Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

T. R. : appelante

Cheryl Chrysdale : représentante de l’appelante

Allison Schmidt : observatrice

Introduction

[1] L’intimé a estampillé la demande de pension d’invalidité de l’appelante au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) le 7 novembre 2011. L’intimé a rejeté la demande au stade initial ainsi qu’après réexamen. L’appelante a interjeté appel de la décision en réexamen devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR) et le présent appel a été transféré au Tribunal en avril 2013.

[2] Le présent appel a été instruit par vidéoconférence pour les motifs suivants :

  1. les audiences peuvent être tenues par vidéoconférence dans la région où habite l’appelante;
  2. les questions faisant l’objet de l’appel ne sont pas complexes;
  3. il y avait de l’information manquante ou il était nécessaire d’obtenir des précisions;
  4. le mode d’audience respecte l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’audience doit se dérouler de la manière la plus informelle et la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[3] Conformément à l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, tout appel interjeté devant le BCTR avant le 1er avril 2013 et qui n’a pas été instruit par le BCTR est réputé avoir été déposé auprès de la division générale du Tribunal.

[4] L’alinéa 44(1)b) du RPC énonce les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à la pension d’invalidité, le demandeur doit :

  1. a) être âgé de moins de 65 ans;
  2. b) ne pas toucher de pension de retraite du RPC;
  3. c) être invalide;
  4. d) avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

[5] Le calcul de la PMA est important puisqu’une personne doit établir qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de sa PMA ou avant cette date.

[6] L’alinéa 42(2)a) du RPC définit l’invalidité comme étant une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongée. Une personne est réputée être atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une rémunération véritablement rémunératrice. L’invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

Question en litige

[7] Le Tribunal conclut que la PMA a pris fin le 31 décembre 2010.

[8] En l’espèce, le Tribunal doit déterminer si l’appelante était vraisemblablement atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date de fin de la PMA ou avant cette date.

Contexte

[9] L’appelante était âgée de 36 ans à la fin de la PMA, soit le 31 décembre 2010; elle a maintenant 41 ans. Après avoir terminé sa 12e année, elle a travaillé comme femme de ménage pendant deux ans et a ensuite travaillé en gestion immobilière pendant dix ans; elle a commencé à titre d’administratrice d’immeuble et a gravi les échelons pour devenir gestionnaire immobilière de trois immeubles d’habitation. Elle n’a pas travaillé depuis décembre 2008 et reçoit des prestations d’invalidité de longue durée (ILD) de l’Industrielle Alliance.

Documents relatifs à la demande

[10] Dans son Questionnaire relatif au RPC, estampillé le 7 novembre 2011 par l’intimé, l’appelante a indiqué qu’elle avait terminé sa 12e année et avait travaillé pour la dernière fois à titre de gestionnaire immobilière pour DMS Property Management Ltd. d’octobre 2005 à décembre 2008; elle a souligné qu’elle avait cessé de travailler parce qu’elle était malade. Elle a déclaré avoir été invalide à partir du mois de décembre 2008 parce qu’elle souffrait de polyarthrite rhumatoïde dans les deux mains.

[11] Un rapport du Dr Moquin daté du 4 octobre 2011, le médecin de famille de l’appelante, accompagnait la demande du RPC. Le rapport renfermait un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde et d’hypothyroïdie. Les conclusions du rapport sont les suivantes : importantes modifications inflammatoires permanentes au niveau des articulations interphalangiennes (IP) et métacarpophalangiennes (MCP) dans les deux mains, malgré un traitement médical agressif d’injections de stéroïdes dans les articulations; douleur chronique; fatigue chronique; motricité fine limitée en raison d’une déformation des mains causée par la polyarthrite rhumatoïde. Le rapport indique que les médicaments ont permis de maîtriser la douleur et l’inflammation, et que les injections de stéroïdes dans les articulations n’ont pas aidé. Le pronostic indique que l’on ne prévoit aucune amélioration de la déformation des articulations, que l’on s’attend à une certaine détérioration de la déformation et qu’il y aura des limitations dans le fonctionnement avec le temps étant donné que la polyarthrite rhumatoïde se manifeste souvent par des [traductions] « poussées ».

Témoignage de vive voix

[12] L’appelante a fait un compte rendu de ses études et de ses antécédents professionnels. Son travail à titre de gestionnaire immobilière consistait à gérer trois tours d’habitation. Il comprenait des tâches de bureau et des inspections. Elle faisait le travail de bureau, percevait les loyers, envoyait des avis et se chargeait des inspections d’immeubles. Le jour de son 30e anniversaire, elle a commencé à ressentir les premiers symptômes. À l’heure du dîner, ses mains étaient enflées et on a dû couper ses bagues; elle ne pouvait même pas saisir une assiette. On lui a diagnostiqué une polyarthrite rhumatoïde et de l’arthrose et elle a d’abord ressenti des symptômes dans les mains, les poignets, les pieds et l’épaule.

[13] Elle a cessé de travailler en 2008 à cause de la douleur chronique, de la fatigue chronique, de l’enflure, d’engourdissements et de picotements dans les mains et les poignets. Elle avait de la difficulté à se rendre au travail à l’heure et à y rester toute la journée … elle était physiquement et mentalement épuisée … elle pleurait tout le temps … certains matins, elle ne parvenait même pas à se bR.er les dents. Elle ne pouvait pratiquement pas bouger les mains et les doigts; ses mains devenaient enflées, douloureuses et engourdies après avoir travaillé sur le clavier pendant 5 à 10 minutes; elle ne pouvait pas écrire pendant très longtemps; elle devait utiliser le haut-parleur du téléphone, sauf pour les conversations confidentielles; elle avait de la difficulté à prendre et à classer les documents; elle devait parfois quitter le travail plus tôt parce qu’elle ressentait de la fatigue et une douleur aiguë. Le Dr Moquin, son médecin de famille, lui a dit qu’elle devait arrêter de travailler en raison de sa douleur et de sa fatigue chroniques.

[14] Elle a commencé à consulter le Dr Collins, rhumatologue, en 2007. Mme Chrysdale a renvoyé le Tribunal au rapport du 26 novembre 2008 du Dr Collins qui fait référence à un [traduction] « défaut de programme ». L’appelante a déclaré que ce terme faisait référence à la méthotrexate qui cause des dommages au foie et au Plaquenil qui n’avaient aucun effet bénéfique. Le Dr Collins a essayé différents médicaments, mais ceux-ci n’ont jamais donné de résultats. Mme Chrysdale a aussi renvoyé le Tribunal au rapport du 16 décembre 2009 du Dr Collins qui indique que l’appelante était fatiguée, qu’elle avait de l’enflure et était au bord des larmes. Mme Chrysdale a aussi renvoyé le Tribunal au rapport du 17 septembre 2010 du Dr Moquin qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Mme R. souffre de polyarthrite rhumatoïde déformante et active. Ses mains sont les articulations qui sont principalement touchées. Elle ressent une douleur marquée accompagnée d’enflure qui est pire le matin et lorsque l’humidité augmente. Elle a décrit une douleur constante et intense qui se situe à 8 sur 10 sur l’échelle de douleur. Elle ressent aussi une importante douleur au poignet. La douleur constante a contribué à sa fatigue et à son manque d’énergie. » L’appelante a indiqué qu’elle est toujours fatiguée physiquement et mentalement et qu’en raison de sa douleur chroniqe et de la fatigue elle doit [traduction] « espacer et limiter » ses tâches et activités quotidiennes. Elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « la douleur est intolérable et épuisante …elle est terrible … parfois je ne sens pas bien mes doigts et j’utilise de l’eau chaude pour essayer de rétablir la sensation ... je ne dors pas bien … parfois je ne peux même pas replier les draps ».

[15] Elle consulte le Dr Samadi, rhumatologue, depuis 2013. Elle voit le Dr Samadi tous les trois ou quatre mois pour son analyse de sang, des radiographies et ses ordonnances. Il prend maintenant de la prednisone et de la sulfasalazine. La prednisone l’aide à réduire l’inflammation, mais une dose trop forte peut entraîner de graves effets secondaires. Elle en prend 5 mg chaque jour et le Dr Samadi augmente parfois la dose à 15 ou 20 mg si elle a une [traduction] « poussée », mais il doit ensuite ramener la dose à 5 mg. Ses poussées surviennent en moyenne une fois par mois; ses mains deviennent si chaudes qu’elle a l’impression que sa peau va se déchirer. Les poussées peuvent durer entre deux jours et une semaine. Elle ressent constamment une douleur aiguë dans les mains et les poignets.

[16] L’appelante a affirmé que son état était le même depuis 2010 et qu’aucun des médicaments n’avait amélioré son état. Les médecins hésitent à lui prescrire des médicaments biologiques parce qu’il y a des cas de sclérose musculaire dans sa famille. Elle a été dirigée vers un chirurgien qui lui a dit que la chirurgie n’était pas recommandée dans son cas. Mme Chrysdale a renvoyé le Tribunal au rapport du 26 octobre 2010 du Dr Thorne qui indique que l’appelante serait peut-être en mesure d’effectuer un travail non physique dans la nouvelle année. L’appelante a affirmé qu’elle ne sait pas à quoi le Dr Thorne pouvait avoir envisagé et qu’il voulait lui donner des injections de méthotrexate, mais que son médecin de famille le lui avait déconseillé parce que le méthotrexate endommageait son foie, et que les injections aggraverait son état. L’appelante a dit qu’elle n’était pas en mesure de retourner au travail parce qu’elle n’avait vu aucune amélioration.

[17] L’appelante a témoigné que ses deux poignets sont semblables; toutefois, son poignet droit est plus enflé, et elle est droitière. Quand elle a une bonne journée, elle peut faire des tâches de précisions avec les mains pendant 10 à 15 minutes. Elle est très limitée quand vient le temps d’écrire ou de taper à l’ordinateur; elle ne peut pas manipuler les fermetures éclair ou les boutons, et elle a de la difficulté à peigner ses cheveux, à tenir un livre et à mettre ses chaussettes. Parfois, elle a besoin de ses deux mains pour verser du café dans une tasse; elle évite les lacets et a de la difficulté à mettre son soutien-gorge. Elle échappe constamment des objets et a dit que le soir précédent elle avait échappé et cassé un verre pendant qu’elle essayait de le remplir – elle a échappé de la vaisselle, une bouteille d’eau, des livres et même un papier-mouchoir. Les mauvais jours (soit cinq jours par semaine), elle reste au lit plus longtemps, elle ne peut pas se bR.er les dents lorsqu’elle se lève, elle ne peut pas presser le tube de dentifrice et ne peut pas tirer les draps. Elle a affirmé : [traduction] « j’ai essayé la glace et la chaleur, les onguents, le Tylenol, l’aspirine… rien ne marche ». Elle souffre de raideurs matinales et certains jours ne peut même pas bouger ses mains le matin. Récemment, sa douleur à l’épaule s’est accentuée et sa douleur au pied a empiré.

[18] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne pouvait pas travailler plus près de chez elle, l’appelante a déclaré : [traduction] « Je ne serais pas une employée fiable ou digne de confiance […] J’ai des poussées et je ressens constamment une douleur et de la fatigue chroniques […] Je ne peux pas dire comment je me sentirai dans dix minutes […] parfois je ne peux même pas me lever le matin et m’habiller ou me bR.er les dents ».

Preuve médicale

[19] Le Tribunal a examiné soigneusement toute la preuve médicale figurant dans le dossier d’audience. Les extraits suivants sont ceux que le Tribunal estime les plus pertinents.

[20] Le dossier renferme des rapports du Dr Collins datés du 26 novembre 2008 jusqu’au 26 avril 2011. Le rapport daté du 26 novembre 2008 indique qu’elle souffre d’arthrite inflammatoire, d’ANA (auto-anticorps antinucléaires) 1/640, de facteur rhumatoïde positif, d’arthrose et d’une élévation des transaminases liée au méthotrexate. Le rapport daté du 17 novembre 2010 indique ce qui suit : l’appelante a fait l’objet de nombreux essais thérapeutiques, la sulfasalazine étant la meilleure solution jusqu’à maintenant, avec une augmentation de la dose, les injections aux articulations n’étant pas utiles, avons parlé d’injections aurothiomalate de sodium ou de produits biologiques, différé. Le rapport daté du 26 avril 2011 indique qu’il n’y a eu aucun changement dans l’état de santé général ou les médicaments de l’appelante.

[21] Le 13 janvier 2009, le Dr Tebbut, interniste, a indiqué qu’une étude du sommeil a révélé un très léger problème sous-jacent de respiration pendant le sommeil qu’il croyait ne pas être lié à sa polycythémie.

[22] Le 30 janvier 2009, le Dr Nay, hématologue, a indiqué que la polycythémie de l’appelante n’était pas causée par une anomalie hématologique primaire, mais était probablement secondaire et pouvait être empirée par son tabagisme. Il a ensuite indiqué qu’elle n’était pas atteinte de polycythémie primaire.

[23] Le 17 septembre 2010, le Dr Moquin a signalé à l’Industrielle Alliance que l’appelante souffrait de polyarthrite rhumatoïde déformante et active et que ses mains étaient les articulations qui étaient principalement touchées. Le Dr Moquin a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Veuillez noter que ces restrictions sont limitées à l’usage de ses mains. La patiente est incapable d’ouvrir des bocaux. Elle a de la difficulté à se bR.er les dents et les cheveux et à utiliser des ustensiles. Elle est incapable de saisir le volant de sa voiture sans ressentir une grande douleur et une raideur. Elle a du mal à tirer les draps du lit sur ses épaules. Elle a une tolérance nettement réduite à accomplir ses activités quotidiennes et ses tâches ménagères courantes. En plus de la douleur et de la raideur, cette jeune femme est de plus en plus frustrée en raison de sa maladie articulaire active. Elle dort mal et se plaint de fatigue chronique et persistante. Tant que sa maladie articulaire active ne sera pas maîtrisée par une thérapie efficace, elle ne peut continuer à occuper aucun emploi. Je ne peux émettre aucun pronostic quant à la durée de ses symptômes invalidants. Certes, le plan de traitement du Dr Carter Thorne, établi à la suite de son évaluation d’octobre, en atteste.

[24] Le 7 octobre 2010, le Dr Thorne, médecine interne et rhumatologie, a évalué l’appelante pour une arthrite atypique. Le Dr Thorne était d’avis que l’appelante présentait les symptômes d’une arthrite inhabituelle et qu’elle avait des modifications hypertrophiques au niveau des articulations enflées comme l’on pourrait observer dans le cas d’une arthrite séronégative par opposition à une arthrite séropositive. Le 20 octobre 2010, le Dr Thorne a indiqué qu’il allait prescrire à l’appelante du méthotrexate.

[25] Le 26 octobre 2010, le Dr Thorne a indiqué que l’appelante souffrait d’une arthrite inflammatoire persistante qui limite sa capacité de retourner au travail. Le Dr Thorne a ajouté qu’il ne savait pas exactement en quoi consistait le travail de gestionnaire immobilière de l’appelante et qu’elle allait peut-être pouvoir faire un travail non physique dans la nouvelle année.

[26] Un rapport du Dr Moquin daté du 8 septembre 2014 accompagnait la deuxième demande de prestations d’invalidité présentée le 27 novembre 2014, qui a été mise en suspens. Ce rapport renfermait un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde et de thyroïdite de Hashimoto. Les conclusions pertinentes sont la douleur et la fatigue chroniques, une arthrite prononcée aux articulations des mains qui compromet la motricité fine et la préhension ainsi que des poussées récurrentes de son arthrite active. Le pronostic indiquait que l’on ne s’attendait à aucun changement dans la détérioration érosive des articulations des mains, mais que l’on prévoyait des poussées récurrentes aggravant la déformation articulaire.

Observations

[27] Mme Chrysdale a soutenu que l’appelante est admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. les déformations causées par l’arthrite rhumatoïde sont permanentes et douloureuses, et l’empêchent de détenir une occupation rémunératrice;
  2. elle souffre depuis longtemps de problèmes invalidants, notamment une douleur aiguë chronique, l’enflure et la fatigue chronique;
  3. les tâches les plus simples lui demandent un énorme effort et elle ne pourrait pas être une employée régulière et fiable;
  4. bien qu’elle soit jeune et que ses compétences soient transférables, ses problèmes de santé l’empêchent d’utiliser ses compétences.

[28] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. bien que l’appelante souffre de modifications arthritiques dans les mains, elle a encore une bonne force de préhension et les radiographies n’ont révélé qu’une légère atteinte articulaire;
  2. elle est jeune et a fait des études secondaires; il est donc raisonnable de s’attendre à ce qu’elle puisse faire un travail qui lui convient, que ce soit à temps plein ou à temps partiel;
  3. bien que l’appelante soit atteinte d’une maladie chronique qui peut être marquée par de périodes de rémission et d’exacerbation et qui nécessite un traitement à long terme, la preuve n’écarte pas tout type d’emploi.

Analyse

[29] L’appelante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2010 ou avant cette date.

Invalidité grave

[30] Les exigences auxquelles il faut satisfaire pour être admissible à une pension d’invalidité figurent au paragraphe 42(2) du RPC, selon lequel une invalidité doit être à la fois « grave » et « prolongée ». Une invalidité n’est « grave » que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une personne doit non seulement être incapable d’occuper son emploi habituel, mais également tout emploi qu’il aurait été raisonnable de s’attendre qu’elle occupe. Une invalidité n’est « prolongée » que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décès.

Principes directeurs

[31] Les affaires suivantes ont fourni au Tribunal des repères et l’ont aidé à trancher les questions faisant l’objet du présent appel.

[32] Il incombe à l’appelante d’établir selon la prépondérance des probabilités que le 31 décembre 2010, ou avant cette date, elle était invalide au sens de la définition. Le critère de la gravité doit être évalué dans un « contexte réaliste » : Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248. Le Tribunal doit prendre en compte des facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de la vie d’une personne pour déterminer son [traduction] « employabilité » à l'égard de son invalidité.

[33] Il faut tenir compte de tous les handicaps possibles de l’appelante qui peuvent nuire à son employabilité, et non seulement des plus gros handicaps ou du handicap principal : Bungay c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47. Même si chacun des problèmes médicaux de l’appelante, pris séparément, pourrait ne pas entraîner une invalidité grave, l’effet combiné des diverses afflictions peut rendre l’appelante gravement invalide : Barata c. MDRH (17 janvier 2001) CP 15058 (CAP).

[34] L’appelante ne doit pas seulement démontrer qu’elle a un grave problème de santé, mais lorsqu’il est établi qu’il y a des preuves de capacité au travail, elle doit établir que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé : Inclima c. Canada (Procureur général) 2003 CAF 117. Toutefois, s’il n’y a aucune capacité de travail, il n’y a aucune obligation de démontrer des efforts pour trouver un emploi. L’incapacité peut être démontrée de différentes façons; par exemple, elle peut être établie au moyen de la preuve selon laquelle l’appelante serait incapable de toute activité exigée par un emploi : C.D. c. MDRH (18 septembre 2012) CP27862 (CAP).

[35] On ne s’attend pas à ce que l’appelante trouve un employeur philanthrope, coopératif et souple qui soit prêt à lui offrir des mesures d’adaptation pour accommoder ses invalidités. L’expression « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice », contenue dans le RPC, fait intervenir la capacité de l’appelante de se rendre sur les lieux de travail chaque fois et aussi souvent qu’elle doit le faire; cette possibilité est la condition essentielle de la régularité : MDRH c. Bennett (10 juillet 1997) CP 4757 (CAP).

Application des principes directeurs

[36] L’appelante a présenté une preuve crédible et franche, qui décrit ses maladies invalidantes et à quel point elles affectent sa vie et sa capacité de travailler. Elle a bien relaté la chronologie des événements et n’a semblé exagérer ses symptômes d’aucune manière. Par ailleurs, son témoignage de vive voix était compatible avec l’abondante preuve médicale et appuyé par celle-ci, preuve qui confirme la nature prolongée de ses troubles de santé et que ceux-ci ont résisté aux traitements. D’après la preuve médicale, il est évident que l’appelante a exploré avec diligence toutes les options de traitement raisonnables et s’y est soumise.

[37] La principale invalidité de l’appelante concerne ses limitations à utiliser ses deux mains. Ces limitations rendent difficile l’accomplissement des tâches quotidiennes ainsi que de simples tâches administratives. À cet égard, le Tribunal se fonde non seulement sur le témoignage oral de l’appelante, mais aussi sur les rapports médicaux du Dr Moquin datés du 17 septembre 2010 (voir les paragraphes 14 et 23, ci-dessus), du Dr Collins (voir le paragraphe 20, ci-dessus) et du Dr Thorne (voir les paragraphes 24 et 25, ci-dessus) qui confirment que ses maladies invalidantes étaient graves avant la fin de la PMA. Les rapports du Dr Moquin datés du 4 octobre 2011 (voir le paragraphe 11, ci-dessus) et du 8 septembre 2014 (voir le paragraphe 26, ci-dessus) confirment qu’il n’y a eu aucune amélioration.

[38] Le Tribunal a aussi tenu compte de l’effet cumulatif de tous les problèmes de santé de l’appelante, notamment la douleur et la fatigue chroniques, l’engourdissement et l’enflure, la motricité fine limitée dans les deux mains, les problèmes de sommeil et la difficulté à se concentrer ainsi que les effets secondaires des nombreux médicaments que l’appelante doit prendre pour maîtriser sa douleur. Comme il est énoncé dans les décisions Bungay et Barata, précitées, l’effet cumulatif de tous les problèmes de santé de l’appelante doit être pris en compte. Le Tribunal a aussi tenu compte de la nature imprévisible des symptômes de l’appelante et convient avec Mme Chrysdale que l’appelante ne pourrait pas être une employée régulière et fiable. Comme on l’a précisé dans la décision Bennett, précitée, la « prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement ».

[39] Le Tribunal s’est fondé sur la décision de la Commission d’appel des pensions (CAP) intitulée Giakoumatos c. MDRH (26 septembre 2000), CP 08884 (CAP). Dans cette décision, la CAP a déterminé qu’un ancien cuisinier âgé de 43 ans était atteint d’une invalidité grave principalement parce qu’il pouvait utiliser ses deux mains de façon très limitée.

[40] Dans cette affaire, l’appelant, qui souffrait du syndrome du canal carpien et de problèmes au muscle pronateur, « a mentionné que son épouse noue ses cravates, boutonne ses chemises et ses manches puisqu'il ne peut accomplir ces simples tâches lui-même. Il ne peut se laver la tête et il laisse souvent tomber des tasses à cause de son invalidité. […] Il a aussi déclaré qu'il lui a fallu dix jours pour peindre une porte de garage. Il affirme ne pouvoir écrire que deux ou trois chèques à la fois. Il a conclu en disant qu'il ne peut accomplir quelque travail que ce soit. »

[41] Le Tribunal admet que chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres et que les décisions de la CAP peuvent aider le Tribunal, mais ne le lient pas; toutefois, le Tribunal a conclu que les limitations de l’appelant dans l’affaire Giakoumatos étaient semblables à celles de la présente instance et s’est inspiré de cette décision.

[42] Le Tribunal reconnaît que l’appelante est très jeune et qu’elle possède des compétences transférables; toutefois, elle n’a pas pu conserver son emploi précédent de gestionnaire immobilière qui n’était pas exigeant physiquement en raison de sa douleur et de sa fatigue chroniques. Le Tribunal partage le point de vue de Mme Chrysdale : les problèmes de santé de l’appelante l’empêchent d’utiliser ses compétences dans le cadre de tout emploi véritablement rémunérateur.

[43] Le Tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante est atteinte d’une invalidité grave selon les critères du RPC.

Invalidité prolongée

[44] Comme il a conclu que l’invalidité de l’appelante est grave, le Tribunal doit aussi se prononcer sur le caractère prolongé de l’invalidité.

[45] Les conditions invalidantes de l’appelante persistent depuis de nombreuses années et, malgré un traitement de longue durée et continu, elles sont réfractaires au traitement.

[46] L’invalidité de l’appelante est longue et continue, et il n’y a aucune possibilité raisonnable d’amélioration dans un avenir prévisible.

Conclusion

[47] Le Tribunal conclut que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en décembre 2008, lorsqu’elle ne pouvait plus continuer à travailler. Aux fins du versement de la pension, une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de réception de la demande de pension d’invalidité par l’intimé (alinéa 42(2)b) du RPC). La demande a été reçue en novembre 2011; par conséquent, l’appelante est réputée être devenue invalide en août 2010. Conformément à l’article 69 du RPC, les paiements commencent quatre mois après la date réputée de déclaration de l’invalidité. Les paiements commenceront donc au mois de décembre 2010.

[48] L’appel est accueilli.

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