Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Personnes présentes

  • Appelante : H. W.
  • Représentant de l’appelante : Jim Farrell
  • Avocat de l’intimé : Hasan Junaid
  • Observatrice : F. W.
  • Observateur : Ryan Koo (étudiant en droit)
  • Observatrice : Lorri Mackay (étudiante en droit)
  • Observatrice : Isabelle Saumier-Castonguay (étudiante en droit)

Introduction

[1] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle soutient être invalide en raison de douleur chronique, une affection qui a été diagnostiquée officiellement après la date de la fin de la période minimale d’admissibilité (date la plus tardive à laquelle un demandeur doit établir qu’il est atteint d’une invalidité donnant droit au versement d’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada). L’intimé a rejeté la demande de pension d’invalidité de l’appelante, initialement et après révision. L’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Le 1er avril 2013, l’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. La division générale a tenu une audience puis a rejeté l’appel.

[2] Le 28 janvier 2015, l’appelante s’est vu accorder la permission d’interjeter appel pour les deux motifs allégués : la division générale aurait commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve médicale et elle aurait fait preuve de partialité.

[3] Cet appel a été instruit par vidéoconférence pour les raisons suivantes :

  1. a) la crédibilité ne figurera vraisemblablement pas au nombre des questions principales;
  2. b) l’information au dossier et les observations des parties à l’appui de leur position respective dans cet appel;
  3. c) le fait que les parties sont représentées;
  4. d) le matériel nécessaire à une vidéoconférence est disponible dans la région où réside l’appelante;
  5. e) le mode d’audience choisi est commode et efficace par rapport au coût.

Question préliminaire

[4] L’appelante a déposé au Tribunal des éléments de preuve dont la division générale n’avait pas été saisie. Elle souhaite présenter cette preuve pour étayer sa prétention que les praticiens de médecine non traditionnelle qui l’ont traitée étaient dûment qualifiés. L’intimé a fait valoir que ces nouveaux éléments de preuve sont irrecevables en appel, puisque la nature d’un appel devant la division d’appel du Tribunal de la sécurité social n’est pas une audience de novo.

[5] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi) régit le fonctionnement du Tribunal de la sécurité sociale. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel pouvant être pris en considération en l’espèce (se reporter à l’annexe de cette décision). Un appel peut porter sur une erreur de droit, une erreur de fait ou un manquement à la justice naturelle. La présentation de nouveaux éléments de preuve ne constitue pas un moyen d’appel reconnu par la Loi. L’audience d’un appel n’est pas une nouvelle audience sur le fond d’une demande de pension d’invalidité. Par conséquent, les nouveaux renseignements sont irrecevables sauf s’ils ont trait à l’un des moyens d’appel prévus. Les documents qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la division générale n’ont pas été pris en compte dans cet appel puisqu’ils n’avaient pas trait à l’un ou l’autre des moyens d’appel.

Analyse

[6] L’intimé plaide que la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable pour ce qui est des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait et celle de la décision correcte pour les questions de justice naturelle, y compris de partialité. L’appelante fait valoir que la décision de la division générale était incorrecte, car elle était partiale.

[7] Lorsqu’il s’agit de déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée dans une décision, la décision de principe est Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9 Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que lorsqu’un tribunal examine une décision concernant une question de fait, une question de droit ou une question mixte de fait et de droit se rapportant à sa propre loi constitutive, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de contrôle de la décision correcte s’applique, pour sa part, aux questions de compétence et de justice naturelle. Par conséquent, je suis d’avis que les questions de fait, les questions de droit ou les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées en regard de la norme de la décision raisonnable, et que la question de la partialité doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte.

Erreurs de fait

[8] L’appelante soutient que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, puisqu’elle n’a tenu compte d’aucun des rapports rédigés par des praticiens de médecine non traditionnelle. L’appelante fait valoir que la division générale les a rejetés sans tenir compte des titres de compétence de ces personnes, se bornant à dire que ces rapports ne constituaient pas des éléments de preuve médicale objective. L’appelante a également souligné que le Dr Boyd était le premier praticien à indiquer que l’appelante pourrait souffrir de douleur chronique, et que les praticiens appelés à la traiter par la suite ont confirmé cela dans leurs rapports relatifs à ses symptômes et à ses traitements.

[9] L’appelante soutient en outre que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle n’a pas tenu compte des rapports rédigés par le Dr Pop et le Dr Harth, car ils ont été écrits après que l’appelante a présenté sa demande de pension d’invalidité. Elle fait valoir que ces médecins n’ont pas agi comme plaideurs pour elle, mais qu’ils ont confirmé qu’elle a longtemps souffert de douleur, un problème demeuré non résolu malgré les traitements pour la soulager.

[10] L’intimé soutient, au contraire, que la division générale n’a pas rendu une décision entachée d’une erreur en n’ayant accordé que peu ou pas de poids à ces rapports. Il fait valoir que la division générale a énoncé, de façon précise, de bonnes raisons d’écarter les rapports de chacun de ces praticiens, dont le fait qu’ils n’avaient pas indiqué de façon claire quelles étaient leurs titres de compétence.

[11] Je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la division générale a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Bien que Mme Kingston, qui a écrit un rapport en appui à l’appelante, pouvait ne pas avoir eu de compétences en médecine, les autres praticiens de la santé étaient qualifiés dans leur domaine, leurs titres de compétence étant indiqués. Le membre de la division générale a rejeté ceci. De plus, la division générale a conclu que les titres de compétence de la Dre Wong étaient douteux, malgré qu’il était clair qu’elle avait acquis le titre de docteure en médecine en Chine.

[12] Dans sa décision, la division générale n’a pas indiqué qu’elle avait fait des démarches pour vérifier les titres de compétence des praticiens. Je reconnais qu’il incombe à un demandeur de prouver le bien‑fondé de sa cause. Cependant, la division générale a accordé du poids au manque apparent de qualifications de la part des praticiens sans donner à l’appelante l’occasion d’y répondre à l’audience.

[13] En outre, la division générale a conclu qu’aucun poids ne devait être accordé à la preuve écrite provenant du Dr Pop. La raison fournie était que le Dr Pop n’avait vu l’appelante qu’après la fin de la période minimale d’admissibilité et qu’il se fondait sur un rapport du Dr Boyd, dans lequel aucun diagnostic définitif n’avait été établi pour l’appelante. Bien que le Dr Pop n’ait pas examiné l’appelante avant la fin de la période minimale d’admissibilité, il s’est fondé sur les constatations du Dr Boyd pour se faire une opinion. Le Dr Boyd n’avait pas diagnostiqué de pathologie médicale précise chez l’appelante; toutefois, ce dont il faut tenir compte ce n’est pas le diagnostic d’une pathologie mais l’impact de l’invalidité sur la capacité de travailler d’un demandeur : Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social) 2008 CAF 33. Tout bien considéré, je suis convaincue que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

[14] La division générale n’a pas tenu compte de la preuve provenant du Dr Harth, parce que celui‑ci a été consulté après la fin de la période minimale d’admissibilité et en rapport avec la demande de pension d’invalidité de l’appelante. L’appelante s’est défendue énergiquement qu’il n’y a eu aucune tentative d’influencer le Dr Harth quant au diagnostic ou à la preuve présentée. Ayant lu le rapport du Dr Harth, je suis convaincue qu’il n’agissait pas comme plaideur pour l’appelante et que ses commentaires n’étaient pas influencés par le fait qu’elle avait présenté une demande de pension d’invalidité. Je suis également convaincue que la division générale a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a écarté cet élément de preuve.

[15] De plus, l’appelante s’appuie aussi sur la décision de la Commission d’appel des pensions dans Curnew c. Ministre du Développement des ressources humaines (25 juin 2001 CP12886) à l’appui de l’argument voulant que son invalidité soit survenue avant le diagnostic de sa pathologie. L’affaire en question concernait aussi un demandeur de pension d’invalidité souffrant de douleur chronique. La Commission d’appel des pensions a conclu que la douleur chronique est une pathologie progressive et qu’on ne peut dire qu’elle n’est apparue qu’au moment où un médecin en a fait le diagnostic. L’intimé a fait valoir que cette affaire ne s’appliquait pas en l’espèce, puisque la question en litige devant la Commission d’appel des pensions était de déterminer le moment de l’apparition d’une pathologie alors que l’affaire qui nous occupe concerne l’absence de preuve médicale pour étayer une demande de pension d’invalidité.

[16] L’argument de l’intimé ne me convainc pas. Bien que je ne sois pas liée par la décision Curnew, je la trouve convaincante dans l’affaire qui nous occupe. Dans les deux cas, l’affaire concerne un demandeur de pension d’invalidité souffrant de douleur chronique. La douleur a persisté malgré les traitements et, dans les deux cas, l’établissement du diagnostic a pris beaucoup de temps. J’accepte le raisonnement de la Commission d’appel des pensions selon lequel la douleur chronique est une pathologie progressive qui peut exister avant son diagnostic officiel. Je suis convaincue que la division générale a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a ignoré ou écarté la preuve de douleur chronique de longue date mentionnée dans les rapports de ses médecins et des autres praticiens de la santé.

[17] L’intimé soulève la décision de la Cour d’appel fédérale dans Villani c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 248 à l’appui de sa prétention qu’il faut une preuve médicale objective pour établir qu’un demandeur est invalide au sens du Régime de pensions du Canada. Cela n’est pas la question en litige en l’espèce. La question que je dois trancher est de savoir si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance lorsqu’elle a exclu toute la preuve médicale présentée par l’appelante. L’appelante a présenté une preuve médicale objective de sa pathologie et de son incidence sur sa capacité de fonctionner. La preuve en question a erronément été écartée par la division générale. Par conséquent l’argument de l’intimé n’est pas convaincant.

[18] Enfin, sur cette question, on m’a rappelé l’argument selon lequel ce n’est pas le diagnostic d’une pathologie mais son effet sur la capacité de travailler d’un demandeur qui doit être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne est invalide au sens du Régime de pensions du Canada (se reporter à Klabouch). La division générale s’est fondée sur le fait qu’il n’y a pas eu de diagnostic avant la fin de la période minimale d’admissibilité. Cela constitue une erreur mixte de droit et de fait.

[19] En résumé, je suis convaincue selon la prépondérance des probabilités que la division générale a rendu une décision entachée de plusieurs conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Je suis également convaincue que la division générale a commis une erreur en se fondant sur le fait que la pathologie de l’appelante n’a pas été diagnostiquée avant la fin de la période minimale d’admissibilité. Par conséquent, la décision est déraisonnable et ne peut se justifier au regard des faits et du droit.

Partialité

[20] L’appelante allègue également que la division générale a fait preuve de partialité. Le critère juridique dans le cas d’une allégation de partialité est celle d’une « probabilité raisonnable ou crainte raisonnable de partialité », l’accent étant mis non pas sur ce que la cour perçoit comme étant la partialité, mais sur ce que serait l’avis d’une personne raisonnable. Le critère juridique est énoncé clairement dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie (1978), 68 D.L.R. (3d) 716 à la page 735 de la façon suivante : « … à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle, que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » Ahumada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 9165 (CF).

[21] L’appelante soutient que la division générale a été partiale car elle a écarté la preuve provenant de ses fournisseurs de soins, n’a pas tenu compte de leurs titres professionnels et a ignoré la preuve provenant du Dr Pop et du Dr Harth parce qu’ils avaient été consultés après la fin de la période minimale d’admissibilité. L’intimé fait valoir, pour sa part, que la division générale a, dans sa décision, énoncé des raisons fondées pour rejeter la preuve provenant de chacun des fournisseurs de soins, ainsi que celle provenant du Dr Pop et du Dr Harth. La division générale étant le juge des faits, elle commande la retenue concernant les conclusions de fait qu’elle a tirées.

[22] J’accepte que la division générale était le juge des faits dans cette affaire. Elle se devait d’entendre la preuve présentée par les parties, la soupeser et rendre une décision fondée sur la preuve et le droit. Les principes de justice naturelle exigent que cela se fasse de façon impartiale. Les arguments de l’appelante m’ont convaincue que cela n’a pas été le cas. La division générale a rejeté chacun des rapports provenant de praticiens de médecine non traditionnelle et elle a rejeté leurs titres de compétences sans offrir à l’appelante l’occasion de répondre à cette préoccupation. La division générale a indiqué que les observations de chacun de ces praticiens ne constituaient pas « une preuve médicale objective ». De plus, elle a exclu l’avis du Dr Pop, au moins en partie, parce qu’il se fondait sur le Dr Boyd, qui n’avait diagnostiqué aucune pathologie particulière. La division générale n’a pas tenu compte de la preuve provenant du Dr Harth, parce qu’il avait été consulté en lien avec la demande de pension d’invalidité. Je suis convaincue qu’une personne raisonnable croirait que le décideur dans cette affaire n’a pas rendu une décision juste puisqu’il a écarté toute la preuve médicale pour les raisons que nous venons d’énoncer et qu’il a ensuite conclu que l’appelante n’était pas invalide faute de preuve suffisante d’une invalidité.

Conclusion

[23] Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a rappelé que pour déterminer si une décision est raisonnable, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat de façon à ce qu’une cour de révision puisse déterminer si le résultat fait partie des issues acceptables possibles. En l’espèce, l’appelante m’a convaincue que la division générale a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et semblait faire preuve de partialité. Par conséquent, la décision est déraisonnable et ne saurait être maintenue. L’affaire est renvoyée à la division générale pour une nouvelle audience devant un membre différent. La décision de la division générale doit être retirée du dossier.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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