Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Introduction

[1] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’intimé a rejeté la demande initiale de pension d’invalidité de l’appelant et la demande de révision. L’appelant a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada environ huit mois après le délai permis et a demandé une prolongation du délai pour déposer son appel. Le 12 février 2015, la division générale a déterminé que l’appelant avait une cause défendable et qu’aucune des parties ne subirait de préjudice si l’affaire allait de l’avant. Elle a refusé la demande de l’appelant au motif que celui‑ci n’avait pas d’explication raisonnable pour le retard à déposer sa demande d’appel et qu’il n’avait pas l’intention persistante de poursuivre l’appel. L’appelant a demandé la permission d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler lui a été accordée le 16 juillet 2015.

[2] En appel, l’appelant a affirmé que la décision de la division générale devrait être annulée parce qu’il avait l’intention persistante de poursuivre l’appel, mais l’appel n’a pas été déposé en raison de négligence de la part de son représentant. Cela a aussi expliqué le retard dans le dépôt de sa demande d’appel. En revanche, l’intimé a déclaré que la décision de la division générale était correcte, que la preuve était insuffisante pour permettre de conclure que le représentant de l’appelant était l’unique responsable du retard pour le dépôt de l’appel et qu’il n’était pas clair que l’appelant avait ordonné au représentant de déposer la demande d’appel.

[3] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi) régit le fonctionnement du Tribunal. Selon l’article 59 de la Loi, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale (voir l’annexe).

[4] Le présent appel a été tranché en fonction du dossier écrit après prise en compte de ce qui suit :

  1. a) La complexité de la question en litige;
  2. b) Le fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales ;
  3. c) Le fait que l’appelant ou d’autres parties étaient représentés;
  4. d) L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent;
  5. e) L’accord des parties selon lequel il était approprié de procéder de cette façon.

Norme de contrôle

[5] Je dois déterminer si la décision de la division générale de refuser la prorogation du délai pour le dépôt de la demande de permission d’en appeler devrait être maintenue. La première étape consiste à déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision rendue par la division générale. L’appelant n’a présenté aucune observation à cet égard. L’intimé a affirmé que la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision correcte. Il fonde son affirmation sur l’arrêt de principe Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’un tribunal examine une décision concernant une question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit se rapportant à sa propre loi constitutive, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les questions de justice naturelle, de compétence et les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble sont contrôlées d’après la norme de la décision correcte. Au moment d’appliquer une norme de contrôle de décision correcte, le tribunal chargé de révision complète son analyse de la question en litige et détermine s’il est en accord avec le décideur précédent. Dans la négative, il substitue sa propre décision à celle qui a été rendue. Cela a été accepté par la Cour d’appel fédérale dans la décision Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, qui concernait une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[6] En l’espèce, la question à trancher est une question de justice naturelle, c’est-à-dire qu’il faut déterminer si l’appelant a été privé de son droit à une audience équitable puisque sa demande de prorogation de délai a été refusée. La norme de contrôle à appliquer à la décision rendue par la division générale est celle de la décision correcte.

Analyse

Droit applicable

[7] Selon l’article 57 de la Loi,un appel d’une décision rendue par la section de la sécurité du revenu du Tribunal doit être présenté dans les 90 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. Le délai peut être prorogé, mais en aucun cas une demande ne doit être présentée au plus un an après le jour où la décision a été communiquée à l’appelant.

[8] Dans l’arrêt Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, la Cour fédérale a conclu qu’il faut prendre en considération et évaluer les facteurs suivants pour trancher cette question :

  1. a) il y a eu une intention persistante de poursuivre la demande;
  2. b) le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. c) la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie;
  4. d) la cause est défendable.

[9] La division générale a énuméré ces facteurs. Elle a conclu que l’appelant n’avait pas d’intention persistante de poursuivre l’appel, ni d’explication raisonnable de son retard. Elle a également conclu que l’appelant avait une cause défendable et que la prorogation du délai ne causerait de préjudice à aucune des parties si l’appel allait de l’avant.

Observations

[10] Dans les observations qu’il a présentées en appel, l’appelant a affirmé qu’il avait l’intention persistante de poursuivre l’appel et une explication raisonnable pour son retard. Il a déclaré qu’il avait de la difficulté à communiquer avec son représentant syndical. Malgré cela, il lui a demandé de déposer l’appel dans les délais. Le représentant ne l’a pas fait. Lorsque le syndicat l’a appris, il l’a congédié. L’appelant a présenté une copie de la lettre de congédiement du représentant pour appuyer cet argument. Il a indiqué qu’il ne devrait pas être tenu responsable de la conduite de son représentant. Il a aussi affirmé qu’il avait des problèmes de santé et des problèmes linguistiques, ce qui faisait qu’il était encore plus difficile de faire les démarches dans les délais.

[11] En outre, l’appelant a déclaré que pendant le délai autorisé pour le dépôt de l’appel, il a essayé d’obtenir d’autres renseignements médicaux afin d’appuyer sa demande. Il aurait été particulièrement important de les obtenir, puisque l’appelant venait tout juste de recevoir un diagnostic de leucémie et que ce diagnostic aurait pu avoir une incidence sur l’issue de la demande de pension d’invalidité.

[12] L’intimé soutient pour sa part que les documents fournis par l’appelant ne mentionnaient pas précisément que le représentant avait été congédié parce qu’il n’avait pas déposé l’appel dans le délai requis et que la lettre censée indiquer qu’il fallait ordonner au représentant de déposer un appel n’était pas tellement claire en ce sens.

[13] En l’espèce, la décision relative à la demande de révision date du 20 septembre 2012. À la lumière des documents dont je suis saisie, je suis convaincue que l’appelant a discuté de ce point avec son représentant. La discussion a été suivie d’une lettre de l’appelant à son représentant, datée du 10 décembre 2012. La lettre indique ce qui suit :

[Traduction]
Suivant notre discussion d’aujourd’hui, vous trouverez jointe en annexe la lettre concernant la demande de pension d’invalidité du RPC [de l’appelant]. Veuillez m’informer si vous avez besoin de plus de renseignements.

[14] Même si la lettre de décembre 2012 n’indique pas précisément au représentant de déposer un appel, elle fait référence à une discussion téléphonique à ce sujet. Lorsque j’examine cette lettre dans le contexte du nouveau diagnostic, du fait que l’appelant a tenté d’obtenir plus de renseignements médicaux et des faits concernant la conduite du représentant, je suis convaincue que l’appelant a demandé au représentant d’aller de l’avant avec l’appel, ce que ce dernier n’a pas fait.

[15] Je ne suis pas convaincue par l’argument de l’intimé voulant que la raison du congédiement du représentant de l’appelant n’est pas claire. Il est courant qu’une lettre de congédiement n’en précise pas la cause. L’employeur a écrit que le représentant a été congédié parce qu’il n’a pas suivi les instructions de l’appelant, qui souhaitait qu’il procède. Je ne dispose d’aucun renseignement qui me permet d’établir que ce n’était pas le cas.

[16] L’intimé s’est également fondé sur la décision Première Nation Washagamis de Keewatin c. Ledoux, 2006 CF 1300, de la Cour fédérale, pour appuyer sa position selon laquelle même si l’appelant avait ordonné à son ancien représentant de déposer l’appel dans les délais autorisés, cela ne démontrait pas l’existence d’une intention persistante de déposer un appel ni ne constituait une explication pour son retard à le faire. La décision Washagamis portait sur un certain nombre de plaintes pour congédiement injustifié contre un employeur. L’employeur a retardé le règlement des plaintes en ne donnant pas de directives à l’avocat et en changeant d’avocat. En fin de compte, l’arbitre a rendu une décision dans l’affaire en l’absence de l’employeur après des retards considérables et des tentatives infructueuses de communiquer avec l’avocat. L’employeur a ensuite demandé une prorogation du délai afin d’en appeler de la décision, demande qui lui a été refusée. La décision présente les principes pouvant être appliqués à une demande de prorogation du délai d’en appeler d’une décision.

[17] La décision Washagamis indiquait qu’une partie ne doit pas être excusée lorsqu’elle reste inactive en marge du litige et omet de tenir son représentant responsable de ses actes. Le demandeur doit s’enquérir auprès de son avocat afin de savoir pourquoi le délai n’a pas été respecté; de même, il se doit de fournir une preuve claire et convaincante de sa non‑responsabilité pour le retard. L’intimé soutient que l’appelant ne l’a pas fait en l’espèce. En toute déférence, je ne suis pas convaincue que l’appelant est resté inactif en marge du litige. Dans la décision Washagamis, l’employeur avait retardé le règlement du litige d’environ deux ans en ne répondant pas aux pièces de correspondance ni aux appels téléphoniques, en retenant les services de différents avocats et en ne se présentant pas aux audiences. En l’espèce, l’appelant a transmis à son représentant l’information qu’il avait reçue de l’intimé, a discuté de l’affaire avec son représentant et a demandé qu’on communique avec lui si d’autres renseignements étaient nécessaires. Il a écrit qu’il avait de la difficulté à communiquer avec son représentant. Mais il doit avoir communiqué avec le représentant ou le syndicat, sans quoi la demande de prorogation de délai n’aurait pas été déposée devant le Tribunal.

[18] L’affaire Washagamis diffère aussi de l’affaire dont je suis saisie, puisque dans ce cas l’employeur avait utilisé une stratégie dilatoire et la Cour avait conclu qu’une prorogation du délai pourrait causer un préjudice à l’autre partie. Au contraire, dans l’affaire qui nous occupe, l’appelant n’a pas utilisé de tactiques dilatoires. En outre, la division générale a estimé que l’intimé ne subit aucun préjudice. Enfin, il ne s’agit pas ici d’une affaire où une partie était indifférente aux exigences de dépôt des demandes, mais d’une affaire où l’appel a été déposé en retard en raison d’erreur ou de négligence de la part du représentant de l’appelant.

[19] Pour ces motifs, je suis convaincue que l’appelant ne devrait pas être tenu responsable des actes de son représentant.

La décision de la division générale

[20] Les tribunaux ont invariablement établi que le poids qu’il faut accorder à chacun des facteurs pris en compte afin de décider s’il faut proroger le délai pour interjeter appel peut varier dans chaque affaire et, dans certains cas, différents facteurs seront pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (voir Canada [Procureur général] c. Larkman, 2012 CAF 204).

[21] Après avoir examiné la décision de la division générale et les observations des parties pour la permission d’en appeler et en appel, je suis convaincue que la décision de la division générale de refuser une prorogation de délai était incorrecte. La division générale a, dans l’énoncé des motifs de sa décision, appliqué les quatre facteurs de l’affaire Gattellaro aux faits en l’espèce. Elle l’a fait de façon machinale et sans expliquer pourquoi si peu de poids, voire aucun, a été accordé au fait que l’appelant avait une cause défendable. La jurisprudence est également claire (voir Larkman; Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263) : la considération primordiale est celle de rendre justice aux parties. En l’espèce, la division générale n’a pas pris cela en compte en rendant sa décision. C’était une erreur de droit, qui a mené à une décision déraisonnable et incorrecte. L’appelant n’a pas eu d’audience équitable sur le fond de sa demande, ce qui dans ce cas était un manquement aux principes de justice naturelle.

Conclusion

[22] L’appel doit être accueilli. Selon l’article 59 de la Loi, la division d’appel du Tribunal peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. En l’espèce, je suis convaincue que la division générale aurait dû proroger le délai de dépôt de l’appel. L’appelant avait une cause défendable. Il avait une intention persistante de poursuivre l’appel et une explication raisonnable de son retard dans le dépôt de sa demande d’appel. L’intimé ne subirait aucun préjudice si l’affaire était instruite sur le fond. L’affaire est renvoyée à la division générale pour une audience sur le fond de la demande de pension d’invalidité. Pour éviter toute crainte de partialité, cette affaire devrait être instruite par un autre membre de la division générale.

[23] Cette affaire a été instruite promptement par la division d’appel parce que l’appelant a reçu un diagnostic de maladie terminale. Les parties ont collaboré pour accélérer le traitement de cette demande et la transférer à la division d’appel. Je les félicite pour cela. Le traitement de cette affaire par la division générale devrait, aussi, être accéléré.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

57. (1) La demande de permission d’en appeler est présentée à la division d’appel selon les modalités prévues par règlement et dans le délai suivant,

  1. a) dans le cas d’une décision rendue par la section de l’assurance-emploi, dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision;
  2. b) dans le cas d’une décision rendue par la section de la sécurité du revenu, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

(2) La division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.