Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de prorogation du délai pour déposer une demande de permission d’en appeler de la décision du tribunal de révision datée du 18 avril 2013.

[2] Le tribunal de révision avait déterminé qu’aucune pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada n’était payable à la demanderesse, n’ayant pas jugé que l’invalidité de cette dernière était pas « grave » avant sa période minimale d’admissibilité (PMA) du 31 décembre 2011. La demanderesse cherche à faire appel de la décision du tribunal de révision.

[3] L’avocate de la demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») au Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») le 16 juillet 2013; cependant, elle n’avait pas alors complété cette demande de permission. La demanderesse n’a [traduction] « complété »Footnote 1 la Demande que le 10 juillet 2014, lorsqu’elle a transmis une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler, ce qui a donné lieu à la question de savoir si la Demande avait été dûment déposée et satisfaisait aux exigences générales énoncées à l’article 57 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi »). En d’autres termes, la Demande a-t-elle été faite avant l’expiration des 90 jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision a été communiquée à la demanderesse? Dans la négative, la demanderesse cherche à obtenir une prorogation du délai pour déposer sa demande de permission d’en appeler.

[4] Pour obtenir gain de cause dans cette demande, la demanderesse doit d’abord me convaincre que la Demande a été produite dans le délai prévu de 90 jours ou, si elle a été déposée tardivement, que je devrais soit exercer mon pouvoir discrétionnaire en prorogeant le délai pour déposer la Demande, soit dispenser la demanderesse d’avoir à se conformer aux exigences formelles de dépôt prévues par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (le « Règlement »). En deuxième lieu, la demanderesse doit aussi me convaincre que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[5] Les questions qu’il me faut trancher sont les suivantes :

  1. La Demande a-t-elle été produite à temps, c’est-à-dire dans les 90 jours suivant la communication de la décision du tribunal de révision à la demanderesse? En d’autres termes, faut-il que la Demande soit présentée selon la forme prévue par le Tribunal sur son site Web et renferme le contenu requis par le paragraphe 57(1) de la Loi et par le paragraphe 40(1) du Règlement pour être considérée comme ayant été dûment présentée?
  2. Si la Demande a été présentée après l’expiration du délai de 90 jours suivant la date de communication de la décision du tribunal de révision à la demanderesse, la division d’appel devrait-elle accorder une prorogation du délai pour déposer la Demande?
  3. Si une prorogation du délai pour déposer la Demande n’est pas disponible à la demanderesse, existe-t-il des circonstances spéciales qui justifient que je puisse modifier les modalités formelles de dépôt ou dispenser la demanderesse d’avoir à s’y conformer?
  4. Si j’accordais une prorogation du délai pour déposer la Demande ou levais l’obligation de se conformer aux exigences formelles de dépôt pour la présentation de la Demande, la demanderesse a-t-elle énoncé l’un ou l’autre des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi?
  5. Si la demanderesse a énoncé un ou plusieurs des moyens d’appel prévus, l’appel a-t-il une chance raisonnable de succès sur l’un ou l’autre de ces moyens?

Contexte et historique des procédures

[6] Le 19 décembre 2013, le Tribunal a écrit à l’avocate de la demanderesse pour l’aviser que la Demande était incomplète et qu’il n’accepterait pas de demande de permission d’en appeler tant qu’il n’aurait pas reçu toute l’information et les documents requis en vertu du paragraphe 40 du Règlement. Le Tribunal a avisé la demanderesse qu’il manquait les éléments suivants pour que l’appel soit complété :

  • une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler;
  • l’adresse et le numéro de téléphone de la demanderesse et tout numéro de télécopieur et adresse électronique qu’elle possède;
  • le numéro identificateur du type précisé par le Tribunal sur son site Web aux fins de la demande;
  • une déclaration selon laquelle les renseignements fournis dans la demande sont, à la connaissance de la demanderesse, véridiques.

* Ci-joint se trouve un formulaire d’autorisation de divulgation. Veuillez le remplir et le retourner de manière que nous puissions communiquer avec votre représentant.

[7] Dans sa lettre du 19 décembre 2013, le Tribunal avisait aussi la demanderesse qu’il considérerait sa demande comme ayant été déposée dans les délais si les renseignements demandés étaient reçus d’ici le 31 mars 2014.

[8] Le 18 février 2014, la demanderesse a rempli un formulaire d’autorisation de divulgation en réponse à la lettre du Tribunal datée du 19 décembre 2013. Aucun autre document n’accompagnait le formulaire rempli d’autorisation de divulgation.

[9] Le 26 mars 2014, le Tribunal a envoyé à l’avocate de la demanderesse une deuxième lettre pour l’aviser, de nouveau, que la Demande était incomplète. Cette fois, la lettre ne faisait pas mention d’une autorisation de divulgation qu’il fallait remplir, mais elle énumérait un autre élément d’information à produire, en l’occurrence les « moyens invoqués à l’appui de la demande ». Le Tribunal indiquait dans cette lettre qu’il lui fallait obtenir les renseignements manquants [traduction] « sans délai ».

[10] Dans sa lettre datée du 26 mars 2014, le Tribunal avisait aussi la demanderesse que si elle avait l’intention de poursuivre la présentation de la Demande, il lui faudrait solliciter une prorogation du délai pour déposer la Demande complète, avec précision de tous les éléments suivants :

  1. a) si la demanderesse a démontré une intention persistante de poursuivre la demande;
  2. b) si la cause est défendable;
  3. c) si le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. d) si la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[11] L’avocate de la demanderesse n’a pas répondu à la lettre du Tribunal datée du 26 mars 2014, bien qu’elle ait déclaré dans sa lettre du 3 juillet 2014 qu’elle avait communiqué par téléphone avec le Tribunal le 10 avril 2014 pour obtenir des précisions sur ce qui était demandé. Apparemment, la ligne était occupée et elle n’a pas été en mesure de laisser un message sur la boîte vocale. Elle a informé de cela une collègue de son cabinet qui s’occupait de la demande d’indemnité pour accident de la route de la demanderesse. Cette collègue lui aurait dit que la demanderesse pourrait devoir retirer son appel aux fins de l’obtention de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada pour cause de mauvaise santé. Après le 10 avril 2014, l’avocate de la demanderesse n’a repris contact avec le Tribunal qu’après avoir reçu une troisième lettre du Tribunal.

[12] Le 27 mai 2014, dans une troisième lettre adressée à l’avocate de la demanderesse, le Tribunal confirmait qu’il avait avisé cette dernière, en date du 26 mars 2014, que la Demande était incomplète. Comme le Tribunal n’avait toujours pas reçu les renseignements qu’il lui avait demandés, il a fermé le dossier. Dans sa lettre du 27  mai 2014, le Tribunal avisait aussi l’avocate de la demanderesse que si cette dernière souhaitait déposer une autre demande de permission, il lui faudrait solliciter une prorogation du délai pour cela. En outre, le Tribunal informait l’avocate qu’il ne pourrait pas accorder de prorogation du délai si plus d’un an s’était écoulé depuis que le tribunal de révision avait rendu sa décision.

[13] Par lettre datée du 3 juillet 2014, l’avocate de la demanderesse a répondu à la correspondance du 27 mai 2014 du Tribunal en demandant la réouverture du dossier de la Demande pour plusieurs raisons, notamment de la négligence et une erreur, et a expliqué pourquoi elle n’avait pas répondu à temps aux lettres du Tribunal datées du 19 décembre 2013 et du 26 mars 2014. L’avocate a également joint une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler, ce qui constituait le seul document qui manquait encore.

[14] Le 16 juillet 2014, le Tribunal a avisé l’avocate qu’il était prêt à rouvrir le dossier qu’il avait fermé pour raisons administratives le 27 mai 2014.

Observations

1. Questions soulevées par la Demande

a) Dépôt tardif de la Demande

[15] L’avocate de la demanderesse affirme que la Demande a été produite tardivement sans que la demanderesse soit à blâmer pour cela. L’avocate endosse seule la responsabilité de ce retard. Elle explique qu’elle n’a pas porté attention aux demandes de renseignements que le Tribunal a faites dans ses lettres du 19 décembre 2013 et du 26 mars 2014 car elle a pensé à tort que ces lettres étaient génériques et qu’elle avait déjà fourni les renseignements demandés. Elle déclare qu’elle a l’habitude de joindre une copie de la décision faisant l’objet de l’appel dans une demande de permission d’en appeler et qu’elle a présumé que cela n’avait pas été différent dans la Demande. Elle avait déjà transmis un numéro identificateur. En fait, elle a cru à tort que le formulaire signé d’autorisation de divulgation représentait le seul autre élément qui était demandé dans la lettre du 19 décembre 2013, car cet élément était le seul qui était précédé d’un astérisque. L’avocate a été confortée dans cette croyance lorsqu’elle a reçu la lettre du 26 mars 2014 qui ne renfermait pas de demande d’autorisation de divulgation.

[16] L’avocate de la demanderesse avance aussi que la lettre du 26 mars 2014 renfermait [traduction] « une plus longue liste de renseignements demandés » que la lettre du 19 décembre 2013. Elle déclare que la lettre demandait une déclaration, de la part de la demanderesse, du caractère véridique des renseignements fournis dans la demande, quelque chose de [traduction] « nouveau et pas entendu auparavant », alors que cette demande avait déjà été faite dans la lettre du 19 décembre 2013. En fait, le Tribunal ne faisait qu’une demande supplémentaire, soit celle des moyens invoqués à l’appui de la demande, quoique l’avocate fasse valoir à juste titre qu’elle avait déjà énoncé lesdits moyens dans la Demande déposée le 16 juillet 2013.

[17] L’avocate de la demanderesse dit avoir tenté de communiquer par téléphone avec le Tribunal le 10 avril 2014 pour obtenir des précisions, mais que la ligne était occupée et qu’elle n’a pu laisser de message. L’avocate indique aussi qu’elle a communiqué avec une collègue de son cabinet d’avocats qui s’occupait de la demande d’indemnité pour accident de la route de la demanderesse et que cette dernière l’a informée que la demanderesse pourrait devoir retirer son appel devant le Tribunal en raison de sa mauvaise santé. Malgré le fait que les lettres du Tribunal du 19 décembre 2013 et du 26 mars 2014 renfermaient les coordonnées de l’adresse courriel et du numéro de télécopieur du Tribunal, il ne semble pas que l’avocate ait tenté de reprendre contact avec le Tribunal après le 10 avril 2014, sauf après avoir reçu la lettre du Tribunal datée du 27 mai 2014.

[18] L’avocate de la demanderesse n’a répondu à la correspondance du 27 mai 2014 du Tribunal qu’après avoir reçu confirmation de la demanderesse, le 2 juillet 2014, que cette dernière souhaitait poursuivre l’appel.

b) Moyens d’appel

[19] L’avocate de la demanderesse plaide que le tribunal de révision n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence, qu’il a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier et qu’il a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. L’avocate de la demanderesse n’a pas cité d’erreurs ou de manquements particuliers que le tribunal de révision aurait pu commettre en n’observant pas un principe de justice naturelle.

[20] L’avocate de la demanderesse soutient que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en n’appliquant pas Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 et Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Densmore (2 juin 1993), CP2389 (CAP) à la situation de la demanderesse.

[21] L’avocate de la demanderesse soutient que le tribunal de révision a tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Elle n’a pas explicitement défini les conclusions de fait erronées qu’elle allègue.

[22] L’avocate de la demanderesse soutient que le tribunal de révision n’a pas tenu compte des répercussions que l’invalidité a eues sur la demanderesse ni de la tentative manquée de retour au travail de cette dernière et l’impact que cela a eu sur elle. L’avocate soutient en outre que le tribunal de révision n’a pas entendu ni pris en considération la preuve fournie par la demanderesse et ses témoins, dont des professionnels de la santé, ni les observations de l’avocate.

2. Observations supplémentaires demandées par le Tribunal

[23] Le 5 février 2015, la division d’appel a invité les parties à présenter des observations écrites en ces termes :

[Traduction]

  1. Les articles 57 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi ») et 39 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (le « Règlement ») doivent-ils être interprétés de façon conjonctive aux exigences formelles d’un appel qui sont énoncées au paragraphe 40(1) du Règlement?
  2. Dans l’affirmative et si un demandeur, après avoir déposé une demande de permission d’en appeler dans le délai prévu de 90 jours après la date de communication de la décision du tribunal de révision (ou de la division générale) audit demandeur, complète sa demande de permission d’en appeler après qu’un an se soit écoulé, peut-on considérer qu’un appel a été dûment « interjeté » ou déposé aux termes de l’article 57 de la Loi ou de l’article 39 du Règlement? En d’autres termes, la demanderesse, dans cette affaire, s’est-elle conformée aux exigences de la Loi?
  3. S’il est répondu par la négative à la question 2 ci-dessus, peut-on accorder à un demandeur une prorogation du délai pour compléter une demande de permission? Ou existe-t-il des dispositions de sauvegarde dans la Loi ou dans le Règlement?

3. Observations de la demanderesse en date du 3 mars 2015

[24] L’avocate de la demanderesse a présenté des observations écrites le 3 mars 2015 et soutient que l’article 57 de la Loi et les articles 39 et 40 du Règlement doivent être interprétés de manière conjonctive. Elle déclare que la demanderesse s’est conformée aux dispositions de la Loi.

[25] L’avocate de la demanderesse avance en outre que la division d’appel a le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des circonstances spéciales d’un demandeur. Elle affirme de plus que, en présumant que j’accepte l’existence de circonstances spéciales en l’espèce, il m’est possible de modifier des dispositions dans le but d’assurer l’équité et le respect de la justice naturelle. Elle soutient que le pouvoir discrétionnaire que confère le Règlement régit et a préséance sur le délai de 90 jours fixé pour interjeter appel par l’article 57 de la Loi. L’avocate de la demanderesse affirme en outre que, même si la demanderesse n’a pas dûment présenté ou déposé la demande de permission d’en appeler aux termes des articles 57 de la Loi ou 39 du Règlement, elle n’en a pas moins droit à une prorogation du délai pour compléter la demande de permission, car le Régime de pensions du Canada, la Loi et le Règlement [traduction] « sont des textes de loi qui traitent de prestations et doivent donc être interprétés d’une manière qui appuie le mieux leur raison d’être. » Elle cite l’ouvrage d’Elmer Driedger, Construction of Statutes, et soumet que la Loi et le Règlement sont les [traduction] « serviteurs » du Régime de pensions du Canada et doivent être interprétés de façon libérale.

4. Observations de l’intimé

[26] L’avocate de l’intimé a déposé des observations écrites le 13 mars 2015. Elle avance qu’il y a, en l’espèce, des circonstances spéciales qui justifient de dispenser la demanderesse de se conformer pleinement aux dispositions de l’article 40 du Règlement et qu’il s’ensuit que la Demande a été faite dans le délai de 90 jours prévu à l’alinéa 57(1)b) de la Loi.

[27] L’avocate de l’intimé plaide que, en application de l’article 2 du Règlement, il me faut interpréter les articles 3 et 40 du Règlement de façon à apporter une solution à la Demande qui soit « juste et la plus expéditive et économique possible ». Elle affirme que d’accorder la permission d’en appeler constituerait une solution à la Demande qui serait « juste et la plus expéditive et économique possible ».

[28] L’avocate de l’intimé déclare en outre que, si j’accordais la permission, la position de l’intimé sera que, aux termes du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, la demanderesse est devenue invalide en février 2010 et que les paiements devraient donc commencer en juin 2010.

[29] Nonobstant les observations des deux avocates, les parties n’en sont pas arrivées à une entente de règlement.

Analyse

[30] L’alinéa 57(1)b) et le paragraphe 57(2) de la Loi portent ce qui suit :

57(1) La demande de permission d’en appeler est présentée à la division d’appel selon les modalités prévues par règlement et dans le délai suivant :

[…]
b) dans le cas d’une décision rendue par la section de la sécurité du revenu, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

(2) La division d’appel peut proroger d’au plus un le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.  [C’est moi qui souligne.]

1. La Demande a-t-elle été « présentée » tardivement?

[31] La seule raison pour laquelle le respect du délai est une question en litige quant au dépôt de la Demande vient de ce que la demanderesse n’a pas complété sa demande de permission dans le délai prescrit, c’est-à-dire dans les 90 jours suivant la date à laquelle la décision du tribunal de révision lui a été communiquée. Cela soulève la question de savoir si une demande de permission qui a été déposée mais pas complétée dans les 90 jours est considérée comme ayant été présentée dans les délais ou tardivement.

[32] Sauf en répondant par l’affirmative aux questions posées aux sous-paragraphes [23] a) et b) ci-dessus, l’avocate de la demanderesse n’a pas fait d’observations et n’a pas abordé la question de savoir si la Demande a été, dès le départ, dûment déposée et si cette demande devrait être acceptée comme ayant été déposée dans les délais si elle n’a pas été entièrement complétée dans l’année suivant la date de communication de la décision du tribunal de révision à la demanderesse.

[33] En l’espèce, la demanderesse a déposé une demande de permission dans les 90 jours suivant la date où elle a reçu communication de la décision, aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi, mais elle n’a pas satisfait aux exigences formelles touchant le dépôt d’une demande de permission qui sont stipulées au paragraphe 40(1) du Règlement et citées au paragraphe 57(1) de la Loi. Le Règlement exige que tant l’appel que la demande de permission soit présenté selon la forme prévue par le Tribunal sur son site Web et contienne des éléments d’information, par exemple une copie de la décision faisant l’objet de la demande et les moyens d’appel invoqués.

[34] S’il est clair que la demanderesse a déposé la Demande dans le délai prévu de 90 jours, elle ne s’est, en revanche, pas conformée à la seconde partie du paragraphe 57(1) de la Loi, c’est-à-dire à la disposition exigeant que la Demande soit présentée « selon les modalités prévues par règlement », puisqu’elle n’a pas fourni de copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler. De par le libellé du paragraphe 57(1) de la Loi – « [l]a demande de permission d’en appeler est présentée […] selon les modalités prévues par règlement » –, il est clair qu’il s’agit d’une disposition d’application obligatoire. Cela exigerait nécessairement de se reporter au paragraphe 40(1) du Règlement, qui précise la forme que doit avoir la demande de permission ainsi que son contenu, autrement le passage « selon les modalités prévues par règlement » du paragraphe 57(1) de la Loi serait vide de sens. Je ne vois pas comment un demandeur peut s’écarter ou s’affranchir des exigences du paragraphe 57(1) de la Loi qui stipulent que la demande doit être présentée selon les modalités prévues par règlement.

[35] L’avocate de la demanderesse évoque la possibilité que le Tribunal puisse dispenser la demanderesse d’avoir à se conformer au Règlement, compte tenu des « circonstances spéciales » de cette dernière. L’avocate de l’intimé partage cette vue. Elle invoque les dispositions de l’alinéa 3(1)b) du Règlement qui traitent des « circonstances spéciales » pour dispenser la demanderesse de se conformer aux articles 39 et 40 du Règlement.

[36] L’alinéa 3(1)b) du Règlement ne me confère ce pouvoir que dans la mesure où je pourrais modifier des dispositions du Règlement ou exempter une partie de l’application d’une disposition. Le Règlement ne me permet pas de modifier des dispositions de la Loi ni de dispenser une partie de l’obligation de se conformer à une disposition de la Loi.

[37] Les deux parties avancent que l’article 57 de la Loi et l’article 39 du Règlement doivent être interprétés de façon conjonctive avec l’article 40 du Règlement. Si ces articles doivent être interprétés de manière conjonctive (et en présumant que j’accepte que des « circonstances spéciales » s’appliquent), comment puis-je exempter la demanderesse de l’application des articles 39 et 40 du Règlement lorsque ces mêmes exigences existent au paragraphe 57(1) de la Loi?

[38] L’alinéa 3(1)b) du Règlement,par contre, me permet effectivement d’exempter la demanderesse de l’application du paragraphe 57(1) de la Loi pour autant que je modifie les dispositions du Règlement. En l’espèce, je pourrais modifier le paragraphe 40(1) du Règlement en retirant l’exigence que la demande de permission contienne une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler (en présumant que j’accepte l’existence de « circonstances spéciales »). Si je devais modifier de la sorte le paragraphe 40(1) du Règlement,la demanderesse aurait alors satisfait aux exigences du paragraphe 57(1) de la Loi le 16 juillet 2013 et l’on ne se poserait plus la question de savoir si sa demande de permission d’en appeler a été produite tardivement.

[39] Il me reste encore à déterminer s’il existe effectivement des « circonstances spéciales » qui justifieraient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et modifie une ou plusieurs dispositions du Règlement. Ni la Loi ni le Règlement ne définit ce que sont des « circonstances spéciales ». Il me serait difficile de conclure que les circonstances évoquées par l’avocate de la demanderesse – son manque de familiarité avec la nouvelle législation et son oubli ou sa négligence – constituent des « circonstances spéciales » de telle sorte que je puisse soit modifier les dispositions du Règlement soit dispenser la demanderesse d’avoir à se conformer aux exigences de dépôt prévues aux articles 39 et 40 du Règlement. S’il me fallait retenir l’oubli et la négligence comme étant des « circonstances spéciales », on pourrait presque toujours les invoquer pour soit faire modifier des dispositions du Règlement soit exempter une partie de l’application d’une disposition. Je ne pense pas l’on devrait définir de façon si large les « circonstances spéciales », pas plus que je ne crois que l’argument des « circonstances spéciales » devrait pouvoir être si largement invoqué.

[40] Toutefois, il semble que l’oubli, l’erreur et la négligence de l’avocate pourraient donner lieu à un préjudice et à une injustice flagrante. Je ne crois pas qu’une demande devrait être si facilement rejetée du fait que l’avocat d’un demandeur a omis de joindre une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler, particulièrement lorsqu’il se peut que la division d’appel ait facilement accès à des copies de ces décisions. Il serait contraire à l’intérêt de la justice que l’on écarte si aisément une demande de permission sans examiner le fond de l’affaire. Il est certes souhaitable qu’un demandeur produise une copie de la décision faisant l’objet de la demande, mais l’absence de cette copie ne devrait pas être l’unique motif du rejet d’une demande de permission lorsque le demandeur, à tous autres égards, semble s’être conformé aux exigences de la Loi et du Règlement.

[41] Il semble qu’une simple lecture et application du paragraphe 57(1) de la Loi et des articles 3, 39 et 40 du Règlement devrait m’amener à rejeter la Demande, mais, comme je viens de l’indiquer, il semblerait que cela aboutisse au résultat absurde et injuste qu’une demande soit rejetée du fait de l’absence d’une copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler ou pour cause de production tardive d’une copie de cette décision par la demanderesse. Un tel résultat serait particulièrement injuste lorsque l’intimé reconnaît que la demanderesse est invalide. J’estime aussi que le fait que l’intimé accepte le bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité de la demanderesse et reconnaisse que la demanderesse est invalide constitue une considération exceptionnelle.

[42] En résumé, je conclus ce qui suit :

  1. a) L’article 57 de la Loi et les articles 39 et 40 du Règlement doivent être lus de façon conjonctive.
  2. b) L’alinéa 3(1)b) du Règlement n’habilite pas la division d’appel à exempter un demandeur de l’application des dispositions du paragraphe 57(1) de la Loi – et donc du paragraphe 40(1) du Règlement – en ce qu’une demande doit absolument être présentée selon les modalités prévues par règlement. En d’autres termes, la demande de permission d’en appeler doit être présentée selon la forme prévue par le Tribunal sur son site Web et contenir l’information ou les documents demandés.
  3. c) Si des circonstances spéciales existent, l’alinéa 3(1)b) du Règlement habilite la division d’appel à modifier le paragraphe 40(1) du Règlement, c.-à-d. que la division d’appel peut retirer l’exigence qu’une demande de permission d’en appeler doive contenir une copie de la décision faisant l’objet de la demande.
  4. d) L’oubli et la négligence ne constituent pas des « circonstances spéciales », mais si les répercussions de l’oubli ou de la négligence sont susceptibles de causer un préjudice et une injustice flagrante, comme c’est le cas ici, et si l’intimé accepte le bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité et reconnaît que la demanderesse est invalide, ce facteur, dans les circonstances très limitées et particulières de l’espèce, pourrait constituer des « circonstances spéciales ».
  5. e) Ayant conclu à l’existence de « circonstances spéciales » en l’espèce, j’ai modifié l’application du paragraphe 40(1) du Règlement en retirant l’exigence de la copie de la décision faisant l’objet de l’appel, et je conclus que la demanderesse a satisfait aux exigences du paragraphe 57(1) de la Loi le 16 juillet 2013.

2. Critères applicables à une prorogation du délai pour déposer une demande de permission

[43] Le paragraphe 57(2) de la Loi permet à la division d’appel de proroger d’au plus un an – après la date de communication de la décision à un demandeur – le délai pour présenter une demande de permission d’en appeler.

[44] Il semble qu’un demandeur n’ayant ni présenté ni complété une demande dans l’année suivant la date à laquelle il a reçu communication de la décision de la division générale (ou du tribunal de révision) ne puisse se prévaloir des dispositions relatives à la prorogation qui sont prévues au paragraphe 57(2) de la Loi.

[45] La demanderesse, ici, ne peut invoquer le paragraphe 57(2) de la Loi du fait que sa demande de permission a été complétée en juillet 2014, soit longtemps après l’expiration du délai d’un an suivant la date – en l’occurrence fin avril 2013 – à laquelle la décision du tribunal de révision lui a été communiquée. Pour que le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 57(2) de la Loi puisse être exercé, il aurait fallu que la demanderesse présentât sa demande dans l’année suivant la date à laquelle elle a reçu communication de la décision du tribunal de révision. La division d’appel n’est nullement habilitée à proroger de plus d’un an le délai pour déposer une demande de permission.

[46] J’ai déjà déterminé qu’il existait des « circonstances spéciales » en l’espèce et j’ai modifié les dispositions du paragraphe 40(1) du Règlement. Par conséquent, la demande de prorogation du délai pour déposer une demande de permission aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi devient théorique. Il ne m’est donc pas nécessaire d’examiner les quatre critères énoncés dans Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 833, pour déterminer si l’on devrait accorder une prorogation de délai. Ces quatre critères sont les suivants :

  1. il y avait et il y a encore, de la part de la demanderesse, une intention persistante de poursuivre l'appel;
  2. le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l'autre partie;
  4. l’objet de l’appel révèle une cause défendable.

[47] Je discuterai néanmoins de ces critères dans le contexte des faits dont je suis saisie, au cas où je ferais erreur sur la question de savoir si la Demande a été déposée dans les délais et sur celle de savoir si le paragraphe 57(2) de la Loi est à la disposition de la demanderesse. Je me concentrerai nécessairement sur le quatrième critère, puisqu’il me faut déterminer si l’objet de l’appel révèle une cause défendable au moment de décider d’accorder ou non l’autorisation demandée.

a) Y avait-il une intention persistante de poursuivre l’appel?

[48] L’avocate n’a pas abordé cette question dans sa lettre du 3 juillet 2014 et il n’y a aucun affidavit ni déclaration de la demanderesse confirmant qu’elle avait bel et bien une intention persistante de poursuivre l’appel. À l’évidence, la demanderesse avait l’intention de poursuivre l’appel au moment où elle a déposé la Demande non complétée, le 16 juillet 2013, et où elle a transmis un formulaire signé d’autorisation de divulgation, en février 2014. À un certain moment d’avril ou mai 2014, l’avocate a appris que la demanderesse, en raison de sa mauvaise santé, pourrait devoir retirer l’appel. Bien que la demanderesse et son avocate aient pu envisager de retirer son appel pour cause de mauvaise santé, l’appel n’a finalement pas été retiré par la demanderesse. Il n’y a aucune preuve qu’il y ait eu changement d’intention quant à la poursuite de l’appel, hormis la spéculation d’une collègue de l’avocate dans une autre affaire. Par conséquent, je suis prête à accepter que la demanderesse avait une intention persistante de poursuivre l’appel.

b) Le retard a-t-il été raisonnablement expliqué?

[49] Dans sa lettre datée du 3 juillet 2014, l’avocate de la demanderesse a écrit qu’elle éprouvait [traduction] « beaucoup de difficulté dans un certain nombre d’autres dossiers avec la division générale du Tribunal de la sécurité sociale […] » et que [traduction] « C’était très frustrant. »

[50] Des milliers de demandeurs – la plupart non représentés par un avocat – ont négocié l’application de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale et ont pu compléter avec succès leurs demandes de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, si bien que je n’accepte pas la « nouveauté » de la Loi et du Règlement comme étant une excuse légitime au dépôt tardif de la demande.

[51] Manifestement, l’avocate de la demanderesse, dans cette affaire, a fait preuve de négligence en n’examinant pas la courte liste des exigences énoncées dans la lettre du Tribunal du 19 décembre 2013, en omettant de vérifier si elle avait effectivement déjà transmis les renseignements demandés et en n’effectuant pas le suivi approprié. Au lieu de cela, elle a fait des suppositions qui se sont finalement révélées incorrectes. Si elle avait pris la peine d’examiner ses dossiers, elle aurait rapidement remarqué qu’elle n’avait pas répondu à toutes les exigences énumérées. Lorsqu’elle a reçu la deuxième lettre du Tribunal datée du 26 mars 2014, l’avocate a de nouveau présumé à tort qu’elle avait satisfait aux exigences de la loi et a de nouveau omis d’examiner ses dossiers, ce qui a aggravé les problèmes.

[52] Par mesure de précaution, l’avocate de la demanderesse aurait dû produire les renseignements exigés, même au risque de le faire en double, sans commencer par chercher à obtenir des précisions du Tribunal ou à obtenir confirmation des instructions de sa cliente. Elle aurait également dû utiliser des mécanismes appropriés de rappel, de manière qu’un quelconque suivi ou communication ait pu être effectué auprès du Tribunal avant le 26 mars 2014 et le 27 mai 2014. Cela étant dit, j’accepte que l’avocate croyait sincèrement et de bonne foi qu’elle s’était pleinement conformée aux exigences de la loi, si ce n’est lorsqu’elle n’avait pas produit un formulaire signé d’autorisation de divulgation – le seul élément portant un astérisque dans la lettre du Tribunal du 19 décembre 2013. Dès qu’elle a constaté que l’élément portant un astérisque manquait toujours, l’avocate a immédiatement obtenu le document et l’a déposé au Tribunal.

[53] Bien que le retard ait été causé par les suppositions non fondées, la négligence et l’erreur de l’avocate, elle m’a convaincue qu’il y a une explication raisonnable à cela. Je n’en arrive pas aisément à cette conclusion, mais elle est étayée par le fait que l’avocate a immédiatement répondu et fourni le formulaire signé d’autorisation de divulgation.

c) La prorogation du délai cause-t-elle un préjudice à l’autre partie?

[54] Si j’assimile le fait d’avoir complété la Demande à celui de l’avoir présentée, le retard en cause est d’environ 12 mois, période calculée entre l’expiration du délai pour interjeter appel et le 3 juillet 2014. (Dans leur calcul, les cours ne sont pas toutes arrivées à la même période de retard.)

[55] Dans Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c. Dawdy, 2006 CF 429, la Cour fédérale a conclu que l’« on pourrait considérer que le retard d’environ dix mois cause préjudice au ministre », tandis que dans Leblanc c. Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CF 641, elle a conclu qu’un retard d’environ neuf mois ne causait pas de préjudice et que de conclure autrement, à la lumière des faits, qu’il y a eu préjudice ne constituerait pas « une issue possible acceptable » et serait « déraisonnable ». Dans l’arrêt Leblanc, la Cour fédérale s’est exprimée en ces termes :

À mon avis, un retard de neuf mois n’est pas de nature à altérer la mémoire de la demanderesse et de ses experts médicaux, une personne étant selon moi bien en mesure de se souvenir de son état de santé. Pour ce qui est des experts médicaux, ils s’appuieraient sur des notes et des rapports. La conclusion de la Commission selon laquelle le ministre subirait un préjudice ne constitue pas une issue possible acceptable et elle est déraisonnable.

[56] Manifestement, plutôt que d’appliquer une formule de routine déterminée par l’écoulement d’un certain nombre de mois pour conclure à la possibilité d’un préjudice, les cours se demandent si un préjudice serait réellement causé. Autrement dit, dans certains cas, il se peut qu’il n’y ait aucun préjudice malgré un retard de dix mois, selon la fiabilité du témoignage des témoins et la disponibilité d’une preuve documentaire.

[57] Un retard causera toujours de l’incertitude et un certain préjudice à une partie et, généralement, plus le retard est long, plus le préjudice sera important. Après tout, la mémoire des témoins s’érode avec le temps, tout comme la capacité de se souvenir. Il y avait des retards de (par coïncidence) sept ans environ dans les affaires Canada (Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 4, Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. DeTommaso, 2005 CF 1531, et Gattellaro. Dans chacune de ces affaires, le préjudice était évident. Les audiences devant la Commission d’appel des pensions auraient été « nouvelles » et la tenue d’audiences après un si long délai aurait causé un préjudice aux demandeurs. C’est ce même raisonnement que la Cour fédérale a suivi dans Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Roy, 2005 CF 1456. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu que le préjudice découlait de la combinaison du retard de 18 mois et du fait que les audiences devant la Commission participent généralement de la nature d’une nouvelle audience.

[58] Dans Hogervorst, la Cour d’appel a aussi statué qu’il était impossible d’éviter l’incertitude et de ne pas porter atteinte à l’appelant, ainsi qu’à l’intérêt public, si la Cour permettait les contestations incidences d’autres décisions en autorisant qu’un appel tardif suive son cours. Dans Gattellaro, la Cour fédérale a fait l’observation suivante :

[17]  Sur le plan du préjudice, je suis aussi préoccupée par l'incertitude et l'absence de caractère définitif que risque d'entraîner tant pour le ministre que pour toutes les parties à l'instance, le fait d'autoriser des appels, sans raisons convaincantes, longtemps après l'expiration du délai. On peut raisonnablement supposer que nombreux sont ceux qui, ayant reçu une décision négative du tribunal de révision, n'ont pas fait appel à cause de l'expiration des délais impartis. On ne devrait pas maintenant permettre à la défenderesse de poursuivre un recours que d'autres dans sa situation n'ont pas poursuivi, croyant qu'un appel n'était pas disponible. La procédure qui n'est pas appliquée uniformément et en conformité avec les principes généralement acceptés est fondamentalement injuste.
[C’est moi qui souligne.]

[59] Je ne vois pas, ici, de préjudice semblable, puisque le retard en cause est beaucoup moins long que dans Gattellaro, Hogervorst ou DeTommaso et qu’il y a un abondant dossier documentaire pour cette demanderesse. Ce qui est encore plus important, c’est qu’un appel devant la division d’appel ne serait pas entendu de novo et donc que la fiabilité des souvenirs des témoins ne susciterait pas de préoccupations. En outre, un appel, en l’espèce, n’aurait pas grand écho dans d’autres affaires du fait que les circonstances de la demanderesse qui donnent lieu à cette demande de prorogation sont quelque peu uniques. Bien que le retard, dans l’affaire qui nous occupe, soit un peu plus long que les délais dans LeBlanc et dans Dawdy, je conclus que, si une prorogation du délai était accordée, l’intimé n’en subirait pas un préjudice indu pour se préparer avant l’appel.

d) La cause est-elle défendable?

[60] Bien que la demande d’autorisation d’interjeter appel soit un premier obstacle que la demanderesse doit franchir – et un obstacle inférieur à celui auquel elle devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond –, il reste que la demande doit soulever un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Dans Hogervorst, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si un demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[61] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[62] En l’espèce, la décision du tribunal de révision est considérée comme une décision de la division générale.

[63] Mon devoir est de déterminer si les motifs d’appel invoqués par la demanderesse correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et si l’un de ces motifs au moins a une chance raisonnable de succès avant que je puisse accorder la permission d’en appeler.

i. Allégation de manquement à un principe de justicenaturelle

[64] L’avocate de la demanderesse soutient que le tribunal de révision n’a pas observé un principe de justice naturelle. Bien qu’elle emploie le libellé du paragraphe 58(1) de la Loi, elle n’entre pas plus dans le détail en précisant quel principe de justice naturelle le tribunal de révision a pu ne pas observer, ni en quoi il a pu ne pas observer ce principe. Pour que je sois en mesure d’évaluer comme il se doit la Demande, il faudrait que la demanderesse, à tout le moins, souligne les erreurs précises que le tribunal de révision aurait pu commettre et indique quelles erreurs relèvent des moyens d’appel permis. Elle ne l’a pas fait. La demanderesse n’a pas fait valoir un moyen d’appel admissible quant à sa prétention que le tribunal de révision n’a pas observé un principe de justice naturelle.

ii. Allégation de conclusions de fait erronées

[65] Pour les fins de cette demande de permission, je n’ai pas besoin que me soit effectivement démontrée une erreur de la part du tribunal de révision, mais pour évaluer ce moyen d’appel invoqué par la demanderesse, j’ai besoin d’être convaincue que le tribunal de révision a tiré les conclusions que la demanderesse soutient qu’il a tirées.

[66] L’avocate de la demanderesse a certes exposé certains faits aux paragraphes 1) à 16) de ses observations, mais elle les décrit comme des allégations de fait à l’appui de l’appel. Nulle part elle n’indique qu’il y a des conclusions de fait erronées en lien avec l’un ou l’autre de ces paragraphes. La demanderesse n’a pas indiqué de conclusions de fait erronées que le tribunal de révision a pu tirer de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et sur lesquelles il a fondé sa décision. Par conséquent, on ne peut pas dire qu’il y a une chance raisonnable de succès quant à la prétention que le tribunal de révision a tiré des conclusions de fait erronées.

iii. Allégation d’erreurs de droit

[67] L’avocate de la demanderesse avance que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en omettant de suivre Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 et Ministre de la Sant nationale et du Bien-être social c. Densmore (2 juin 1993), CP2389 (CAP).

[68] Bien que le tribunal de révision ait cité chacune de ces décisions, il a pu omettre d’effectuer une analyse sérieuse de la preuve du point de vue du droit applicable. De fait, il semble qu’il n’y ait que peu ou pas d’analyse de la preuve dans la section intitulée « Analyse ». Après la citation de la jurisprudence pertinente, il semble que la portée de l’analyse faite par le tribunal de révision se soit limitée à son dernier paragraphe, où il est dit ce qui suit :

[Traduction]

[35] Le tribunal de révision accepte que l’appelante souffre de plusieurs problèmes de santé qui contribuent à ses limitations, mais il a déterminé que ces problèmes n’étaient pas de nature grave, au sens du RPC.

[69] Compte tenu de cela, il se peut qu’un problème se pose quant à la question de savoir si le tribunal de révision a suivi ou non Villani et Inclima.Je suis moins convaincue que le tribunal de révision était tenu de suivre une décision de la Commission d’appel des pensions, mais je laisserai aux avocats le soin de présenter les observations pertinentes si une audition de l’appel s’avérait nécessaire. Dans l’ensemble, l’avocate de la demanderesse m’a convaincue qu’il pourrait y avoir un motif sur lequel pourrait reposer une chance raisonnable de succès sur la question de savoir si le tribunal de révision a commis une erreur de droit en omettant de suivre la jurisprudence établie. Si une audition de l’appel devenait nécessaire, les parties pourraient vouloir examiner la preuve à laquelle le tribunal de révision s’est fié pour en arriver à sa décision.

Demande de permission

[70] Pour les motifs que j’ai exprimés plus haut, la demanderesse m’a convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès.

Résumé

[71] Les réponses aux questions que j’ai posées sont les suivantes :

  1. La Demande a-t-elle été produite à temps, c’est-à-dire dans les 90 jours suivant la communication de la décision du tribunal de révision à la demanderesse? En d’autres termes, faut-il que la Demande soit présentée selon la forme prévue par le Tribunal sur son site Web et renferme le contenu requis par le paragraphe 57(1) de la Loi et par le paragraphe 40(1) du Règlement pour être considérée comme ayant été dûment présentée?

    La Demande a été présentée dans les délais, mais pas selon les modalités prévues par règlement, aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi, en ce qu’elle ne contenait pas de copie de la décision faisant l’objet de la demande de permission d’en appeler.
  2. Si la Demande a été présentée après l’expiration du délai de 90 jours suivant la date de communication de la décision du tribunal de révision à la demanderesse, la division d’appel devrait-elle accorder une prorogation du délai pour déposer la Demande?

    Une prorogation du délai n’est pas nécessaire, puisque j’ai déterminé, après avoir modifié le paragraphe 40(1) du Règlement, que la Demande avait été présentée dans les délais.
  3. Si une prorogation du délai pour déposer la Demande n’est pas disponible à la demanderesse, existe-t-il des circonstances spéciales qui justifient que je puisse modifier les modalités formelles de dépôt ou dispenser la demanderesse d’avoir à s’y conformer?

    Oui, il existe, en l’espèce, des circonstances spéciales en ce que les parties reconnaissent de facto le bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité, de sorte qu’il m’est possible de modifier les dispositions du paragraphe 40(1) du Règlement.
  4. Si j’accordais une prorogation du délai pour déposer la Demande ou levais l’obligation de se conformer aux exigences formelles de dépôt pour la présentation de la Demande, la demanderesse a-t-elle énoncé l’un ou l’autre des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi?

    Oui, la demanderesse a exposé des moyens d’appel.
  5. Si la demanderesse a énoncé un ou plusieurs des moyens d’appel prévus, l’appel a-t-il une chance raisonnable de succès sur l’un ou l’autre de ces moyens?

    Oui, il y a une chance raisonnable de succès.

[72] Je garde à l’esprit le fait que l’intimé consent à ce que la permission soit accordée et que, si cette permission est accordée, sa position est que la demanderesse est devenue invalide aux termes du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada en février 2010. Il semble que, dans de telles circonstances, les parties devraient être capables d’en arriver à une entente de règlement.

[73] Quoi qu’il en soit, si les parties n’arrivent pas à régler la question de la demande de prestations d’invalidité de la demanderesse, je les invite à présenter des observations au sujet du mode d’audience préféré et de son caractère approprié. Si l’une ou l’autre des parties sollicite une audience en personne, j’exige une explication des raisons pour lesquelles l’audience ne peut être conduite selon un autre mode, et si une audience en personne est accordée et que l’une ou l’autre des parties a l’intention d’y participer par vidéoconférence, il me faut une explication des raisons pour lesquelles cette partie n’est pas en mesure d’y assister en personne.

Conclusion

[74] Ayant modifié le paragraphe 40(1) du Règlement, je considère donc que la Demande a été présentée dans les délais, de sorte que la demande de prorogation du délai pour déposer la Demande est maintenant rendue théorique.

[75] La Demande est accueillie. La présente décision sur la demande de permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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