Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  1. Appelante: Mme B. M.
  2. Avocat de l’appelante: M. Groleau
  3. Avocate de l’intimé: Mme Ahmed-Hassan

Introduction

[1] Dans sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), l’appelante affirme être devenue invalide des suites des blessures qu’elle a subies lors d’un accident de voiture en 2006. L’intimé a rejeté sa demande une première fois et l’a de nouveau rejetée après l’avoir réexaminée. L’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Le 1er avril 2013, l’appel a été renvoyé à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada conformément à la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. Au terme de l’audience, la division générale a rejeté l’appel.

[2] L’appelante a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, qui lui a été accordée le 30 janvier 2015. Dans son dossier appel, l’appelante a soutenu que la division générale avait commis une erreur en faisant abstraction des éléments de preuve relatifs à ses limitations fonctionnelles et à ses activités quotidiennes et qu’elle n’a pas raisonnablement pris en considération et soupesé la preuve médicale en rendant sa décision. L’intimé a rétorqué que la décision de la division générale est raisonnable et que l’appel doit être rejeté.

[3] L’appel a été instruit par vidéoconférence pour les motifs suivants :

  1. a) La nature de l’appel, y compris la position des parties et les documents versés.
  2. b) Le fait que la crédibilité ne figure pas au nombre des questions principales.
  3. c) Le fait que les parties sont représentées.
  4. d) Le fait que le matériel nécessaire à une vidéoconférence est disponible dans la région où réside l’appelante.
  5. e) Le caractère économique et opportun du choix de l’audience.

[4] Dans ses observations écrites, l’intimé a soutenu que des éléments de preuve concernant certaines questions en litige ont été présentés à l’audience de la division générale. Il n’a pas fourni de transcription de cette audience ni indiqué où se situent les propos en question sur l’enregistrement audio. L’intimé n’a, à aucun moment avant l’audition de l’appel, demandé que j’écoute l’enregistrement audio de cette audience. L’avocate en a fait la demande à l’audience d’appel. L’avocat de l’appelante s’est opposé à la demande de l’intimé voulant que j’écoute l’enregistrement audio de l’audience après l’audience d’appel, car il n’aurait alors pas eu l’occasion de présenter des observations sur les points que l’écoute de l’enregistrement audio aurait pu soulever. L’intimé a par la suite retiré sa demande voulant que j’écoute l’enregistrement audio. En l’espèce, la décision a été rendue à la suite de l'examen des arguments présentés par écrit et de vive voix par les parties et sans avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience instruite par la division générale.

Norme de contrôle

[5] Pour déterminer s’il convient d’accueillir l’appel, je dois d’abord établir la norme de contrôle applicable à la décision de la division générale. Dans ses observations verbales, l’avocat de l’appelante a dit souscrire aux observations écrites de l’intimé à ce sujet. L’intimé a fait valoir que les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable et que les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte. L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 SCC 9 est l’arrêt de principe à ce chapitre. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que lorsqu’il s’agit de réviser une décision portant sur des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit et des questions de droit relatives à la loi constitutive du tribunal investi de la révision, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; il faut alors déterminer si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de compétence et aux questions d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Ce principe a été admis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, qui porte sur une demande de pension d’invalidité du RPC. Dans le présent appel, il s’agit de questions mixtes de fait et de droit; j’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable.

Analyse

[6] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi)régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel qui justifient un appel (voir l’annexe à la présente décision). Une permission d’en appeler a été accordée pour trois motifs, à savoir que la division générale est susceptible d’avoir commis une erreur en faisant abstraction du témoignage ou de la preuve écrite de l’appelante concernant ses limitations fonctionnelles, qu’elle est susceptible d’avoir commis une erreur en ne tenant pas compte des capacités de l’appelante ou des caractéristiques propres à son quotidien, et qu’elle est susceptible d’avoir commis une erreur en ne soupesant pas les éléments de preuve médicale contradictoires et en décidant, justification à l’appui, de se fonder sur certains rapports médicaux et de faire abstraction des autres pour rendre sa décision. Les deux premiers moyens d’appel seront examinés conjointement. Ma décision est présentée ci‑dessous.

Capacités fonctionnelles et activités quotidiennes de l’appelante

[7] L’avocat de l’appelante a fait valoir – et je suis d’accord avec lui ­­– que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale n’ont pas, à ce jour, rendu de décision qui indique précisément la norme de contrôle à appliquer aux décisions de la division générale du Tribunal. Il a ajouté qu’à la lumière de cette information, la norme de la décision raisonnable doit être appliquée à l’affaire dont je suis investie selon une approche générale et globale, compte tenu du fait que le Régime de pensions du Canada est une loi qui accorde des prestations et qu'il doit être interprété de cette façon. Il a invoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 et a exhorté la division d’appel à porter une attention respectueuse à la décision de la division générale et à faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la décision.

[8] Néanmoins, il a allégué que d’un autre côté, la division générale aurait dû analyser la preuve portée à sa connaissance en lien avec les capacités fonctionnelles de l’appelante, et non pas seulement dresser la liste de ses symptômes. Il a fait valoir que les motifs de décision de la division générale sont inappropriés en l’espèce du fait que cette dernière n’a pas analysé les symptômes de l’appelante dans sa décision. L’avocat a également soutenu qu’étant donné que la décision ne fait pas état des conséquences des divers symptômes de l’appelante sur sa capacité à travailler, on ne peut que spéculer sur les conclusions de la division générale à cet égard.

[9] L’avocate de l’intimé a elle aussi invoqué les principes énoncés dans la décision Newfoundland Nurses. Elle a fait valoir que la décision de la division générale est raisonnable même si elle ne fait pas référence à tous les éléments de preuve et arguments dont la mention aurait peut-être été préférable.

[10] Il n’est pas nécessaire que je détermine s’il convient en l’espèce d’appliquer une approche générale et globale à la norme de contrôle. Pour les motifs mentionnés ci‑dessous, je suis d’avis que les motifs de décision sont insuffisants et qu’il en serait ainsi même si on appliquait une autre approche à la norme de la décision raisonnable.

[11] La décision de la division générale ne fait guère état des limitations fonctionnelles de l’appelante dans ses activités quotidiennes ou sa situation personnelle. L’article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada exige du requérant qu’il fournisse ces renseignements dans sa demande de pension d’invalidité du RPC. Les décisions des tribunaux ont confirmé la nécessité de tenir compte de ces questions.

[12] Dans son argumentation, l’avocate de l’intimé a fait valoir que la division générale avait fait référence à ces éléments de preuve, et a attiré l’attention sur les rapports médicaux renfermant une partie de cette information. J’estime toutefois, très respectueusement, que le résumé d’un rapport de médecin faisant état de symptômes et de limitations n’est pas un élément de preuve de l’appelante. L’argument de l’intimé voulant que la division générale a tenu compte des limitations fonctionnelles de l’appelante parce que sa décision fait mention des décisions Butler c. Le ministre du Développement social (27 avril 2007, CP21630) et Watson c. Le ministre du Développement des ressources humaines (29 septembre 1999, CP8040), lesquelles comportent un examen de symptômes physiques précis, ne me convainc pas. Je ne vois pas de lien logique entre l’application de principes juridiques émanant de la jurisprudence et la preuve présentée ou non à cette audience.

[13] J’admets qu’il n’est pas nécessaire qu’une décision énumère tous les éléments de preuve présentés à l’audience. Cependant, la décision rendue dans la présente affaire fait à peine référence aux activités quotidiennes de l’appelante. Cette preuve n’a pas du tout été analysée. Ce n’est pas comme si certains détails liés à la preuve avaient été écartés de la décision. Qui plus est, dans l’affaire Whitelaw c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 412, la Cour d’appel fédérale a établi très clairement qu’il ne suffit pas de mentionner tout simplement la preuve et la conclusion tirée; la décision doit présenter un certain nombre de motifs sur lesquels elle se fonde. Comme elle n’a pas analysé les capacités et les limitations fonctionnelles de l’appelante, je ne suis pas convaincue que la division générale a tenu compte de ces éléments de preuve pour rendre sa décision. Il s’agit là d’une erreur.

[14] L’avocat de l’appelante a également affirmé que la conclusion de la division générale, selon laquelle l’invalidité de l’appelante n’est pas grave parce qu’elle ne suivait pas de traitement au moment de la période minimale d’admissibilité (date à laquelle le requérant doit être considéré comme invalide pour recevoir une pension d’invalidité du RPC), n’est pas raisonnable. Il a indiqué que l’appelante avait fait l’objet d’un certain nombre d’évaluations et de traitements, mais qu’elle n’en suivait pas au moment de la période minimale d’admissibilité parce qu’on n’avait rien de plus à lui offrir, et non pas parce que son invalidité n’était pas grave. À l’inverse, l’avocate de l’intimé a allégué que la conclusion de la division générale, selon laquelle l’invalidité de l’appelante n’est pas grave parce que celle‑ci ne suit pas de traitement, est raisonnable. Elle a contesté l’allégation voulant qu’aucun autre traitement ne s’offrait à l’appelante. Après avoir examiné la décision de la division générale, je suis persuadée que la conclusion voulant que l’invalidité de l’appelante ne soit pas grave parce que celle‑ci ne suit pas de traitement n’est pas raisonnable. La décision n’énonce pas le fondement probatoire de cette conclusion. L’avocate n’a pas fait référence à des éléments de preuve démontrant que d’autres traitements s’offraient à l’appelante et que celle‑ci ne les a pas essayés. À la lecture de la décision, les raisons qui ont motivé cette conclusion sont obscures.

Rapports médicaux contradictoires

[15] Les avocats des deux parties s’entendent pour dire que la preuve écrite soumise à la division générale comporte des rapports médicaux préparés par les parties adverses en cause, et qu’il n’est donc pas surprenant que ces rapports soient contradictoires. L’avocat de l’appelante a allégué que la décision de la division générale comporte une erreur du fait qu’elle se limite à reconnaître l’existence de ces rapports sans les examiner ni expliquer pourquoi certains ont été favorisés et d’autres, écartés de la décision. Il a soutenu qu’il s’agissait là d’une erreur de droit et que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce.

[16] À l’inverse, l’avocate de l’intimé a allégué qu’il était raisonnable de la part de la division générale d’affirmer qu’elle n’était pas en mesure de rapprocher les rapports contradictoires. Il était approprié de la part de la division générale, en tant que juge des faits en l’espèce, de soupeser les rapports et de rendre une décision, ce qu’elle a fait. L’avocate a également soutenu qu’il n’appartient pas à la division d’appel de réexaminer la preuve présentée à la division générale afin de rendre une conclusion différente.

[17] Je suis d’accord qu’il n’appartient pas à la division d’appel du Tribunal de réexaminer la preuve présentée afin de rendre une conclusion différente. Toutefois, la décision doit énoncer un certain nombre de motifs pour expliquer la conclusion tirée. J’estime que la division générale ne l’a pas fait en ce qui concerne les rapports médicaux contradictoires.

[18] Dans l’affaire R. c. Sheppard (2002 CSC 26), la Cour suprême du Canada a énoncé les raisons pour lesquelles il faut fournir les motifs d’une décision. Elle explique notamment qu’ils permettent aux parties de prendre connaissance de la décision qui a été rendue et de savoir pourquoi elle a été rendue. L’avocate de l’intimé a fait valoir que cette décision devrait être dissociée de l’affaire dont je suis saisie parce qu’elle a trait au contrôle judiciaire d’une affaire criminelle, tandis que la présente affaire porte sur une décision rendue par un tribunal administratif. Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, je trouve cet argument bien peu convaincant. La décision rendue dans l’affaire Sheppard énonce des principes généraux concernant les motifs de décision qui s’appliquent à toutes les décisions rendues dans le cadre d’affaires litigieuses. Ces principes sont également mentionnés dans la décision Newfoundland Nurses, que les deux avocats ont invoquée à l’appui de leur position.

[19] Si j’applique les principes énoncés dans Sheppard à l’affaire dont je suis saisie, j’estime que la division générale n’a pas examiné et soupesé adéquatement les rapports médicaux contradictoires portés à sa connaissance. Il ne suffit pas de rapporter simplement le contenu de chaque rapport. La division générale aurait dû indiquer dans sa décision quels rapports elle a favorisés et expliquer les raisons qui ont motivé ce choix, sans quoi les parties pourraient ne pas comprendre pourquoi la division générale en est arrivée à cette décision. La division générale a donc commis une erreur à ce chapitre. 

[20] Je n’accepte pas que le défaut d’avoir soupesé adéquatement la preuve médicale constitue une erreur de droit. La loi dispose clairement que la décision doit motiver les conclusions de fait tirées d’une preuve litigieuse et contradictoire, et dont l’issue de l’affaire dépend largement (voir Sheppard). L’erreur a été commise lors de l’application des dispositions législatives pertinentes à la preuve médicale présentée à l’audience devant la division générale. Il s’agit là d’une erreur mixte de fait et de droit. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique à la révision.

[21] Je dois déterminer si la décision de la division générale est raisonnable, à la lumière des erreurs susmentionnées. Je suis d’avis que les motifs liés aux capacités fonctionnelles de l’appelante qui sont énoncés dans la décision sont insuffisants. L’insuffisance des motifs ne rend pas à elle seule une décision déraisonnable (Newfoundland Nurses). Néanmoins, la décision comporte également des erreurs mixtes de fait et de droit, puisqu’elle ne présente pas le fondement probatoire de la conclusion tirée, selon laquelle l’invalidité n’est pas grave parce qu'aucun traitement n'est en cours, que les éléments de preuve médicale contradictoires n’ont pas été soupesés et que la décision n’explique pas pourquoi certains éléments de preuve ont été favorisés ou se sont vu accorder plus de poids que les autres. En examinant les motifs de pair avec l’issue de la décision, j’estime que la décision n’est pas raisonnable. Elle ne peut pas se justifier au regard des faits et de la loi, car les motifs qui ont poussé la division générale à tirer ces conclusions ne sont pas clairs.

Conclusion

[22] Pour les motifs énoncés précédemment, l’appel est accueilli.

[23] L’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les mesures correctives que peut accorder la division d’appel. L’avocat de l’appelante m’a priée de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre en l’espèce. Je ne suis toutefois pas en mesure de le faire. Je n’ai pas entendu le témoignage prononcé à l’audience devant la division générale, les éléments de preuve médicale sont contradictoires et les parties ont peut-être des observations à faire quant à la façon de les soupeser. L’affaire est renvoyée à la division générale afin qu’elle soit réexaminée. Dans le but d’éviter qu’il y ait apparence de partialité ou que le bien-fondé de la demande semble avoir été déterminé à l’avance, l’affaire doit être examinée par un autre membre de la division générale, et la décision rendue par la division générale doit être retirée du dossier.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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