Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] Le demandeur demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 23 mai 2014. La division générale a déterminé que le demandeur n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, ayant conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2008 ou avant cette date. L’avocate du demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel le 14 août 2014. Cette permission est sollicitée au motif que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence, a commis diverses erreurs de droit, s’est fiée à tort à divers faits ou n’a pas tenu compte de divers faits en rendant sa décision et n’a pas accordé un poids approprié à la preuve médicale. Pour que cette demande de permission lui soit accordée, le demandeur doit établir que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Contexte factuel

[2] Le demandeur a grandi dans une ferme et aidait son père à élever des chevaux de course. Il possède les qualifications d’entraîneur équestre et de jockey de courses attelées. Il a toujours travaillé dans l’industrie des courses de chevaux et ne possède pas d’autre expérience de travail.

[3] Le demandeur a été impliqué dans un accident de voiture le 2 mai 2008, à la suite d’une collision frontale. Le chauffeur de l’autre véhicule est décédé.
Les deux véhicules étaient des pertes totales. Le demandeur a subi diverses blessures, dont un tassement cunéiforme par fracture de la deuxième vertèbre lombaire (L2) avec diminution significative de la taille et une fracture du calcanéum droit. Le demandeur a également subi des blessures au bas du dos, à l’épaule droite, au cou, au bras et au bassin, ressent des douleurs au côté gauche et a subi une lacération au genou droit, laquelle a nécessité des points de suture. Il a été transporté par ambulance et hospitalisé pendant plusieurs jours. Le demandeur souffre aussi de maux de tête et de troubles du sommeil.

[4] Le demandeur a été vu par plusieurs experts médicaux ainsi qu’un expert du domaine de l’emploi. La preuve documentaire produite à la division générale – dont la majeure partie était postérieure à la période minimale d’admissibilité – était abondante. Le demandeur a reçu divers types de traitement, dont de la physiothérapie et de la massothérapie. Toutefois, il a conservé des symptômes de douleur chronique, de dépression, d’anxiété, de trouble de l’adaptation et de troubles paniques.

[5] Le demandeur n’a pas travaillé depuis l’accident d’automobile et a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en mai 2011. Dans le questionnaire qui accompagnait cette demande, il est indiqué que le demandeur avait plusieurs restrictions et limitations fonctionnelles, dont de la difficulté à rester assis, se tenir debout et marcher pendant une période prolongée, ainsi que quelques limitations dans ses étirements et flexions. Il a indiqué dans le questionnaire qu’il étudiait des solutions de rechange possibles par la voie du recyclage professionnel.

[6] Le demandeur a participé à un programme de placement pour conditionnement au travail et a été placé dans une pension pour chevaux pendant plusieurs semaines, durant l’été de 2011. Il s’est vu attribuer diverses tâches, dont un ergothérapeute fait état dans une lettre datée du 2 août 2011 (page GT1-572). Les dossiers des renseignements déclarés indiquent que, durant cette période, le demandeur travaillait quatre jours par semaine, effectuant des quarts de trois à quatre heures en moyenne. Le demandeur a déclaré qu’il était lent et prenait des pauses, mais qu’il ressentait quand même des douleurs accrues associées à ses activités de travail. Il a déclaré qu’il partait plus tôt un ou plusieurs jours de la semaine, en raison de douleurs accrues. Dans le rapport daté du 8 septembre 2011 sur sa participation au programme de placement pour conditionnement au travail, il est conclu que les actuelles tâches de travail du demandeur sont compatibles avec un travail léger à temps partiel, avec de fréquentes périodes où il doit s’asseoir, se tenir debout et marcher. Il lui faudrait, au lieu de travail, des mesures d’adaptation lui permettant [traduction] « d’alterner entre la position assise, la station debout et la marche […] et de travailler à son propre rythme. » (GT1-577 à GT1-588).

Observations

[7] J’ai groupé ensemble quelques-unes des observations présentées par l’avocate. L’avocate du demandeur plaide, de la façon suivante, que la division générale a commis de nombreuses erreurs :

  1. (a) La division générale a outrepassé sa compétence en refusant de prendre en considération et d’analyser toute décision de la Commission d’appel des pensions que l’avocate a citée au motif que cette jurisprudence ou ces fondements juridiques n’avaient aucune incidence. Dans le même temps, la division générale s’est fiée à une décision de 1988 de la Commission d’appel des pensions.
  2. (b) La division générale a commis une erreur de droit en ne faisant pas dûment enquête sur la question de savoir si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée au moment où prenait fin [traduction] « la période minimale d’admissibilité comme telle, soit le 31 décembre 2008 », ou avant cette date.
  3. (c) La division générale a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur était capable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur sans avoir [traduction] « réellement fait une enquête appropriée et requise sur la question de savoir si le [demandeur] était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. »
  4. (d) La division générale a commis une erreur de droit en ne tranchant pas correctement la question de savoir si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité et s’est plutôt concentrée sur le fait que le demandeur avait fait l’achat d’un cheval pour motiver sa conclusion qu’il ne satisfaisait pas au critère juridique applicable à une déclaration d’admissibilité au bénéfice d’une pension d’invalidité. L’avocate soutient que la division générale a commis une erreur en assimilant à une capacité l’achat d’un cheval par le demandeur plusieurs années après l’expiration de la période minimale d’admissibilité, sans tenir compte du fait que le demandeur avait fait cet achat pour une courte période, que cela avait sur lui une fonction de réadaptation et que, en bout de ligne, il lui a fallu l’aide de son frère pour accomplir les tâches physiques liées à la propriété de cet animal.
  5. (e) La division générale a commis une erreur de droit en citant la décision Mosher c. Canada (Ministre du développement des ressources humaines), 1998 CarswellNat 3409, comme étant une affaire aux circonstances analogues à celles du demandeur, alors que la Commission d’appel des pensions n’a pas pris en compte la « vraisemblance » ni s’est penchée sur l’invalidité du demandeur à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité, de sorte qu’elle n’a pas appliqué l’approche « réaliste » suivie dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, et D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95.
  6. (f) La division générale n’a pas correctement soupesé ni même reconnu un certain nombre de faits différents, dont le fait que l’intimé avait signifié à l’avance sa décision de ne pas être présent à l’audience devant la division générale tenue le 9 avril 2014, le fait que l’intimé avait reconnu, dans son explication de la décision faisant l’objet de l’appel au Tribunal de la sécurité sociale – section de la division générale – datée du 21 août 2013, que le demandeur pouvait, à cette date, être incapable de travailler et le fait que l’intimé avait reconnu que le demandeur avait eu un grave accident d’automobile et souffrait et continuait de souffrir de douleurs chroniques constantes au bas du dos et au talon. L’avocate plaide que cette dernière considération confirme que l’invalidité du demandeur est bel et bien prolongée. Elle affirme en outre que la division générale n’a pas accordé suffisamment d’importance à la preuve médicale qui confirmait que le demandeur souffrait d’une invalidité grave et prolongée.
  7. (g) La division générale a commis une erreur de droit en ne suivant pas Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c. Rice, 2002 CAF 47, et en s’attardant plutôt sur les facteurs socioéconomiques liés à l’emploi du demandeur au moment de l’accident de voiture du 2 mai 2008. L’avocate plaide que la Cour d’appel fédérale a statué que des facteurs socioéconomiques comme les conditions du marché de l’emploi n’étaient pas des facteurs pertinents pour évaluer l’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada.
  8. (h) La division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en ce qu’elle :
    • a [traduction] « admis d’office » que le demandeur n’était retourné à aucun emploi, au motif que l’industrie hippique avait décliné (bien qu’aucune preuve ne fût produite à l’appui d’une telle allégation) et malgré le fait que le demandeur ait indiqué, dans son témoignage, qu’un emploi lui était disponible à la ferme de chevaux de course de sa famille, pour autant qu’il fût capable de supporter les exigences physiques de cet emploi;
    • a estimé que les opinions médicales des Drs Doxey et Kumbhare établissaient que le demandeur avait la capacité de se recycler en vue de se trouver un emploi sédentaire ou un autre emploi.

[8]   L’intimé n’a pas déposé d’observations.

Analyse

[9] Avant qu’on puisse accorder une permission d’en appeler, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Dans Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 4, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si un demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[10] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Avant que je puisse lui accorder la permission d’en appeler, le demandeur doit me convaincre que ses motifs d’appel relèvent de l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’un de ces motifs au moins a une chance raisonnable de succès.

a) La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence?

[12] L’avocate plaide que la division générale a outrepassé sa compétence en refusant de prendre en considération et d’analyser toute décision de la Commission d’appel des pensions lui ayant été citée par l’avocate et, dans le même temps, en se fiant à une décision de 1988 de la Commission d’appel des pensions. L’avocate allègue que la division générale a déclaré qu’elle n’était pas obligée de suivre les décisions de la Commission d’appel des pensions.

[13] Bien que l’avocate range ce moyen dans la catégorie des questions de compétence, je ne partage pas ce point de vue. Si la division générale avait indiqué qu’elle n’avait pas compétence pour examiner toute jurisprudence de la Commission d’appel des pensions, cela aurait été une toute autre question. Mais en l’occurrence, elle s’est fiée à une décision de la Commission d’appel des pensions, si bien que l’on ne saurait dire qu’elle a refusé d’exercer sa « compétence » en refusant de prendre en considération et d’analyser toute décision de la Commission d’appel des pensions. Plutôt que d’assimiler cela à une question de compétence, il s’agissait plus vraisemblablement de savoir si la division générale avait considéré les décisions de la Commission d’appel des pensions comme ayant une valeur de précédent ou de persuasion.

[14] Bien qu’il y ait pu y avoir quelques ressemblances de fait entre ces affaires et la situation du demandeur, ces décisions auraient pu être d’une certaine utilité si la division générale avait effectué quelque analyse de la jurisprudence citée par l’avocate et en avait établi les distinctions avec l’affaire en instance, si cela avait été approprié, mais elle n’avait pas l’obligation de le faire. Dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a fait la remarque suivante :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).

[15] Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

b) La division générale a-t-elle commis une erreur en n’évaluant pas correctement l’invalidité du demandeur à la fin de la période minimale d’admissibilité?

[16] L’avocate plaide que la division générale a commis une erreur de droit en ne tranchant pas correctement la question de savoir si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée au moment où prenait fin [traduction] « la période minimale d’admissibilité comme telle, soit le 31 décembre 2008 », ou avant cette date.

[17] J’ignore quelle valeur il faudrait accorder à l’expression « comme telle », puisque les parties conviennent que le 31 décembre 2008 est la date de la fin de la période minimale d’admissibilité. Je crois comprendre que ce que dit l’avocate en formulant ses observations, c’est que la division générale aurait dû centrer son attention sur la preuve médicale au moment de la période minimale d’admissibilité.

[18] L’avocate du demandeur plaide que la division générale aurait dû conclure que le demandeur avait subi des blessures importantes après son accident d’automobile de mai 2008 et que, avant décembre 2008, le demandeur en était toujours [traduction] « aux premiers stades de la récupération », qu’il était [traduction] « essentiellement confiné à la maison » et qu’il avait besoin d’environ dix heures de soins hebdomadaires prodigués par un préposé, de divers appareils d’aide et d’environ 9 heures d’assistance ménagère par semaine, en plus d’une aide à l’entretien extérieur. L’avocate cite le rapport du chirurgien orthopédiste daté du 15 octobre 2009 comme preuve de l’invalidité grave du demandeur. Bien que l’évaluation du chirurgien orthopédiste ait été faite plusieurs mois après l’expiration de la période minimale d’admissibilité et que la fracture par compression de la deuxième lombaire (L2) avait alors guéri, il demeure que le demandeur souffrait de douleurs constantes et de restrictions. L’avocate affirme que si le demandeur continuait de ressentir ce degré de douleurs gravement incapacitantes et de restrictions, même après quelque amélioration, c’est qu’il était bel et bien atteint d’une invalidité grave en décembre 2008.

[19] L’avocate invoque l’arrêt D’Errico, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que la décision de la Commission d’appel des pensions était déraisonnable en ce que la Commission n’avait pas appliqué les normes juridiques applicables. Entre autres choses, la Cour d’appel a jugé que la Commission n’avait pas examiné « l’état de santé de la demanderesse à l’expiration de sa période minimale d’admissibilité aux prestations et ultérieurement. » Le juge Stratas a conclu que, de fait, la Commission avait mal ciblé son examen de la preuve en ce qu’elle avait seulement tenu compte de l’état de santé récent de la demanderesse.

[20] L’avocate cite aussi Woodward c. Canada (Ministre du Développement social), 2004 CarswellNat 6490 (CAP), pour soutenir que la période cruciale que la division générale aurait dû prendre en considération est celle ayant précédé la période minimale d’admissibilité. Dans cette affaire, la Commission d’appel des pensions s’est demandé si l’invalidité de l’appelante avait pu être « grave » à la date de fin de la période minimale d’admissibilité, vu qu’il ne faisait guère de doute que, comme sa leucémie lymphatique chronique avait progressé après l’expiration de la période minimale d’admissibilité, son invalidité s’était accentuée et son affection était indéniablement jugée « prolongée ».

[21] Dans l’affaire qui nous occupe, comme la période minimale d’admissibilité s’est terminée relativement peu de temps après l’accident d’automobile dans lequel le demandeur aurait subi des lésions traumatiques, il n’est pas invraisemblable qu’il ait continué d’éprouver des symptômes aigus à la date de fin de la période minimale d’admissibilité. Toutefois, nonobstant les observations de l’avocate selon lesquelles le demandeur était essentiellement confiné à la maison et avait besoin de soins auxiliaires et d’une aide pour les tâches domestiques, je note que la deuxième réévaluation ergothérapeutique du fonctionnement à domicile datée du 4 décembre 2008 indique que, en dehors des tâches de déneigement et de quelques limitations fonctionnelles permanentes, le demandeur n’avait, alors, plus besoin des soins d’un préposé ou d’une assistance pour les travaux ménagers.

[22] Je reconnais qu’un autre rapport ergothérapeutique d’évaluation du fonctionnement à domicile a été établi en juillet 2009, après qu’on eût déterminé que le demandeur avait besoin d’une certaine aide pour les tâches domestiques, y compris pour passer l’aspirateur, nettoyer la salle de bain, transporter des sacs d’épicerie lourds et effectuer les travaux d’entretien d’extérieur. Le demandeur a aussi été considéré comme ayant besoin d’autres appareils fonctionnels et services d’aide, dont une intervention psychologique et une intervention ergothérapeutique en juillet 2009 (page GT1-535). Un autre rapport de progression de l’ergothérapie a été établi en juillet 2011. D’autres recommandations d’intervention et de soutien ont été formulées (page GT1-571). Cependant, il est discutable d’affirmer qu’en décembre 2008, le demandeur est essentiellement resté confiné à la maison et recevait des soins auxiliaires et d’autres soins au vu de la deuxième réévaluation ergothérapeutique du fonctionnement à domicile datée du 4 décembre 2008.

[23] Au paragraphe 39 (à la page AD1-39) de ses observations, l’avocate affirme qu’il n’y avait aucune indication d’amélioration significative après l’expiration de la période minimale d’admissibilité. Elle soutient aussi que les lésions du demandeur [traduction] « s’étaient aggravées » (paragraphe viii) de la page AD1-42). C’était peut-être le cas, mais la principale question ici est de savoir si la division générale a évalué l’invalidité du demandeur à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité. Le demandeur m’a convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

c) La division générale a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas enquête sur la question de savoir si le demandeur était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur?

[24] L’avocate plaide que la division générale a commis une erreur de droit en concluant que le demandeur était capable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur sans avoir [traduction] « réellement fait une enquête appropriée et requise sur la question de savoir si le [demandeur] était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. »

[25] L’avocate énonce le critère applicable que, selon elle, la division générale aurait dû examiner comme étant celui de savoir [traduction] « si le demandeur était régulièrement capable de détenir un emploi véritablement rémunérateur. » C’est mal énoncer le critère applicable. L’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada définit l’invalidité comme une invalidité physique ou mentale grave et prolongée et stipule qu’une personne est déclarée atteinte d’une invalidité grave si cette invalidité la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La distinction entre les deux peut sembler minime, mais elle est significative. Le critère applicable n’est pas de savoir si un demandeur est capable, mais bien de savoir s’il est incapable. Il s’agit là d’un critère plus exigeant auquel un demandeur doit satisfaire. La division générale a correctement énoncé le critère relatif à la gravité au début (paragraphe 7) de la décision.

[26] Même si le critère applicable avait été correctement énoncé, je trouve que cette observation est quelque peu ambiguë et n’entre pas suffisamment dans le détail pour me permettre de déterminer comme il se doit s’il y a lieu d’accorder la permission d’en appeler. Là encore, le demandeur et son avocate auraient dû fournir plus de détails sur l’enquête que, selon l’avocate, la division générale aurait dû effectuer ainsi que sur la façon dont la division générale a pu omettre de faire enquête sur la question de savoir si le demandeur était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[27] Le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

d) La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a évalué l’invalidité du demandeur en se concentrant sur son achat d’un cheval?

[28] L’avocate plaide que la division générale a commis une erreur de droit en ne tranchant pas correctement la question de savoir si le demandeur était atteint d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité et s’est plutôt concentrée sur le fait que le demandeur avait fait l’achat d’un cheval pour motiver sa conclusion qu’il ne répondait pas au critère juridique applicable à la déclaration d’admissibilité au bénéfice d’une pension d’invalidité.

[29] L’avocate plaide en outre que la division générale a commis une erreur en assimilant à une capacité l’achat d’un cheval par le demandeur plusieurs années après l’expiration de la période minimale d’admissibilité, sans tenir compte du fait que le demandeur avait fait cet achat pour une courte période, que cela avait sur lui une fonction de réadaptation et que, en bout de ligne, il lui a fallu l’aide de son frère pour accomplir les tâches physiques liées à la propriété de cet animal.

[30] L’analyse et l’évaluation que la division générale a faites de la gravité de l’invalidité du demandeur portaient sur de nombreux aspects sans lien avec l’achat d’un cheval. Quoi qu’il en soit, la mention de l’achat et de la propriété du cheval a été faite pour déterminer si cela pouvait équivaloir à la détention d’une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur ne m’a pas convaincue que ce moyen conférait à l’appel une chance raisonnable de succès.

e) La division générale a-t-elle commis une erreur en suivant Mosher et en n’appliquant pas Villani?

[31] L’avocate plaide que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a suivi Mosher sans effectuer l’analyse du contexte « réaliste » qui est faite dans les arrêts Villani et D’Errico.

[32] Lorsque l’on examine la décision de la division générale, on constate cependant qu’elle a bel et bien appliqué Villani. Premièrement, la division générale a fait mention de l’arrêt Villani au paragraphe 45 de sa décision et, deuxièmement, elle semble avoir procédé à l’analyse que commande Villani lorsqu’elle a écrit ce qui suit au paragraphe 46 :

[Traduction]

L’appelant était âgé de 42 ans à la date de la fin de la PMA. Il participait pleinement à un secteur soumis à la concurrence et était capable d’acquérir de nombreuses compétences dans le domaine. Il possède des aptitudes linguistiques ainsi que la capacité et l’intelligence nécessaires pour acquérir de nouvelles compétences. Il possède des compétences transférables et ses antécédents d’emploi et son expérience de la vie lui sont une bonne base pour occuper un autre emploi.

[33] Comme la division générale semble avoir tenu compte des circonstances ou caractéristiques personnelles du demandeur, je me serais attendue à ce que l’avocate fasse des observations plus détaillées qu’une simple déclaration générale de non-application de Villani.
Le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

f) La division générale a-t-elle commis une erreur dans le poids qu’elle a attribué à la preuve?

[34] L’avocate plaide que la division générale n’a pas correctement soupesé ni même reconnu un certain nombre de faits différents, dont les suivants :

  1. i. L’intimé avait signifié à l’avance sa décision de ne pas être présent à l’audience devant la division générale tenue le 9 avril 2014;
  2. ii. L’intimé avait reconnu, dans son explication de la décision faisant l’objet de l’appel au Tribunal de la sécurité sociale – section de la division générale – datée du 21 août 2013, que le demandeur pouvait, à cette date, être incapable de travailler; and
  3. iii. L’intimé avait reconnu que le demandeur avait eu un grave accident d’automobile et souffrait et continuait de souffrir de douleurs chroniques constantes au bas du dos et au talon.

[35] L’avocate plaide que la division générale a omis de noter que l’intimé n’était pas présent à l’audience ou que le demandeur avait formulé des préoccupations concernant l’explication que l’intimé avait fournie de la décision faisant l’objet de l’appel devant la division générale.

[36] L’avocate soutient en outre que la division générale n’a pas accordé l’importance voulue à la preuve médicale qui confirmait que le demandeur souffrait d’une invalidité grave et prolongée. Elle précise que la division générale a accordé un poids insuffisant au rapport d’ambulance et aux dossiers des urgences, à diverses images diagnostiques et aux dossiers médicaux émanant de divers médecins.

[37] L’avocate soutient que si la division générale avait reconnu ces faits et leur avait attribué l’importance voulue, cela aurait eu une certaine influence sur l’issue de l’instance.

[38] L’avocate prétend que cette dernière considération confirme que l’invalidité du demandeur était bel et bien prolongée et que si la division générale avait accordé un poids approprié à ce fait, elle aurait conclu que l’invalidité du demandeur était prolongée.

[39] Comme je l’ai mentionné précédemment, la Cour suprême du Canada a statué qu’un décideur n’a pas besoin d’inclure tous les arguments, précédents ou autres détails : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor). Et la Cour d’appel fédérale a refusé d’intervenir dans le poids qu’un décideur accorde à la preuve qui lui est soumise, statuant que cela « relève du juge des faits. » (Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82). Il relevait manifestement de la compétence de la division générale de déterminer le poids à accorder à la preuve lui ayant été présentée. Je ne vois aucun fondement ni pouvoir qui permettrait à la division d’appel d’intervenir dans cette attribution de force probante. Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

g) La division générale a-t-elle omis de suivre Rice?

[40] L’avocate plaide que la division générale n’a pas suivi Rice, se concentrant sur les facteurs socioéconomiques liés à l’emploi du demandeur au moment de l’accident d’automobile du 2 mai 2008, alors que la Cour d’appel fédérale a statué que des facteurs socioéconomiques comme les conditions du marché du travail ne sont pas des facteurs pertinents pour déterminer l’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Au paragraphe 8 de cet arrêt, le juge Rothstein (plus tard juge à la Cour suprême du Canada) a écrit ce qui suit :

Toutefois, comme il a été indiqué ci-dessus, nous aimerions profiter de l’occasion pour souligner qu’en fait, comme l’a fait valoir le ministre, des facteurs socioéconomiques comme les conditions du marché du travail ne sont pas pertinents dans une décision visant à déterminer si une personne est invalide aux termes du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

[41] La division générale a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le [demandeur] a acheté un cheval de course et, comme l’a mentionné le Dr Doxey, cette occupation planifiée peut ne pas être rentable en raison des coûts associés à l’embauche de travailleurs manuels. Le fait que cette tentative n’ait pas été rentable n’est pas un facteur déterminant de l’existence d’une invalidité grave et prolongée. […] La rentabilité des chevaux de course repose sur leurs résultats, ce qui peut être lucratif ou peut ne donner aucune rétribution économique.

[42] Bien que la division générale ait pu faire mention de considérations financières quant à la propriété de chevaux et aux activités s’y rapportant, elle a clairement dit qu’il s’agissait là de facteurs non pertinents pour déterminer si le demandeur était invalide au sens du Régime de pensions du Canada lorsqu’elle a écrit : [traduction] « Le fait que cette tentative n’ait pas été rentable n’est pas un facteur déterminant de l’existence d’une invalidité grave et prolongée. » Le demandeur ne m’a pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

h) La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées?

i. Le secteur hippique

[43] L’avocate plaide que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, en l’occurrence que le demandeur n’était retourné à aucun emploi au motif que la rentabilité du secteur hippique avait décliné, et ce, en l’absence d’une quelconque preuve à l’appui d’une telle allégation. Elle soutient qu’il n’a pas non plus été tenu compte du fait que, pour autant que le demandeur fût capable d’en supporter les éventuelles exigences physiques, un emploi lui était disponible à la ferme d’élevage de chevaux de sa famille.

[44] Il importe peu que la division générale ait fait mention d’autres facteurs sous-tendant ce qu’elle percevait être chez le demandeur comme un manque de motivation à occuper un autre emploi ou détenir une occupation véritablement rémunératrice hors de l’industrie des courses de chevaux. Par exemple, au paragraphe 34 de sa décision, la division générale a trouvé que le demandeur était d’avis qu’il lui serait difficile de s’adapter au rôle d’un employé, que l’attrait/l’animation des courses de chevaux lui manquerait et qu’il n’avait pas beaucoup d’entregent. Il est suffisant de faire valoir une chance raisonnable de succès si la division générale a effectivement fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le paragraphe 34 ne renvoie ni ne fait aucune allusion à la rentabilité de l’industrie des courses de chevaux. Bien que la division générale ait parlé de la dimension économique du secteur hippique, elle l’a fait dans le contexte de la question de savoir si cela pouvait être assimilé à une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

ii. Emploi sédentaire

[45] L’avocate n’a pas, dans ses motifs de demander la permission d’en appeler (aux pages AD1-26 à AD1-30), allégué que la division générale avait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, mais elle fait cette allégation dans ses motifs d’appel (à la page AD1-49), en disant qu’aucun des docteurs ayant évalué le demandeur, y compris les Drs Kumbhare et Dunlop, n’avait recommandé le recyclage et qu’ils étaient d’avis que le demandeur ne pouvait retourner travailler et qu’ils ne l’avaient pas libéré de leurs soins pour qu’il retourne travailler. Au paragraphe 39 de sa décision, la division générale a mentionné l’opinion du Dr Doxey selon laquelle le recyclage pourrait être préférable à un emploi dans le secteur hippique non rentable. Au paragraphe suivant, la division générale a cité l’opinion médicale du Dr Kumbhare selon laquelle le demandeur n’est pas capable d’occuper tout type d’emploi pour lequel il n’a pas été formé et acquis de l’expérience. La division générale a déduit de ces deux opinions médicales que le demandeur avait la capacité de se recycler pour exercer un emploi ou une occupation sédentaire ne faisant pas partie du domaine des courses de chevaux.

[46] Le Dr Doxey a préparé un rapport médico-légal daté du 20 mars 2012. Fait significatif, le Dr Doxey est un psychologue clinicien. Bien qu’il ait écrit que [traduction] « le recyclage pour embrasser une nouvelle carrière pourrait être préférable à la détention de l’occupation prévue, » hormis le fait que le Dr Doxey n’est pas qualifié pour se prononcer sur les capacités physiques d’une personne, le Dr Doxey n’a pas formulé d’opinions, dans son rapport, sur la capacité physique du demandeur à exercer un emploi sédentaire. Le fait que le Dr Kumbhare ait indiqué que le demandeur était incapable d’exercer tout type d’emploi pour lequel il n’avait pas été formé et acquis de l’expérience ne milite pas non plus en faveur d’une conclusion à la capacité du demandeur d’occuper un emploi sédentaire ou autre. Bien qu’il y ait pu y avoir d’autres fondements à la lumière desquels la division générale en est arrivée à la conclusion que le demandeur avait la capacité de se recycler en vue d’exercer un emploi sédentaire ou un autre emploi, il semble que la division générale se soit fiée aux opinions des Drs Doxey et Kumbhare pour tirer ces conclusions.

[47] Compte tenu de ces considérations, l’avocate m’a convaincue qu’il y avait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

Appel

[48] Les questions que les parties pourraient vouloir aborder en appel comprennent les suivantes :

  1. a) Quel degré de déférence la division d’appel doit-elle avoir à l’endroit de la division générale?
  2. b) Compte tenu des moyens sur lesquels la permission d’en appeler a été accordée, la division générale a-t-elle commis les erreurs de droit alléguées ou fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle aurait tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  3. c) Compte tenu des moyens sur lesquels la permission d’en appeler a été accordée, quelle est la norme de contrôle applicable et quel est l’éventuel redressement approprié?

[49] J’invite les parties à présenter aussi des observations sur le mode d’audience (c.-à-d. si cela devrait se faire par téléconférence, par vidéoconférence, par d’autres moyens de télécommunications, en personne ou au moyen de questions et réponses par écrit), de même que sur l’éventuel délai à leur impartir pour présenter ces observations.

Conclusion

[50] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[51] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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