Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  • Appelant : M. C.
  • Représentants de l’appelant : Alexandra Victoros (avocate) et George Dietrich (avocat)
  • Représentant de l’intimé : Hasan Junaid (avocat)

Introduction

[1] Le présent appel est interjeté à l’encontre de la décision rendue le 12 juin 2013 par laquelle le tribunal de révision rejetait la demande de pension de l’appelant, au motif que celui-ci n’avait pas prouvé que son invalidité était grave au sens du Régime de pensions du Canada, au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin le 31 décembre 2008. La permission d’en appeler a été accordée le 26 mars 2014 au motif que le tribunal de révision pourrait avoir commis une erreur de droit en rendant sa décision.

Aperçu des faits

[2] L’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en juin 2011. Le questionnaire sur les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada montre que le dernier emploi de l’appelant en septembre 2007 était comme manoeuvre industriel, lorsqu’il a cessé de travailler après un accident dans lequel il a été blessé grièvement. Il allègue qu’il a été incapable de travailler depuis.

[3] Dans le questionnaire, l’appelant indiquait qu’il avait subi de multiples fractures, et qu’il conservait des douleurs à la jambe gauche, au genou et au dessus de la cheville. La blessure l’empêchait de soulever ou de transporter une charge additionnelle du côté gauche, de marcher trop longtemps, de courir, de changer de direction ou de s’accroupir. Il a décrit dans le questionnaire de nombreuses limitations et restrictions fonctionnelles. Il a vu différents spécialistes et malgré le fait qu’il a subi des interventions chirurgicales, il n’a pas vu d’amélioration appréciable de sa douleur ou de son fonctionnement, et il continue de prendre des médicaments contre la douleur.

[4] En février 2011, l’appelant a vu un neurologue et on lui a diagnostiqué une distrophie myotonique, pour laquelle il n’existe pas de traitement connu. Le tribunal de révision a souligné que la progression de cette maladie était variable et incertaine.

Bref historique des procédures

[5] Le tribunal de révision a rendu sa décision le 12 juin 2013. Le ou vers le 5 juillet 2013, l’appelant a demandé la permission d’en appeler. La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a accordé la permission le 26 mars 2014 au motif que le tribunal de révision pourrait avoir commis des erreurs de droit.

[6] La division d’appel a organisé une audience en personne de l’appel le 24 novembre 2014 sur consentement mutuel des parties.

[7] Les observations de l’appelant étaient énoncées dans la demande de permission d’en appeler et dans l’avis d’appel déposé le 5 juillet 2013. L’avocate de l’appelant a allégué de nombreuses erreurs de la part du tribunal de révision. Elle allègue que le tribunal de révision a commis une erreur en n’appliquant pas les principes énoncés dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248; E.J.B. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 47; Procureur général du Canada c. Dwight St.-Louis, 2011 CF 492; Cochran c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 343; et MDRH c. Ethier, CP 6086 (juillet 1998). Elle allègue aussi que le tribunal de révision a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, mais la permission n’a pas été accordée sur ce motif.

[8] Le 9 mai 2014, l’avocat de l’intimé a déposé ses observations et la jurisprudence invoquée. En bref, il faisait valoir que la norme de contrôle d’une décision du tribunal de révision est la décision raisonnable. Il a de plus fait valoir que le tribunal de révision avait en réalité tenu compte des facteurs de Villani et qu’il avait appliqué les principes juridiques énoncés dans les diverses jurisprudences citées par l’avocate de l’appelant. Il affirmait aussi que, dans son ensemble, la décision du tribunal de révision est raisonnable, et que cela ne permet donc pas une intervention de la division d’appel.

[9] Le 25 juin 2014, l’avocate de l’appelant a déposé une réplique aux observations de l’intimé. Elle convenait que l’appel n’est pas une nouvelle audience, mais pas qu’un appel devant la division d’appel est de la même nature qu’une révision judiciaire et que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Elle soulignait les dispositions du paragraphe 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), qui prévoit ce qui suit :

59.(1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[10] L’avocate de l’appelant affirme que, puisque la division d’appel peut rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre ou peut modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale, l’appel ne peut être de la nature d’une révision judiciaire et ne devrait pas être traité ainsi. Et, en dépit de la décision relative à la permission, l’avocate de l’appelant fait valoir que la division d’appel ne devrait pas examiner uniquement les moyens qui ont été admis dans la permission d’en appeler, mais aussi les conclusions de fait erronées énoncées dans l’avis d’appel.

[11] Le 23 juillet 2014, l’avocat de l’intimé a déposé une lettre en réponse aux observations de l’appelant du 25 juin 2014. Il convient que l’appel n’est pas une nouvelle audience, mais fait valoir que l’appel devrait être considéré comme une révision judiciaire et que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Le 14 novembre 2014, l’avocat de l’intimé a déposé une deuxième lettre, contenant la jurisprudence en appui à ses arguments selon lesquels l’appel devrait être entendu comme une révision judiciaire.

[12] Le 18 novembre 2014, l’avocate de l’appelant a déposé une lettre accusant réception des observations de l’intimé du 23 juillet 2014, et incluant une copie de la décision d’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95.

Décision du tribunal de révision

[13] À l’audience devant le tribunal de révision en mars 2013, l’appelant a témoigné au sujet de ses études et de son expérience de travail. Il a aussi témoigné au sujet de ses blessures et des traitements qu’il a subis. Il a indiqué que, malgré les chirurgies et les traitements, il n’y avait pas de changement du niveau de douleur et très peu d’amélioration à sa jambe. Il a témoigné avoir un fonctionnement limité et dépendre de sa famille pour l’aider à certaines activités de la vie quotidienne. L’appelant a aussi témoigné qu’il avait envisagé de retourner à l’école pour obtenir son diplôme d’études secondaires et que, n’eût été de ses contraintes financières, il avait envisagé de s’inscrire à un programme d’aide mécanicien de motocyclette.

[14] Le tribunal de révision a conclu que l’appelant était capable de travailler. Le tribunal de révision a aussi conclu qu’il pouvait demeurer assis pendant des périodes prolongées en prenant quelques pauses, et qu’il avait peu besoin de médicaments contre la douleur pouvant nuire à sa capacité de réflexion. Le tribunal de révision est venu à la conclusion que l’appelant n’avait pas essayé de trouver un emploi convenable. Le tribunal de révision a déterminé que l’appelant devait trouver un emploi, en dépit du fait que le travail qu’il pourrait être en mesure d’accomplir risquait d’être moins payant que les emplois de manœuvre qu’il avait occupés dans le passé.

[15] Enfin, le tribunal de révision a conclu que l’appelant pouvait franchir les obstacles et compléter ses études. Même s’il faisait face à d’importantes contraintes financières, l’appelant a signalé qu’il aimait travailler sur des motocyclettes et qu’il croyait avoir les aptitudes et la capacité de faire le travail, et c’est pourquoi le tribunal de révision a conclu que ces considérations indiquent que l’appelant est capable de travailler.

Questions en litige

[16] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Sous quelle forme d’audience l’appel devrait-il être instruit? Devrait-il prendre la forme d’un examen en appel ou d’une révision judiciaire?
  2. Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions du tribunal de révision?

Moyens d’appel

  1. Le tribunal de révision a-t-il commis des erreurs de droit?
  2. La division d’appel peut-elle examiner tous les moyens d’appel énoncés dans la demande de permission d’en appeler et l’avis d’appel, y compris ceux pour lesquels la division d’appel a déterminé qu’ils ne soulevaient pas une cause défendable? Dans l’affirmative, le tribunal de révision a-t-il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Redressements

  1. Si la norme de contrôle est la décision raisonnable, la décision du tribunal de révision est-elle raisonnable? Si la norme de contrôle est la décision correcte, quelle conclusion le tribunal de révision aurait-il dû tirer?
  2. Si le tribunal de révision a commis des erreurs – que ce soient des erreurs de droit ou de fait – quel est ou quels sont le(s) redressement(s) approprié(s), le cas échéant?

Question 1 : Forme d’audience – examen en appel ou révision judiciaire

[17] L’avocate de l’appelant fait valoir que l’appel devrait prendre la forme d’un examen en appel. Elle estime qu’un examen en appel consisterait à tenir une nouvelle audience. Elle fait valoir que puisqu’une audience orale a été accordée, l’appelant a été porté à croire qu’il pourrait aborder n’importe quelle question touchant son invalidité au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin. Elle se fonde sur diverses décisions qui, selon elle, montrent clairement que l’appel devrait être un examen en appel sous forme d’une audience de novo.

[18] Le type d’examen en appel envisagé par l’avocate de l’appelant permettrait une nouvelle instruction ou un nouvel examen du bien-fondé de la demande de pension d’invalidité de l’appelant. Celui-ci bénéficierait, essentiellement, du processus de novo qui a déjà existé dans le cadre de la Commission d’appel des pensions. Un examen en appel tel qu’envisagé par l’avocate de l’appelant permettrait aux deux parties à l’appel de présenter tout « nouvel élément de preuve » dont le tribunal de révision (ou la division générale) n’aurait pas été saisi; dans les faits, un appelant aurait une deuxième occasion d’améliorer son dossier en abordant les manquements ou les déficiences dans la preuve ou les observations. Dans un examen en appel de ce genre, la division d’appel pourrait aller au-delà du dossier soumis au tribunal de révision (ou à la division générale), et venir à sa propre décision sur le fonds de l’affaire, à partir des faits et du droit qui lui sont présentés.

[19] L’avocate de l’appelant conteste la notion qu’un appel devant la division d’appel devrait être autre chose qu’un examen en appel sous forme d’une audience de novo; après tout, elle se demande à quoi sert le contrôle judiciaire de la Cour d’appel fédérale si la division d’appel procède à son propre contrôle judiciaire. Elle fait valoir que cela voudrait dire que les décisions seraient examinées deux fois selon une norme qui commande la déférence.

[20] L’avocate de l’appelant fait valoir qu’une norme déférente a été appliquée aux décisions de la Commission d’appel des pensions, mais pas aux décisions des tribunaux de révision. Elle reconnait que le mandat de la division d’appel en ce qui concerne l’examen des décisions des tribunaux de révision ou de la division générale diffère de celui de l’ancienne Commission d’appel des pensions, particulièrement dans le fait que la division d’appel ne mène pas de nouvelles audiences. Elle fait cependant valoir que la loi est muette à savoir si l’appel est de la nature d’un contrôle judiciaire et muette aussi à savoir si la norme de contrôle des décisions du tribunal de révision est nécessairement celle de la décision raisonnable.

[21] L’avocate de l’appelant affirme que, puisque la division d’appel dispose d’une vaste gamme de pouvoirs, en ce sens qu’elle peut rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre, ou modifier la décision en tout ou en partie, l’appel n’est pas de la même nature qu’un contrôle judiciaire et ne devrait pas être traité comme tel, et qu’il devrait procéder comme un examen en appel. Cette interprétation semble beaucoup trop large, puisqu’il est possible de rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre en évaluant le dossier de la preuve dont était saisi le tribunal de révision. En ce sens, il faut évaluer la preuve dont était saisi le tribunal de révision mais cela ne signifie pas d’accepter de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles observations sur le bien-fondé de la demande de pension d’invalidité.

[22] L’avocate de l’appelant se fonde sur une série de décisions dans le contexte de l’immigration. Dans les deux décisions Eng c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2014 CF 711 et Alyafi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2014 CF 952, la Cour fédérale du Canada a examiné la question de la norme de contrôle appropriée lorsque la Section d’appel des réfugiés (SAR) examine les décisions de la Section de protection des réfugiés (SPR). La Cour fédérale a examiné la compétence de la SAR et a convenu avec le demandeur dans cette affaire que le Parlement semble avoir voulu conférer un large pouvoir d’intervention à la SAR, lui permettant ainsi de se prononcer sur le bien-fondé de l’appel. Lorsqu’elle examinait les décisions de la SPR, la SAR n’était pas limitée à déterminer si la décision de la SPR était raisonnable. Cependant, la Cour a aussi convenu qu’un appel devant la SAR n’était pas un appel de novo. Dans Eng, la Cour a conclu que la SAR avait mal interprété son rôle en tant qu’instance d’appel en statuant que son rôle consistait simplement à évaluer, en fonction de la norme de la décision raisonnable, si la décision de la SPR appartenait aux issues possibles acceptables.

[23] L’avocate de l’appelant fait remarquer à juste titre qu’il n’y a que très peu d’éléments de preuve quant à l’intention du Parlement, à savoir s’il voulait conférer à la division d’appel des pouvoirs d’examen en appel ou des pouvoirs similaires à la révision judiciaire. Même si la juge d’appel Trudel, dans l’arrêt Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, décrit la création du Tribunal de la sécurité sociale comme « une réforme en profondeur des mécanismes d’appel », rien ne montre ce que le Parlement voulait quant à la portée de l’examen des décisions des tribunaux de révision ou de la division générale.

[24] L’intimé convient avec l’appelant que la division d’appel constitue le dernier niveau administratif d’appel des décisions des tribunaux de révision ou de la division générale et, qu’à ce titre, l’appel n’est pas un contrôle judiciaire en soi d’une décision finale. Cependant, l’avocat de l’intimé fait valoir que cela ne fait pas nécessairement de l’appel une révision en appel non plus.

[25] L’avocat de l’intimé compare le cadre législatif actuel du Tribunal de la sécurité sociale à la Loi sur l’assurance-emploi (LAE) et souligne que les moyens d’un appel devant le juge-arbitre sous le régime de l’ancien paragraphe 115(2) de la LAE sont presque identiques aux moyens d’un appel devant la division d’appel sous le régime du paragraphe 58(1) de la Loi, et de même, que les pouvoirs du juge-arbitre en vertu de l’ancien article 117 de la LAE sont presque identiques à ceux de la division d’appel en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi. L’avocat de l’intimé fait valoir que la comparaison est particulièrement pertinente car les pouvoirs de l’ancien juge-arbitre ont été transférés à la division d’appel, et les moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sont aussi les mêmes qui s’appliquent à la division d’appel.

[26] L’avocat fait valoir que, puisque les appels devant la division d’appel ne sont pas des auditions de novo, le Parlement avait nécessairement l’intention que la division d’appel assume et exerce des pouvoirs similaires à ceux dont disposait l’ancien juge-arbitre. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Merrigan, 2004 CAF 253, la Cour d’appel fédérale a mentionné l’arrêt Re Roberts et autres et Commission de l’emploi et l’immigration du Canada et autres, [1985] 60 N.R. 349, [1985] A.C.F. No 413, (1985) 19 D.L.R. (4th) 570 (C.A. féd.). Dans cette décision, la Cour fédérale d’appel indiquait que, bien que le mot « appel » soit utilisé dans l’article 115 de la LAE [anciennement l’article 95 de la Loi sur l’assurance-chômage], la compétence du juge-arbitre est pour l’essentiel identique à celle qui est conférée à la Cour d’appel fédérale par l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. Le juge d’appel MacGuigan écrivait que la « procédure n’est donc pas un appel au sens habituel de ce mot, mais un contrôle circonscrit. »

[27] L’arrêt Merrigan fait autorité sur cette question, étant donné le libellé de la LAE et de la Loi; l’autorité légale qui était conférée à l’ancien juge-arbitre en vertu de la LAE et maintenant conférée à la division d’appel en vertu de la Loi; ainsi que les moyens d’appel tant devant l’ancien juge-arbitre que devant la division d’appel. La jurisprudence citée par l’avocate de l’appelant n’est pas pertinente au cadre législatif au sein duquel la division d’appel opère sous le régime du paragraphe 58(1) de la Loi. Il n’existe pas de disposition semblable dans la loi régissant la SAR et la SAR n’est limitée par aucune série de moyens d’appel. Autrement dit, il semble que les tribunaux administratifs d’appel qui favorisent une révision en appel opèrent sous un cadre législatif différent de celui de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

[28] Nous pouvons répondre davantage à nos questions sur la nature des appels devant la division d’appel. Même s’il y avait des parallèles dans les moyens d’appel entre l’ancien juge-arbitre et la division d’appel, il existe des différences marquées entre l’ancienne Commission d’appel des pensions et la division d’appel. Auparavant, un demandeur devait demander la permission d’en appeler mais n’avait pas à convaincre la Commission d’appel des pensions que l’un ou l’autre des moyens d’appel avait une chance raisonnable de succès. Maintenant, le demandeur doit demander la permission d’en appeler en soulevant l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi. De plus, le Régime de pensions du Canada ne contenait aucune disposition qui liait la Commission d’appel des pensions quant à la manière de mener les appels, alors que le paragraphe 58(1) de la Loi semble circonscrire la nature de l’appel devant la division d’appel. Le fait de limiter les moyens d’appel dont dispose un appelant a, à mon avis, pour effet de définir la nature des procédures devant moi comme un appel de la nature d’un contrôle judiciaire.

[29] Il existe d’autres éléments de preuve indiquant que ce qui était visé était un appel de la nature d’un contrôle judiciaire. En effet, la Cour d’appel fédérale a été plus définitive quant à la nature des appels. Dans Canada (Procureur général) c. McCarthy [1994] A.C.F. No. 1158, [1994] F.C.J. No. 1158, 174 N.R. 28 (C.A. fédérale), le juge en chef Isaac a fait référence à la décision Roberts et écrit :

18 Dans Roberts et al. v. Canada Employment and Immigration Commission et al. (1985), 85 C.L.L.C. 14,030, 60 N.R. 349 (C.A.F.) et Canada (Procureur général) c. Taylor (1991) (aussi cité sous Taylor v. Canada (Minister of Employment and Immigration (1991), 126 N.R. 345 (C.A.F.), notre Cour a jugé qu’un appel porté devant un juge-arbitre ne constitue pas un appel au sens usuel du terme ou un procès de novo, mais une instance de la nature du contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Roberts, notre Cour a également jugé que, lorsqu’une décision d’un conseil arbitral est contestée parce qu’elle était fondée sur des conclusions de fait erronées, le pouvoir de contrôle du juge-arbitre se limite à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier. (Non souligné dans l’original)

[30] Bien que les arrêts Roberts et McCarthy aient été rendus dans le contexte des articles 115 et 80, respectivement, de la Loi sur l’assurance-chômage (abrogée depuis), le libellé qui énonce la nature et la portée de l’appel devant le juge-arbitre était, tel qu’indiqué précédemment, identique à celui des appels en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi.

Question 2 : Norme de contrôle

[31] L’avocat de l’intimé fait valoir que la division d’appel doit déterminer la norme de contrôle applicable lors de l’examen des décisions du tribunal de révision ou de la division générale : MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2009 CAF 306. Je souscris à cette proposition, cependant les avocats de l’appelant et de l’intimé ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable.

[32] L’avocate de l’appelant fait valoir que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique et qu’en définitive, je ne devrais pas faire preuve de déférence à l’endroit du tribunal de révision, et je devrais substituer ma propre décision à celle du tribunal de révision. Subsidiairement, l’avocate de l’appelant affirme que si la norme est celle de la décision raisonnable, la décision rendue par le tribunal de révision n’est pas raisonnable. L’avocate affirme qu’il n’était pas raisonnable pour le tribunal de révision de ne pas avoir jugé que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant était invalide, étant donné la preuve médicale abondante dont il était saisi. Elle fait valoir que cela aussi justifie que je substitue ma propre décision à celle du tribunal de révision. Elle affirme que j’y suis autorisée en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi. Elle dit aussi que c’est ce qui serait approprié, alors que renvoyer l’affaire à la division générale [traduction] « nuirait à l’objectif d’une prise de décision rapide et économique ». Elle affirme que je devrais suivre l’arrêt d’Errico c. Canada (Procureur général) 2014 CAF 95, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que le Parlement ne pouvait avoir eu l’intention qu’il faille huit ans avant qu’il soit statué définitivement sur une demande de prestations d’invalidité. La Cour d’appel fédérale a donc procédé à sa propre appréciation du dossier dont elle était saisie et a dicté l’issue compte tenu des faits et du droit.

[33] L’avocat de l’intimé, pour sa part, fait valoir que la norme de contrôle par défaut est celle de la décision raisonnable sous réserve de déférence lorsqu’un tribunal [traduction] « interprète sa propre loi constitutive ou des lois étroitement liées à son mandat et dont il a une connaissance approfondie  ». Il se fonde sur un certain nombre de décisions qui, à son avis, soutiennent la proposition que la norme de contrôle par défaut est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragr. 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Assn., 2011 CSC 61, au paragr. 34; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragr. 21; et Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragr. 50. Et pour les affaires touchant l’invalidité dans le cadre du Régime de pensions du Canada, l’avocat de l’intimé fait valoir que, depuis Dunsmuir, une norme de raisonnabilité faisant appel à un niveau élevé de déférence s’applique : T.G. c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254, au paragr. 9. La Cour d’appel fédérale a aussi indiqué dans cet arrêt que, lorsque les décisions sont essentiellement factuelles, l’éventail des issues justifiables et acceptables offert est relativement large.

[34] L’avocat de l’intimé fait valoir que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions du tribunal de révision qui sont examinées par la division d’appel, et que le tribunal de révision interprète et applique sa loi constitutive autant que la Commission d’appel des pensions appliquait et interprétait sa loi constitutive. L’avocat affirme que la norme de la décision raisonnable trouve un appui additionnel dans le fait que la division d’appel examine la décision du tribunal de révision essentiellement sur les mêmes moyens que lorsque la Cour d’appel fédérale procédait au contrôle judiciaire des décisions de la Commission d’appel des pensions. L’avocat fait valoir qu’en conséquence la division d’appel devrait montrer un niveau élevé de déférence à l’égard du tribunal de révision.

[35] L’avocat de l’intimé fait valoir que je devrais suivre l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, et que, en appliquant la norme de raisonnabilité, je ne procède pas à une analyse distincte des motifs du tribunal de révision. L’avocat souligne que la Cour suprême du Canada dans cette décision a décrit la révision d’une décision administrative comme un exercice global dans lequel les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles et acceptables. L’avocat de l’intimé affirme que, peu importe si le tribunal de révision a commis des erreurs, le test ultime que nous devons appliquer consiste à évaluer si la décision du tribunal de révision fait partie des issues acceptables. Il affirme que je devrais conclure que la décision du tribunal de révision fait partie des issues acceptables.

[36] Dans Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a déterminé qu’il n’existe en common law au Canada que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. Les questions de droit sont en général déterminées selon la norme de la décision correcte. La norme de la décision correcte est en général réservée aux questions de compétence ou de constitution, ou aux questions qui sont d’importance capitale pour le système juridique et qui sont étrangères au domaine d’expertise du tribunal. Au moment d’appliquer la norme de la décision correcte, une cour de révision ne fera pas preuve de déférence à l’égard du raisonnement du décideur, et à la place, fera sa propre analyse. Finalement, en cas de désaccord, elle substituera sa propre décision à celle du décideur et rendra la décision qui s’impose. La norme de la décision correcte est essentielle car elle favorise le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit.

[37] Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont tranchées en fonction de la norme de la décision raisonnable. Un tel examen appelle nécessairement l’application d’une norme qui fait appel à la déférence. Dans Dunsmuir, il est énoncé une liste des facteurs permettant de conclure qu’il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur et d’appliquer la norme de la décision raisonnable :

  • - Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.
  • - Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).
  • - La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003] 3 R.C.S. 777, par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

[38] La Cour suprême du Canada dans Smith c. Alliance Pipeline, [2011] CSC 7, [2011] R.C.S. 160, au paragraphe 26, énonce aussi la portée de la norme de la décision raisonnable : (1) la question se rapporte à l’interprétation de la « loi constitutive » du tribunal administratif ou à une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, (2) la question soulève à son tour des questions touchant les faits, le pouvoir discrétionnaire ou des considérations d’intérêt général ou (3) la question soulève des questions de droit et de fait intimement liées.

[39] La Cour suprême du Canada énonce le caractère raisonnable de l’approche dans Dunsmuir au paragraphe 47 :

Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[40] Par conséquent, la norme de contrôle applicable dépendra de la nature des erreurs alléguées en l’espèce. Par exemple, une erreur de droit pourrait justifier soit une norme de décision correcte soit une norme de décision raisonnable.

Question 3 : Le tribunal de révision a-t-il commis des erreurs de droit?

[41] La permission d’en appeler a été accordée au motif que le tribunal de révision a peut-être commis diverses erreurs de droit.

(a) Villani c. Canada (Procureur général)

[42] L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en n’appliquant pas les principes qui ont été établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villani, puisque le tribunal n’a pas évalué son invalidité dans un « contexte réaliste ». L’avocate fait valoir que le décideur doit tenir compte de l’âge du demandeur, de son instruction et de son expérience de travail, et doit aussi examiner si le demandeur est employable dans un « contexte réaliste ». Par conséquent, si un demandeur n’est pas capable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice dans un « contexte réaliste », il devrait être considéré comme invalide au sens de la loi applicable. L’avocate affirme que même si le tribunal de révision a mentionné l’arrêt Villani et les critères de Villani, il doit aussi se pencher sur l’application de ces facteurs. Plus particulièrement, le tribunal de révision n’a pas examiné ce qui suit :

[Traduction]
[…] le tribunal n’a pas tenu compte du fait que [l’appelant], même s’il n’avait que 36 ans au moment où sa PMA a pris fin, avait occupé des emplois exigeants physiquement depuis qu’il avait abandonné l’école à dix-sept ans. En conséquence, un recyclage et un retour sur le marché du travail, pour s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice (et non pas toute occupation imaginable), étaient fortement improbables pour une personne dans un contexte réaliste, lorsqu’elle ne possède pas de diplôme d’études secondaires et dont on dit qu’elle a une limitation grave ou complète en ce qui concerne sa capacité de participer à une activité physique soutenue, y compris marcher plus de trois pâtés de maisons, en plus d’une douleur mal contrôlée entraînant une dépression, selon le rapport de son médecin de famille destiné au POSPH.

[43] L’avocate de l’appelant affirme que, puisque le tribunal de révision ne s’est pas penché sur les caractéristiques personnelles de l’appelant et, plus particulièrement, son âge, sa formation et son expérience de travail, il a abordé la question de la « gravité » dans un vacuum. L’avocate fait valoir que, en n’appliquant pas les principes directeurs de Villani, le tribunal de révision a commis une erreur de droit. Elle cite Garrett c. Canada (Ministre du développement des ressources humaines) 2005 CAF 84, au paragraphe 3, dans lequel le juge d’appel Malone écrit :

[3] En l’espèce, la majorité n’a pas mentionné l’arrêt Villani et elle n’a pas effectué son analyse conformément aux principes qu’il consacre. Cela constitue une erreur de droit. Plus précisément, la majorité n’a pas fait état des éléments de preuve indiquant que les problèmes de mobilité de la demanderesse étaient aggravés par la fatigue et qu’il lui faudrait alterner les périodes où elle est assise et les périodes où elle est debout; des facteurs qui lui rendraient concrètement difficile les emplois de bureau sédentaires ou de même type. Tel est le contexte « réaliste » de l’analyse exigée par l’arrêt Villani.

[44] L’avocat de l’intimé soutient que le tribunal de révision a été raisonnable dans son application de Villani à la présente affaire, puisque non seulement il a mentionné Villani, mais il en a aussi appliqué les critères aux faits de l’affaire. L’avocat a mentionné la preuve ainsi que l’analyse et les conclusions tirées par le tribunal de révision, et il fait valoir que le tribunal de révision a clairement appliqué les facteurs de Villani en mentionnant spécifiquement son âge, son niveau d’instruction et ses expériences passées de travail et de vie. L’avocat affirme que les circonstances de l’appelant ne soutiennent pas la conclusion que, dans un « contexte réaliste », l’appelant ne serait pas capable de s’adonner à une occupation étant donné son âge, son instruction, ses compétences linguistiques et d’autres facteurs personnels. L’avocat soutient que la capacité de l’appelant de parler anglais et son âge suggèrent que, dans un contexte réaliste, ces facteurs pourraient l’aider à se recycler ou à trouver un emploi convenable.

[45] Lorsqu’il a analysé les diverses questions en litige, le tribunal de révision a reconnu les réalisations scolaires de l’appelant, son expérience passée de travail et de vie, y compris son intérêt pour le travail sur des motocyclettes.

[46] Les parties conviennent que le tribunal de révision a mentionné le critère de Villani et la nécessité de tenir compte des circonstances personnelles de l’appelant. Ce qui est en litige, c’est de savoir si le tribunal les a examinées dans un « contexte réaliste », au moment de déterminer quelle serait leur incidence sur sa capacité de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice.

[47] Le tribunal de révision a déterminé que l’appelant conservait une certaine capacité d’accomplir un travail sédentaire, lorsqu’il a conclu qu’il pouvait demeurer assis pendant des périodes prolongées avec quelques pauses et qu’il prenait peu de médicaments contre la douleur susceptibles de nuire à sa faculté de penser. Toutefois, le tribunal de révision a aussi semblé reconnaître implicitement que l’appelant avait des obstacles en matière d’instruction et une expérience antérieure de travail limitée, mais que s’il pouvait passer outre, il conservait la capacité de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice. Autrement dit, l’appelant avait besoin d’un certain recyclage, mais le tribunal a conclu, selon la preuve dont il était saisi, que l’appelant pourrait parfaire son éducation, mais que ce ne serait pas sans problèmes.

[48] Dans la présente affaire, le tribunal de révision a déterminé s’il y avait des emplois qui correspondaient à l’intérêt exprimé par l’appelant à l’égard des motocyclettes, et vérifié quelles circonstances personnelles pourraient poser un obstacle. Le tribunal de révision s’est fondé sur la croyance de l’appelant voulant qu’il possède à la fois les aptitudes et la capacité de travailler sur des motocyclettes (même s’il n’est pas clair quelle serait la nature de cet emploi et quelles exigences physiques, le cas échéant, il pourrait entraîner, ou si l’emploi serait sédentaire). Le tribunal de révision a aussi examiné la dystrophie myotonique de l’appelant et était convaincu qu’elle ne présenterait de problème qu’à l’occasion, l’appelant indiquant dans son témoignage que cela ne nuirait pas de façon appréciable. C’est dans cette mesure que le tribunal a appliqué les critères de Villani.

[49] Je souligne que la Cour d’appel fédérale dans Villani a indiqué ce qui suit :

[. . .] tant et aussi longtemps que le décideur applique le critère juridique adéquat pour la gravité de l’invalidité – c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i), il sera en mesure de juger d’après les faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à intervenir. (non souligné dans l’original)

[50] En conséquence, puisqu’une évaluation de la situation d’un appelant devrait être vue comme une question de jugement, je n’interférerai pas avec l’évaluation réalisée par le tribunal de révision, même si l’analyse de la situation personnelle de l’appelant semble rudimentaire. Si un tribunal de révision ou la division générale procède à une évaluation et examine la situation personnelle d’un appelant dans un « contexte réaliste », au moment de déterminer comment ces facteurs ont une incidence sur sa capacité de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice, cela suffit à satisfaire aux critères énoncés dans Villani.

(b) E.J.B. c. Canada (Procureur général)

[51] L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision a omis de tenir compte de l’état général de l’appelant, et non pas simplement de sa condition invalidante. L’avocate a mentionné l’arrêt E.J.B., au paragraphe 17, où le juge d’appel Stratas écrit :

[17] En examinant ce que la Commission a fait en fonction de la norme déférente de la raisonnabilité, pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la majorité est déraisonnable et devrait être annulée. Un tribunal différemment constitué de la Commission doit réexaminer la présente affaire en appliquant le critère établi dans Villani. Plus particulièrement, ce tribunal doit examiner l’état « réel » de la demanderesse, prenant en considération son état général, et non seulement l’ostéoporose sévère.

[52] L’avocate fait valoir que l’appelant souffre de douleur chronique, qui résulte d’une blessure grave à la jambe, ainsi que de dystrophie myotonique. L’avocate soutient que l’appelant a témoigné devant le tribunal que ses mains se refermaient involontairement et qu’il devait ouvrir une main avec l’autre, et que sa langue se fige, ce qui nuit à son élocution. L’avocate déclare que le tribunal de révision ne pouvait pas s’être penché sur la condition de l’appelant dans un contexte réaliste pour déterminer s’il était capable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice, alors qu’il fait face à diverses incapacités, y compris sa dystrophie myotonique, une maladie dégénérative incurable. Elle fait valoir que c’est évident dans la décision, dans laquelle on peut lire :

[Traduction]
[26] L’appelant a aussi dit au tribunal qu’il aimerait travailler sur des motocyclettes et a dit qu’il croyait posséder l’aptitude et la capacité de faire le travail. La dystrophie myotonique présenterait à l’occasion un problème mais l’appelant a dit que cela ne nuirait pas de manière significative.

[53] L’avocate affirme que le tribunal de révision aurait dû tenir compte des diverses invalidités de l’appelant, y compris en particulier de sa dystrophie myotonique, dans le cadre d’une analyse dans un contexte réaliste pour déterminer s’il était capable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice.

[54] L’avocat de l’intimé fait valoir que le tribunal a examiné l’ensemble de l’état de santé de l’appelant. Il souligne que le tribunal de révision a mentionné la blessure à la jambe de l’appelant et sa dystrophie myotonique.

[55] Le tribunal de révision devait déterminer si l’appelant pouvait être considéré comme invalide au sens du Régime de pensions du Canada au moment où a pris fin sa période minimale d’admissibilité le 31 décembre 2008. L’appelant venait de subir sa blessure à la jambe et avait eu deux opérations chirurgicales; une troisième chirurgie a eu lieu en février 2009, tout juste après la fin de la période minimale d’admissibilité. Il y a relativement peu d’éléments de preuve documentaire cependant concernant le moment où l’appelant pourrait avoir commencé à ressentir des symptômes liés à la dystrophie myotonique, et à quelle fréquence il ressentait les symptômes, leur durée et leur incidence générale sur son fonctionnement et sa capacité, au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin. L’appelant a reçu un diagnostic de dystrophie myotonique en février 2011. Si le tribunal de révision n’avait mis l’accent que sur les invalidités de l’appelant à la fin de sa période minimale d’admissibilité, on aurait pu lui pardonner de ne s’orienter que sur la blessure à la jambe de l’appelant puisque les symptômes découlant de sa dystrophie myotonique ne semblent être apparus qu’après la période minimale d’admissibilité.

[56] Je souligne que, dans les observations écrites de l’avocate de l’appelant, qui ont été envoyées par messagerie au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision en janvier 2013, pour l’audience du tribunal de révision, il n’est pas fait allusion à la dystrophie myotonique avant février 2011. Même s’il n’était pas nécessaire qu’un diagnostic de dystrophie myotonique ait été posé au moment de la période minimale d’admissibilité, rien n’indique que l’appelant avait des symptômes ou des signes avant-coureurs de dystrophie myotonique. Lors de l’examen par le neurologue en février 2011, la revue de ses antécédents médicaux montre que l’appelant avait un long historique de difficultés à se relaxer les mains. Le neurologue était d’avis que l’appelant avait de longs antécédents de myotonie d’un phénotype « pouvant s’apparenter à la dystrophie myotonique », et même si le neurologue parlait de la perte de cheveux de l’appelant, d’atrophie du muscle temporal, de légère faiblesse des muscles faciaux et de légère faiblesse de la partie distale du pied, il n’a pas été question de ses limitations, de sa fonctionnalité ou de sa capacité. Étant donné que les symptômes de la dystrophie myotonique ne semblent pas avoir été documentés avant le début de 2011, il n’est pas déraisonnable que le tribunal de révision n’ait pas fait mention de ces symptômes ou de la dystrophie myotonique au moment où la période minimale d’admissibilité de l’appelant a pris fin.

[57] Cependant, le tribunal de révision a effectivement examiné les sources d’invalidité de l’appelant et tenu compte de sa dystrophie myotonique lorsqu’il a conclu que cela présenterait à l’occasion un problème et a souligné que l’appelant avait dit que cela ne nuirait pas beaucoup, s’il devait travailler sur des motocyclettes.

[58] Je vois aussi que le tribunal de révision a examiné les caractéristiques personnelles de l’appelant au moment d’évaluer sa capacité de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice liée au travail sur des motocyclettes. Le tribunal de révision a aussi conclu que l’appelant avait la capacité de demeurer assis pendant de longues périodes avec quelques pauses et, par le fait même, qu’il est capable de s’adonner à une occupation sédentaire, et que ses caractéristiques personnelles ne l’empêcheraient pas de le faire.

[59] On ne peut donc dire que le tribunal de révision n’a pas tenu compte de l’ensemble de l’état de santé de l’appelant. Mis à part le fait qu’il disposait de peu d’éléments de preuve médicale, le tribunal de révision a tout de même examiné le problème de douleur chronique de l’appelant et sa dystrophie myotonique. Même s’il se peut que le tribunal de révision n’ait pas mené une analyse exhaustive, cela en soit n’entache pas le résultat dans son ensemble.

(c) Le Procureur général du Canada c. Dwight St.-Louis

[60] L’avocate de l’appelant fait valoir que le tribunal de révision a commis une erreur en ne suivant pas Dwight St.-Louis, en n’abordant pas les avis ou documents médicaux dont il était saisi, particulièrement ceux décrivant les restrictions et limitations de l’appelant. L’avocate de l’appelant soutient que le tribunal de révision n’a pas fait mention des rapports médicaux contemporains à la période minimale d’admissibilité de l’appelant, dont :

  • une note de la clinique de fracture datée du 27 août 2008;
  • des rapports de l’urgence datés des 3 novembre 2008 et 16 mars 2009;
  • les notes cliniques du médecin de famille à partir de juillet 2008;
  • un examen médical indépendant d’un chirurgien orthopédiste, en septembre 2010.

[61] L’avocate de l’appelant fait valoir qu’en évaluant l’invalidité d’un appelant, le tribunal de révision doit inclure un examen et une évaluation de tous les facteurs pertinents, et lorsqu’un rapport médical traite directement des critères d’invalidité, cet élément de preuve doit être abordé. L’avocate de l’appelant soutient qu’un document important, qui traitait directement de la gravité et de la permanence de la condition médicale de l’appelant, n’a été ni abordé ni même souligné par le tribunal de révision.

[62] L’avocat de l’intimé n’a pas abordé ces observations directement, autrement qu’en alléguant que le tribunal de révision avait évalué raisonnablement l’état de santé de l’appelant dans son ensemble. L’avocat de l’intimé a souligné qu’au paragraphe 15 de sa décision, le tribunal de révision a mentionné le rapport du Dr Steckley de février 2011, dans lequel il pose le diagnostic de dystrophie myotonique de l’appelant et indique comment cela risquait de l’affecter. L’avocat souligne aussi que le tribunal de révision a mentionné le médecin de famille de l’appelant, les chirurgies de l’appelant, ses visites chez un chirurgien orthopédiste, et son utilisation de médicaments sur ordonnance.

[63] Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a fait remarquer ce qui suit :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).

[64] Cependant, les circonstances dont je suis saisie représentent une différence marquée par rapport à l’analyse envisagée dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union. La Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas nécessaire d’aborder chacun des éléments constitutifs d’une affaire, mais cela présuppose qu’il y a une certaine analyse. Même si le tribunal de révision a mentionné certains des documents et avis médicaux dans son résumé de la preuve, il ne prétendait pas faire une analyse de la documentation médicale, que ce soit au moment où la période minimale d’admissibilité a pris fin ou depuis lors. Bien que le tribunal de révision ait résumé la preuve médicale, il n’a pas tiré de conclusions sur la preuve, n’a pas indiqué quel élément de preuve il aurait accepté ou rejeté, ni indiqué s’il était d’accord ou non avec l’un ou l’autre des experts et sur quel fondement il pourrait avoir pris cette décision. Alors que le tribunal de révision a tiré un certain nombre de conclusions quant aux capacités (p. ex. il a statué que l’appelant était capable de demeurer assis pendant des périodes prolongées, comme preuve de la capacité de l’appelant), il n’a pas fait le lien entre ces conclusions et la preuve médicale.

[65] Je ne vois pas comment on pourrait évaluer convenablement une demande de pension d’invalidité sans analyser la preuve médicale. Il ne suffit pas d’évaluer une demande de pension d’invalidité en analysant simplement les conditions personnelles du requérant et ses tentatives pour trouver un emploi convenable ou pour se recycler, sans procéder aussi à une certaine évaluation de la preuve médicale.

[66] Je suis d’accord avec l’avocate de l’appelant lorsqu’elle fait observer que le tribunal de révision a commis une erreur en n’abordant aucun des avis médicaux. Ce manquement constitue une erreur de droit, révisable selon la norme de la décision correcte ce qui exige que je substitue mon propre point de vue quant à l’issue correcte. La norme de la décision correcte s’applique car il est fondamental et inéluctable que toute évaluation des demandes de prestations d’invalidité repose au moins sur une évaluation de base de la preuve médicale.

[67] Pour substituer mon propre avis quant à l’issue correcte, il me faut nécessairement examiner la preuve, y compris les divers avis médicaux, et déterminer si l’appelant peut être considéré comme invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

[68] Puisque j’en ai décidé ainsi, je n’ai pas à procéder à un examen et une analyse détaillés des autres moyens d’appel; je vais toutefois le faire dans l’éventualité où je serais dans l’erreur sur ce moyen d’appel en particulier, à savoir si le tribunal de révision avait l’obligation d’analyser la preuve médicale pour évaluer l’invalidité au sens du Régime de pensions du Canada.

(d) Cochran c. Canada (Procureur général)

[69] L’avocate de l’appelant fait valoir que le tribunal de révision a commis une erreur en n’appliquant pas les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cochran c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 343, car il n’a pas tenu compte de la preuve médicale relative à la période minimale d’admissibilité pour prendre sa décision et a plutôt mis l’accent sur la santé de l’appelant à la date de l’audience.

[70] L’avocate de l’appelant fait valoir que son client a éprouvé de nombreux problèmes graves et prolongés découlant d’un incident où il est tombé en septembre 2007, et qu’on lui a prescrit de nombreux médicaments pour soulager la douleur qui lui ont fait ressentir un ralentissement cognitif et une fatigue extrême. L’avocate soutient que l’appelant a aussi développé une dépression attribuable à son problème de douleur chronique. Elle affirme que malgré la présence de cette preuve, la décision du tribunal de révision ne montre pas qu’il a examiné son invalidité au moment où la période minimale d’admissibilité a pris fin.

[71] L’avocat de l’intimé fait valoir qu’il y avait relativement peu de chose en termes de dossiers médicaux ou d’avis d’experts concernant la condition médicale de l’appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité, et que le tribunal de révision était limité quant à ce qu’il pouvait examiner. L’avocat de l’intimé souligne que le tribunal de révision a mentionné les chirurgies de septembre 2007, d’avril 2008 et de février 2009, et qu’il était donc au fait de l’état de santé de l’appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité. L’avocat de l’intimé reconnaît que le tribunal de révision n’a pas mentionné spécifiquement l’un ou l’autre des avis ou rapports médicaux dans son analyse, mais souligne qu’ils étaient présents dans la preuve.

[72] Dans ses observations additionnelles, l’avocate de l’appelant réfute toute suggestion selon laquelle le tribunal de révision disposait de peu d’éléments de preuve médicale quant à la gravité de l’invalidité de l’appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité. Elle souligne les rapports d’opération, le rapport de santé au POSPH et les notes et dossiers cliniques du médecin de famille de l’appelant, le Dr Bhatty, remontant à juillet 2008. Elle fait remarquer que ces notes médicales aux environs de la période minimale d’admissibilité montrent que l’appelant avait besoin d’une canne pour se déplacer et qu’il marchait avec une boiterie antalgique. Il avait une amplitude de mouvement réduite au genou et à la cheville gauche. Il prenait de nombreux médicaments sur ordonnance, y compris des antidépresseurs pour stabiliser son humeur.

[73] L’avocate de l’appelant fait valoir que, malgré cette preuve médicale, le tribunal de révision n’a pas analysé les déficiences de l’appelant et les restrictions et limitations en découlant à sa période minimale d’admissibilité de décembre 2008, et que cela constitue une erreur de droit. Elle soutient que si le tribunal de révision avait examiné convenablement la preuve relative aux déficiences de l’appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité, il aurait conclu que son invalidité était grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada. Elle soutient que le tribunal de révision n’a pas traité cette preuve dans son analyse.

[74] Les circonstances factuelles dans Cochran diffèrent grandement puisque dans cette affaire, le pronostic à long terme de la demanderesse était indéterminé et la preuve médicale jusqu’à ce moment-là était propre à ses limitations, du point de vue professionnel. La demanderesse dans ce cas-là recevait des traitements continus. La Commission d’appel des pensions a rejeté l’appel, statuant qu’elle était incapable de déterminer à ce moment-là si la douleur de la demanderesse serait grave ou prolongée une fois son traitement terminé. La demanderesse faisait valoir que la Commission d’appel des pensions ne s’était pas bien rendu compte de la gravité de sa blessure; en ce qui concerne le jugement concurrent, elle faisait valoir qu’on n’avait pas tenu compte des rapports médicaux rédigés plus près de la fin de la période minimale d’admissibilité.

[75] La Cour d’appel fédérale a statué que la Commission d’appel des pensions avait commis deux erreurs qui étaient manifestement déraisonnables. La première était que les motifs de la majorité étaient axés sur la santé de la demanderesse à la date de l’audience plutôt qu’au moment de sa période minimale d’admissibilité. La Cour d’appel fédérale a indiqué que la santé actuelle était bien sûr pertinente mais que la question principale était l’état de santé de la demanderesse au moment de sa période minimale d’admissibilité. La deuxième erreur venait du fait que la Commission d’appel des pensions semblait avoir ignoré un élément de preuve important qui aurait permis de faire la lumière sur l’état de santé de la demanderesse au moment de sa période minimale d’admissibilité. Les avis médicaux aux environs de la période minimale d’admissibilité indiquaient que la demanderesse était vraisemblablement invalide pour le travail lourd et que la demanderesse était incapable d’accomplir tout type de travail de façon régulière. Une lettre plus récente concluait qu’elle continuait d’être incapable de travailler dans une profession quelconque. Même s’il y avait un espoir d’amélioration une fois le traitement terminé, il était encore tôt à l’audience pour déterminer s’il y avait eu une amélioration.

[76] Traditionnellement, le caractère manifestement déraisonnable était vu comme un défaut à ce point vicié qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de maintenir la décision. On y a fait allusion dans l’arrêt Dunsmuir :

Dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, s’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a donc tenté de clarifier la question en précisant le fonctionnement de chacune des deux normes commandant la déférence (par. 52‑53) :

[D]ès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » [. . .] Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

[77] Il ressort de Dunsmuir que le concept de la décision manifestement déraisonnable a été réduit à une seule « norme de raisonnabilité ».

[78] Il se peut que le tribunal de révision n’ait pas eu à sa disposition une preuve médicale suffisante pour conclure que l’appelant était invalide au moment de sa période minimale d’admissibilité, mais cela fait abstraction de la question même de savoir si le tribunal de révision a mené une analyse quelconque pour savoir au départ si l’appelant était invalide au moment de sa période minimale d’admissibilité. Je conviens que le tribunal de révision devait évaluer l’invalidité de l’appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité et qu’il aurait dû mettre l’accent sur l’invalidité de l’appelant à sa période minimale d’admissibilité plutôt qu’au moment de son audience. Le tribunal de révision ne semble pas avoir procédé à une analyse pour déterminer si l’invalidité de l’appelant pouvait être considérée comme grave et prolongée au moment de sa période minimale d’admissibilité. Cela constitue une erreur de droit.

[79] Il peut être particulièrement pertinent d’évaluer les blessures d’un appelant au moment de sa période minimale d’admissibilité lorsque ses blessures s’améliorent après la période minimale d’admissibilité au point qu’il ou elle ne peut plus être considéré comme souffrant d’une invalidité grave au sens du Régime de pensions du Canada. (Cela peut aussi être pertinent pour d’autres raisons, comme lorsqu’on juge qu’il s’agit d’une « période fermée » d’invalidité.)

[80] Ayant conclu à l’erreur de droit, quelle est la norme de contrôle applicable? L’arrêt Cochran a fourni une certaine indication lorsqu’il a qualifié la décision de la Commission d’appel des pensions comme étant manifestement déraisonnable. Cependant, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir a réduit cette norme de la décision manifestement déraisonnable commandant la déférence à celle de raisonnabilité. Elle a aussi déterminé que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont tranchées selon la norme de la décision raisonnable. La nature des questions et le fait que la question en litige ici touche l’interprétation de la loi constitutive suggère fortement que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Cela étant, la décision du tribunal de révision est-elle justifiable, transparente et intelligible, et est-ce qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit? Je n’estime pas que la décision du tribunal de révision sur cette question est raisonnable du tout, étant donné qu’il n’a pas vérifié si l’appelant pouvait être jugé comme invalide à la fin de sa période minimale d’admissibilité. La décision du tribunal de révision ne peut être maintenue sur ce fondement et, ainsi, je peux renvoyer l’affaire à la division générale ou rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre. Je déterminerai le correctif approprié plus loin.

(e) MDRH c. Ethier

[81] L’avocate de l’appelant fait valoir que le tribunal de révision a commis une erreur en n’appliquant pas les principes énoncés par la Commission d’appel des pensions dans la décision MDRH c. Éthier, CP 6068 (CP06086, juillet 1998), en n’examinant pas s’il était réaliste qu’il puisse se recycler. La Commission d’appel des pensions écrivait au paragraphe 17 :

17  L’intimé a dit qu’il pourrait travailler à temps partiel deux heures par jour à condition que ses limitations soient respectées. Cette réponse tient plus à son honnêteté et à sa sincérité qu’au bon sens. Compte tenu de l’ensemble des preuves présentées, il n’est pas réaliste de croire qu’il pourrait exercer régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

[82] L’avocate de l’appelant fait valoir que le tribunal de révision a jugé que l’appelant pourrait se recycler et ainsi a conclu qu’il ne répondait pas au critère de l’invalidité grave, tel que défini dans le Régime de pensions du Canada, mais qu’il n’avait pas examiné la preuve médicale dont il était saisi.

[83] L’avocat de l’intimé fait valoir que le tribunal de révision devait évaluer la capacité de travailler de l’appelant et, à cet égard, soulignait au paragraphe 23 qu’il pouvait « demeurer assis pendant des périodes prolongées avec quelques pauses et qu’il prenait peu de médicaments contre la douleur susceptibles de nuire à sa faculté de penser ».

[84] Même s’il est vrai que l’appelant est jeune et a la capacité de se recycler, pour les raisons que j’ai exprimées précédemment, je suis d’avis que le tribunal de révision devait évaluer la preuve médicale pour déterminer si l’appelant avait la capacité générale de se recycler, particulièrement en raison du fait qu’ici le recyclage envisagé semble lié au travail sur des motocyclettes. Cela aussi constitue une erreur de droit.

Question 4 : La division d’appel peut-elle examiner tous les moyens d’appel, y compris ceux pour lesquels la permission n’a pas été accordée? Dans l’affirmative, y a-t-il eu des conclusions de fait erronées?

[85] L’avocate de l’appelant fait valoir que la division d’appel peut examiner n’importe quel moyen, y compris ceux qui, selon la division d’appel à l’étape de la demande de permission, ne soulevaient pas une cause défendable. En conséquence, elle soutient que la division d’appel devrait examiner les observations de l’appelant voulant que le tribunal de révision a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[86] L’avocat de l’intimé fait valoir que l’occasion de revoir ces moyens est maintenant passée, car la permission n’a pas été accordée sur ceux-ci. L’avocat soutient que l’appel est limité aux moyens qui ont été soulevés dans la demande de permission, et pour lesquels la permission a été accordée.

[87] J’ai abordé une question similaire dans l’affaire M.C. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, (30 mars 2015), non-publiée, SST-AD-13-35, où le représentant de l’appelante a fait valoir avec succès qu’il pouvait soulever de nouveaux moyens d’appel au moment de l’audience. Dans ce cas-là, j’ai décidé qu’une partie pouvait soulever de nouveaux moyens, même si cela pouvait occasionner un certain préjudice pour l’autre partie à cause de l’avis tardif, puisqu’on pouvait remédier au préjudice en ajournant l’affaire. Toutefois, même si j’ai décidé que l’une des parties pouvait soulever de nouveaux moyens d’appel, j’ai exigé de l’appelante dans cette affaire qu’elle me convainque que le nouveau moyen fait partie des moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi, et qu’il a une chance raisonnable de succès. En faisant pencher mon pouvoir discrétionnaire en faveur de l’examen du nouveau moyen d’appel, j’ai en définitive été convaincue par ce que je considère être dans l’intérêt des parties de permettre que l’on entende tous les éléments de l’affaire et que justice soit rendue.

[88] L’avocate de l’appelant fait valoir que le tribunal de révision n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents en examinant la gravité des déficiences de l’appelant et qu’il aurait dû accorder un poids considérable aux conclusions énoncées dans les avis médicaux. L’avocate soutient que le tribunal de révision a nécessairement commis une erreur de fait en concluant que l’appelant ne souffrait pas d’une invalidité grave, alors qu’il était saisi d’une [traduction] « preuve considérable à l’effet contraire ».

[89] L’avocat de l’intimé n’a pas présenté d’observations portant spécifiquement sur ce moyen d’appel.

[90] Même si je suis disposée dans la présente affaire à examiner ce moyen d’appel, je demeure convaincue que ces observations ne soulèvent pas un moyen d’appel pertinent, puisque l’avocate de l’appelant n’a pas soulevé comme il se doit de conclusions de fait spécifiques. La question du poids accordé, par exemple, n’est pas une question de conclusion de fait.

Question 5 : Mesures correctives -- réévaluation

[91] J’ai déterminé que la décision du tribunal de révision est déraisonnable, car il n’a pas procédé à une vérification afin de savoir si l’appelant était invalide à sa période minimale d’admissibilité. J’ai aussi déterminé que le tribunal de révision a commis une erreur de droit, car il n’a analysé aucun des éléments de preuve médicale en évaluant si l’appelant pourrait être jugé invalide au moment de sa période minimale d’admissibilité et de manière continue depuis lors, aux fins du Régime de pensions du Canada, et il s’agit d’une erreur révisable selon la norme de la décision correcte.

[92] Le paragraphe 59(1) de la Loi me permet de rejeter l’appel, rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision du tribunal de révision. Même si je n’ai pas accès à des retranscriptions ou à des enregistrements de l’audience devant le tribunal de révision, il y a un dossier documentaire exhaustif et des observations qui me suffisent pour procéder à l’évaluation de la demande de prestations de l’appelant et rendre la décision que le tribunal de révision aurait dû rendre, ou pour infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision du tribunal de révision. L’avocate de l’appelant soutient en outre que je devrais procéder à une évaluation sur la foi du dossier dont le tribunal de révision était saisi.

a. Contexte factuel

[93] L’appelant est né en X X. Le questionnaire accompagnant la demande de prestations d’invalidité de l’appelant montre qu’il a fait une 11e année. Depuis 2003, il a principalement travaillé comme manœuvre, et brièvement dans la construction et comme nettoyeur. L’appelant a travaillé pour la dernière fois en septembre 2007 comme manoeuvre industriel à temps partiel, jusqu’à ce qu’il subisse une blessure grave à la jambe gauche. Des marches de béton sont tombées sur sa jambe gauche, lui causant une fracture comminutive ouverte du tibia et du péroné.

[94] L’appelant a été opéré trois fois :

  1. i. en septembre 2007 pour irrigation et débridement du tibia et du péroné et fixation interne par réduction chirurgicale avec clou centromédullaire (pages AD2-80/125- 126/237-238 du dossier d’audience devant le tribunal de révision);
  2. ii. en avril 2008 pour l’enlèvement des pièces (AD2-75/117/271-272);
  3. iii. en février 2009 pour l’enlèvement du clou centromédullaire au tibia gauche et arthrotomie du genou gauche (AD2-73/111/273).

[95] L’appelant a participé à un essai de physiothérapie. En janvier 2008, il a rempli un questionnaire pour les consultations externes dans lequel il signale avoir énormément de difficulté à accomplir son travail habituel et ses loisirs, à se livrer à des activités exigeantes, à marcher, à se tenir debout, à courir et à tourner brusquement; et pas mal de difficulté à accomplir des activités légères, à se déplacer d’une pièce à l’autre, à soulever, à monter des marches et à sauter. Il avait une difficulté modérée à monter et descendre d’un véhicule, et aucune difficulté à demeurer assis pendant une heure, à s’accroupir ou à se tourner dans le lit. Les notes d’évolution montrent qu’il a continué des traitements de physiothérapie jusqu’au moins au début d’avril 2008 (AD2-243, AD2-244 à AD2-259). En novembre 2009, son médecin de famille a indiqué qu’il aurait besoin davantage de physiothérapie, mais il n’avait pas les moyens de payer. On lui a donné une autre demande de consultation en physiothérapie en mai 2010 et en juin 2010 (AD2-165 to 166) et, à partir de septembre 2010, il était sur une liste d’attente pour une clinique locale de physiothérapie subventionnée par l’Assurance-santé de l’Ontario (AD2-213).

[96] Depuis sa blessure, l’appelant n’a été capable de transporter que des charges légères. Il a de la difficulté à se pencher ou à s’accroupir. Il ne peut soulever quoi que ce soit. Il évite de monter de longues séries de marches, de marcher, de se tenir debout ou de pousser ou tirer avec le côté gauche, car cela aggrave la douleur à sa jambe gauche. Il considère que la douleur à sa jambe gauche nuit à sa concentration. Il est « correct » lorsqu’il est assis. L’appelant indique qu’il ne prenait pas de médicaments lorsqu’il a rempli les questionnaires en août 2009 et juin 2011 (AD2-84 à AD2-90 et AD2-128 à AD2-134), bien qu’un historique des frais médicaux établi à une pharmacie Shoppers Drug Mart pour la période d’octobre 2007 à novembre 2009 montre qu’il prenait régulièrement des médicaments contre la douleur (AD2-224 à AD2-225), et les dossiers cliniques de son médecin de famille laissent croire qu’il prenait du Percocet pour contrôler la douleur en 2010 et 2011 (AD2-164 à AD2-171). L’historique médical du patient montre une interruption dans l’utilisation de médicaments anti-douleur entre mars 2009 et octobre 2009.

[97] L’appelant a présenté une demande au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées en août 2008. Dans le formulaire de déclaration, il indique que son invalidité lui occasionne des difficultés physiques et émotives. Il indique en outre qu’il éprouve beaucoup de douleur, ce qui l’empêche d’accomplir ses activités quotidiennes. L’appelant écrit qu’il est devenu déprimé lorsqu’il a vu des gens faire des activités qu’il était capable de faire dans le passé. Il ne peut plus faire de travaux physiques à cause de sa douleur et de ses limitations. Il éprouve de la douleur et a de la difficulté à marcher et à porter un poids. Même s’il prend des médicaments contre la douleur, cela lui occasionne de la fatigue. Son médecin de famille a rempli diverses formules, y compris un questionnaire dans lequel il indiquait que l’appelant avait des limitations graves ou totales l’empêchant de participer physiquement à des activités soutenues et de marcher, et qu’il avait des limitations modérées en ce qui concerne sa force physique, le fait de monter des marches et de se tenir debout. Il était souligné qu’il avait de légères limitations face aux travaux ménagers, à demeurer assis pendant des périodes prolongées et à fonctionner par rapport à la maîtrise de ses impulsions et à son comportement. Le médecin de famille a aussi souligné que l’appelant était frustré par sa blessure et ses problèmes de contrôle de la douleur (AD2-186 à AD2-209).

[98] En dépit du fait que les fractures ont guéri, l’appelant continue de ressentir de la douleur à la jambe gauche. L’appelant a demandé une pension d’invalidité en septembre 2009 et en juin 2011. Le présent appel porte bien entendu sur la demande de 2011.

b. Revue des dossiers médicaux

i. Examens diagnostiques

[99] L’appelant a eu de nombreux examens diagnostiques entre le 29 septembre 2007 et le 16 novembre 2010. Ils confirment qu’il a subi une fracture comminutive de la partie moyenne du tibia et de la partie inférieure du péroné. Les scintigrammes réalisés aux environs de la période minimale d’admissibilité révélaient ce qui suit :

  • 3 novembre 2008 (AD2-74) – imagerie du tibia et du péroné gauche, les vues antéro-postérieure et latérale montrent une fracture en voie de guérison avec tige centromédullaire dans le tibia, une plaque métallique et de multiples vis au site de la fracture du tibia et du péroné. L’alignement est satisfaisant. Une désossification juxta-articulaire est observée dans la région de la cheville. Les parties osseuses de la cheville sont par ailleurs intactes. L’espace de l’articulation est bien maintenu. On ne décèle pas d’œdème particulier des tissus mous. Le scan du pied gauche présente une légère désossification des parties osseuses, fort probablement en raison d’une ostéoporose par non-utilisation.
  • 4 mars 2009 (AD2-110) – imagerie du tibia et du péroné gauche. La tige centromédullaire a été retirée de la diaphyse tibiale il y a une semaine. Présence de petites défectuosités lucentes. La fracture en spirale de la partie distale de la diaphyse tibiale a guéri. Une plaque métallique est bien fixée dans la partie distale du péroné gauche. Aucune anomalie grave.

[100] En septembre 2010, la fracture de la partie distale du péroné semble bien guérie sur les radiographies (AD2-221). Une tomodensitométrie faite plus tard au cours du mois montre un épaississement endo-osseux important et une irrégularité corticale à la partie centrale du tibia et deux défauts corticaux au site de la fracture (AD2- 69/222). En novembre 2010, une scintigraphie osseuse complète révélait des changements post-traumatiques et post-chirurgicaux isolés au tibia gauche et au péroné gauche. Il n’y a pas de trace de complications. Le scan révélait aussi une légère croissance osseuse aux deux genoux et dans les articulations scapulo-humérales des deux épaules, conformes à des changements dégénératifs.

ii. Chronologie des dossiers médicaux

[101] Les dossiers cliniques du médecin de famille couvrent la période du 20 juillet 2007 au 9 décembre 2009 (AD2-227 à AD2-232), du 24 mars 2010 au 11 août 2011 (AD2-164 à AD2-171) et du 22 septembre 2011 au 17 mai 2012 (AD2-175 à AD2-184). La plupart des visites étaient liées à la douleur de l’appelant à la jambe gauche et au renouvellement des ordonnances.

[102] Après la première chirurgie en septembre 2007, l’appelant a rencontré le Dr G. Moammer pour des consultations en orthopédie. Comme le Dr Moammer observait que la fracture du tibia n’avait pas guéri et que le tibia gauche ne s’était pas ressoudé, il a retiré les vis distales et proximales du clou centromédullaire afin d’aider à dynamiser le site de la fracture, dans l’espoir que cela stimule la guérison. Le Dr Moammer était d’avis que si la fracture guérissait, le pronostic serait un rétablissement complet mais que, dans le cas contraire, l’appelant aurait besoin d’une chirurgie pour retirer la quincaillerie et une autre fixation avec greffe osseuse (AD2-240).

[103] L’appelant a eu un autre suivi avec le Dr Moammer, au début de juillet 2008. L’appelant semblait se porter très bien. Le Dr Moammer écrit alors que l’appelant se rend encore en physiothérapie mais que la douleur à la jambe est presque disparue. (AD2-73/114).

[104] En décembre 2008, il est indiqué que l’appelant ressent une douleur permanente lorsqu’il porte un poids et reste debout longtemps. Il dit qu’il obtient un soulagement lorsqu’il utilise du Tylenol 500 mg, mais on lui déconseille d’en prendre de manière prolongée. On lui prescrit du Tylenol no 2 à prendre au besoin. (AD2-229)

[105] Lors de sa visite suivante à son médecin de famille en mars 2009, l’appelant souligne qu’il ressent beaucoup de douleur et d’oedème au genou gauche. Le mouvement était limité et l’articulation du genou était chaude, enflée et sensible à la palpation. L’appelant veut des anti-douleur, mais son médecin de famille lui fait savoir qu’il devrait plutôt mieux gérer sa douleur. L’appelant a été envoyé à l’urgence.

[106] L’appelant s’est rendu à l’urgence de l’hôpital Grand River le 16 mars 2009. Il se plaignait que les problèmes de douleur et de mobilité étaient maintenant beaucoup plus graves qu’avant la chirurgie au cours de laquelle on lui avait enlevé la tige centromédullaire. Il avait manqué de Percocet quelques jours auparavant. À l’examen, il y avait une certaine chaleur et enflure des genoux, qui étaient sensibles au toucher. On lui a diagnostiqué une douleur postopératoire au genou et on lui a conseillé de revoir le Dr Moammer ainsi que son médecin de famille. On lui a aussi prescrit du Naproxen 500 mg. (AD2-233)

[107] Le Dr Moammer a rédigé un rapport médical daté du 24 septembre 2009 à l’appui de la demande initiale de prestations d’invalidité du RPC présentée par l’appelant. Le Dr Moammer y indique que malgré le fait que les fractures aient guéri, l’appelant continue de ressentir de la douleur. Il souligne que l’appelant ne prend aucun médicament à cette époque. Il est d’avis que le pronostic est bon. L’appelant a été libéré de ses soins à ce moment (AD2-105 à AD2-108).

[108] Lors de la visite de l’appelant à son médecin de famille en octobre 2009, il est jugé comme « très amer ». Il éprouve de la douleur au pied gauche et davantage de douleur lorsqu’il transporte un poids. Le médecin de famille lui conseille de se rendre à la clinique de la douleur à Guelph, mais note que l’appelant refuse à cause de problèmes de transport. Il est revu en novembre et décembre 2009 et le médecin estime qu’il a besoin de physiothérapie.

[109] Le Dr Drew Bednar, chirurgien orthopédiste, a rédigé un rapport médicolégal pour la défense en date du 29 septembre 2010 (AD2-210 à AD2-220). Le Dr Bednar y parle des chirurgies. Il semble que l’objectif de la troisième opération ait été de soulager la douleur résiduelle à la jambe gauche, mais cette procédure a complètement échoué à ce chapitre et, en fait, l’appelant a signalé que la douleur à sa jambe gauche avait augmenté depuis que la tige a été retirée. L’appelant se plaignait d’une douleur lancinante et profonde au milieu de son tibia gauche, qui est pire lorsqu’il tente de porter un poids. Il y avait aussi une hypersensibilité brûlante au palpé léger de l’extrémité distale de l’incision chirurgicale au-dessus de la rotule et à la partie latérale de la jambe gauche. L’appelant marche avec une canne à la main droite et se repose lourdement sur celle-ci. Avec la canne, il est capable de se tenir debout et de marcher sur de courtes distances.

[110] Le Dr Bednar procède à un examen physique et examine les dossiers médicaux. Son diagnostic est que l’appelant a subi une fracture ouverte de la partie centrale du tibia gauche, ainsi qu’une fracture concomitante fermée du péroné et une lésion superficielle du péronier proximal. Le Dr Bednar est d’avis que l’appelant pourrait avoir une absence de soudure au tibia ce qui expliquerait une partie de ses symptômes. L’examen clinique suggère une lésion superficielle du péronier proximal à la jambe droite de l’appelant. Le Dr Bednar est d’avis que la déficience de l’appelant est permanente et qu’elle présente une importante interférence avec les activités professionnelles, physiques et quotidiennes de l’appelant.

[111] En termes de pronostic, le Dr Bednar est d’avis qu’il y a une faible probabilité que les examens par électromyogramme révèlent un point focal de compression du nerf qui pourrait être corrigé par chirurgie. Le pronostic pour la fracture osseuse est indéterminé, en attendant les résultats d’un tomodensitogramme. Il ne prévoit pas de détérioration arthritique rapide des articulations voisines du genou et de la cheville gauche. Il considère les lésions comme permanentes. Le Dr Bednar estime en outre que l’appelant est [traduction] « complètement invalide » et incapable d’occuper son ancien travail de manœuvre industriel. Il est aussi en partie invalide pour ce qui est des tâches ménagères normales. Le Dr Bednar n’a pas commenté la capacité ou l’incapacité de l’appelant à s’adonner régulièrement à d’autres occupations véritablement rémunératrices.

[112] En février 2011, l’appelant a rencontré le Dr Steckley, un neurologue, pour investiguer une paresthésie et une hyperesthésie dans la partie latérale de sa jambe gauche. L’appelant signalait aussi de longs antécédents à avoir de la difficulté à relaxer les mains, une légère faiblesse au visage et une légère faiblesse à la partie distale du pied. Les examens EMG sont anormaux, montrant des traces d’une myotonie diffuse, conformes à un diagnostic clinique de dystrophie myotonique. Le Dr Steckley recommande la prise d’Amitriptyline pour la douleur neuropathique, ou si ça ne fonctionne pas, du Lyrica ou du Gabapentin. Le Dr Steckley devait organiser un test génétique relativement au diagnostic de dystrophie myotonique. Si le test génétique était positif, il ferait une demande de consultation à la clinique de génétique à Hamilton. (AD2-62 à AD2-66/AD2-172 à 174). En novembre 2011, le Dr Steckley confirme le diagnostic de dystrophie myotonique (AD2- 278).

[113] Le médecin de famille de l’appelant, le Dr Bhatty, a rédigé un rapport médical pour le RPC en mai 2011. Le Dr Bhatty a diagnostiqué à l’appelant de l’asthme, une possible dystrophie myotonique, de la douleur chronique à la jambe gauche (tibia/péroné) et une perte osseuse à la jambe gauche, découlant de l’inactivité et de l’atrophie. Le Dr Bhatty était d’avis que l’appelant était incapable de maintenir une activité prolongée, incapable de marcher sans soutien et ressentait une douleur importante s’il portait un poids. Le traitement à ce moment consistait à contrôler la douleur à l’aide de Percocet. Il n’y avait pas eu de changement récent dans le dosage. Le pronostic était considéré comme mauvais (AD2-58 à AD2-61).

[114] À compter du 20 octobre 2011, l’appelant a indiqué à son médecin de famille qu’il ressent une douleur intermittente au dos. À sa visite suivante le 14 novembre 2011, il signale qu’il a une douleur continue à la jambe et au dos, et que cela empirait et irradiait maintenant à la hanche. Il avait une diminution de l’amplitude de mouvement tant à la jambe qu’au dos. Le Dr Bhatty lui a diagnostiqué une fatigue du cou et du dos. Vers le milieu de décembre 2011, la douleur avait augmenté et l’appelant avait de la difficulté à porter un poids.

[115] À la fin de janvier 2012, l’appelant signale à son médecin de famille que le contrôle de la douleur est [traduction] « un problème » et qu’il a encore [traduction] « un niveau limité d’activité en raison de la myotonie ». En mars 2012, l’appelant a trouvé un autre médecin de famille plus près de chez lui et songe à lui transférer son dossier.

c. Observations des parties

[116] L’avocate de l’appelant fait valoir que la douleur et l’invalidité de l’appelant ont augmenté depuis l’époque de l’incident d’origine en septembre 2007. Elle soutient que les médicaments sur ordonnance ont occasionné à l’appelant des effets secondaires débilitants, comme des étourdissements et de la somnolence. Elle soutient en outre que l’invalidité prolongée de l’appelant l’a rendu passablement déprimé. Elle souligne que l’appelant continue de faire face à des restrictions physiques. Il est incapable de marcher plus de trois coins de rue, d’accomplir des tâches exigeant de soulever des objets lourds, ou d’utiliser sa gauche pour des activités nécessitant de porter des poids lourds, au point où il a développé de l’ostéoporose avant d’avoir 40 ans. Elle reconnaît qu’il a été dirigé vers une clinique de la douleur mais qu’il a été incapable de s’y rendre en raison de [traduction] « contraintes financières graves » (AD1).

[117] L’avocate de l’appelant fait valoir que de nombreux documents médicaux attestent du fait que l’appelant ne pouvait occuper un emploi lucratif au moment de sa période minimale d’admissibilité en décembre 2008, en raison de la gravité de ses déficiences physiques et psychologiques, particulièrement à cause de son instruction limitée, de la prise de multiples médicaments interférant avec sa vivacité d’esprit et son endurance, de son expérience de travail limitée à des emplois d’usine et de construction exigeants physiquement, et de ses incapacités physiques graves et permanentes. Elle soutient que l’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêche de s’adonner à une occupation rémunératrice depuis décembre 2008, et que l’appel devrait donc être accueilli.

[118] Dans ses observations soumises au tribunal de révision, le représentant de l’intimé à l’époque a fait valoir que même si l’appelant a subi des fractures à la partie inférieure de la jambe, elles ont guéri dans le bon alignement après réparation chirurgicale et il n’a pas vu de chirurgien depuis mars 2009. Au moment tant de sa demande précédente que de l’actuelle, il ne participait à aucun programme de traitement et niait prendre des médicaments. Bien qu’il soit raisonnable de conclure qu’il pourrait être limité par rapport à son ancien genre de travail lourd, le représentant de l’intimé soutient qu’il aurait dû être capable de s’adonner à une forme quelconque de travail convenable, en tenant compte de son âge, de son instruction et de ses aptitudes (AD2- 289 à AD2-291).

d. Analyse

[119] L’appelant a subi d’importantes lésions traumatiques lors d’un accident survenu en septembre 2007. Il a subi des fractures comminutives du tibia et du péroné gauche. Malgré les chirurgies et la physiothérapie, il a conservé de la douleur chronique à la jambe gauche. Il a développé de la dépression, secondaire à la blessure à sa jambe gauche. La blessure l’a empêché de retourner à son ancienne occupation comme manœuvre.

[120] Au moment où sa période minimale d’admissibilité a pris fin en décembre 2008, l’appelant continuait de ressentir de la douleur ainsi que diverses restrictions et limitations. Il avait de la difficulté à demeurer debout de manière prolongée, à marcher et à accomplir des activités nécessitant de porter un poids. Il a rempli un Questionnaire en août 2009, peu de temps après sa période minimale d’admissibilité, dans lequel il exposait ses diverses limitations. Il était incapable de porter un poids, sa capacité d’être debout longtemps, de marcher, de se pencher, de s’accroupir ou de soulever était limitée. L’appelant indiquait qu’il n’était capable de conduire qu’avec une transmission automatique. Il était « correct » pour s’asseoir.

[121] Même s’il y a peut-être des lacunes dans les dossiers médicaux, j’accepte que la douleur de l’appelant à la jambe gauche a été continue depuis sa blessure de septembre 2007 et que l’appelant été grandement constant dans son utilisation de médicaments contre la douleur. Cependant, j’accepte aussi l’observation de l’avocate de l’appelant voulant que la douleur à la jambe gauche de l’appelant a été progressive, particulièrement après la dernière opération en février 2009, et que depuis il a recommencé à prendre des médicaments plus forts contre la douleur.

[122] Les dossiers cliniques du médecin de famille indiquent que l’appelant a utilisé du Percocet et de l’Oxycocet à l’automne 2008. Le sommaire des frais médicaux du patient de Shoppers Drug Mart (AD2-224) indique qu’en novembre 2008, on a prescrit 10 comprimés de Ratio Oxycocet à l’appelant. Les dossiers cliniques de son médecin de famille indiquent qu’en décembre 2008, l’appelant semblait obtenir un certain soulagement avec du Tylenol 500 mg. Le Dr Bhatty a prescrit du Tylenol no 2, à prendre au besoin. L’appelant a recommencé à prendre du Percocet en 2009, vraisemblablement parce que le Tylenol ne le soulageait plus autant. Même si l’appelant continuait à avoir besoin de médicament contre la douleur, l’utilisation simplement de Tylenol 500 mg et de Tylenol no 2 en décembre 2008 laisse croire que le niveau de douleur de l’appelant à ce moment en particulier n’était pas grave et certainement moindre qu’il n’avait été ou le serait par la suite.

[123] Après la fin de sa période minimale d’admissibilité en décembre 2008, l’appelant a subi une opération en février 2009, après laquelle il semble que ses symptômes aient augmenté. Il s’est rendu à la clinique médicale de son médecin de famille le 16 mars 2009. Il a alors demandé des antidouleurs, mais a été avisé qu’il devait gérer la douleur plutôt que de chercher à la masquer (AD2-229). Plus tard dans la même journée, l’appelant s’est rendu à l’urgence où il a indiqué qu’il avant manqué de Percocet quelques jours auparavant.

[124] À l’hôpital, on a diagnostiqué à l’appelant une douleur postopératoire au genou et on lui a conseillé un suivi auprès du chirurgien orthopédiste et de son médecin de famille (AD2-233). Toutefois, le rapport médical préparé par le chirurgien orthopédiste pour le RPC et daté du 24 septembre 2009 indique que le chirurgien a vu l’appelant pour la dernière fois le 4 mars 2009 (AD2-105). L’inscription suivante dans le dossier clinique du médecin de famille est datée du 26 octobre 2009 et indique que l’appelant n’est pas revenu à la clinique entre le 16 mars 2009 et le 26 octobre 2009. Dans l’entrée du 26 octobre 2009, le médecin de famille écrit qu’il n’a pas prescrit de médicament contre la douleur ou de narcotique dans les dix derniers mois. Tel qu’indiqué précédemment, l’historique médical du patient montre une interruption dans l’utilisation de médicaments contre la douleur entre mars 2009 et octobre 2009. Même s’il est possible que l’appelant ait fait remplir des prescriptions à d’autres pharmacies pendant cette période, il revient à l’appelant de prouver ce qu’il avance, selon la prépondérance des probabilités. Il allègue qu’il a pris de manière constante et régulière des médicaments contre la douleur sur ordonnance, mais cela ne cadre ni avec l’historique du patient ni avec le dossier du médecin de famille qui indique qu’aucun médicament contre la douleur et narcotique n’a été prescrit pendant plus de la moitié de 2009. J’estime qu’il est plus probable que le contraire que l’appelant n’ait pas pris régulièrement ou constamment des médicaments sur ordonnance contre la douleur pendant plusieurs mois en 2009, et vraisemblablement qu’il ait recommencé à prendre des médicaments antidouleur en vente libre pendant cette période. Cela laisse croire, dans une certaine mesure, que son niveau de douleur ne pouvait être si important du printemps à l’automne 2009.

[125] Lors de la visite du 26 octobre 2009, le médecin de famille a demandé à l’appelant comment il contrôlait sa douleur, mais aucune réponse n’est inscrite. Le médecin de famille a évalué que l’appelant avait besoin d’un suivi avec le chirurgien orthopédiste. Il a fait une demande de consultation en ce sens. Toutefois, il n’y a pas de rapport de consultation ou de dossier clinique du chirurgien orthopédiste montrant que l’appelant est retourné le voir, et aucune autre mention dans les dossiers cliniques du médecin de famille montrant que l’appelant ait vu le Dr Moammer de nouveau après mars 2009.

[126] En avril 2010, le médecin de famille s’est informé si l’appelant devrait être revu par le chirurgien orthopédiste. En septembre 2010, le dossier du médecin de famille indique que l’appelant a été vu par un chirurgien orthopédiste à Hamilton. On peut présumer qu’il s’agit du Dr Bednar, que l’appelant a vu à des fins médicolégales. En décembre 2010, l’appelant a demandé à être référé à un chirurgien plasticien / orthopédiste pour obtenir une deuxième opinion. La demande de consultation à un chirurgien plasticien a été faite en février 2011.

[127] Il n’est pas clair dans les dossiers pour quelle raison l’appelant n’a pas consulté à nouveau le Dr Moammer. Il se peut que ce soit parce qu’il se fiait à l’évaluation médicale réalisée par le Dr Bednar, mais même dans ce cas-là, en décembre 2010, l’appelant a demandé une deuxième opinion d’un chirurgien plasticien / orthopédiste et encore une fois, une consultation en orthopédie – que ce soit avec le Dr Moammer ou un autre spécialiste – ne s’est pas matérialisée avant la tenue de l’audience devant le tribunal de révision en mars 2013. Cependant, la preuve dont je dispose est insuffisante pour me permettre de tirer des inférences du fait que l’appelant n’a pas vu le Dr Moammer à nouveau après mars 2009, et ne semble pas avoir vu un autre chirurgien orthopédiste traitant.

[128] Toutefois, l’appelant n’a pas immédiatement suivi le conseil du médecin de l’urgence de faire un suivi auprès de son médecin de famille. Il a attendu jusqu’en octobre 2009 pour voir son médecin de famille. Cela suggère, jusqu’à un certain point, que son niveau de douleur ne pouvait pas être si élevé au cours de cette période, s’il n’est pas retourné voir son médecin de famille et demander des vérifications médicales ou d’autre traitement pendant cette période, et n’a pas pris de médicament sur ordonnance pour soulager la douleur.

[129] Le rapport médical fait par le Dr Bhatty pour le RPC et daté de mai 2011 indique que l’appelant ressent une douleur grave lorsqu’il marche ou porte un poids. Ce rapport a été rédigé bien après la période minimale d’admissibilité. Le rapport du médecin de famille au RPC est incomplet en ce sens qu’il n’indique pas comment les limitations affectent le fonctionnement global de l’appelant et sa capacité ou son incapacité de s’adonner régulièrement à une activité véritablement rémunératrice au moment de sa période minimale d’admissibilité et depuis lors. Alors que les dossiers cliniques du médecin de famille montrent que la douleur de l’appelant a été constante, ils ne délimitent pas les plaintes et l’invalidité de l’appelant après certains événements importants. Par exemple, le dossier clinique suggère que l’invalidité de l’appelant s’est installée progressivement, particulièrement après la chirurgie en février 2009, mais rien n’indique dans le dossier ou dans l’une des opinions médicales du médecin de famille quelles modifications de ses capacités l’appelant peut avoir connues avec la progression de son invalidité, à partir de sa période minimale d’admissibilité et depuis lors.

[130] J’admets qu’il y a des limites inhérentes aux dossiers cliniques, car ils visent à documenter l’historique fourni par un patient et à représenter les conclusions contemporaines des médecins. De plus, de nombreuses parties des dossiers cliniques manuscrits peuvent être illisibles, ce qui leur donne très peu d’utilité pour le lecteur. Ordinairement, les dossiers cliniques ne reflètent pas la totalité des opinions d’un médecin, et ils fournissent rarement un aperçu quelconque de la fonctionnalité ou de la capacité d’un patient. En conséquence, il devient souvent nécessaire pour un demandeur d’obtenir un narratif médical. Je fais ces observations, puisqu’il semble que l’appelant et son avocate attachent une grande importance aux dossiers cliniques et font valoir que je devrais me fonder sur ceux-ci, en partie, pour établir la gravité de l’invalidité de l’appelant au sens du Régime de pension du Canada. J’estime que les dossiers cliniques sont d’une certaine assistance, du moins en ce qu’ils documentent les sujets dont se plaint l’appelant et les observations du Dr Bhatty, l’historique qu’il a consigné et les recommandations qu’il peut avoir faites.

[131] J’accorde un certain poids à l’opinion médicale du Dr Moammer, en tant que spécialiste en chirurgie orthopédique, il a opéré l’appelant et l’a vu à plusieurs reprises, y compris des visites au moment et aux environs de la période minimale d’admissibilité. Du point de vue orthopédique, l’appelant était considéré comme allant bien dans les mois qui ont précédé la période minimale d’admissibilité. Lorsque le Dr Moammer a vu l’appelant pour la dernière fois quelques semaines après l’opération de février 2009, il était d’avis que les fractures avaient guéri, mais soulignait que l’appelant continuait de se plaindre de douleur à la jambe. Le Dr Moammer n’a pas offert d’avis sur la capacité fonctionnelle de l’appelant ni sur sa capacité de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice.

[132] L’opinion médicale la plus exhaustive réalisée est celle du Dr Bednar, dont le rapport a été obtenu à des fins de défense médicolégale. Toutefois, le Dr Bednar n’a vu l’appelant que bien après la fin de la période minimale d’admissibilité. Son opinion repose sur l’historique fourni par l’appelant, l’examen physique de l’appelant auquel il a procédé, et sur une revue des divers dossiers médicaux. Il ne semble pas que les dossiers cliniques du médecin de famille aient été disponibles pour cette revue. Même si le Dr Bednar a préparé son rapport aux fins de la défense, ni l’une ni l’autre des parties n’a laissé entendre que je ne devrais pas accepter l’opinion du Dr Bednar sur le diagnostic, le pronostic ou la capacité de l’appelant. Le Dr Bednar était d’avis que l’appelant a vraisemblablement des lésions permanentes et, en dépit de opinion du Dr Moammer voulant que les fractures aient guéri, le Dr Bednar avait de fortes préoccupations que l’appelant puisse avoir une absence de soudure au tibia, ce qui expliquerait une partie de ses symptômes. Le Dr Bednar était aussi d’avis que l’appelant avait certains dommages nerveux, dont certains pourraient être soulagés par chirurgie. Même si le Dr Bednar était d’avis que la déficience de l’appelant représente une interférence importante avec ses activités professionnelles, physiques et quotidiennes, il écrivait aussi ce qui suit :

[Traduction]
Je m’attend à ce que l’élément dommage nerveux de la lésion de [l’appelant] le laisseront avec une invalidité permanente pour le type de travail industriel lourd qu’il faisait auparavant, mais si un tomodensitogramme venait confirmer mes craintes d’une absence de soudure, il est possible qu’une intervention orthopédique appropriée puisse encore lui offrir un important soulagement additionnel de sa douleur et améliorer sa fonctionnalité.

Dans sa situation actuelle, cet homme qui peut à peine se traîner dans le couloir jusqu’à mon bureau en se reposant sur sa canne et qui est incapable de mettre du poids sur sa jambe gauche ne peut certainement pas être envoyé à un travail industriel quelconque. Il est possible qu’il puisse accomplir une certaine forme de travail sédentaire en position assise, et une option pour lui pourrait être de faire de la mécanique sur des petits moteurs, domaine pour lequel il semble avoir de l’intérêt et de l’expérience. (Souligné par mes soins)

[133] L’opinion du Dr Bednar voulant que l’appelant puisse être en mesure de faire un certain travail sédentaire semble conforme à la preuve médicale. Même si chacun des soignants de l’appelant convient que celui-ci a un certain nombre de limitations, il est jugé capable de demeurer assis. L’appelant a aussi indiqué dans les questionnaires remplis en 2009 et 2011 qu’il est « correct » pour s’asseoir.

[134] Malgré l’opinion du Dr Bednar selon laquelle l’appelant pourrait être en mesure de faire [traduction] « un certain travail sédentaire en position assise », l’avocate de l’appelant soutient que celui-ci est incapable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice, car il ressent des effets secondaires comme des étourdissements et de la somnolence à cause des médicaments pour soulager la douleur. Je ne vois pas de récit documenté de ce genre de plainte de la part de l’appelant. Bien que je n’aie aucun doute qu’il ait ressenti certains effets secondaires de certains des antidouleur ou d’autres médicaments, je souligne qu’aux environs de septembre 2008, il a cessé de prendre de la Venlafaxine (aussi connue sous le nom d’Effexor) pour sa douleur nerveuse, car il trouvait que ça le rendait malade (AD2-230). Il semble que si le Percocet ou un autre médicament causait des effets négatifs tels que ceux décrits, l’appelant aurait porté cette situation à l’attention de son médecin de famille, afin d’essayer d’autres antidouleurs ou d’autres médicaments. Il était assurément disposé à chercher d’autres médicaments lorsqu’il avait des contraintes financières, il semble donc raisonnable de penser que l’appelant aurait tenté de trouver d’autres médicaments ayant moins d’effets négatifs sur lui. Je ne suis pas disposée à accepter les observations de l’avocate voulant que l’appelant est incapable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice en raison des effets secondaires négatifs qu’il ressent lorsqu’il prend des médicaments pour soulager sa douleur.

[135] L’avocate de l’appelant fait valoir que l’appelant souffre aussi de dépression et qu’on lui a prescrit des antidépresseurs. J’accepte que l’appelant souffrait de dépression, consécutive à sa blessure à la jambe gauche. L’inscription au dossier en date du 29 septembre 2008 indique que l’appelant ne peut se payer le Gabapentin, qu’il a cessé de prendre de l’Effexor et qu’on lui a maintenant prescrit de l’Elavil 25 mg. Bien qu’il ait pu être dépressif et prenait des antidépresseurs, il n’y a pas d’indication dans les dossiers médicaux que la dépression était suffisamment grave pour justifier une autre investigation ou intervention, qu’elle nécessitait une utilisation continue d’antidépresseurs ou que cela ait eu une incidence sur sa fonctionnalité ou sa capacité. Il n’était pas fait mention d’une dépression ou de symptômes liés à l’humeur dans l’un ou l’autre des rapports médicaux rédigés pour le RPC par les Drs Bhatty et Moammer, ou dans l’opinion médicolégale du Dr Bednar. À partir de cela, je ne peux qu’inférer que l’appelant n’a pas signalé ses symptômes de dépression et qu’aucun des médecins traitants de l’appelant n’a vu tellement un affect dépressif. Même s’il se peut qu’il y ait eu dépression, elle n’était en aucun cas un élément significatif dans l’ensemble de l’invalidité de l’appelant.

[136] L’avocate de l’appelant fait valoir que l’appelant souffre aussi de dystrophie myotonique, mais il n’en est pas fait mention dans aucun des premiers dossiers médicaux aux environs de la période minimale d’admissibilité. L’appelant a ensuite été évalué par un neurologue en février 2011. J’en déduis que l’appelant devait présenter des symptômes justifiant la demande de consultation avec un neurologue, mais le dossier ne révèle pas quand il a commencé à présenter des symptômes de dystrophie myotonique et quelle incidence ils pouvaient avoir sur sa fonctionnalité dans son ensemble. Même si je suis disposée à statuer que l’appelant avait commencé à ressentir des symptômes de dystrophie myotonique avant février 2011, la preuve au dossier est insuffisante pour déterminer que la dystrophie myotonique était présente au moment de la période minimale d’admissibilité, ou qu’elle était suffisamment importante face à l’ensemble de son invalidité à compter de septembre 2010, lorsque le Dr Bednar l’a évalué. Si les symptômes de dystrophie myotonique avaient préoccupé l’appelant lorsqu’il a vu le Dr Bednar, il me semble qu’il en aurait discuté lors de l’examen de ses antécédents médicaux.

[137] Est-ce que l’appelant a tenté convenablement d’atténuer sa situation en épuisant toutes les recommandations raisonnables de traitement qui lui avaient été faites? Le médecin de l’urgence et le propre médecin de famille de l’appelant lui ont suggéré de consulter à nouveau le chirurgien orthopédiste mais, pour des raisons qui ne sont pas claires, l’appelant ne l’a pas fait. La preuve dont je suis saisie est insuffisante pour me permettre de tirer des inférences à partir du fait que l’appelant n’a pas vu le Dr Moammer pour un suivi après mars 2009.

[138] Je souligne que le médecin de famille de l’appelant lui avait recommandé de se rendre à la clinique de la douleur. Le médecin de famille lui avait aussi recommandé dès novembre 2009 de reprendre la physiothérapie. Je ne dispose d’aucun élément de preuve que l’appelant aurait nécessairement vu une amélioration marquée ou appréciable de sa douleur ou de la gestion de celle-ci s’il avait donné suite à ces recommandations. Bien que la preuve montre que l’appelant a refusé de se rendre à la clinique de la douleur en raison de problèmes de transport, je conclus que l’appelant connaissait de toute façon des contraintes financières majeures l’empêchant de songer de manière réaliste à suivre de la physiothérapie ou à se rendre à une clinique de la douleur.

[139] Le Dr Bednar a laissé entendre qu’il était possible qu’une intervention orthopédique appropriée pourrait encore offrir [traduction] « un important soulagement additionnel de sa douleur et améliorer sa fonctionnalité », s’il y avait une absence de soudure du tibia. Le Dr Bednar a aussi suggéré que l’appelant subisse une libération chirurgicale d’une compression focale à la surface du nerf péronier proximal. En même temps, le Dr Bednar écrivait qu’il y a une [traduction] « mince chance que l’intervention indiquée puisse pallier dans une certaine mesure [les lésions] ». Autrement dit, l’appelant ne pouvait s’attendre qu’à un certain soulagement. Le Dr Bednar n’a pas donné d’opinion quant aux possibilités d’amélioration du niveau de douleur ou de la capacité globale et quant aux risques auxquels l’appelant pourrait faire face avec cette opération. Je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour déterminer s’il était raisonnable de procéder à une nouvelle intervention chirurgicale ou à la décompression focale qui était recommandée par le Dr Bednar. Les opinions et recommandations médicales du Dr Bednar ont de toute évidence inquiété l’appelant, comme le montre le fait qu’il a demandé une deuxième opinion. On ne sait pas si l’appelant a jamais obtenu une deuxième consultation orthopédique et quels ont pu être les résultats. En bref, la preuve dont je suis saisie ne suffit pas à démontrer que l’appelant n’a pas atténué sa situation en épuisant toutes les possibilités raisonnables de traitement, ou qu’il aurait répondu positivement à ces options de traitement.

[140] Les opinons médicales sont unanimes pour dire que l’appelant est incapable d’accomplir tout travail exigeant physiquement, mais, en dehors du rapport du Dr Bednar, on trouve peu de détails sur la capacité ou l’incapacité de l’appelant. Le Dr Bednar est d’avis que l’appelant pourrait être en mesure de faire « une certaine forme de travail sédentaire en position assise ». Cette opinion à elle seule ne suffit pas pour établir la capacité, car je dois examiner la situation de l’appelant dans un « contexte réaliste », en évaluant s’il est incapable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice.

[141] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Villani, a indiqué ce qui suit :

[. . .] Chacun des mots utilisés au sous-alinéa [42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada] doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie.

[142] Je dois déterminer si, dans un « contexte réaliste », l’appelant est incapable de s’adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice. L’avocate de l’appelant affirme que le recyclage et le retour dans la population active de l’appelant, pour s’y adonner régulièrement à une occupation véritablement rémunératrice, est grandement improbable dans un contexte réaliste pour celui-ci, car il ne possède pas de diplôme d’études secondaires et il a des limites physiques pour ce qui est de soulever des poids et de se tenir debout, entre autres.

[143] Au moment de sa période minimale d’admissibilité, l’appelant avait 36 ans. Il en a maintenant 42. Il maîtrise l’anglais. Ces deux considérations n’affectent pas sa situation personnelle, d’un point de vue professionnel. Il n’a pas terminé ses études secondaires et a travaillé à des postes exigeants physiquement et de nature générale. Il n’a pas travaillé à quoi que ce soit depuis 2007. Le Dr Bednar souligne qu’il a travaillé comme menuisier industriel/charpentier de maison, mais qu’en dehors de ces occupations, rien n’indique que l’appelant possède d’autres compétences ou d’autre formation dans des métiers ou des domaines en particulier. Avant l’accident, il participait activement à des sports et faisait de la moto de tourisme. Les seules occupations véritablement rémunératrices que l’appelant pourrait envisager, étant donné ses limitations physiques, seraient de nature sédentaire. Les emplois cléricaux et administratifs traditionnels ont peu de chance de convenir à l’appelant, compte tenu de ses antécédents. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que l’appelant fasse un travail de bureau alors qu’il n’a aucune expérience de travail ou formation dans ce domaine. En effet, les compétences de bureau ou professionnelles qu’il pourrait avoir acquises à l’école secondaire sont probablement dépassées, bien que les compétences récentes qu’il pourrait avoir acquises – soit en travaillant ou dans ses loisirs – pourraient être pertinentes. Je ne suis pas en train de suggérer que les seules occupations sédentaires sont de nature cléricale ou administrative.

[144] Le Dr Bednar a suggéré qu’une option que l’appelant pourrait envisager serait la mécanique de petits moteurs. Le Dr Bednar a fait allusion à « l’intérêt et l’expérience » de l’appelant dans ce domaine, mais la preuve au dossier est insuffisante pour indiquer le niveau d’expérience que l’appelant pourrait avoir dans le domaine. Je ne sais pas s’il existe de la formation en cours d’emploi ou si l’appelant aurait besoin d’une certaine formation professionnelle formelle s’il devait envisager de travailler comme mécanicien de petits moteurs. Dans ce dernier cas, il lui faudrait probablement parfaire ses études. S’il a de l’intérêt et de l’expérience dans ce domaine, tel qu’indiqué par le Dr Bednar, cela faciliterait le recyclage.

[145] Dans Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’évaluation de la Commission d’appel des pensions et ses conclusions n’étaient pas déraisonnables. La Commission avait conclu que même si le demandeur souffrait de fibromyalgie et de trouble caractérisé par des douleurs chroniques, il conservait sa capacité d’effectuer du travail de niveau léger à modéré. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé.

[146] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ryall, 2008 CAF 164, il y avait le témoignage de l’interniste qui déclarait que Mme Ryall, qui avait fait du travail de bureau, serait probablement en mesure d’effectuer un travail qui n’exigeait pas d’activité physique comme marcher ou soulever une charge. La Cour d’appel fédérale a statué que :

[. . .] [C]ompte tenu de ces éléments de preuve au sujet de son aptitude au travail, il incombait à Mme Ryall de démontrer qu’elle avait fait des efforts pour se trouver du travail et pour le conserver.

[147] En l’espèce, il y a certains éléments de preuve de capacité et il incombait donc à l’appelant de démontrer qu’il avait fait des efforts pour obtenir un emploi et le conserver. Je reconnais que l’appelant a certaines lacunes en termes d’instruction, mais je conclus qu’il peut y remédier soit en complétant ses études, soit avec un recyclage.

[148] Dans l’arrêt Doucette c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2005] 2 FCF 44, 2004 CAF 292, la Cour d’appel fédérale a reconnu que le demandeur avait des déficiences au plan de la scolarité et des connaissances qui le désavantageaient dans une recherche d’emploi, mais a conclu qu’il était capable de faire un travail léger et sédentaire, et qu’il y avait des emplois, comme répartiteur ou en télémarketing, qu’il était capable d’occuper. Il était sans importance qu’il y trouve de la satisfaction au travail ou une rémunération à la mesure de ses aspirations.

[149] Je conclus que l’appelant se trouve dans une situation similaire. Au moment de sa période minimale d’admissibilité et depuis lors, il était capable d’accomplir au moins un travail sédentaire, en dépit de ses études et de ses antécédents de travail passés et de son expérience de vie. Cependant, il n’a pas tenté de s’adonner à une occupation véritablement rémunératrice, ou d’obtenir et de conserver un emploi à l’intérieur de ses limites, aux environs de sa période minimale d’admissibilité. Ainsi, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’invalidité de l’appelant ne peut être considérée comme grave aux fins du Régime de pensions du Canada, au moment de sa période minimale d’admissibilité et depuis lors pendant au moins quelques années avant que sa dystrophie myotonique devienne une considération.

[150] Ayant conclu que l’invalidité de l’appelant n’est pas grave, il n’est pas nécessaire de rendre une décision quant au caractère prolongé, bien que si j’avais conclu que son invalidité découlant de sa blessure à la jambe était grave, j’aurais conclu que son invalidité est prolongée.

Conclusion

[151] L’appel est rejeté.

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