, mais se produisaient aussi parfois au hasard. Elle prévoyait les endroits où elle risquait de tomber sur des clients, mais elle a indiqué qu’elle pouvait aller au centre commercial et qu’elle était allée au bureau et à un autre endroit. En revanche, il lui arrivait encore parfois de ressentir le besoin de fuir une situation. Elle a continué d’assurer un suivi en thérapie avec Mme Maille. Le Dr Eshleman a estimé qu’il y avait une amélioration compte tenu de sa psychothérapie actuelle et de la dose accrue de Celexa.

[20] Le 19 mai 2011, le Dr Eshleman a reçu l’appelante en consultation, et cette dernière a indiqué qu’elle n’allait pas bien. À la suite d’une période d’amélioration remarquable, son état s’est détérioré par suite d’un événement déclencheur, à savoir sa rencontre avec un ancien collègue avec qui elle avait mis sur pied un centre/programme de crise en cas de viol. Elle s’est mise à avoir encore une fois des idées suicidaires, elle ne se sentait pas bien, elle ne voulait pas sortir du lit et elle dormait mal, et elle avait des cauchemars récurrents concernant son travail passé ou la violence. Son état s’est par la suite amélioré, mais elle trouvait encore difficile de sortir du lit tous les jours. Elle évitait les gens, s’abstenait de regarder la télévision comportant de la violence et évitait le lieu de travail et les gens qui y étaient associés, même si elle avait été auparavant capable de se rendre au travail et faire des copies. Elle continuait de travailler avec Mme Maille, qui lui a recommandé de ne pas tenter de retourner au travail comme travailleuse de première ligne étant donné le risque de rechute. Le Dr Eshleman a suggéré à l’appelante [TRADUCTION] « d’attendre et de voir », avant de commenter sur des [TRADUCTION] « limites ou un potentiel » futurs. Il a déclaré que ce genre de travail poserait toujours un risque de déclenchement potentiel de ses symptômes et que la question était de savoir si elle pouvait se sentir bien physiquement et mentalement et mettre au point des techniques/outils pour gérer ce travail.

[21] Dans un rapport médical du RPC daté du 19 septembre 2011, le Dr Eshleman a signalé qu’il a commencé à traiter l’appelante au mois de novembre 2010. Il a posé un diagnostic de SSPT et de trouble dépressif majeur accessoire au SSPT. Il prévoyait qu’il y aurait des améliorations constantes, puisqu’elle avait réagi de manière prévisible à la médication à ce jour. Elle avait eu une réaction rapide aux antidépresseurs. Il ne croyait toutefois pas qu’elle soit en mesure de reprendre son travail antérieur ou une occupation s’y rapportant, car le SSPT était chronique et récurrent si elle était exposée à des éléments déclencheurs. Étant donné son long passé professionnel dans le secteur des services de santé mentale/services sociaux, le Dr Eshleman ne croyait pas que l’appelante puisse éviter une exposition au lieu de travail public. Il a mentionné que la ville de X est une ville assez petite où l’on devient rapidement exposé à de nombreux problèmes connexes. Les symptômes de l’appelante persistaient alors et ses autres problèmes de santé, comme l’hypertension et le RGOP, seraient probablement aggravés si son état de santé mentale se détériorait.

[22] Le 17 février 2012, le Dr Eshleman a envoyé à l’intimée une lettre concernant le rejet de la demande de pension d’invalidité au titre du RPC de l’appelante. Il s’est dit d’avis que l’appelante était admissible à des prestations. Il a déclaré qu’il l’avait évaluée initialement en novembre 2010 et avait conclu qu’elle souffrait de SSPT avec panique, trouble dépressif majeur accessoire à une angoisse liée au SSPT et qu’elle éprouvait des problèmes de santé, y compris l’hypothyroïdie, l’hypertension, le RGOP et l’ostéoporose, et qu’elle avait souffert par le passé d’hypoglycémie. Il a décrit les symptômes de la fatigue de la compassion, du traumatisme transmis par personne interposée et de l’épuisement physique et mental qui ont contribué au SSPT. Il a noté également son [TRADUCTION] « exposition extrême » étant donné qu’elle a travaillé au sein des Services à l’enfance et à la famille, dans un refuge pour femmes et dans un refuge pour victimes de viol pendant plus de 20 ans et étant donné ce qu’elle avait vécu personnellement dans le cadre d’un mariage abusif. Bien qu’elle ait fait état d’améliorations au niveau de son humeur déprimée, elle a continué à avoir des symptômes d’angoisse et de panique lorsqu’elle est exposée à des éléments déclencheurs. Ainsi, lors de son dernier rendez‑vous, elle a décrit avoir vu dans le bureau une infirmière qui avait été auparavant une cliente, ce qui a contribué à son [TRADUCTION] « choc et sa surprise » pendant plusieurs minutes. Elle avait besoin que quelqu’un l’accompagne pour aller faire ses courses. Elle dormait assez bien, bien qu’elle ait besoin de faire des siestes en après‑midi. Elle avait plus d’énergie et elle avait aussi davantage de contacts sociaux, car elle les tolérait davantage. D’après le Dr Eshleman, le Dr Kanya‑Forstner a reconnu que l’appelante ne devrait pas retourner au travail. Sa tension artérielle avait baissé après qu’elle eut cessé de travailler. Le Dr Eshleman a déclaré que cela allait dans le même sens que son opinion selon laquelle ses problèmes de santé risquaient de s’aggraver si elle était exposée à des récits d’abus passés ou à des éléments déclencheurs. Il a noté des rajustements de ses médicaments et indiqué qu’elle éprouvait plus d’angoisse potentiellement du fait de la réduction du Cipralex. Le Dr Eshleman a déclaré qu’il continuerait de voir l’appelante, lui a dit de hausser la dose de Cipralex et lui a suggéré d’essayer le Wellbutrin. D’après le Dr Eshleman, l’appelante souhaitait se rétablir, mais ses symptômes étaient chroniques et ils demeurent présents lorsqu’elle était exposée sans s’y attendre. Il a déclaré ceci : [TRADUCTION] « Étant donné qu’elle a travaillé dans le domaine pendant plus de 20 ans et étant donné son âge actuel, je ne soutiens pas son retour au travail. Elle sera inévitablement exposée à des personnes qu’elle connaît ou avec qui elle travaille, de même qu’à des problèmes simplement soulevés dans les médias et, pour cette raison, elle continuera d’être à risque de manifester des symptômes déclencheurs du SSPT et de la panique s’y rapportant. Ainsi que je l’ai indiqué, elle continue d’avoir des symptômes à l’heure actuelle ».

[23] Le 22 mars 2012, le Dr Kanya‑Forstner a écrit à la compagnie d’assurance‑invalidité de l’appelante. Il a déclaré que l’appelante avait encore une importante déficience en raison du SSPT sous‑jacent dont elle souffrait et qu’elle était incapable de sortir de la maison seule sans être saisie de crises de panique accompagnées de nausée et de palpitations. En conséquence, elle avait besoin que quelqu’un l’accompagne. Elle était en outre limitée par le fait que presque chaque fois qu’elle rencontrait un ancien collègue ou un ancien client, ses symptômes étaient [TRADUCTION] « même davantage amplifiés, ce qui entraîne une incapacité presque complète de quitter la maison pendant plusieurs jours ». Ses symptômes étaient aggravés également par les récits/images journalistiques lui rappelant ses expériences traumatisantes antérieures au travail. À la maison, elle a continué de décrire un sommeil perturbé lié à des cauchemars et a fait mention de son manque de motivation et de concentration et de son humeur déprimée. En dépit de ses efforts et de ceux du Dr Eshleman et de sa conseillère, l’appelante avait constaté peu de changements au niveau de ses symptômes étant donné la facilité avec laquelle ils réapparaissaient lorsqu’on lui rappelait des événements traumatisants. Il a dit croire qu’elle était incapable de retourner au travail.

[24] Le 4 mai 2012, le Dr Eshleman a écrit à l’intimé et s’en est pris à la décision de ce dernier de se fonder sur son rapport daté du mois de février 2012 pour étayer sa thèse selon laquelle l’appelante n’était pas incapable d’effectuer tout genre de travail. Il a précisé qu’il ne soutenait pas le retour de l’appelante à tout genre de travail, soulignant que cela ne représentait pas un changement par rapport à son évaluation antérieure. Il a déclaré qu’il ne croyait pas que sa formation/ses compétences ou son expérience connexes puissent être transférées vers tout genre de travail qui n’aurait pas pour effet de l’exposer à des éléments déclencheurs du SSPT avec crises de panique et dépression accessoire. Il a dit : [TRADUCTION] « Ce serait plus particulièrement le cas dans notre petite communauté, où de nombreuses relations sont liées entre elles dans tous les domaines de fonction ». Il a signalé que la durée de la maladie seule permettait d’en arriver à un sombre pronostic. Bien que l’appelante ait noté quelques améliorations, ses symptômes variaient et ils étaient réactifs, ce qui prouvait qu’ils étaient intermittents, bien que récurrents. L’appelante manifestait une récurrence de ses symptômes d’angoisse et souffrait notamment de panique, de manque de patience dans les situations sociales, de fatigue avec capacité limitée de fonctionner même à l’intérieur de sa maison et de déficit cognitif. D’après la preuve, il y avait aussi une intolérance constante à l’exposition à des situations de déclenchement habituellement inattendues. Il a déclaré qu’il est impossible d’établir la différence entre un stress lié au travail et le SSPT et la dépression secondaire. À son avis, les troubles physiques de l’appelante comme le SCI et le RGOP seraient aggravés par le stress. Il a déclaré en outre que, compte tenu de ses deux épisodes précédents de congé du travail en raison d’un « épuisement professionnel », l’épisode d’alors étant le troisième, elle risquait presqu’à cent pour cent d’avoir des épisodes à l’avenir si elle était exposée à un stress inutile. Le Dr Eshleman a déclaré ce qui suit également : [TRADUCTION] « Mme J. P. continue d’avoir des symptômes qui feraient obstacle à un travail à quelque titre que ce soit. Elle doit se servir de techniques de gestion d’angoisse et de thérapie de comportement cognitif, car elle essaie d’accroître sa fonction tant à la maison qu’au sein de la communauté … ». Puis il a ajouté ceci : [TRADUCTION] « Dans mes notes antérieures, y compris dans celles du 17 février 2012, je n’indique à aucun endroit que son état est tel qu’elle pourrait effectuer tout genre de travail ».

[25] Le 26 février 2013, l’appelante a consulté le Dr Adesanya parce qu’elle souffrait d’anémie et pour exclure la maladie cœliaque. Le médecin a indiqué qu’il n’y avait aucune preuve de la maladie cœliaque. Il a conclu que l’ANA de l’appelante était très élevé ― titre 1 : 640― et suivait un modèle homogène. Elle ne souffrait pas de polyarthrite, mais plutôt de polyarthralgie, qu’elle attribuait à la fibromyalgie. Étant donné ces titres élevés, l’appelante a été invitée à subir d’autres tests sanguins en vue d’écarter un diagnostic de lupus, de connectivite mixte et de sclérodermie.

Témoignage de vive voix

[26] L’appelante est née le 23 avril 1954 et elle est âgée de 60 ans.

[27] Elle a fait une douzième année, puis elle a obtenu un diplôme en travail social et un certificat d’études en toxicomanie.

[28] Elle a œuvré pendant 22 ans dans le secteur du travail social. Elle a travaillé pour les Services de toxicomanie de X  pendant 10 ans, pour les Services à l’enfance et à la famille (SEF) pendant cinq à sept ans, et pour le Refuge pour victimes de viol (refuge), où elle a travaillé jusqu’au mois de mars 2010. Elle avait travaillé au refuge pendant approximativement cinq ans.

[29] Lorsqu’elle a travaillé aux SEF, elle a été exposée à des cas d’abus sexuels envers des enfants. Elle s’est rappelé un cas en particulier qui lui donnait des cauchemars. Elle a décidé de partir parce qu’elle n’était plus capable de faire le travail. Elle a travaillé aussi à des dossiers touchant les femmes et la violence aux Services de toxicomanie de X, ce qui lui a causé également des cauchemars. Les séances de verbalisation au refuge, où elle retournait perturbée après sa présence au tribunal, étaient insuffisantes. Ce manque de séances de verbalisation intensifiait son sentiment de colère.

[30] Elle s’est fait dire qu’elle souffrait du SSPT, d’angoisse et de dépression. Elle s’est faire dire également qu’elle souffrait de fibromyalgie, de reflux acide, de diverticulose et d’asthme.

[31] Elle est incapable de s’occuper de la maison en raison de sa dépression. Son époux fait la cuisine et le gros du nettoyage. Elle n’a pas fonctionné à la maison depuis qu’elle a cessé de travailler, par manque de motivation.

[32] Elle est moins fatiguée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a plusieurs années lorsqu’elle souffrait de dépression et dormait tout le temps.

[33] Elle souffre encore de crises de panique. Elle va habituellement partout avec son mari. Elle réussit, rarement, à rencontrer une amie dans un café ou à lui rendre visite Toutefois, elle ne peut sortir seule en raison de la crainte et de l’angoisse qui l’étreint. Une amie l’a accompagnée pour faire des exercices aérobiques mais, lorsque que cette amie est en X, l’appelante ne va pas à la piscine.

[34] Le 2 janvier 2015, elle a eu des idées suicidaires toute la journée, et elle était suicidaire également (mais moins gravement) plusieurs semaines plus tard.

[35] Elle prenait les médicaments suivants : aérosols‑doseurs pour l’asthme; Ciprolex, 10 mg une fois par jour; Gapabentine, 300 mg en soirée pour les douleurs attribuables à la fibromyalgie (elle souffre aussi d’arthrite aux mains); Anusol pour les hémorroïdes; Losec pour le reflux acide; Wellbutrin (interrompu); une médication à la suite d’une intervention chirurgicale à la cataracte; Synthroid, 88 mcg (ce qui a fait une différence), du calcium et de la glucosamine pour les douleurs.

[36] Elle s’est fait enlever l’appendice au mois de mars ou avril l’année dernière. Les médecins ont trouvé des polypes et ont retiré également une hernie. Les polypes sont extrêmement dangereux. Ses frères et sœurs et ses enfants ont été invités à subir des coloscopies étant donné le risque de cancer que présentent ces polypes.

[37] Au cours d’une journée type, l’appelante se lève, déjeune, s’assoit à l’ordinateur et peut prendre une douche – bien que ses soins d’hygiène personnelle aient diminué. Son époux « la force » à aller marcher ou à aller prendre un café. Ils reviennent à la maison et elle retourne s’asseoir sur le divan jusqu’au souper. Après le souper, elle retourne sur le divan jusqu’à l’heure du coucher, vers 21 h.

[38] Elle avait l’habitude d’avoir de la compagnie. Elle a été en mesure de recevoir sa famille à Noël de cette année, mais elle n’a pas eu la capacité de recevoir tout le monde en même temps en raison de son état. Bien qu’elle aime ses petits‑enfants, elle n’a plus la patience nécessaire.

[39] Elle oublie. Par le passé, elle aimait lire, mais elle éprouve aujourd’hui de la difficulté à retenir l’information. Elle a déjà eu un chalet. Elle et son époux l’ont vendu l’année dernière en raison de difficultés financières, mais elle n’avait plus envie d’y aller de toute façon.

[40] Un litige l’oppose à l’heure actuelle à sa compagnie d’assurance‑invalidité à long terme. Ses prestations ont été interrompues après deux ans. Elle a récemment commencé à toucher des prestations de retraite du RPC.

[41] Elle a reçu par le passé des services de counseling de Mariette Maille et, après que la compagnie d’assurance‑invalidité à long terme eut cessé de lui verser des prestations, l’employeur de l’appelante a continué à acquitter le coût des séances de counseling pendant trois ou quatre mois supplémentaires. Après son licenciement par le refuge, les séances de counseling ont été interrompues.

[42] Elle avait l’habitude de consulter son psychiatre, le Dr Eshleman, régulièrement. Elle croit qu’elle a commencé à le consulter au mois de novembre 2010. Il est récemment tombé malade et il est en congé de maladie depuis cinq ou six mois. Le 27 février 2015, l’appelante rencontrera un nouveau psychiatre, le Dr Croft. Elle consulte aussi son médecin de famille. Elle n’a jamais refusé un traitement.

[43] Elle a consulté d’autres médecins, qui ont conclu qu’elle souffrait d’arthrite. Elle a rencontré également le Dr Fales, Kirkland Lake, pour ses yeux, et le Dr Adesanya.

[44] Son dernier employeur lui a offert beaucoup de soutien. Un jour, elle a « explosé » devant la secrétaire sans aucune raison. L’employée lui a suggéré de travailler dans un refuge pour femmes en démarrage, où elle a travaillé entre le mois de janvier 2009 et le mois de mars 2010. Elle s’est sentie mieux et elle a repris le travail de première ligne qu’elle avait occupé antérieurement au refuge. Pendant son premier quart de travail, tout s’est « effondré ».

[45] Chaque fois qu’elle a pris congé du travail, son sentiment d’angoisse s’est aggravé. Elle souffre du SSPT et elle ne peut simplement changer de travail et en commencer un nouveau. Lorsqu’elle a pris congé, elle avait de graves problèmes de colère : les SEF ne protégeaient pas les enfants et la police jetait le blâme sur les femmes victimes. Elle souffrait d’angoisse et avait des cauchemars. Elle fait un cauchemar récurrent où une personne se sert d’une machette pour tuer sa famille entière sous ses yeux. Dans son esprit, les cauchemars sont réels. Ils ont diminué, mais elle a encore des éléments déclencheurs. Ainsi, si son mari regarde une émission violente à la télévision, cela peut déclencher un cauchemar. Elle peut avoir des cauchemars jusqu’à deux fois par mois, bien que, certains mois, elle puisse en avoir un seulement, voire même aucun. Le jour qui suit un cauchemar, elle est très mal en point. Si elle marche dans la rue et voit un ancien client, cela peut aussi déclencher une réaction. Elle a été victime d’un élément déclencheur dans la salle d’attente du Dr Eshleman après qu’elle eut vu une ancienne cliente.

[46] Elle aimait voyager par le passé. Certains membres de la famille ont des condominiums en X, mais elle a trop peur de voyager.

[47] Lorsqu’elle a cessé de travailler, elle dormait entre 12 et 15 heures par jour. Aujourd’hui, elle dort environ 12 heures.

[48] Depuis qu’elle a cessé de travailler, certaines choses se sont améliorées. Ainsi, elle arrive davantage à maîtriser sa colère. En revanche, d’autres choses se sont aggravées, notamment ses idées suicidaires.

[49] Elle n’a pas tenté de retourner au travail. Elle est trop malade pour le faire. Bien qu’elle se soit améliorée au niveau de la fonction en mars et en avril 2011 et qu’elle se soit « forcée » à se rendre au refuge pour parler de ses sentiments, elle ne pourrait le faire aujourd’hui.

[50]  En dépit des améliorations notées par Mme Maille en mars 2011 et par le Dr Eshleman en avril 2011, l’appelante n’aurait pas été en mesure d’occuper un travail non lié au domaine du travail social en raison de son état.

[51] À l’époque à laquelle la compagnie d’assurance‑invalidité à long terme était sur le point d’interrompre le paiement de ses prestations, l’appelante a fait valoir que, si elle devait chercher du travail, le préposé devrait l’accompagner et rester avec elle, car elle ne pouvait y aller seule.

[52] Elle ne peut aller chez Walmart seule sans être saisie d’une crise de panique. Elle ne croit donc pas pouvoir travailler. Elle aurait de la difficulté à gérer un travail aussi étant donné les difficultés qu’elle éprouve à lire un livre.

[53] Au mois de février 2012, elle a peut‑être tenté d’aller faire des courses seule à une époque où elle bénéficiait de nombreuses séances de counseling. Or, elle ne croit pas avoir réussi. En conséquence, elle avait besoin que quelqu’un l’accompagne. Elle ne va pas à l’épicerie seule aujourd’hui. Son mari doit l’accompagner.

[54] Lorsqu’elle a cessé de travailler, elle a eu l’impression que les symptômes associés à la fibromyalgie, dont elle souffre, s’étaient intensifiés.

[55] D’après un rapport daté du mois d’octobre 2014 de la Société d’arthrite dressé par Mary Ellen Marcon, physiothérapeute et adressé à la clinique de rhumatologie de l’hôpital de X (et versé au dossier par la représentante juridique de l’appelante), l’appelante est atteinte d’arthrite aux mains et au fascia plantaire. À l’heure actuelle, les problèmes suivants ont été cernés, notamment : douleurs aux mains et au fascia plantaire depuis six mois. L’on peut lire qu’elle a souffert par le passé notamment de douleurs aux mains pendant deux ans. L’on a signalé qu’elle a une force de préhension réduite dans les deux mains. Mme Marcon a signalé avoir l’impression d’une dysfonction par suite d’une surutilisation des mains – ordinateur.

Observations

[56] L’appelante a fait valoir qu’elle est admissible à une pension d’invalidité pour les motifs suivants :

  1. Le rapport du Dr Eshleman daté du mois de mai 2012 aborde les deux réserves de l’intimé et l’incapacité de l’appelante de retourner au travail. Il est tout à fait au courant de son état et il y a lieu d’accorder le poids qui convient au rapport.
  2. L’appelante a donné un témoignage crédible. Si elle le pouvait, elle travaillerait.
  3. Elle aime les membres de sa famille. Toutefois, en raison de sa capacité limitée de fonctionner, elle ne peut les recevoir tous en même temps pour une visite à Noël.
  4. Au chapitre des réalités commerciales, en raison de son âge, de ses afflictions et de son domaine de travail passé restreint, aucun employeur ne l’embaucherait.
  5. La jurisprudence permet de faire valoir qu’elle n’est pas tenue de s’installer ailleurs. Elle a passé toute sa vie dans sa communauté – voir Deschamps c. MDRH, 18 novembre 2002 CP 17036; et Smith c. MDC (26 septembre 2007) CP 24972 (CAP).

[57] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les motifs suivants :

  1. Bien que le Dr Eshleman n’ait pas souscrit à un retour à son travail antérieur, un examinateur médical psychiatrique indépendant (Dr Richard –10 septembre 2010) a donné à entendre que l’appelante pouvait s’acquitter de tâches administratives.
  2. Elle a réussi à accomplir son travail pendant 18 mois par le passé après avoir éprouvé des symptômes de « fatigue de compassion et un traumatisme transmis par personne interposée » en 2008.
  3. Mme Maille, une travailleuse sociale (14 mars 2011), a souscrit à l’idée que l’appelante s’était beaucoup améliorée et que, si un retour à un travail « de première ligne » ne convenait pas, elle n’écartait pas la possibilité que l’appelante occupe un autre genre de travail.
  4. La preuve ne soutient pas la décision du Dr Eshleman d’appuyer la demande de pension d’invalidité de l’appelante, étant donné la définition d’invalidité aux fins de l’application du RPC. Bien qu’elle ne doive vraisemblablement pas retourner à son emploi antérieur, deux autres sources confirment que son état en général s’est amélioré lorsqu’elle a été retirée de cet environnement de travail, et qu’elle pourrait occuper un autre emploi.
  5. Elle a réussi par le passé dans un environnement différent.
  6. Compte tenu de la preuve objective, y compris les rapports d’améliorations continues, et en dépit de la défense que lui a assurée le Dr Eshleman, l’appelante est capable de travailler dans une capacité modifiée lui convenant.

Analyse

[58] L’appelante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date.

Invalidité grave

[59] La preuve indique que l’appelante éprouve des problèmes d’arthrite aux mains, qu’elle souffre de polyarthralgie dans une certaine mesure, qu’elle a une force de préhension réduite aux mains, et qu’elle est atteinte d’asthme, de diverticulose, d’allergies, d’hypertension et d’ostéopénie en plus d’avoir des problèmes à la thyroïde. Le Tribunal n’est pas convaincu cependant qu’en raison de ces afflictions, prises individuellement et (ou) cumulativement, elle a été incapable de s’acquitter de son emploi précédent régulièrement ou d’un travail sédentaire à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date. En outre, il y a absence de rapports médicaux exposant avec plus de détails les afflictions susmentionnées et leur gravité, au sens où l’entend le RPC, à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date.

[60] Le Tribunal signale cependant que l’appelante a cessé de travailler en 2010 en raison du SSPT et pour motif d’angoisse. Le Tribunal est convaincu, compte tenu du dossier médical et du témoignage de l’appelante, que cette dernière était régulièrement incapable de s’acquitter de son emploi antérieur à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date, étant donné sa certitude d’être exposée à des éléments déclencheurs en relation avec son SSPT et son angoisse. La question plus difficile est celle de savoir si l’appelante était régulièrement incapable de détenir tout autre emploi véritablement rémunérateur, y compris un emploi où elle ne serait pas exposée à des éléments déclencheurs.

[61] Le dossier médical permet dans une certaine mesure de soutenir que l’appelante pourrait reprendre un autre travail. Par exemple, dans le rapport médical du RPC non daté, le Dr Richard, psychiatre, a déclaré expressément dans son rapport du mois de septembre 2010 que l’appelante serait en mesure de reprendre un travail de nature administrative beaucoup plus rapidement qu’un travail clinique dans six à neuf mois. Dans son rapport daté du 16 février 2011, le Dr Eshleman a indiqué que l’appelante, elle‑même, a exprimé une certaine ambivalence au sujet du risque de retourner au travail dans les secteurs du counseling/de la santé mentale, et mentionné qu’elle craignait une rechute. Cela donne à entendre qu’elle n’éprouvait pas les mêmes réserves au sujet d’un retour dans un poste différent. Dans son rapport du mois de mars 2011, Mme Maille, travailleuse sociale, a fait état d’une amélioration importante chez l’appelante, indiquant que la plupart du temps, elle était [TRADUCTION] « maintenant en mesure de passer devant la maison d’un client, de rencontrer des collègues et de se rendre dans des endroits publics sans se sentir excessivement angoissée ». Bien qu’elle ait cru peu probable que l’appelante soit en mesure à quelque moment que ce soit de reprendre un travail de première ligne ou tout autre travail lié au secteur de l’aide à autrui, Mme Maille n’a pas écarté entièrement la possibilité qu’elle occupe un autre travail. Le Dr Eshleman a fait état de progrès également dans son rapport daté du 12 avril 2011. Il a indiqué que l’appelante avait réussi à se rendre à son lieu de travail à plusieurs reprises et qu’elle pouvait maintenant aller au centre commercial, qu’elle était allée au bureau et à un autre endroit. Dans son rapport du mois de mai 2011, après avoir signalé une détérioration au niveau du fonctionnement, le Dr Eshleman a déclaré que le travail poserait toujours le risque de déclencher des symptômes et il a proposé d’attendre et de voir avant de commenter sur les limites futures ou potentielles. Dans son rapport daté du 19 septembre 2011, il a déclaré qu’il ne croyait pas que l’appelante soit capable de reprendre son emploi précédent ou toute occupation liée au motif que le SSPT est chronique et récurrent si l’appelante est exposée à des éléments déclencheurs. Cela permet au Tribunal de penser qu’elle pourrait retourner au travail si elle n’était pas exposée à des éléments déclencheurs.

[62] Le Tribunal conclut cependant, après un examen soigné, que le dossier médical est moins concluant sur la question de la capacité de l’appelante d’occuper un emploi non lié au travail social. Premièrement, bien que le Dr Richard se soit dit d’avis le 10 septembre 2010 que l’appelante serait capable de reprendre un travail de nature administrative beaucoup plus rapidement qu’un emploi clinique dans six à neuf mois, il n’a pas assuré le suivi avec elle pour confirmer son pronostic. Le Tribunal conclut que cela est important, plus particulièrement étant donné le faible FCE de 52 (pire l’an dernier : 47) qu’il a fixé. Deuxièmement, bien que le Dr Eshleman ait noté une certaine amélioration chez l’appelante en février 2011, il a signalé aussi qu’elle avait indiqué craindre de se présenter à son rendez‑vous avec lui parce qu’elle avait des réserves au sujet d’éléments déclencheurs. Il est évident, de l’avis du Tribunal, que la crainte et l’angoisse de l’appelante à cette époque se sont manifestées à l’extérieur d’un environnement de travail lié au travail social. Il est important de noter que le Dr Eshleman a déclaré que l’appelante continuait d’avoir des symptômes du SSPT qui étaient évidents dans sa salle d’attente et qu’elle avait besoin d’un traitement de suivi et d’un rajustement de ses médicaments. Troisièmement, les gains de l’appelante semblaient avoir été de brève durée. Bien que Mme Maille ait fait état d’une amélioration fonctionnelle dans son rapport du 14 mars 2011, notamment de la capacité de l’appelante de passer devant la résidence d’un client, de rencontrer des collègues de travail et de fréquenter des endroits publics, et que le Dr Eshleman ait noté des améliorations similaires le mois suivant, ce dernier a décrit une importante détérioration au niveau fonctionnel au mois de mai 2011, après que l’appelante eut rencontré un ancien collègue. Quatrièmement, le rapport du Dr Eshleman qui est daté du mois de septembre 2011 pourrait être lu de deux manières. D’une part, il a indiqué qu’il ne croyait pas que l’appelante soit en mesure de reprendre son ancien travail ou toute occupation liée, ce qui pourrait signifier qu’elle pourrait reprendre un autre travail. D’autre part, il a précisé qu’étant donné son long passé professionnel dans le domaine de la santé mentale/des services sociaux, il ne croyait pas qu’elle puisse éviter une exposition au lieu de travail public. Il a déclaré que X est une ville assez petite où l’on est rapidement exposé à une multitude de problèmes connexes. De l’avis du Tribunal, cela signifie que l’appelante ne pouvait de façon réaliste s’acquitter d’un emploi, quel qu’il soit, étant donné la probabilité qu’elle soit exposée à des éléments déclencheurs en décompensation au sein de la communauté. Cinquièmement, le 17 février 2012, le Dr Eshleman a confirmé que l’appelante continuait d’avoir des symptômes d’angoisse et de panique lorsqu’elle était exposée à des éléments déclencheurs. Il a donné l’exemple d’un cas où elle est tombée dans son cabinet sur une infirmière qui avait été auparavant une cliente, et a noté qu’elle a besoin d’être accompagnée lorsqu’elle sort faire des courses. Il a souligné qu’il serait inévitable qu’elle soit exposée à des personnes qu’elle connaît ou avec qui elle a travaillé et qu’elle continuerait de risquer de manifester des symptômes déclencheurs du SSPT et de panique reliée. Un mois plus tard seulement, le Dr Kanya‑Forstner a déclaré que presque chaque fois que l’appelante rencontrait un ancien collègue de travail ou un client, ses symptômes s’amplifiaient, ce qui la rendait parfaitement incapable de quitter la maison pendant plusieurs jours. Il a noté également qu’elle avait besoin que quelqu’un l’accompagne lorsqu’elle sortait de la maison et qu’elle a dit avoir un sommeil perturbé en raison de ses cauchemars et souffrir d’une faible motivation, d’un manque de concentration et de déprime.

[63] Le Tribunal est convaincu, compte tenu de l’examen du dossier médical et du témoignage de l’appelante, que cette dernière était incapable de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date. Étant donné son environnement « réaliste », elle court un risque très réel d’être exposée à des éléments déclencheurs du SSPT en tombant sur d’anciens clients ou collègues en général au sein de la communauté. Étant donné ces éléments déclencheurs, que le Dr Eshleman a qualifiés d’« inévitables », et le fait que l’appelante doit se faire accompagner par quelqu’un lorsqu’elle sort de la maison pour faire des courses, aller nager, etc., le tribunal est convaincu que, de façon réaliste, son invalidité la rend incapable de détenir régulièrement un emploi. Le SSPT et l’angoisse dont elle souffre, qui entraînent un comportement d’évitement des éléments déclencheurs, la rend essentiellement clouée à la maison, à l’exception limitée de rencontres peu fréquentes avec une amie pour boire un café, lorsqu’elle sait à l’avance et avec certitude qu’elle sera accompagnée au lieu où elle se rend.

[64] Le Tribunal est convaincu également que l’appelante éprouve de la difficulté au niveau de sa concentration et sa motivation, notamment pour ce qui est de lire un livre ou s’occuper d’une rencontre familiale mettant en présence un nombre élevé de personnes, ce qui compromettrait davantage sa capacité de détenir un emploi véritablement rémunérateur.

[65] Bien que l’appelante se soit améliorée pendant une brève période en mars et en avril 2011, la preuve permet de conclure qu’elle n’a pas consolidé ces gains. Le dossier médical démontre que son état s’est détérioré peu de temps après, en mai 2011, après qu’elle eut rencontré une ancienne collègue, lequel événement a eu l’effet d’un élément déclencheur en décompensation. Depuis cette date, elle évite son ancien lieu de travail, elle évite de socialiser avec des personnes et elle a recommencé à avoir des idées suicidaires. Elle ne s’est pas remise au point de se déplacer librement au sein de la communauté. Ainsi qu’il a été noté précédemment, son mari l’accompagne généralement lorsqu’elle sort de chez elle.

[66] Ainsi que l’a indiqué le Dr Kanya‑Forstner dans son rapport daté du mois de mars 2012, l’appelante est incapable de sortir de chez elle seule sans être prises de crises de panique associées à une angoisse, de nausée et de palpitations; elle a besoin que quelqu’un l’accompagne (en général, son époux). Lorsqu’elle est à la maison, elle continue de décrire un sommeil perturbé lié à des cauchemars, qui à leur tour sont liés à des éléments déclencheurs, et elle a signalé également son manque de motivation, de concentration et sa déprime. Bien qu’elle ait témoigné que la fréquence de ses cauchemars a diminué, l’appelante peut encore en avoir jusqu’à deux par mois et elle a besoin de toute une journée pour s’en remettre. Tous ces facteurs permettent de conclure qu’elle était incapable de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur à la date de la PMA ou avant celle‑ci.

[67] Bien que l’on puisse faire valoir que l’appelante pourrait travailler si elle quittait X, où elle est exposée à des éléments déclencheurs du SSPT dont elle souffre, le Tribunal conclut que la jurisprudence ne commande pas un tel résultat. Bien que l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rice, 2002 CAF 47, [2002] 2 C.F. précise que les facteurs socio‑économiques comme les conditions du marché du travail sont sans pertinence pour ce qui est de déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité, l’appelante ne soutient pas qu’elle est atteinte d’une invalidité parce qu’aucun emploi convenable n’existe sur le marché du travail à X. Elle soutient plutôt, et le Tribunal est d’accord, qu’elle est incapable de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur en raison du SSPT et de l’angoisse dont elle souffre, qui l’amènent à éviter les éléments déclencheurs dans la communauté. Cette situation est tout à fait différente des circonstances dont il était question dans l’affaire Rice, et elle prend en considération la situation « réaliste » de l’appelante, ainsi que le commande l’affaire Villani c. Canada (Procureur général) (C.A.), 2001 CAF 248, [2002] 1. C.F. 130. Autrement dit, les éléments déclencheurs, qui la clouent à la maison à moins qu’elle ne soit accompagnée de son époux ou qu’elle rencontre une amie à un endroit prédéterminé, font inévitablement partie de son contexte « réaliste ».

[68] Le Tribunal signale également que l’appelante a établi un réseau de médecins traitants dans la ville où elle habite. C’est là qu’elle consulte son médecin de famille, son psychiatre, le Dr Eshleman (qui est en congé de maladie à l’heure actuelle); elle doit à l’heure actuelle rencontrer un psychiatre remplaçant. Étant donné ces circonstances et le principe suivant lequel un appelant atténue ses problèmes en suivant raisonnablement un traitement médical, ce qu’elle a fait, le Tribunal ne peut conclure que le déménagement dans une autre communauté est requis étant donné les faits de la présente affaire. Quoi qu’il en soit, étant donné ses problèmes actuels au niveau de sa concentration et de sa motivation et le facteur additionnel de l’âge, le Tribunal conclut qu’il est peu probable qu’un employeur embauche de façon réaliste l’appelante même si elle se réinstalle ailleurs.

[69] Le Tribunal est convaincu, étant donné sa susceptibilité à des éléments déclencheurs de son SSPT et l’impact qu’une telle exposition à des éléments déclencheurs a sur sa santé et son bien‑être mental, son manque de motivation, de concentration et le fait qu’elle est clouée à la maison, que l’appelante souffrait d’un début d’invalidité grave au mois de mars 2010, lorsqu’elle a dû arrêter de travailler. Le Tribunal est convaincu également que son état était encore grave à la date de la MPA et de façon continue par la suite.

Invalidité prolongée

[70] Le Tribunal est convaincu que l’invalidité de l’appelante était prolongée au mois de mars 2010. Ainsi que l’a indiqué le Dr Eshleman dans son rapport du mois de février 2012, ses symptômes sont de nature chronique. Elle continue d’avoir des symptômes lorsqu’elle est exposée de façon inattendue, et elle risque encore d’éprouver des symptômes du SSPT qui sont déclenchés et, en conséquence, d’être prise de panique. L’appelante a témoigné qu’elle continue d’éprouver de la difficulté au niveau de sa concentration et de sa motivation et qu’elle a encore des cauchemars. Elle a généralement besoin d’être accompagnée par son époux lorsqu’elle sort de chez elle. À la date de l’audience, l’appelante attendait de consulter un nouveau psychiatre, car le Dr Eshleman n’était pas disponible.

Conclusion

[71] Le Tribunal conclut que l’appelante a souffert d’une invalidité grave et prolongée à compter du mois de mars 2010 en raison du SSPT et de symptômes liés à l’angoisse. D’après l’article 69 du RPC, les paiements commencent le quatrième mois suivant le mois au cours duquel le requérant devient invalide. Les paiements commencent au mois de juillet 2010.

[72] L’appel est accueilli.

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