Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] L’appelante interjette appel d’une décision de la division générale datée du 16 mai 2015, dans laquelle celle-ci rejette de façon sommaire la demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada  présentée par l’appelante le 6 octobre 2011 au motif qu’elle ne respectait pas les exigences du paragraphe 66(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi). La division générale a rejeté de façon sommaire l’appel étant donné qu’elle était convaincue qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[2] L’appelante a déposé un appel le 8 juillet 2015 (avis d’appel). Aucune permission d’en appeler n’est requise dans le cas des appels interjetés au titre du paragraphe 53(3) de la Loi, car un rejet sommaire de la part de la division générale peut faire l’objet d’un appel de plein droit. Comme j’ai déterminé qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, l’affaire procède conformément à l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (le Règlement).

Questions en litige

[3] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle était la nature de la demande déposée par l’appelante devant le  Bureau du Commissaire des tribunaux de révision le 6 octobre 2011?
  2. En fonction de la nature de la demande du 6 octobre 2011, la division générale l’a-t-elle tranchée de manière appropriée? La division générale a-t-elle commis une erreur en rejetant de façon sommaire la demande de l’appelante? Quelle aurait dû être la décision de la division générale?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en compte les observations présentées par l’appelante le 15 mai 2015? Le cas échéant, les observations auraient-elles influé sur sa décision?

Aperçu des faits

[4] Des renseignements généraux sont requis étant donné que l’appelante a présenté de nombreuses demandes de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[5] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, le 17 janvier 2006 (GT1-127 à GT1-130). L’intimé a refusé la demande initiale le 9 mai 2006 (GT1-125 à GT1-126). Il semble que l’appelante n’a pas demandé de révision de la décision de l’intimé.

[6] L’appelante a présenté une deuxième demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, le 18 décembre 2006 (GT1-114 à GT1-119). L’intimé a refusé la demande initiale (GT1-106 à GT1-107) ainsi qu’après révision (GT1-102 à GT1-103/GT1-108 à GT1-109). Un tribunal de révision pour le Régime de pensions du Canada a maintenu la décision de révision du 2 décembre 2008 à la suite d’une audience tenue le 10 septembre 2008 comme il  a conclu que l’appelante n’était pas invalide en 1997, au moment où elle a respecté pour la dernière fois les exigences relatives à la période minimale d’admissibilité (GT1-26 à GT1-31). L’appelante a demandé à la Commission d’appel des pensions la permission d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Le 1er avril 2009, la Commission d’appel des pensions a refusé la demande de permission d’en appeler puisqu’elle a conclu qu’elle n’a pas soulevé de cause défendable. La Commission d’appel des pensions a tranché qu’elle n’a pas respecté les exigences de cotisations pour l’admissibilité (GT1-23 à GT1-24). L’appelante n’a pas demandé que la décision de la Commission d’appel des pensions fasse l’objet d’un contrôle judiciaire.

[7] L’appelante a présenté une troisième demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 6 octobre 2011 (GT1-15 à GT1-18). L’intimé a refusé la demande initiale (GT1-11 à GT1-12) ainsi qu’après révision (GT1-6 à GT1-7). L’intimé a expliqué dans sa lettre datée du 4 mai 2012 qu’il ne pouvait pas approuver la demande actuelle de l’appelante puisqu’elle avait déjà fait une demande en utilisant la même période minimale d’admissibilité de décembre 1997, et la décision du tribunal de révision rendue le 2 décembre 2008 était donc finale et exécutoire. L’intimé a également informé l’appelante qu’elle avait 90 jours pour interjeter appel de la décision de révision devant un tribunal de révision. Le 1er août 2012, l’appelante a déposé un appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision.

[8] Le 13 mars 2013, l’appelante a déposé une demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008. La demande incluait des lettres datées du 17 février 2012 et du 8 mars 2013, dans lesquelles l’appelante demandait clairement que son dossier soit rouvert. Le 15 avril 2014, la division générale a instruit et a tranché la demande d’annulation ou de modification présentée en mars 2013. La division générale n’a pas pris en compte, ni mentionné cette demande d’annulation ou de modification de la décision présentée en mars 2013 dans sa décision du 16 mai 2015. L’intimé a résumé l’historique des procédures liées à la demande d’annulation ou de modification de la décision présentée en mars 2013 aux paragraphes 17 à 19 de ses observations, mais cette question ne m’a pas été soumise.

[9] En vertu de l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, tout appel déposé avant le 1er avril 2013 conformément au paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229, est considéré comme ayant été déposé auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale le 1er avril 2013. Le 1er avril 2013, le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision a transféré l’appel de l’appelante en regard de la décision de révision au Tribunal de la sécurité sociale ainsi que la demande d’annulation ou de modification de la décision présentée par l’appelante.

[10] Le 29 mai 2013, l’appelante a déposé un avis de préparation auprès du Tribunal de la sécurité sociale l’avisant qu’elle n’avait aucun autre document ni observation écrite concernant son appel à l’encontre de la décision du tribunal de révision rendue en octobre 2011.

[11] Le 30 mars 2015, la division générale a envoyé un avis écrit à l’appelante, l’informant qu’elle envisageait de rejeter de façon sommaire l’appel de la décision du tribunal de révision rendue en octobre 2011 pour les raisons suivantes :

[Traduction]
En décembre 2006, le tribunal de révision a conclu que les cotisations de l’appelante étaient insuffisantes pour qu’elle soit admissible à une pension d’invalidité.

En vertu de l’article 66 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), le Tribunal peut annuler ou modifier une décision antérieure du Tribunal dans certaines circonstances. Pour être acceptée, une demande d’annulation ou de modification d’une décision doit être présentée dans l’année qui suit la décision précédente du Tribunal et doit comporter une nouvelle preuve matérielle qui ne pouvait pas être communiquée au moment de l’audience précédente.

En l’espèce, l’appelante n’a pas soumis de nouvelle preuve matérielle, et sa demande a été présentée environ cinq ans après la décision du Tribunal rendue le 18 décembre 2006.

[12] La division générale a invité l’appelante à transmettre des observations écrites détaillées au plus tard le 11 mai 2015 et à expliquer en quoi son appel avait une chance raisonnable de succès.

[13] Le 8 mai 2015, l’appelante a envoyé d’autres documents par courrier recommandé au Tribunal de la sécurité sociale, c’est-à-dire :

  1. (a) une lettre de l’appelante à Gerald Keddy, député, datée du 1er août 2012;
  2. (b) une lettre datée du 17 janvier 2013 du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences à Gerald Keddy, député;
  3. (c) une lettre datée du 7 mai 2015 du Dr Timothy J. Riding;
  4. (d) une lettre datée du 8 mai 2015 de Tim German.

[14] Le Tribunal de la sécurité sociale a reconnu qu’il avait reçu sa lettre accompagnée des pièces jointes le 15 mai 2015, mais la division générale avait déjà rendu une décision en matière de rejet sommaire à ce moment, alors le Tribunal n’a pas fourni de copie des observations de l’appelante à la division générale.

[15] Le 16 mai 2015, la division générale a rendu sa décision. La division générale s’est fondée sur les dispositions suivantes pour rendre sa décision :

  1. a) Le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.
  2. b) L’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale dispose qu’avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser l’appelant par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations.
  3. c) Le paragraphe 66(2) de la Loi exige que la demande d’annulation ou de modification d’une décision soit présentée au plus tard un an après la date où une partie reçoit communication de la décision.

[16] La division générale n’a pas mentionné la position de l’intimé établie dans sa lettre du 4 mai 2012, selon laquelle il considérait l’affaire comme étant chose jugée. La division générale a plutôt traité la demande de pension d’invalidité de l’appelante présentée le 6 octobre 2011 comme une demande d’annulation ou de modification d’une décision.

[17] La division générale a estimé qu’elle pouvait annuler ou modifier une décision antérieure de la division générale (ou d’un tribunal de révision) en vertu de l’article 66 de la Loi dans le cas où un appelant respectait certaines exigences, notamment s’il présentait la demande de modification ou d’annulation dans l’année suivant la décision précédente et s’il n’aurait pas été possible que les nouveaux documents soumis soient communiqués à l’audience précédente. La division générale a établi qu’une décision précédente avait été rendue par un tribunal de révision en décembre 2008 et que la demande de pension d’invalidité subséquente de l’appelante, qui faisait l’objet de l’appel, a été présentée en octobre 2011, soit presque trois ans après que le tribunal de révision eut rendu sa décision. La division générale était d’avis que la demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008 présentée par l’appelante était frappée de prescription, puisqu’elle n’avait pas été présentée dans l’année suivant la décision.

[18] Le 8 juillet 2015, l’appelante a déposé un appel à l’encontre de la décision liée au rejet sommaire de la division générale.

Observations

[19] Dans l’avis d’appel déposé le 8 juillet 2015, l’appelante a fait valoir que la division générale n’avait pas pris en compte les observations qu’elle avait envoyées au Tribunal de la sécurité sociale par lettre recommandée, le 8 mai 2015. Le Tribunal de la sécurité sociale a reconnu qu’il avait reçu sa lettre accompagnée des pièces jointes le 15 mai 2015, mais la division générale avait déjà rendu une décision rattachée à un rejet sommaire. La division générale a rendu sa décision le 16 mai 2015 (bien que selon la lettre du Tribunal de la sécurité sociale, la décision avait été rendue le 19 mai 2015). L’appelante fait valoir que la division générale aurait dû prendre en compte ses observations avant de rendre sa décision. En plus de ces documents qu’elle avait envoyés au Tribunal de la sécurité sociale le 8 mai 2015, l’appelante a aussi joint à ses observations du 8 juillet 2015 les documents qui suivent :

  1. (a) des lettres de la Dre Catherine Ellis datées du 12 mars et du 11 septembre 2009;
  2. (b) une radiographie datée du 8 mars 1994.

[20] Le 13 juillet 2015, le Tribunal de la sécurité sociale a confirmé auprès des parties que l’appelante avait déposé un avis d’appel. Le Tribunal a informé les parties qu’elles avaient jusqu’au 23 août 2015 pour présenter des observations ou déposer un avis auprès de la division d’appel pour l’informer qu’elles n’avaient pas de nouvelles observations. Le 19 août, l’appelante a présenté une lettre datée du 13 août 2015 avisant qu’elle n’avait pas de nouvelles observations.

[21] L’intimé a présenté des observations écrites le 24 août 2015. L’intimé n’a pas pris position concernant ce qu’il comprenait être l’allégation de l’appelante selon laquelle la division générale a manqué aux principes de justice naturelle en lui refusant son droit d’être entendue. Toutefois, l’intimé a fait remarquer que le Tribunal avait reçu la lettre de l’appelante datée du 8 mai 2015 après l’échéance du 11 mai 2015. L’intimé fait valoir que si la lettre a bel et bien été présentée en retard, la division générale avait le droit de refuser d’en tenir compte puisqu’elle avait avisé l’appelante que si elle ne présentait pas les observations d’ici le 11 mai 2015, l’affaire serait tranchée en se fondant sur les documents déjà au dossier. L’intimé affirme que la division générale avait en outre l’obligation en vertu de l’article 22 du Règlement de rendre sa décision dans les délais.

[22] Il est intéressant et peut-être même curieux que l’intimé soit d’avis que l’appelante a déposé ses observations du 8 mai 2015 en retard, étant donné qu’il a lui-même présenté ses observations en retard, le 24 août 2015.

[23] Néanmoins, l’intimé fait valoir que la lettre du 8 mai 2015 ne respectait pas  l’avis de rejet sommaire puisqu’elle n’abordait pas les questions soulevées dans l’avis, ni n’établissait en quoi l’appel avait une chance raisonnable de succès. L’intimé fait remarquer qu’elle traitait plutôt encore de la question de l’invalidité de l’appelante, qui a finalement été tranchée par un tribunal de révision en 2008. L’intimé fait donc valoir que même si la division générale avait tenu compte de la lettre du 8 mai 2015, le résultat aurait probablement été le même.

[24] L’intimé fait ensuite remarquer que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès parce que l’appelante est incapable d’établir une nouvelle période minimale d’admissibilité pour appuyer sa demande d’octobre 2011 et que sa période se termine donc bel et bien le 31 décembre 1997. C’est la même période d’admissibilité qui avait été établie par le tribunal de révision en 2008. L’intimé affirme que la décision du tribunal de révision rendue en 2008 est finale et exécutoire et que donc la question visant à déterminer si l’appelante était invalide au 31 décembre 1997 est chose jugée.

[25] L’intimé affirme ensuite que lorsque l’appelante a présenté une demande en vertu de l’ancien paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, elle avait épuisé son droit de présenter une demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008, au moment où la demande a été instruite et tranchée par la division générale en 2014. L’intimé cite le paragraphe 66(3) de la Loi comme un obstacle supplémentaire pour annuler ou modifier la décision du tribunal de révision rendue en 2008. Ce paragraphe limite le nombre de demandes d’annulation ou de modification à une seule par décision. Je ne vois pas comment le paragraphe 66(3) pourrait être appliqué puisque je ne suis au courant d’aucune demande d’annulation ou de modification antérieure – autre que celle du 13 mars 2013 – que l’appelante aurait présenté.

[26] L’intimé fait remarquer que la décision de la division générale de rejeter de façon sommaire l’appel était raisonnable puisque l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. L’intimé demande que la division d’appel rejette l’appel.

[27] Bien que je sois contrainte de ne pas tenir compte des observations de l’intimé du 24 août 2015 à cette occasion afin qu’il y ait une certaine uniformité dans l’historique de ces procédures où des observations tardives sont présentées, je constate que les observations concordent dans une certaine mesure avec mes points de vue. Toutefois, hormis cela, la différence entre les observations tardives de l’appelante et celles également tardives de l’intimé est que dans le cas de la division générale, celle-ci avait déjà rendu sa décision. En l’espèce, je devais encore examiner l’affaire et rendre une décision lorsque l’intimé a présenté ses observations, le 24 août 2015. J’ai le pouvoir discrétionnaire d’accepter que les observations tardives soient ajoutées au dossier. Dans cette affaire particulière, je suis prête à accepter les observations de l’intimé, malgré le fait qu’elles sont tardives, puisque cela serait dans les meilleurs intérêts de la justice que la jurisprudence et l’argumentation au dossier soient complètes.

Première question en litige : quelle était la nature de la demande présentée par l’appelante devant le bureau du commissaire des tribunaux de révision le 6 octobre 2011?

[28] Quelle était la nature de la demande présentée par l’appelante le 6 octobre 2011? L’appelante considérait que c’était une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, alors que la division générale a établi que c’était une demande d’annulation ou de modification de la décision rendue le 2 décembre 2008 par le tribunal de révision du Régime de pensions du Canada. Si la demande était bien une demande d’annulation ou de modification, l’appelante aurait pu devoir respecter les exigences prévues par la loi ou bien elle aurait pu être confrontée aux empêchements prévus par la loi en application de l’article 66 de la Loi.

[29] Le fait que la division générale eût établi que la demande était une demande d’annulation ou de modification d’une décision était, en toute déférence, déplacé étant donné que l’appelante n’avait présenté aucun « nouveau fait », ni aucun dossier en appui de la demande présentée le 6 octobre 2011, outre les documents envoyés par courrier recommandé le 8 mai 2015 (dont la division générale n’était pas au courant lorsqu’elle a rendu sa décision). D’ailleurs, rien n’indique que l’appelante avait l’intention d’annuler ou de modifier la décision du tribunal de révision. En outre, l’intimé a refusé la demande à l’étape de la révision en invoquant que c’était chose jugéeet en suggérant qu’il ne considérait pas la demande comme une demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008. L’intimé fait aussi remarquer qu’une demande d’annulation ou de modification d’une décision doit être présentée conformément à la procédure figurant aux articles 45 à 49 du Règlement. Bien que je sois d’accord avec l’intimé que cela s’applique pour les demandes d’annulation ou de modification présentées à compter du 1er avril 2013, ces exigences n’existaient pas en octobre 2011 lorsque l’appelante a présenté sa demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada; il est clair que ces dispositions ne s’appliqueraient pas.

[30] L’intimé fait valoir que même si la demande d’annulation ou de modification présentée en mars 2013 peut maintenant être soulevée pour la première fois en appel devant la division d’appel, [traduction] « exceptionnellement, la [division d’appel] devrait prendre en compte la décision relative aux nouveaux faits de 2014 rendue par la [division générale] dans son analyse puisque la décision relative aux nouveaux faits rendue en 2014 par la [division d’appel] offre un fondement secondaire selon lequel l’appel devrait être rejeté de façon sommaire ». Essentiellement, ces observations reviennent à demander le rejet d’un appel à l’encontre de la décision de la division générale de 2014. À ma connaissance, rien dans la jurisprudence ne conférerait la compétence à la division d’appel de trancher une question dont elle n’est pas adéquatement saisie; je refuse donc de rendre toute ordonnance relativement à la décision de la division générale rendue en 2014.

[31] La division générale aurait pu choisir d’établir que la demande d’octobre 2011 était une demande d’annulation ou de modification puisque cela aurait donné une force à une demande qui aurait pu sinon être rapidement rejetée de façon sommaire étant donné qu’elle est chose jugée, mais je ne constate aucun fondement solide qui aurait pu appuyer cela.

[32] En bref, je considère simplement la demande présentée le 6 octobre 2011 comme une troisième demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. La division générale n’aurait pas dû considérer que l’appel devant elle était une demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008. Je n’ai donc pas à déterminer si la division générale était fondée de rejeter de façon sommaire l’appel dont elle était saisie en invoquant qu’elle était frappée de prescription en application du paragraphe 66(2) de la Loi.

Deuxième question en litige : issue de l’appel

[33] Puisque la division générale a commis une erreur en qualifiant la demande et, au bout du compte, dans l’issue de l’appel, cela me permet de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision rendue par la division générale.

[34] L’intimé fait valoir que je devrais rejeter l’appel puisque la question de l’invalidité est chose jugée et que l’appelante a épuisé son droit de faire modifier la décision du tribunal de révision rendue en 2008 à la lumière des nouveaux faits.

[35] J’ai déjà déterminé que la division générale n’était pas saisie de la demande de mars 2013 pour annuler ou modifier la décision du tribunal de révision rendue en 2008, ni qu’elle l’a prise en compte lorsqu’elle a rendu une décision en matière de rejet sommaire, le 16 mai 2015. Je ne suis pas adéquatement saisie de l’appel à l’encontre de toute décision concernant la demande d’annulation ou de modification de la décision du tribunal de révision rendue en 2008, alors je ne peux pas rendre de décision concernant cette question.

Doctrine de la chose jugée

[36] Si une affaire est chose jugée, cela empêche qu’une nouvelle audience soit tenue ou que des questions déjà tranchées soient remises en litige. L’intimé affirme que l’appelante est empêchée par préclusion de remettre en litige la question visant à déterminer si elle était invalide au 31 décembre 1997 puisqu’un tribunal de révision a tranché définitivement cette question dans sa décision rendue en 2008.

[37] L’intimé se fonde sur la décision Danlyuk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a énuméré les trois conditions d’application de la préclusion (forme de chose jugée), qui avaient été établies par Dickson J. (devenu plus tard juge en chef) dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 :

  1. (a) la même question a été décidée dans une procédure antérieure;
  2. (b) la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est définitive;
  3. (c) les parties liées à cette décision judiciaire sont les mêmes que celles des instances dans lesquelles la préclusion est soulevée.

[38] L’intimé fait remarquer qu’en l’espèce, les trois conditions sont remplies en ce qui concerne la question visant à déterminer si l’appelante pourrait être jugée invalide au 31 décembre 1997 :

  1. [Traduction]
    (1) La question relative à la troisième demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada est la même que celle qui était devant le tribunal de révision en 2008. La demande de 2011 est une demande de pension d’invalidité conformément au paragraphe 60(1) du Régime de pensions du Canada. Étant donné ses cotisations insuffisantes au Régime de pensions du Canada depuis 2002, l’appelante est incapable d’établir une nouvelle période minimale d’admissibilité. Ainsi, la seule question à trancher relativement à sa demande de 2011 consiste à déterminer si l’appelante était invalide au 31 décembre 1997 ainsi que de façon continue par la suite. Cette même question a été tranchée par le tribunal de révision en 2008.
  2. (2) La décision du tribunal de révision est finale et exécutoire. Un membre désigné de l’ancienne Commission d’appel des pensions a rejeté la demande de permission d’en appeler présentée par l’appelante le 1er avril 2009, et le délai pour demander un contrôle judiciaire de la décision du membre désigné est expiré.
  3. (3) Les parties devant la division générale étaient les mêmes parties que celles devant le tribunal de révision en 2008.

[39] L’intimé affirme qu’une fois que ces trois conditions sont remplies, la question doit nécessairement être rejetée parce qu’elle est chose jugée.

[40] En fait, la décision Danlyuk est généralement citée pour justifier la prémisse que les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement puisque : « L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. » En d’autres mots, il faut procéder à une analyse en deux étapes. Dans le cadre de la première étape, il faut déterminer si l’intimé a établi les trois conditions d’application. L’intimé n’a suivi que la première étape.

[41] Dans la décision Danlyuk,la Cour suprême du Canada a statué que si les trois conditions d’application sont respectées, la cour doit ensuite suivre la deuxième étape, c’est-à-dire se demander « dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée ».

[42] Dans la décision Danlyuk, la Cour suprême du Canada a statué que la liste de facteurs pour et contre l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’est pas exhaustive. Dans cette affaire,elle a ciblé sept facteurs pertinents, notamment :

  1. le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative;
  2. l’objet du texte de loi;
  3. l’existence d’un droit d’appel;
  4. les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  5. l’expertise du décideur administratif;
  6. les circonstances ayant donné naissance à l’instance administrative initiale;
  7. le risque d’injustice.

[43] Il se pourrait que ces facteurs ne méritent pas qu’on leur accorde la même importance. Il est possible aussi qu’il y ait d’autres considérations. Dans l’affaire Minott v. O’Shanter Development Co. (1999), 42 O.R. (3d) 321 (Ontario, Canada), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’il serait approprié d’exercer le pouvoir discrétionnaire visant à refuser d’appliquer la préclusion à la conclusion d’inconduite tirée par un décideur administratif. La Cour d’appel a également conclu que les différences sur le plan des procédures entre une audience devant un tribunal administratif et un procès civil ou bien les lacunes de la procédure liées à la première décision pourraient compromettre l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour afin de refuser d’appliquer la préclusion, c.‑à‑d. le principe de la chose jugée, dans les affaires appropriées. La Cour d’appel de l’Ontario a statué que [traduction] « la préclusion devrait être appliquée de manière souple si une application stricte est susceptible d’être inéquitable pour la partie qui se voit empêchée de remettre en litige une question ». Une question dominante d’équité est en cause afin d’éviter une injustice possible.

[44] Pour décider si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire, et comme cela a été établi dans l’affaire Minott, afin d’essayer d’établir un [traduction] « certain équilibre entre le besoin d’équité, d’efficacité et de prévisibilité des résultats », j’estime que dans les procédures devant le tribunal de révision en 2008, l’appelante savait ce qu’elle devait démontrer, elle avait eu une possibilité raisonnable de le démontrer et elle a eu l’occasion d’établir le bien-fondé de sa cause. J’estime également que bien que l’appelante eût demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la Commission d’appel des pensions, elle n’a pas sollicité de contrôle judiciaire de cette décision de la Commission du fait que celle-ci a refusé sa demande de permission d’en appeler. On ne saurait affirmer que l’appelante a été privée de l’occasion de faire évaluer et traiter adéquatement sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. En prenant en compte les facteurs pertinents, je ne suis pas convaincue que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et refuser d’appliquer la doctrine de la chose jugée dans les circonstances en l’espèce.

[45] La troisième demande de l’appelante est vouée à l’échec puisqu’aucune circonstance spéciale ne ferait de l’appel une exception à la doctrine de la chose jugée.

Troisième question en litige : les observations de l’appelante présentées le 15 mai 2015

[46] Les seuls moyens d’appel selon le paragraphe 58(1) de la Loi sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[47] L’appelante fait valoir que la division générale aurait dû prendre en compte ses observations avant de rendre sa décision et que cela représente donc un manquement aux principes de justice naturelle.

[48] L’intimé fait valoir que le contenu et les pièces jointes de la lettre de l’appelante datée du 8 mai 2015 ne constituent pas une réponse à la demande de la division générale d’expliquer en quoi l’appel avait une chance raisonnable de succès; ils traitent plutôt encore de la question de l’invalidité de l’appelante. Étant donné que la division générale avait établi de façon erronée la nature de la demande d’octobre 2011, on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que l’appelante eût fait des observations de façon appropriée concernant la question du rejet sommaire, en particulier puisqu’elle a été invitée à le faire selon la perspective du rejet d’une demande d’annulation ou de modification.

[49] Je souscris aux observations de l’intimé dans la mesure où les « nouveaux faits » représentent une tentative de traiter de nouveau de la demande de pension d’invalidité de l’appelante. Cela ne correspond pas de manière appropriée aux moyens d’appel au paragraphe 58(1) de la Loi.

Conclusion

[50] En somme, la division générale a commis une erreur en déterminant que l’appel devrait être rejeté de façon sommaire étant donné que la demande d’annulation ou de modification de la décision présentée par l’appelante était frappée de prescription. L’appel déposé devant la division générale n’était pas une demande d’annulation ou de modification d’une décision; il traitait plutôt d’une décision de révision dans laquelle on refusait la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée par l’appelante.

[51] Bien que j’aurais pu renvoyer cet appel devant la division générale pour réexamen, il est impossible de nier que la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée le 6 octobre 2011 est chose jugéeet qu’aucune circonstance ne justifie l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire afin de refuser d’appliquer la  doctrine. L’appel est rejeté.

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