Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  • Avocate de l’appelant : Me Vanessa Luna
  • Intimé : R. T.
  • Avocate de l’intimé : Me Lisa Belcourt
  • Observatrice : D. T.
  • Observatrice : S. Y.

Introduction

[1] L’intimé a demandé et commencé à recevoir une pension de retraite du Régime de pensions du Canada (RPC) en décembre 2008. En avril 2010, il a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC. L’appelant a rejeté la demande de pension d’invalidité au motif que le RPC ne permet pas de remplacer une pension de retraite par une pension d’invalidité à moins que le demandeur soit déclaré invalide et que la demande de remplacement de la pension de retraite soit déposée dans les 15 mois suivant la date de début du versement de la pension de retraite. En l’espèce, la demande de pension d’invalidité du RPC n’a pas été présentée à l’intérieur du délai de 15 mois. L’intimé a fait appel de cette décision devant le Bureau du commissaire des tribunaux de révision. Le 1er avril 2013, l’affaire a été renvoyée à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») en vertu de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable.

[2] La division générale a tenu audience. À l’audience, l’intimé a affirmé que, durant la période pertinente, il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension du RPC qui aurait permis la prorogation du délai pour remplacer la pension de retraite par une pension d’invalidité (la disposition législative pertinente est reproduite en annexe de la présente décision). La division générale a accueilli la demande de l’intimé et conclu qu’il n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande entre mars 2009, moment auquel on lui a diagnostiqué un cancer, et avril 2010, date à laquelle la demande a été remplie et reçue par Service Canada. La division générale a également conclu que l’intimé était invalide en vertu du RPC depuis novembre 2008.

[3] L’appelant a demandé la permission d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée le 10 mars 2015. En appel, l’appelant n’a pas contesté l’invalidité de l’intimé. Il a contesté la conclusion selon laquelle l’intimé n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande entre mars 2009 et avril 2010. Il a fait valoir que, dans sa décision, la division générale avait mal appliqué le critère juridique relatif à cette incapacité, avait tiré des conclusions de fait sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve importants, de sorte que la décision était déraisonnable. L’intimé a fait valoir que, dans sa décision, la division générale avait correctement énoncé le critère à appliquer relativement à cette incapacité et avait tiré des conclusions de fait claires reposant sur la preuve produite et que la déférence s’imposait à l’endroit de la division générale quant à ses conclusions de fait. En outre, l’intimé a affirmé que, lorsque la décision de la division générale est examinée sur la foi du dossier et de la preuve présentée à l’audience, elle est raisonnable et que l’appel devrait être rejeté.

[4] Après consultation des parties lors d’une téléconférence préparatoire à l’audience, il a été décidé d’instruire cet appel par vidéoconférence pour les raisons suivantes : la représentation des parties par un avocat; la disponibilité de la technologie de vidéoconférence dans la localité où réside l’intimé; les frais d’hébergement qu’aurait dû engager l’intimé; le caractère économique et rapide du choix de ce mode d’audience. La présente audience s’est déroulée selon une procédure accélérée en raison des graves problèmes de santé de l’intimé.

Analyse

Droit applicable

[5] C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi ») qui régit le fonctionnement de ce Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel qui peuvent être invoqués. En l’espèce, la permission d’interjeter appel devant la division d’appel du Tribunal a été accordée au motif que la division générale avait pu tirer une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il a pu en résulter que la division générale a mal appliqué le critère juridique relatif à l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, aux termes de l’article 60 du RPC.

[6] Les parties ont convenu qu’il s’agirait alors d’une erreur commise sur une question mixte de fait et de droit, ce à quoi je souscris. L’arrêt de principe quant à la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour contrôler une décision portant sur des questions de fait, des questions mixtes de droit et de fait et des questions de droit liées à la loi constitutive d’un tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, c’est-à-dire l’appartenance de la décision du tribunal aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la raisonnabilité.

[7] La disposition relative à l’incapacité dans le RPC (art. 60) constitue une exception précise et circonscrite aux délais dans lesquels un demandeur peut faire remplacer une pension de retraite par une pension d’invalidité (voir Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78). La Cour d’appel fédérale a conclu que pour déterminer si un demandeur est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité, la preuve médicale et la preuve des activités du demandeur sont pertinentes. En outre, cette même Cour a conclu, dans Sedrak c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2008 CAF 86, que cette capacité d’un demandeur qui est abordée dans le RPC n’est pas différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur. Dans nombre de ses décisions, la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur ces principes juridiques et les a appliqués.

Erreurs de la division générale

[8] Il est bien établi en droit qu’un organisme d’appel n’a pas à réévaluer la preuve qui a été produite devant le décideur initial, mais doit seulement déterminer si la décision rendue par ce dernier était raisonnable. La déférence est de mise à l’endroit de la division générale quant à ses conclusions de fait. En l’espèce, la division générale a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui n’ont pas été contestées par les parties en appel. Entre autres conclusions, la division générale a tiré les suivantes : que l’intimé avait réduit ses heures de travail en 2008; qu’il ne se souvenait pas quand il avait travaillé en 2009 bien qu’il eût reçu des prestations d’assurance-emploi cette année-là; qu’au travail, il avait assumé un rôle comprenant davantage de responsabilités de supervision et exécutait des tâches moins exigeantes physiquement; qu’il s’était présenté à de nombreux rendez-vous médicaux à Lindsay (Ont.) et à Toronto, à quelques deux heures de route de son domicile; que sa femme lui apportait du soutien et avait pris des dispositions pour le véhiculer à ses rendez-vous, avait géré les finances familiales et avait rempli pour lui les formulaires de demande de prestations du RPC afin qu’il les signe. En outre, la division générale a tiré la conclusion de fait que l’intimé avait consenti à de nombreux examens et traitements médicaux et s’était concentré sur sa santé après avoir reçu son diagnostic de cancer en 2009.

[9] L’avocate du ministre a cité la décision que la Commission d’appel des pensions a rendue dans Y.C. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, CP26648 (CAP). Dans cette affaire, la demanderesse n’a présenté une demande de pension de survivante et de prestation d’orphelin qu’environ deux ans après le décès prématuré de son mari. Elle a cherché à obtenir une plus longue rétroactivité du versement de ces prestations au motif qu’elle souffrait de l’incapacité visée à l’article 60 du RPC. La Commission d’appel des pensions a déterminé que, bien qu’il y avait une preuve que la demanderesse était bouleversée après le décès de son mari, il y avait aussi une preuve indiquant qu’elle prenait des décisions concernant son propre état de santé pendant cette période. Par conséquent, elle n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande au titre du RPC. L’avocate de l’intimé a argué que cette décision ne liait pas le Tribunal et qu’elle était factuellement différente en ce que rien n’indiquait que Mme C. pouvait compter sur une autre personne pour la soutenir et la guider dans ses démarches médicales et autres. L’intimé a affirmé que, dans l’affaire en instance, sa femme avait pris des dispositions pour gérer ses rendez-vous de traitement et pour le conduire à ces rendez-vous. Je note cependant que, bien que l’intimé ait déclaré que sa femme lui prêtait assistance, il n’a pas affirmé qu’elle prenait des décisions en son nom.

[10] Bien que je ne sois pas liée par cette décision, je la trouve convaincante. On y a appliqué les principes énoncés dans les décisions Danielson et Sedrak pour démontrer quels éléments de preuve devaient être examinés pour déterminer si un demandeur est incapable aux termes de l’article 60 du RPC. Tout comme dans Y.C., l’intimé traversait une situation très difficile. Malgré cela, il a participé à ses soins médicaux et a pris des décisions d’ordre médical pendant la période de son incapacité alléguée. Il a aussi rajusté ses conditions de travail. Je suis convaincue que la preuve que la division générale a examinée corroborait la conclusion que l’intimé n’était pas incapable en vertu de l’article 60 du RPC.

[11] L’appelant a en outre fait valoir que la division générale n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui démontraient la capacité de l’intimé de participer aux soins médicaux qu’il recevait, ce qui démontrait que l’intimé avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Dans cette preuve, il y avait les éléments indiquant que l’intimé obtenait des conseils au sujet d’une greffe du foie, qu’il avait une bonne compréhension de la procédure de transplantation venant d’un donneur vivant et que des membres de sa famille s’étaient proposés, et qu’il avait une bonne compréhension de la greffe et de la longue liste d’attente pour ce traitement. Cette preuve était incluse dans les rapports médicaux portés à la connaissance de la division générale lors de l’audience qu’elle a tenue. L’intimé a soutenu que cette preuve devait être examinée dans le contexte d’un demandeur en phase terminale qui participait à ce traitement parce qu’il s’agissait de la seule option viable pour survivre.

[12] L’intimé avait certes le sentiment qu’il n’avait pas d’autre choix que de subir ces procédures médicales très intrusives pour prolonger sa vie, mais je note qu’aucun de ces éléments de preuve ne porte à croire que l’intimé ne comprenait pas son traitement ou n’était pas capable de prendre des décisions médicales le concernant. Je suis convaincue que cette preuve était significative pour la question de la capacité de l’intimé aux termes de l’article 60 du RPC et que la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve dans la décision qu’elle a rendue. Je suis persuadée que la division générale a tiré la conclusion de fait que l’intimé n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande sans tenir compte de ces éléments qui ont été portés à sa connaissance.

[13] En outre, le médecin de famille de l’intimé a rempli un certificat d’incapacité daté du 24 février 2013 dans lequel il a indiqué que l’intimé était capable de gérer ses affaires financières et avait une bonne connaissance des questions financières. Il a également indiqué que, au moment où l’intimé a fait sa demande de pension d’invalidité du RPC, il estimait que l’intimé était incapable de gérer ses propres affaires en raison des maux physiques associés au grave état d’anxiété que lui causait sa maladie en phase terminale. Le 21 mars 2013, ce même médecin a rempli une déclaration d’incapacité dans laquelle il a indiqué que l’intimé était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, et que cette incapacité avait commencé en novembre 2008 et se poursuivait. Manifestement, ces documents sont contradictoires. Dans la décision de la division générale, ces documents sont mentionnés. La décision n’a toutefois pas précisé quel poids a été accordé à chaque document ni la façon dont a été évaluée leur nature contradictoire. L’appelant a affirmé que c’était là une erreur. Dans l’arrêt R. c. Sheppard (2002 CSC 26), la Cour suprême du Canada a statué qu’une instance de révision doit, dans la décision qu’elle rend, fournir les motifs des conclusions de fait qu’elle a tirées à la lumière d’éléments de preuve contradictoires en fonction desquels dépend l’issue de l’affaire. En l’espèce, la division générale a accordé du poids à cette preuve, mais n’a pas précisé pour quelles raisons ni expliqué comment elle a résolu les contradictions entre les deux documents. Je suis convaincue que c’était là une erreur.

[14]  Comme je suis convaincue que la division générale a erré, la prochaine étape consiste à déterminer si ces erreurs ont rendu la décision de la division générale déraisonnable. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a conclu que les motifs d’une décision doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Quoique ces motifs peuvent ne pas comprendre l’ensemble des arguments, de la jurisprudence ou des autres détails emportant la préférence d’une instance de révision qui ne mettent pas en doute la validité de la décision (voir aussi l’arrêt Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65). À la lumière de cela, je dois me prononcer sur l’appartenance ou non de la décision de la division générale aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15] La décision de la division générale renferme un résumé détaillé du témoignage de l’intimé ainsi que de celui de sa femme et de M. Brown, son superviseur au terrain de golf. Cette décision résumait aussi l’opinion du Dr Ready, ce qui comprenait la déclaration d’incapacité et le certificat d’incapacité qu’il avait établis à l’appui de la demande présentée par l’intimé. La décision, toutefois, n’analysait pas les contradictions entre ces deux documents. Elle ne faisait aucune mention non plus des rapports des spécialistes médicaux ayant traité l’intimé, notamment son oncologue et le médecin qui lui a fourni des conseils au sujet de la greffe du foie. Ces médecins ont clairement indiqué dans leurs rapports que l’intimé comprenait son état de santé et participait aux soins qu’il recevait. Les rapports ne mentionnaient aucune autre personne, en dehors de l’intimé, qui prenait des décisions médicales en son nom. Une décision ne doit pas nécessairement faire mention de chaque élément de preuve qui a été produit à l’audience, mais elle doit mentionner les preuves importantes et analyser les incohérences ou contradictions dans la preuve.

[16] Dans Canada (Procureur général) c. Kirkland, 2008 CAF 144, la Cour d’appel fédérale a cassé une décision de la Commission d’appel des pensions dans laquelle il était conclu que le demandeur était incapable aux termes de l’article 60 du RPC pour la raison que les motifs de cette décision ne traitaient pas suffisamment de la preuve selon laquelle le demandeur avait une certaine capacité à prendre des décisions. Les circonstances sont les mêmes dans l’affaire en instance. La division générale disposait d’une preuve selon laquelle l’intimé prenait des décisions au sujet des importants traitements médicaux et des examens effectués par ses spécialistes durant la période de l’incapacité alléguée. Elle n’a pas fourni d’explication au fait qu’elle n’ait pas accordé de poids à cette preuve ou qu’elle n’en ait pas tenu compte. En outre, l’avocate de l’appelant a affirmé qu’il ressortait aussi de la preuve que la division générale avait examinée que l’intimé avait une certaine capacité à prendre des décisions, c.-à-d. qu’il a été capable de rajuster ses heures de travail et ses tâches. Je trouve cet argument convaincant dans le contexte de l’ensemble de la preuve présentée à la division générale lors de son audience.

[17] Je suis convaincue que, dans sa décision, la division générale n’a pas motivé sa conclusion de fait selon laquelle l’intimé n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à la lumière de la preuve contradictoire et que la décision qu’elle a rendue reposait, au moins en partie, sur cette conclusion de fait. Pour ces raisons, je suis convaincue que la décision de la division générale était déraisonnable et que l’appel devrait être accueilli.

[18] Finalement, l’avocate de l’intimé a argué que l’appelant avait choisi de ne pas assister en personne à l'audience de la division générale ni d’y envoyer quelqu’un pour le représenter. Il ne devrait pas être permis de faire valoir des arguments qui auraient pu être soulevés à l’audience. L’avocate de l’appelant a reconnu que ce dernier n’avait pas assisté à l’audience et était prête à accepter les conséquences de cette non-comparution.

[19] Il est regrettable que l’appelant ne se soit pas présenté à l’audience. Je conviens avec l’avocate de l’intimé que si l’appelant avait assisté à l’audience, certaines des questions en litige qui me sont soumises auraient été réglées sans qu’il soit nécessaire d’instruire cet appel. Dans cette affaire, il faut vraiment déplorer le fait que l’intimé ait eu à traverser des années de litige qui auraient pu être écourtées par la comparution personnelle de l’appelant à l’audience. Cela dit, même s’il eût été préférable que l’appelant fût présent à l’audience tenue par la division générale, le Tribunal ne peut forcer une partie à prendre part à l’instruction d’un litige. Si une partie décide de ne pas se présenter à l’audience, elle court le risque que l’instruction de l’affaire se poursuive en son absence. C’est ce qu’a fait l’appelant en l’espèce.

Redressement

[20] Comme j’ai conclu que la décision de la division générale était déraisonnable, il me faut déterminer le redressement approprié en l’espèce. L’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que la division d’appel peut rejeter un appel, renvoyer l’affaire à la division générale ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[21] Compte tenu des circonstances de cette affaire, notamment le grave état de santé de l’intimé, des conclusions de fait détaillées tirées par la division générale qui n’ont été contestées par aucune des parties et du dossier dont je dispose, je suis convaincue qu’il y a lieu de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre en l’espèce.

[22] Les faits non contestés peuvent se résumer ainsi : L’intimé a travaillé pendant un certain nombre d’années à l’entretien des terrains à un parcours de golf. Il travaillait chaque année de façon saisonnière, de mai à octobre environ. Les mois d’hiver, il se fiait aux prestations d’assurance-emploi. En 2007, l’intimé a commencé à souffrir de douleurs au flanc. On a d’abord pensé qu’il s’était étiré un muscle. En 2008, l’intimé a réduit ses heures de travail en raison des douleurs, de la fatigue et d’autres symptômes. En novembre 2008, on lui a fait passer une tomographie qui a produit un résultat anormal, ce qui a finalement mené à un diagnostic de cancer du foie posé en mars 2009. Ce diagnostic a été bouleversant pour l’intimé et sa femme. Il a alors concentré ses efforts sur les analyses à subir et les traitements à recevoir pour cette maladie, ce qui exigeait de nombreux déplacements entre son domicile, à X (Ontario), et Toronto, à deux heures de route de là. La femme de l’intimé lui offrait beaucoup de soutien et a pris des dispositions pour le conduire à ses rendez-vous et y assister avec lui. En 2010, l’intimé a reçu par transplantation un foie d’un donneur vivant, chirurgie ayant été qualifiée de réussie. Malheureusement, l’intimé continue de souffrir du cancer, et son état de santé est terminal.

[23] L’intimé a fait une demande de pension d’invalidité au titre du RPC après la période durant laquelle il avait la possibilité de faire remplacer sa pension de retraite par une pension d’invalidité. La seule façon qu’il avait d’obtenir une prorogation de ce délai consistait à se faire déclarer incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande (art. 60 du RPC). La cause de l’intimé reposait sur cela. L’appelant ne conteste pas que l’intimé était invalide en vertu du RPC.

[24] La capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande n’est pas différente de la capacité de faire d’autres choix; la jurisprudence est claire sur ce point. Pour déterminer si l’intimé avait cette capacité, il faut examiner la preuve médicale ainsi que la preuve relative aux activités de l’intimé. Cette preuve a été résumée plus haut. La preuve médicale émanant du Dr Ready est contradictoire. Dans un certificat, il a déclaré que l’intimé n’était pas capable de gérer ses affaires au moment où il a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC, mais qu’il n’avait pas cette incapacité en février 2013, date à laquelle ce rapport a été établi; dans un autre certificat, il a indiqué que l’intimé était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de novembre 2008 jusqu’à aujourd’hui. Aucune explication de ces contradictions n’a été fournie. Par conséquent, il est impossible d’accorder beaucoup de poids à cette preuve.

[25] Le 19 janvier 2010, le Dr Grieg a déclaré que l’intimé avait été inscrit dans la liste d’attente des transplantations et qu’il avait obtenu des conseils à ce sujet. Le 21 février 2010, le Dr Levy a déclaré qu’il avait discuté de greffe du foie avec l’intimé et sa femme, qu’il avait expliqué à l’intimé qu’il n’avait pas longtemps à attendre et que celui-ci avait reçu cette information avec optimisme. Le 25 février 2010, le Dr Lilly a déclaré que l’intimé avait une bonne compréhension des procédures de transplantation et qu’en raison de son groupe sanguin, il pourrait devoir attendre de nombreux mois avant d’obtenir une greffe. Aucun de ces spécialistes n’a fait une quelconque mention d’une éventuelle incapacité de l’intimé de comprendre cette information médicale complexe ou de prendre des décisions au sujet de son traitement.

[26] À l’examen de cette preuve non contestée, je ne suis pas convaincue que l’intimé était continuellement incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande aux termes de l’article 60 du RPC entre mars 2009 et avril 2010. Durant cette période, il était capable de prendre des décisions d’ordre médical et de prendre des dispositions pour travailler ou gagner un revenu. Bien que sa femme lui ait offert assistance et soutien, je ne suis pas convaincue qu’elle a pris quelque décision que ce soit pour lui.

[27] Je compatis certainement à la situation de l’intimé. Le Tribunal a été établi par une législation précise. Il n’est donc investi que des pouvoirs que lui confère la législation. Il n’a pas de pouvoirs discrétionnaires. Les décisions doivent être fondées sur le droit, sans égard aux considérations d’ordre humanitaire. Cela peut donner des décisions qui semblent sévères, mais l’on ne peut rien y faire.

[28]  Pour ces motifs, l’appel doit être accueilli et la demande de l’intimé, rejetée.          

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Régime de pensions du Canada

60. (8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

(9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

  1. a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
  2. b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
  3. c) que la demande a été faite, selon le cas :
    1. (i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
    2. (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

(10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

66.1 (1) Un bénéficiaire peut demander la cessation d’une prestation s’il le fait de la manière prescrite et, après que le paiement de la prestation a commencé, durant la période de temps prescrite à cet égard.

 (1.1) Toutefois, le bénéficiaire d’une prestation de retraite ne peut remplacer cette prestation par une prestation d’invalidité si le requérant est réputé être devenu invalide, en vertu de la présente loi ou aux termes d’un régime provincial de pensions, au cours du mois où il a commencé à toucher sa prestation de retraite ou par la suite.

Règlement sur le Régime de pensions du Canada 

46.2 (1) Un bénéficiaire peut demander la cessation d’une prestation en présentant au ministre une demande écrite à cet effet dans les six mois suivant la date où le paiement de la prestation a commencé.

(2) Malgré le paragraphe (1), lorsque le requérant qui a demandé une pension d’invalidité conformément à la Loi ou des prestations comparables aux termes d’un régime provincial de pensions est réputé être devenu invalide afin d’y être admissible, qu’il reçoit une pension de retraite et que la date à laquelle il est réputé être devenu invalide est antérieure au jour où la pension de retraite est devenue payable, il peut demander la cessation de la pension de retraite en présentant au ministre une demande écrite à cet effet au cours de la période commençant à la date du premier versement de la pension de retraite et se terminant le 60e jour après qu’il a reçu avis de la décision de le réputer invalide.

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