Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelant : Y. M. V.
  • Seena Moorhead : représentante de l’appelant
  • Verlyn Francis : observatrice, membre du Tribunal de la Sécurité sociale

Décision

[1] Le Tribunal conclut qu’une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions d’invalidité (RPC) est payable à l’appelant.

Introduction

[2] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) de l’appelant le 30 mai 2011. Il a refusé la demande au stade initial ainsi qu’après nouvel examen, et l’appelant a interjeté appel de cette décision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[3] L’audience dans le cadre de cet appel a été tenue par vidéoconférence pour les motifs suivants :

  • ce mode d’audience permet davantage la présence de plusieurs participants;
  • la vidéoconférence est offerte dans la région où l’appelant réside;
  • les questions en litige dans l’appel ne sont pas complexes;
  • ce mode d’audience satisfait à la condition énoncée dans le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[4] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012 prescrit que les appels déposés auprès du BCTR avant le 1er avril 2013 et non entendus par le BCTR sont réputés avoir été déposés auprès de la Division générale du Tribunal.

[5] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les conditions d’admissibilité à la pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur doit :

  1. a) avoir moins de soixante‑cinq ans;
  2. b) ne recevoir aucune prestation de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[6] Le calcul de la PMA est important, car une personne doit établir l’existence d’une invalidité grave et prolongée au plus tard à la date qui marque la fin de la PMA.

[7] L’alinéa 42(2) a) du RPC définit l’invalidité comme étant une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. La personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[8] Le Tribunal conclut que la PMA est le 31 décembre 2012.

[9] Dans la présente affaire, le Tribunal doit déterminer s’il est probable que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée à la date de la PMA ou avant celle‑ci.

Contexte

[10] L’appelant était âgé de 41 ans le 31 décembre 2012, date marquant la fin de la PMA; il est aujourd’hui âgé de 43 ans. Il a une douzième année mais, en 2008, au terme d’une évaluation, il a été établi que ses compétences en lecture, en écriture et en mathématiques équivalaient à une sixième année. Il a par le passé travaillé comme imprimeur, comme travailleur sur de petits moteurs, comme ouvrier dans le secteur de la construction domiciliaire, comme ouvrier aciériste et, enfin, comme déménageur de meubles. Il n’a pas travaillé depuis le mois d’avril 2011 et il touche à l’heure actuelle des prestations du POSPH.

Documents relatifs à la demande

[11] Dans son Questionnaire relatif aux prestations d’invalidité du RPC, estampillé par l’intimé le 30 mai 2011, l’appelant a indiqué qu’il a une douzième année et que le dernier emploi qu’il a occupé est celui de déménageur de meubles, pour AMS Transportation Services, du 10 septembre 2008 au 4 avril 2011; il a ajouté qu’il a cessé de travailler en raison des douleurs constantes qu’il ressentait au dos et au cou. Il a mentionné en outre qu’il a été travailleur à la production de 2006 à juin 2008 et qu’il n’a pas effectué un travail plus léger ou différent parce que son médecin lui a demandé de cesser de travailler immédiatement.

[12] Il a fait valoir qu’il est invalide depuis le 8 avril 2011 et a indiqué que les maladies et les déficiences qui l’ont empêché de travailler sont notamment l’arthrose et la maladie de Scheuermann. Il a signalé en outre qu’il souffre de douleurs constantes (24 heures par jour, sept jours par semaine) au cou et au bas du dos; qu’il souffre d’engourdissements dans les deux bras, les mains et les jambes; et qu’il n’est plus capable de soulever des objets lourds ni de soulever, pendant une longue période, des objets légers, de marcher, de s’asseoir ou de se tenir debout. Il a signalé également qu’il a une vision de 2 % seulement à l’œil Droit; qu’il n’a pas une très bonne vision à l’œil gauche; qu’il a un problème à la cuisse gauche en raison d’un trou qu’il a dans un muscle, et qui a été causé par un accident; et qu’il souffre du symptôme du tunnel carpien et de tendinite aux poignets gauche et Droit.

[13] Lorsqu’il a expliqué ses difficultés/limitations fonctionnelles, l’appelant a indiqué qu’il ne peut s’asseoir ou se tenir debout que pendant de brèves périodes (15 à 20 minutes); qu’il ne peut marcher que pendant cinq minutes; qu’il n’est plus en mesure de soulever/ transporter des objets, de tendre les bras et de se pencher; qu’il n’est plus capable de faire des travaux d’entretien ménager; qu’il éprouve des problèmes de vision; et que le sommeil est ce qui lui cause le plus de difficultés dans la vie. Il a indiqué qu’il prend les médicaments suivants notamment : Apo‑carbamazepine (200 mg aux huit heures), et ratio-lenoltec no 3 (30 mg aux huit heures).

[14] Un rapport daté du 16 mai 2011 du médecin de famille de l’appelant, le Dr Al‑Tukmachi, était joint à la demande au titre du RPC. Le rapport pose un diagnostic de début précoce d’arthrose avec atteinte grave de la colonne vertébrale; de discopathie dégénérative grave‑modérée de la colonne cervicale; de sténose du canal central C5‑C6 et C4-C5 de gravité modérée; de maladie de Scheuermann; et de sténose foraminale à plusieurs niveaux. Les conclusions physiques témoignent de l’existence de limitations fonctionnelles, dont celle de soulever des objets lourds ou encore de soulever des objets légers pendant de longues périodes, de marcher ou de s’asseoir pendant une longue période et de se lever debout après avoir été assis pendant une longue période. Le rapport indique que l’appelant éprouve des douleurs 24 heures par jour, sept jours par semaine, que les médicaments atténuent légèrement ses souffrances, et qu’il est en attente d’une consultation appropriée aux fins d’un traitement. Le pronostic n’est pas favorable.

Preuve orale

[15] L’appelant a fait un compte rendu détaillé de ses études et de ses antécédents professionnels. Il a déclaré que ses habiletés en matière de lecture et d’écriture sont très insatisfaisantes et qu’il a une vision nulle à l’œil Droit. Lorsqu’il lit ou qu’il regarde un écran d’ordinateur, il a la vue embrouillée et son œil gauche se met à larmoyer. Il a subi cinq interventions chirurgicales aux yeux lorsqu’il était enfant – trois à l’œil Droit et deux à l’œil gauche. Il a toujours besoin de l’aide d’une personne pour remplir un formulaire – il était incapable de remplir une demande d’emploi et il a obtenu tous ses emplois par l’intermédiaire d’amis. Il s’est fait dire que l’on ne peut rien faire d’autre pour ses yeux.

[16] Il s’est forcé à continuer d’occuper son dernier travail comme déménageur de meubles mais, le dernier jour, lorsqu’il est allé au travail, la douleur était telle qu’il pouvait à peine se pencher pour attacher ses lacets de bottes. Il a consulté le Dr Al‑Tukmachi à l’hôpital. Ce dernier lui a fait passer des radiographies et des IRM, puis il lui a dit qu’il devrait cesser de travailler. Lorsqu’il a discuté de ses antécédents professionnels, l’appelant a affirmé que tous ses emplois l’avaient obligé à travailler fort et qu’il n’avait jamais occupé un emploi lui permettant d’exécuter des travaux légers. Il avait des problèmes de vision lorsqu’il travaillait comme imprimeur et lorsqu’il travaillait sur de petits moteurs et, pour cette raison, il n’a pu occuper ces emplois pendant très longtemps.

[17] Lorsqu’il a décrit ses problèmes invalidants, l’appelant a déclaré qu’il n’y a eu aucun changement profond de son état depuis le mois de décembre 2012. Il a décrit ses problèmes invalidants dans les termes suivants :

  • Il souffre de douleurs graves et constantes au dos. Ces douleurs lui donnent une sensation de fourmillements et de picotements et l’impression de se faire poignarder. Les douleurs au bas du dos se répandent jusqu’aux jambes, et les douleurs au haut du dos se répandent jusqu’aux épaules et de là jusqu’aux bouts des doigts. Il donne à ses douleurs la cote de sept lorsqu’il a une bonne journée et la cote de dix lorsqu’il a une journée difficile. Il a en général trois bonnes journées par semaine, mais lorsqu’il fait froid, les journées difficiles sont constantes.
  • Il ressent des douleurs et des engourdissements le long des deux épaules, jusqu’aux bouts des doigts. S’il essaie de prendre un objet ou fait un faux mouvement en se déplaçant, il n’éprouvera aucune sensation dans les bras et dans les mains. Il a déclaré qu’il [TRADUCTION] « n’y aura aucune sensation … simplement un pur engourdissement ». Il a ajouté que cela pouvait se produire à n’importe quel moment et qu’il doit être très prudent. Il est gaucher, et son côté gauche est pire que son côté Droit.
  • Il ressent aussi des engourdissements dans les deux hanches jusque dans les jambes et les orteils (c’est pire du côté gauche là aussi). S’il fait un faux mouvement en se tournant ou en marchant, les douleurs s’aggravent.
  • Il dort de deux à quatre heures par jour – les douleurs l’empêchent de dormir et il ne peut trouver une position confortable. C’est pour cette raison qu’il a très peu d’énergie et qu’il est toujours fatigué.
  • Il est incapable de se concentrer ou de prêter attention parce qu’il pense toujours aux douleurs qu’il ressent et tente de les atténuer.
  • Il souffre du syndrome du tunnel carpien et de tendinite aux deux poignets. Il lui arrive parfois d’être incapable de saisir quoi que ce soit et, s’il tient un stylo, il perd toute sensation dans les doigts et il a des crampes dans les mains. Il lui arrive parfois d’échapper de la vaisselle. Il a déclaré ceci : [TRADUCTION] « J’ai les tendons dans les mains qui ne veulent plus rien faire. »

[18] Lorsqu’il a consulté le Dr Wilderman au mois de janvier 2013, il prenait de la gabapentine et des comprimés de Tylenol no 4. Le Dr Wilderman a haussé sa dose de gabapentine de deux à trois fois par jour et il lui a prescrit de la codéine pour remplacer les comprimés de Tylenol no 4. Il prenait chaque médicament trois par jour – parfois, ces médicaments atténuaient ses douleurs, mais ils ne l’aidaient pas véritablement. Il a souffert d’effets secondaires du fait de la hausse des doses de médicaments, notamment d’étourdissements, de nausée dans une faible mesure, il a été incapable de dormir pendant deux jours, et il a souffert de diarrhée et de douleurs à l’estomac.

[19] Il n’a suivi aucun traitement de thérapie après avoir consulté le Dr Wilderman; comme il a peur de l’eau, il ne peut faire d’hydrothérapie et il n’y a près de chez lui aucune piscine où il pourrait suivre de tels traitements. Il n’a pas les moyens de suivre des traitements de physiothérapie, et les traitements qu’il a reçus de chiropraticiens lui ont causé des douleurs – il a ressenti davantage de douleurs après les traitements de chiropractie. Il essaie de faire seul les exercices et les étirements que le Dr Wilderman lui a montrés, mais il ne peut les faire que lorsqu’il a une bonne journée. Il marche un peu, puis s’assoit un peu pour tenter de rester actif. Environ un an après avoir consulté la clinique de la douleur, il a commencé à prendre un médicament appelé Lyrica et de la codéine aux effets de longue durée, mais ces médicaments n’ont pas eu grand effet. Les médecins lui ont dit qu’aucune intervention chirurgicale n’était possible, et aucune clinique de la douleur n’est située près de chez lui. Il lui a fallu conduire pendant une heure et demie pour se rendre à la clinique du Dr Wilderman à Thornhill. Il a discuté avec son médecin de famille de la possibilité de consulter un autre spécialiste ou d’obtenir une deuxième opinion, mais son médecin de famille lui a dit qu’il n’y a plus d’autre spécialiste pour lui.

[20] Il estime que son état va s’aggraver et qu’il se retrouvera un jour dans un fauteuil roulant. Il croit que ses problèmes découlent du fait qu’il y a eu détérioration de la colonne vertébrale après qu’il eut glissé sur la glace à l’âge de six ans. Il s’est alors hernié deux disques et a subi des dommages à deux nerfs. Il a déclaré qu’il a fait du travail de main‑d’œuvre exigeant toute sa vie et qu’il n’a jamais essayé de faire des travaux plus légers. Il a dit aussi qu’il [TRADUCTION] « ne peut s’asseoir et se servir d’un stylo … ni s’asseoir pendant une longue période … ni se tenir debout … ni soulever quoi que ce soit … ni ne sait ce qu’il pourrait faire ». Lorsqu’il reste assis pendant de 15 à 20 minutes, il ressent de la pression au bas de la colonne vertébrale et il commence à ressentir des engourdissements dans les jambes; il ne peut marcher que sur une distance de deux pâtés de maisons; il peut difficilement soulever des objets et il doit demander à son fils ou à des amis de faire des courses pour lui; il est incapable de hausser les bras plus haut que les épaules et il ne peut se tourner ni se pencher; s’il se penche, il a le dos qui s’ankylose lorsqu’il se relève et il doit bouger très lentement et être très prudent lorsqu’il se penche pour enfiler ses chaussettes et ses chaussures. Il utilise une canne lorsqu’il a une journée difficile. Il a de la difficulté à faire sa toilette et à prendre une douche – mais il se débrouille du mieux qu’il peut. Son fils et ses amis l’aident à effectuer les travaux d’entretien ménager (il vit dans une roulotte mobile), mais il essaie d’en faire un peu pour rester motivé. Il ne peut effectuer aucun travail à l’extérieur et il éprouve de la difficulté à sortir les déchets. Cette dépendance envers son fils et ses amis le rend très malheureux. Il n’a aucune activité sociale et passe le gros de son temps seul.

Preuve médicale

[21] Le Tribunal a soigneusement passé en revue l’ensemble de la preuve médicale dans le dossier de l’audience. Voici les extraits que le Tribunal estime les plus pertinents.

[22] Un rapport final complet sur la colonne vertébrale daté du 15 février 2011 a révélé une faible densité osseuse, une dégénérescence précoce des disques cervicaux, thoraciques et mi‑lombaires et de nombreuses hernies discales intraspongieuses, ce qui témoigne de l’existence par le passé de la maladie de Scheuermann.

[23] Une IRM de la colonne cervicale datée du 5 mai 2011 a révélé l’existence d’une dégénérescence modérée à grave de la partie inférieure de la colonne cervicale; d’une sténose modérée du canal central au niveau C5-C6; d’un léger effet de masse sur l’aspect antérieur de la moelle aux niveaux C4‑C5 et C5-C6; et d’une sténose foraminale bilatérale de grade élevé aux niveaux C5‑C6 et C6‑C7.

[24] Une IRM de la colonne thoracique datée du 7 mai 2011 a révélé des conclusions compatibles avec la maladie de Scheuermann; une modification du plateau latéral de type Modic I; et une discopathie dégénérative causant un léger effet de masse sur la moelle.

[25] Une IRM de la colonne lombaire datée du 9 mai 2011 a révélé une hernie discale intraspongieuse du plateau latéral à plusieurs niveaux et le renforcement de l’ensellure lombaire dans le contexte de la maladie de Scheuerman; de légers bombements discaux aux niveaux L2-L3 et L4‑L5 sans une sténose du canal central importante; un léger bombement discal et une extrusion inférieure paracentrale superimposée témoignant d’une lacération annuelle au niveau L5-S1; et une sténose foraminale gauche grave faisant contact avec la racine L5 gauche existante.

[26] Dans un rapport sur l’état de santé daté du 25 juillet 2012, fourni à l’appui de la demande de l’appelant en vue d’obtenir des prestations sous le régime du POSPH, le Dr Al Tukmachi a signalé que l’appelant souffrait notamment de la maladie de Sheuermann au niveau de la colonne cervicale et de la colonne lombaire, de discopathie dégénérative causant un effet massif à plusieurs niveaux de la colonne vertébrale, et de fibromyalgie.

[27] Dans un rapport rédigé le 2 janvier 2013, le Dr Wilderman, un expert‑conseil en matière de douleurs, a indiqué que l’appelant éprouve des douleurs constantes, aigues et lancinantes au bas du dos, au cou, à la cuisse gauche, aux deux poignets et aux deux mains. Il a écrit que ces douleurs étaient attribuables au fait que l’appelant a glissé sur la glace lorsqu’il avait six ans, qu’il a eu deux accidents de la route, un accident de motomarine, un accident de motocyclette au début des années 1990, et qu’il a subi de multiples blessures en jouant au hockey. Le Dr Wilderman a indiqué qu’une IRM effectuée le 9 mai 2011 a révélé un léger rétrécissement intervertébral L4‑L5 Droit, une légère sténose foraminale L5‑S1 du côté Droit et une sténose foraminale modérée à grave du côté gauche faisant contact avec la racine L5 gauche existante. Il a noté également qu’une radiographie faite le 15 février 2011 a révélé apparemment une faible densité osseuse, un léger pincement discal aux niveaux L2‑3 et L3‑4; et une hernie discale intraspongieuse à chaque niveau de L1 à L4.

[28] D’après le même rapport, l’appelant a souffert notamment de la maladie de Scheuermann, du syndrome du tunnel carpien bilatéral, de fibromyalgie, d’ostéoporose et de douleur au fémur gauche en raison d’un accident de la route, et qu’il a subi cinq interventions chirurgicales aux yeux pendant son enfance. De l’avis du Dr Wilderman, l’appelant souffrait d’arthrose au niveau des facettes des vertèbres lombaires et d’arthrose généralisée au niveau de la colonne vertébrale. Le plan de gestion proposé prévoyait d’autres examens, des essais de médicaments, des injections et des séances de consultation sur le mode de vie, notamment l’élévation locale de la température, des traitements de chiropractie et de physiothérapie, l’absence d’activités physiques vigoureuses, et des exercices dans la mesure où l’appelant peut les tolérer.

[29] Le 18 juillet 2013, le Dr Al‑Tukmachi a fait rapport à l’avocat de l’appelant. Il a indiqué qu’il a commencé à traiter l’appelant au mois de mars 2011 et que ce dernier se plaignait principalement de douleurs au bas, au milieu et au haut du dos; du fait qu’il éprouvait des douleurs au dos depuis des années et qu’il n’avait jamais été l’objet d’examens auparavant. Le rapport indique que la capacité de l’appelant d’effectuer des travaux lourds et des travaux légers sur une période prolongée est très limitée; qu’il a des limites aussi en ce qui concerne de simples activités quotidiennes, comme le fait de marcher, de s’asseoir et de se tenir debout pendant une longue période; et qu’il lui est impossible de se pencher, de se tourner ou de s’accroupir. Le rapport indique également que l’appelant est atteint d’une déficience à l’œil gauche [sic] depuis l’âge de deux ans.

[30] Le Dr Al‑Tukmachi s’est dit d’avis que l’appelant ne peut travailler à temps plein étant donné qu’une activité physique prolongée peut mener à des douleurs insoutenables, à une mauvaise concentration et à des problèmes de sécurité. Il a signalé que les activités physiques de l’appelant sont extrêmement limitées et qu’il ne peut établir le moment précis où l’appelant pourrait retourner au travail à temps plein. Le pronostic était très sombre. Ce rapport conclut que l’appelant est surveillé de près pour déterminer s’il se conforme à son programme de traitement et qu’il a prouvé à plus d’une reprise qu’il s’y conforme.

Observations

[31] Mme Moorhead a fait valoir que l’appelant a Droit à une pension d’invalidité pour les motifs suivants :

  1. le Tribunal devrait prendre en considération l’effet cumulatif des problèmes multiples de l’appelant, y compris un début précoce d’arthrose avec atteinte grave à la colonne vertébrale, une discopathie dégénérative modérée de la colonne cervicale, et une sténose du canal central C5‑6 et C4‑5; la maladie de Scheuermann, à laquelle l’on attribue une sténose foraminale à plusieurs niveaux au dos; le syndrome du tunnel carpien et une mauvaise vision;
  2. les rapports médicaux et les analyses d’imagerie confirment la gravité de l’invalidité de l’appelant de même que des symptômes de douleurs graves et diffuses constantes, des engourdissements dans les membres, d’importantes limitations pour ce qui est de se tenir debout, de s’asseoir, de marcher et de soulever des objets, et une mémoire et une concentration qui font défaut;
  3. les antécédents professionnels de l’appelant sont limités et tiennent dans un travail physiquement exigeant. Ses limitations l’empêchent d’occuper un emploi assorti de tâches légères étant donné qu’il devrait alors rester debout pendant de longues périodes, soulever des objets légers à répétition, et marcher, et elles l’empêchent d’occuper un emploi sédentaire non manuel parce que cela exige des habiletés en informatique, des aptitudes en lecture et en écriture, une bonne concentration, la nécessité de rester assis pendant de longues périodes et de se lever debout après avoir été assis pendant de longues périodes;
  4. étant donné l’effet des limitations fonctionnelles de l’appelant, confirmées par son médecin de famille, et les douleurs constantes qu’il éprouve même au repos, il ne serait pas réaliste de conclure qu’il est apte à occuper tout genre d’emploi.

[32] L’intimé a fait valoir que l’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les motifs suivants :

  1. le Dr Wilderman a décrit un traitement minimal seulement des plaintes de douleurs de l’appelant et a recommandé des médicaments en plus d’autres formes conventionnelles de traitement;
  2. la preuve ne montre pas que toutes les options de traitement ont été épuisées, et il n’y a aucune preuve que l’appelant a participé à un programme de traitement;
  3. bien qu’il indique que l’appelant ne peut retourner au travail à temps plein, le médecin de famille signale que l’appelant est capable d’accroître ses activités grâce aux médicaments, et il n’y a aucune preuve qu’il a tenté de trouver un autre travail assorti de tâches plus légères convenant à ses limitations, même à temps partiel;
  4. l’appelant est très jeune et, grâce à un traitement et à un soutien constants, l’acquisition de nouvelles compétences et (ou) le recyclage en vue d’exécuter un travail léger lui convenant davantage demeurent une option viable.

Analyse

[33] L’appelant doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il avait une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2012 ou avant cette date.

Invalidité grave

[34] Les conditions d’origine législative qui doivent appuyer des allégations d’invalidité sont définies au paragraphe 42(2) du RPC, qui prescrit essentiellement que, pour être invalide, une personne doit être atteinte d’une invalidité « grave » et « prolongée ». Une personne est considérée comme ayant une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Non seulement cette personne doit être incapable de s’acquitter de son travail habituel, elle doit aussi être incapable de faire un travail dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle puisse faire. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Principes applicables

[35] Le Tribunal a puisé conseils et assistance dans les décisions suivantes pour trancher les questions en litige dans le présent appel.

[36] Il incombe à l’appelant de prouver selon la prépondérance des probabilités que, le 31 décembre 2012 ou avant cette date, il avait une invalidité au sens de la définition. Le critère relatif à la gravité doit être évalué dans un contexte « réaliste » : Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248. Pour se prononcer sur l’employabilité d’une personne en ce qui concerne son invalidité, le Tribunal doit prendre en considération des facteurs tels l’âge d’une personne, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie.

[37] Toutes les déficiences possibles de l’appelant qui ont une incidence sur son employabilité doivent être prises en considération, et non pas seulement les plus importantes déficiences ou la principale déficience : Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47. Bien que chacun des problèmes de santé de l’appelant pris individuellement puisse ne pas donner lieu à une invalidité grave, l’effet collectif de ses diverses maladies rend peut‑être l’appelant gravement invalide : Barata c. MDRH (17 janvier 2001) CP 15058 (CAP).

[38] D’une part, l’appelant doit démontrer qu’il est atteint d’un problème de santé grave et, d’autre part, lorsqu’il y a une preuve d’une capacité de travailler, il doit établir que ses efforts en vue de trouver un emploi et de le conserver se sont révélés infructueux en raison de son état de santé : Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117. En revanche, en l’absence d’une capacité de travailler, il ne doit pas nécessairement faire la preuve d’efforts en vue d’obtenir un emploi. L’incapacité peut être démontrée de diverses manières. Ainsi, elle peut être établie au moyen d’une preuve que l’appelant serait incapable d’accomplir toute activité liée à un emploi : C.D c. MDRH (18 septembre 2012) CP 27862 (CAP).

Application des principes directeurs

[39] L’appelant a témoigné de manière crédible et franche en ce qui concerne ses nombreux problèmes invalidants et la manière dont ceux‑ci ont influé sur sa vie et sa capacité de travailler. Il a donné au tribunal l’impression d’être une personne sincère qui souhaite vivre une vie active normale. Sa longue expérience de travail fait état de travaux manuels difficiles, ce qui écarte toute affirmation selon laquelle il se fait passer pour malade, et rien dans la preuve médicale n’indique que l’appelant feint ou exagère ses symptômes de quelque manière que ce soit.

[40] Il est important de noter que le témoignage donné de vive voix par l’appelant était conforme à la preuve médicale et qu’il était appuyé par celle‑ci; cette preuve incluait des analyses d’imagerie datées des mois de février et mai 2011, les rapports du Dr Al‑Tukmachi, et le rapport du Dr Wilderman, spécialistes des douleurs chroniques. Ainsi que les décisions rendues dans les affaires Bungay et Barata précitées l’indiquent, le Tribunal devrait prendre en considération l’effet cumulatif des nombreux problèmes de santé de l’appelant qui, en plus de ses problèmes de vision de longue date, incluent des douleurs diffuses graves et constantes et des engourdissements, des troubles du sommeil, des difficultés à se concentrer, et le syndrome du tunnel carpien (voir le paragraphe 17 des présents motifs). La preuve présentée de vive voix et les rapports médicaux confirment que l’appelant doit s’accommoder de limitations marquées au niveau des activités de la vie quotidienne et qu’il dépend de son fils et de ses amis pour effectuer les travaux d’entretien ménager. En raison de ses problèmes de vision, il est incapable de lire ou de travailler à l’ordinateur pendant une longue période, et il a d’importantes limitations pour ce qui est de se tenir debout, de marcher, de s’asseoir et de se concentrer.

[41] L’intimé reconnaît que l’appelant est incapable de reprendre son emploi précédent, qui était physiquement exigeant, mais il soutient que l’appelant a omis de chercher un autre emploi moins exigeant physiquement. Il n’existe cependant aucune obligation de le faire si l’appelant n’a pas la capacité résiduelle de chercher un tel emploi (voir Inclima et C.D. c. MDRH, précitées). Dans la présente affaire, le Tribunal en est arrivé à la conclusion qu’en raison de ses nombreux problèmes et de ses importantes limitations, l’appelant est incapable d’occuper tout genre d’emploi rémunérateur. En raison de ses problèmes de vision, du syndrome du tunnel carpien, de son incapacité de se concentrer parce qu’il ressent des douleurs constantes, et des importantes limitations qui compromettent sa capacité de se tenir debout, de marcher et de s’asseoir, il est difficile de concevoir un travail que l’appelant pourrait effectuer de manière fiable. Le Tribunal a pris en considération également le niveau de scolarité peu élevé de l’appelant (il a été établi que ses habiletés équivalaient à une sixième année) et ses antécédents professionnels limités, qui ne tenaient qu’à des travaux manuels lourds.

[42] L’intimé a soumis également qu’aucune modalité de traitement raisonnable n’a été explorée. Le Tribunal n’est pas d’accord. Rien ne permet de penser que l’appelant n’a pas suivi les recommandations formulées par son médecin de famille aux fins d’un traitement. Il est important de noter que, dans son rapport du 18 juillet 2013, le Dr Al‑Tukmachi a noté que l’appelant est suivi de près pour s’assurer qu’il se conforme à son programme de traitement et qu’il a prouvé à plus d’une reprise qu’il s’y conforme effectivement. L’appelant s’est déplacé pendant une heure et demie pour aller consulter le Dr Wilderman (il n’y a aucune clinique de la douleur dans sa région), il s’est renseigné auprès de son médecin de famille pour savoir s’il pouvait consulter d’autres spécialistes, et il s’est fait dire que cela n’était pas nécessaire. Il a essayé de nombreux médicaments contre la douleur, suivant des doses diverses, ce qui a donné peu de résultats et lui a causé d’importants effets secondaires néfastes. Il a suivi des traitements de chiropractie, mais il a conclu que ces derniers lui faisaient mal. Il ne peut faire d’hydrothérapie en raison de sa peur de l’eau et de l’absence d’une piscine près de chez lui. Il n’a pas les moyens de faire de la physiothérapie, mais il fait quelques exercices et des étirements chez lui dans la mesure où il peut les tolérer.

[43] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant souffre d’invalidité grave au sens des critères du RPC.

Invalidité prolongée

[44] Étant donné qu’il a conclu que l’invalidité de l’appelant est grave, le Tribunal doit se prononcer sur le critère de l’invalidité prolongée.

[45] Les problèmes invalidants de l’appelant durent depuis longtemps, et la preuve permet de conclure qu’ils sont permanents. L’appelant ne peut qu’espérer qu’il apprendra graduellement à mieux gérer les douleurs graves qu’il ressent et à s’en accommoder.

[46] L’invalidité de l’appelant dure depuis longtemps et il n’existe aucune possibilité raisonnable d’amélioration dans un avenir prévisible.

Date du début

[47] Le Tribunal doit aussi déterminer la date du début de l’invalidité de l’appelant. Dans son témoignage donné de vive voix, l’appelant a témoigné que le Dr Al‑Tukmachi lui a recommandé de présenter une demande dans le cadre du programme Ontario au travail, et qu’on l’a alors informé qu’il devait demander des prestations d’invalidité du RPC. Les formulaires de demande à cet égard ont été remplis au mois de mai 2011 avec l’aide d’un préposé aux dossiers du programme Ontario au travail. L’appelant a été incarcéré au Centre correctif du Centre‑Nord de juin 2011 à juin 2012. Il a témoigné qu’il n’avait eu accès à aucune possibilité de travailler ou d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles au cours de cette période d’incarcération, et que le seul traitement médical offert consistait en des médicaments contre la douleur.

[48] Mme Moorhead a fait valoir que la période d’incarcération est un faux‑fuyant et a noté que la demande de prestations d’invalidité du RPC de l’appelant avait été faite avant son incarcération et que le rapport du Dr Al‑Tukmachi daté du mois de mai 2011 confirme l’existence d’une invalidité grave à compter du mois de mai 2011. Compte tenu des faits de cette affaire en particulier, le Tribunal n’est pas d’accord.

[49] Les prestations d’invalidité du RPC ont pour objet de remplacer dans une certaine mesure le revenu des cotisants admissibles qui sont incapables de détenir régulièrement un emploi véritablement rémunérateur en raison d’une invalidité. Dans la présente affaire, l’appelant n’a cessé de travailler que pendant une couple de mois avant d’être incarcéré, et du mois de juin 2011 au mois de juin 2012, il a été incapable de détenir un emploi parce qu’il était incarcéré, ce qui n’a rien à voir avec un problème de santé. Le Tribunal a établi que la date qu’il convient de fixer comme début de l’invalidité de l’appelant est le mois de juin 2012.

Conclusion

[50] Le Tribunal conclut que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée au mois de juin 2012, date à laquelle il a été remis en liberté du Centre correctionnel du Centre‑Nord. À compter de cette date, ses problèmes de santé (et non son incarcération) l’ont empêché de détenir un emploi rémunérateur. D’après l’article 69 du RPC, les paiements sont effectués à compter du quatrième mois qui suit le mois où le requérant devient invalide. Les paiements commencent au mois d’octobre 2012.

[51] L’appel est accueilli.

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