Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Introduction

[1] Le demandeur sollicite la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 18 mars 2015. La division générale a tenu audience par vidéoconférence le 17 mars 2015 et déterminé que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), ayant conclu que son invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) du 31 décembre 2010. L’avocat du demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») le 22 juin 2015. Il a déposé des observations additionnelles le 23 septembre 2015. Pour accueillir cette demande de permission, il me faut être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] L’avocat du demandeur plaide que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle en ne tenant pas compte de la preuve dont elle était saisie ou en n’accordant pas l’importance voulue à la preuve. L’avocat affirme que la division générale a aussi commis une erreur de droit et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. Il affirme, par exemple, que la division générale a omis d’appliquer le « critère juridique du contexte réaliste » en ce qu’elle a déterminé que le demandeur ne pouvait pas avoir eu un « retour manqué au travail » en raison de la durée de la période pendant laquelle il a travaillé.

[4] L’avocat fait valoir qu’il ressort clairement de la preuve que le demandeur était atteint d’une invalidité grave avant la fin de sa période minimale d’admissibilité et qu’il n’a jamais cessé d’être invalide depuis. L’avocat indique que le demandeur possède de nouveaux éléments de preuve médicale à l’appui de sa prétention selon laquelle il a toujours été atteint d’une invalidité grave depuis sa PMA. L’avocat a joint une copie d’une demande de consultation datée du 4 mai 2015 que la Dre M. Davis, médecin de famille du demandeur, a remplie.

[5] Le 23 septembre 2015, l’avocat a déposé une brève lettre médicale de la Dre Davis datée du 8 septembre 2015 dans laquelle cette dernière indique qu’elle avait provisoirement diagnostiqué au demandeur une fibromyalgie le 4 mai 2015. La Dre Davis indique que le demandeur avait un diagnostic de douleur chronique avant le 21 décembre 2010, avec des symptômes de douleur, de fatigue, de morosité et de troubles du sommeil, qui sont autant de symptômes de la fibromyalgie. La Dre Davis est d’avis qu’il est difficile de déterminer quand ou si la fibromyalgie est devenue prédominante.

[6] L’intimé n’a pas déposé d’observations écrites.

Analyse

[7] Avant qu’une permission d’en appeler puisse être accordée, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel proposé : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1999] ACF no 1252 (CF). La Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si un demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[8] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

a) Accident d’automobile

[10] Le demandeur a été victime d’automobile en 2006. Il a subi diverses blessures, dont une jambe cassée et une blessure au genou, qui ont nécessité une intervention chirurgicale. L’avocat plaide que la division générale a commis une erreur de droit et/ou n’a pas observé un principe de justice naturelle en ce qu’elle n’a pas pris en considération les blessures subies par le demandeur lors de cet accident, ni l’impact qu’elles ont eu sur lui. L’avocat soutient que les blessures que le demandeur a subies lors de cet accident de la route l’ont empêché d’occuper un quelconque emploi.

[11] Au paragraphe 18, la division générale a décrit les circonstances de l’accident d’automobile et l’ampleur des blessures subies par le demandeur. Elle a écrit ceci :

[Traduction]
[18] L’appelant a été victime d’un accident de la route en avril 2006, lorsqu’il a été heurté latéralement de plein fouet par un autre véhicule. Il a perdu connaissance et a repris conscience dans l’ambulance. Il a passé la nuit à l’hôpital, puis on lui a donné son congé. L’appelant souffrait d’une commotion, de la perte de quatre dents, d’un traumatisme cervical (coup du lapin), de fractures au genou droit et à l’épaule gauche ainsi que de dommages au poignet droit. On l’a opéré du genou en 2007 et il a subi une intervention SLAP (lésion antéropostérieure du bourrelet glénoïdien supérieur) à l’épaule en 2009. Il continue de porter une orthèse externe à la jambe droite. À terme, il devra se faire remplacer totalement le genou droit, mais on l’a jugé trop jeune pour subir cette intervention.

[12] La division générale a aussi noté que le demandeur avait reçu des traitements de physiothérapie pour son genou et son dos pendant deux ans et demi. La division générale a résumé le témoignage que le demandeur a livré au sujet de ses niveaux de douleur, de ses limitations et des conséquences que ses blessures ont eues sur lui. Il est clair que les maux dont le demandeur se plaint découlent directement de l’accident d’automobile dont il a été victime.

[13] La division générale a résumé la preuve relative aux blessures subies par le demandeur lors de son accident d’automobile de 2006. Pourtant, la division générale a tiré peu de conclusions de fait concernant cette preuve, par exemple en indiquant si elle acceptait ou rejetait le fait que le demandeur avait subi ces blessures et en indiquant quel impact éventuel chacune des blessures aurait cumulativement eu sur la capacité fonctionnelle du demandeur, sur ses traitements ou recommandations futures de traitement, sur le pronostic à long terme le concernant ou sur d’autres aspects. La division générale a noté que le demandeur était retourné sur le marché du travail pendant un an après son opération au genou subie en 2009, mais elle a écrit ensuite que le demandeur avait « cessé de travailler en raison des blessures antérieurement subies lors de l’accident de la route de 2006 » et a également indiqué, en se reportant au rapport médical de la Dre Davis daté du 24 février 2014, que le demandeur était incapable de travailler en raison des « effets cumulatifs de ses affections », sans préciser ce qu’étaient ces autres blessures ou affections qui avaient obligé le demandeur à cesser de travailler. Bien que la division générale ait discuté du genou droit, de la dépression, de l’épaule gauche et du poignet gauche du demandeur, elle semble l’avoir fait sans prendre en considération leur effet cumulatif, conjugué à l’effet des autres blessures subies par le demandeur, pendant sa PMA. Par exemple, la division générale a noté que le demandeur avait aussi subi un traumatisme cervical par coup du lapin et des blessures au dos, de même qu’une blessure au poignet droit, même elle ne semble pas avoir tiré de conclusions ou effectué d’analyse au sujet de ces blessures. En outre, bien que le demandeur ait pu retourner travailler pendant un an après son opération au genou, la division générale ne semble pas avoir tiré de conclusions de fait sur la question de savoir si les symptômes continus au genou ou à la jambe du demandeur avaient disparu ou persisté.

[14] Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès au motif que la division générale a pu commettre une erreur en omettant de prendre en considération les blessures subies par le demandeur lors de l’accident de la route de 2006.

b) Caractère suffisant des motifs

[15] L’avocat soutient que la division générale n’a pas respecté la justice naturelle en ce qu’elle n’a pas fourni de motifs suffisants concernant les blessures subies par le demandeur – en particulier ses blessures aux jambes – à la suite de l’accident d’automobile de 2006.

[16] Bien que ce fût dans le contexte d’une instance criminelle, la Cour suprême du Canada a statué qu’il doit y avoir des motifs suffisants pour fournir matière à un examen valable en appel : R. c. Sheppard, [2002] CSC 26. La Cour suprême du Canada a cité R. c. Richardson (1992), 74 C.C.C. (3d) 15 (C.A. Ont.), où le juge Carthy a dit ce qui suit à la page 23 :

[TRADUCTION] Il n’est pas nécessaire que les motifs donnés par un juge de première instance soient aussi détaillés qu’un exposé au jury. Les juges étant pressés de trancher une affaire après l’autre, on s’attend à ce que leurs jugements prononcés oralement soient beaucoup plus succincts que le raisonnement complet qui en sous‑tend le résultat.  Néanmoins, si un accusé se voit accorder un droit d’appel, celui‑ci ne doit pas être illusoire. L’appelant doit être en mesure d’examiner le dossier et d’y repérer les erreurs de droit ou les erreurs de fait manifestes et dominantes susceptibles d’être invoquées. Si le juge est resté muet sur des questions qui auraient pu par ailleurs conduire à un acquittement, une cour d’appel ne peut tout simplement pas évaluer le dossier et l’appelant ne peut obtenir justice.

[17] La Cour suprême du Canada a conclu que l’omission du juge du procès de motiver valablement sa décision constituait une erreur de droit.

[18] Dans le litige dont je suis saisie, comme je l’ai indiqué plus haut, la division générale ne semble pas avoir tiré de conclusions de fait que sur la question de savoir si les blessures du demandeur au genou ou aux jambes s’étaient entièrement résorbées ou avaient continué d’être symptomatiques après son opération au genou en 2009. Il se peut que la division générale ait considéré que les blessures du demandeur aux jambes et au genou se fussent résorbées à la date de fin de sa PMA, étant donné que le demandeur était retourné travailler pendant un an après son opération, ou que, s’il avait continué d’afficher des symptômes au genou ou aux jambes, que ces symptômes étaient relativement mineurs ou avaient peu de conséquences. Les motifs devraient être suffisants pour permettre à un organisme de révision d’effectuer une évaluation.

[19] Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

c) Approche « réaliste »

[20] L’avocat soutient que la division générale a commis une erreur de droit et/ou n’a pas respecté la justice naturelle en ne prenant pas en considération l’approche « réaliste » au moment de déterminer si le demandeur pouvait être déclaré invalide pour l’application du Régime de pensions du Canada. En particulier, l’avocat plaide que la division générale n’a pas tenu compte de l’âge du demandeur et de l’obstacle de la langue dans un contexte réaliste.

[21] Le demandeur avait 52 ans à la date de fin de sa PMA. La division générale a relevé que le demandeur avait fait des études collégiales en Pologne, où il a étudié la radiologie industrielle, et qu’il n’a pas poursuivi ses études après être arrivé au Canada, en 1998. La division générale a noté que le demandeur avait appris l’anglais tout seul. La division générale a aussi relevé les antécédents professionnels du demandeur à titre de camionneur et, plus récemment, de propriétaire-exploitant.

[22] Une évaluation des caractéristiques personnelles d’un demandeur dans un « contexte réaliste » est essentielle pour déterminer si l’on peut conclure à l’existence d’une invalidité grave. Dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, la Cour d’appel fédérale a dit ceci aux paragraphes 38 et 46 :

[38] Cette analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit incapable de détenir  n’importe quelle occupation concevable. Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et  son expérience de la vie.

[...]

[46] Ce que le critère légal applicable à la gravité de l’invalidité exige, cependant, c’est un air de réalisme pour évaluer si un requérant est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. [...]

[23] Bien que la division générale ait pu relever certaines des caractéristiques personnelles du demandeur dans son résumé de la preuve, elle ne semble pas les avoir pris en considération dans un « contexte réaliste ». Il se pourrait bien que la division générale ait jugé, en bout de ligne, que les caractéristiques personnelles du demandeur, comme son âge et sa langue, aient pu ne pas avoir d’impact sur sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, mais je ne puis déterminer d’emblée si la division générale a procédé à une évaluation des caractéristiques personnelles du demandeur. Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen d’appel particulier.

d) Retour manqué au travail

[24] L’avocat plaide que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle lorsqu’elle a conclu que, compte tenu de la période durant laquelle le demandeur a travaillé (un an) après son opération au genou en 2009, on ne pouvait pas considérer cela comme un « retour manqué au travail ». L’avocat fait valoir que le demandeur a vu ses tâches modifiées avant et après son opération, mais que, malgré ces mesures d’adaptation, il a été incapable de continuer. L’avocat affirme que cette tentative de retour au travail devrait être interprétée comme une tentative manquée de retour au travail.

[25] À première vue, il semble que le demandeur cherche à faire réapprécier la preuve sur cette question, mais, comme la division générale n’a pas précisé les éléments de preuve dont elle disposait au sujet de la nature de l’emploi du demandeur après son opération subie en 2009, il est difficile de déterminer si la division générale a pu errer en droit ou tirer des conclusions de fait erronées. Par exemple, il n’y a pas de preuve concernant les heures de travail ou la régularité de cet emploi ni sur les éventuelles mesures d’adaptation qui auraient été prises et sur le type de ces mesures. Dans le même temps, il n’y a aucune indication qu’une quelconque preuve ait été produite au sujet de la rémunération que le demandeur a pu toucher en 2010, car cela aurait pu être une indication de l’assimilation ou pas de l’emploi occupé par le demandeur à une occupation véritablement rémunératrice. Bien que l’avocat n’ait pas apparié l’emploi du demandeur à une telle occupation, il se pourrait bien que cela soulève une question d’insuffisance des motifs. Pour ce motif, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

e) Rapport du Dr Moro daté du 23 avril 2007

[26] L’avocat soutient que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle en ne tenant pas compte du rapport médical daté du 23 avril 2007 émanant du Dr Moro, chirurgien orthopédiste. Le Dr Moro était d’avis que le demandeur avait subi d’importantes blessures à la suite de l’accident de la route de 2006, qu’il souffrait de douleurs constantes à l’épaule gauche et que l’amplitude de ses mouvements étaient limitée depuis l’accident. À la lumière de cela, je crois comprendre que ce que laisse entendre l’avocat c’est que le rapport d’avril 2007 aurait tracé un portrait plus précis de l’invalidité du demandeur aux fins de l’évaluation de son admissibilité à une pension d’invalidité au titre du Régime.

[27] S’il est vrai que la division générale n’a pas expressément mentionné le rapport médical du Dr Moro, elle a tout de même résumé un certain nombre de dossiers médicaux, dont une note clinique datée du 28 janvier 2010 émanant du Dr C. Walton, un médecin résident pour le Dr Moro. Dans cette note clinique particulière, le Dr Walton indique que le demandeur a subi une intervention chirurgicale à l’épaule gauche et qu’il continue sa physiothérapie deux fois par semaine. Le Dr Walton mentionne qu’il y a eu beaucoup d’amélioration au niveau tant de la douleur que du fonctionnement et que le demandeur s’en sort très bien. On pourrait déduire, de l’intervention chirurgicale que le demandeur a dû subir, que ses blessures à l’épaule gauche avaient dû être graves. La date de la note clinique était plus rapprochée de la date de fin de la PMA, si bien qu’elle aurait été globalement plus pertinente aux yeux de la division générale lorsqu’elle a évalué la gravité de l’invalidité du demandeur à la fin de sa PMA. L’évaluation du rapport chronologiquement plus rapproché de la date de fin de la PMA aurait aussi permis à la division générale de mesurer l’ampleur des éventuelles améliorations que l’on aurait pu observer chez le demandeur au fil du temps et après son opération.

[28] Cela dit, je note que, bien que la division générale ait pu ne pas présenter une analyse exhaustive de la preuve médicale relative aux blessures subies par le demandeur lors de son accident de 2006 ni mentionner une partie de la preuve dans la section « analyse » de sa décision, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle a fait fi de la preuve ou qu’elle ait omis d’en tenir compte. De fait, la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire, pour le décideur, de rédiger des motifs exhaustifs traitant de tous les éléments qui lui ont été soumis. Dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a fait la remarque suivante :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).

[29] Je note aussi les propos que le juge Stratas a tenus à ce sujet dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 FCA 165 :

[…] les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.

[30] En plus de faire mention de la note clinique du Dr Walton, la division générale a aussi mentionné les rapports médicaux du Dr Wismer, autre chirurgien orthopédiste ayant vu le demandeur en premier le 5 décembre 2006, et du Dr Gwardjan, physiatre. Je signale ces rapports pour montrer que la division générale était au courant de cette preuve qui lui a été soumise. Son analyse de la preuve médicale était certes mince, mais la division générale a bel et bien fait mention de diverses opinions médicales.

[31] À la lumière de ces considérations, je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

f) Poids de la preuve

[32] L’avocat affirme que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle en accordant trop de poids à la note clinique du Dr Walton datée du 28 janvier 2010, sans prendre en considération le rapport du Dr Gwardjan daté du 1er octobre 2012. Le Dr Gwardjan a écrit que le demandeur se plaignait de douleurs constantes au niveau de l’épaule gauche. Le demandeur a aussi déclaré que son genou droit était douloureux et instable et que la douleur était ultérieurement devenue plus généralisée, se propageant au bas du dos et le long du plan axial depuis l’accident d’automobile. L’avocat fait observer que le Dr Walton, au moment où il a émis cette opinion, était un médecin résident, laissant ainsi entendre qu’il était moins qualifié que le Dr Gwardjan pour formuler une opinion et que la division générale aurait donc dû attribuer une importance moindre à l’opinion du Dr Walton.

[33] Dans cet exemple particulier, il semble que la division générale ait jugé que le rapport médical du Dr Gwardjan n’était pas pertinent. Comme la division générale a décrit un autre rapport médical ayant été établi après décembre 2010, elle a probablement considéré que le rapport du Dr Gwardjan n’était [traduction] « pas une indication de l’état de santé du [demandeur] à la date [de fin de sa PMA] ».

[34] Sur la question du poids à attribuer aux éléments de preuve, la Cour d’appel fédérale s’est déjà penchée sur cette observation. Dans l’arrêt Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, l’avocate de la demanderesse a fait mention de plusieurs rapports médicaux que la Commission d’appel des pensions avait, à son avis, ignorés, mal compris ou mal interprétés ou auxquels elle avait accordé trop de poids. La Cour d’appel fédérale a refusé d’intervenir dans le poids qu’un décideur accorde à la preuve qui lui est soumise, statuant que cela « relève du juge des faits. »

[35] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

g) Rapports de la Dre Davis datés du 24 février 2014 et du 26 septembre 2011

[36] L’avocat soutient que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle lorsqu’elle a conclu que le rapport médical de la Dre Davis daté du 24 février 2014 n’était pas pertinent. L’avocat fait valoir que la Dre Davis était le médecin de famille du demandeur et qu’elle traitait le demandeur depuis qu’il avait subi ses blessures. L’avocat soutient que les rapports médicaux de la Dre Davis datés du 26 septembre 2011 et du 24 février 2014 font tous deux ressortir que le demandeur continue d’afficher les symptômes des blessures subies lors de son accident d’automobile de 2006.

[37] La division générale a tenu compte du rapport de la Dre Davis daté du 24 février 2014, mais elle a jugé qu’il n’était pas pertinent aux fins d’une évaluation de l’invalidité du demandeur à la date de fin de sa PMA du 31 décembre 2010, vu que cette [traduction] « opinion a été formulée quelque quatre ans après la dernière date à laquelle le [demandeur] était admissible à des prestations d’invalidité au titre du Régime. »

[38] Il relevait de la compétence de la division générale de déterminer quel était le degré de pertinence de la preuve et, en l’espèce, puisque certains éléments de preuve indiquent que le demandeur pouvait s’attendre à une détérioration au fil du temps, le fait qu’il ait continué d’avoir des symptômes en 2011 et en 2014 n’indique pas que son invalidité d’alors reflétait nécessairement ce que son invalidité avait pu être à la date de fin de sa PMA ou vers cette date. Que l’invalidité du demandeur ait pu (ou pas) être jugée grave avant 2011 ou 2014 ne signifie pas nécessairement que son invalidité l’était aussi à la date de fin de sa PMA s’il existait effectivement des conclusions de fait selon lesquelles son invalidité s’était aggravée avec le temps.

[39] L’avocat soutient que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle en ne tenant pas compte du rapport de la Dre Davis daté du 26 septembre 2011. La Dre Davis y formulait l’opinion que le demandeur souffrait de douleur chronique. La division générale a résumé ce rapport dans la partie « preuve » de sa décision, au paragraphe 27.

[40] Comme je l’ai indiqué plus haut, le décideur n’a pas l’obligation de rédiger des motifs exhaustifs traitant de tous les éléments qui lui ont été soumis, pas plus qu’il n’est tenu de faire mention et d’analyser la totalité des éléments de preuve dont il est saisi. Quoi qu’il en soit, il semble implicite, à la lecture de la décision de la division générale, que le demandeur souffre de douleur chronique, étant donné la persistance et la chronicité des maux dont il se plaint. Toutefois, le fait que le demandeur montre des symptômes continus n’établit pas la gravité de l’invalidité pour l’application du Régime de pensions du Canada. Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ces moyens.

h) Atténuation

[41] L’avocat affirme que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle en ne tenant pas compte du fait que le demandeur n’avait pas les moyens de se payer un traitement.

[42] L’avocat ne m’a pas précisé d’endroit sur l’enregistrement de l’audience ni d’élément dans le dossier documentaire pour démontrer qu’il existait une preuve quelconque de l’explication fournie par le demandeur pour l’éventuelle inobservation des recommandations de traitement. À moins qu’il existât une preuve quelconque à cet effet, on ne peut pas dire que la division générale ait nécessairement omis de prendre en considération le caractère raisonnable de l’inobservation des recommandations de traitement par le demandeur.

i) Cause des blessures

[43] L’avocat affirme que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle en omettant de citer l’accident d’automobile comme étant la cause des blessures du demandeur.

[44] Généralement, la cause des blessures à elle seule n’est pas pertinente pour déterminer si l’invalidité est grave ou prolongée à moins que cette cause ne soit liée de quelque façon à d’autres aspects, comme la capacité et le pronostic à long terme. Je ne vois pas en quoi le fait que les blessures du demandeur aient été causées par un accident de la route – plutôt que par un autre incident – revêtirait une pertinence particulière. Nonobstant la pertinence de ce point, il est néanmoins clair, d’après les motifs, que les blessures et les symptômes persistants du demandeur découlent de son accident d’automobile de 2006. Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

j) Antidépresseurs

[45] L’avocat plaide que la division générale a commis une erreur de droit et/ou de fait et/ou un manquement à la justice naturelle lorsqu’elle a jugé que le demandeur ne pouvait pas avoir été déprimé avant la fin de sa PMA puisqu’il n’avait pas encore commencé à prendre des antidépresseurs à cette date.

[46] La division générale a écrit ceci au sujet de la dépression du demandeur :

[Traduction]
[42] La Dre Davis a noté que l’appelant souffrait de dépression dans son rapport médical initial, mais il n’y a aucune indication qu’on l’ait traité pour cette affection au moyen de médicaments avant au moins 2012, d’après les notes cliniques de la docteure. L’appelant a témoigné qu’il venait de commencer à voir un psychiatre, le Dr Chen, deux semaines avant la date de l’audience, en mars 2015. Or cette consultation a commencé longtemps après la date de fin de la PMA du demandeur du 31 décembre 2010.

[47] Compte tenu du contexte général de la décision, il semble que la division générale abordait en fait la question de savoir si l’invalidité du demandeur pouvait être considérée comme grave aux fins du Régime de pensions du Canada, plutôt qu’elle évacuait toute idée que le demandeur n’aurait pas pu être déprimé avant la fin de sa PMA. Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

k) Nouveaux dossiers

[48] L’avocat soutient que de nouveaux éléments de preuve (prenant la forme d’une demande de consultation datée du 4 mai 2015 et d’une lettre datée du 8 septembre 2015 émanant de la Dre Davis) se rapportant à [traduction] « l’évaluation du demandeur pour le dépistage de la fibromyalgie avant [la date de fin de sa PMA] fournissent des renseignements importants sur son état physique et mental à [la date de fin de sa PMA] ou avant. »

[49] Tout nouveau dossier devrait se rattacher aux moyens d’appel admissibles. L’avocat n’a pas indiqué en quoi les dossiers additionnels proposés pourraient se rattacher à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. Si l’avocat demande à ce que nous prenions en considération le rapport de consultation (ou, du reste, tout dossier médical supplémentaire à produire), réapprécions la preuve et réévaluions la demande pour nous prononcer en faveur du demandeur, il s’agit de quelque chose qu’il m’est impossible de faire à cette étape, en raison des limitations qu’impose le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. Ni la demande de permission ni l’appel ne donne la possibilité de réinstruire l’affaire sur le fond.

[50] Si l’avocat entend déposer les dossiers médicaux supplémentaires dans le but de faire annuler ou modifier la décision de la division générale, il lui faut maintenant se conformer aux exigences énoncées aux articles 45 et 46 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale et, en outre, déposer une demande d’annulation ou de modification auprès de la division qui a rendu la décision. Des exigences et des délais stricts prévus à l’article 66 de la Loi sur le MEDS doivent être respectés pour faire infirmer ou modifier une décision. Le paragraphe 66(2) de la Loi sur le MEDS stipule que la demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où la partie en cause reçoit communication de la décision.

[51] L’alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS exige d’un demandeur qu’il démontre que les faits nouveaux sont essentiels et n’auraient pu être connus au moment de l’audience malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. La division d’appel, en l’espèce, n’a pas compétence pour annuler ou modifier une décision à la lumière de faits nouveaux, puisque seule la division ayant rendu la décision en cause est habilitée à le faire. Il m’apparaît que ces dossiers ne constitueraient probablement pas des faits nouveaux au sens de l’article 66 de la Loi sur le MEDS. Ces dossiers étaient sans doute disponibles et auraient pu, avec l’exercice d’une diligence raisonnable, être connus avant la tenue de l’audience par téléconférence devant la division générale, mais je laisse à la division générale le soin de déterminer cela si le demandeur est enclin à poursuivre une telle demande.

Appel

[52] Certains des moyens sur lesquels j’ai accordé la permission sembleraient constituer un fondement suffisamment convaincant pour que je puisse rendre une décision sur l’appel sans avoir à tenir une nouvelle audience sur l’affaire. Si les parties ont l’intention de déposer des observations, elles pourraient vouloir examiner les questions suivantes :

  1. i. Une autre audience est-elle nécessaire, compte tenu de la solidité de certains des moyens avancés par le demandeur?
  2. ii. Sur le fondement des moyens sur lesquels la permission a été accordée, la division générale a‑t‑elle manqué à un principe de justice naturelle, commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle aurait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  3. iii. Sur le fondement des moyens sur lesquels la permission a été accordée, quelle est la norme de contrôle applicable (à chacun des manquements ou erreurs) et quels sont les éventuels redressements appropriés?

[53] Au cas où je déterminerais qu’une autre audience est nécessaire, les parties devraient faire part du mode d’audience qu’elles désirent et présenter aussi des observations sur le caractère approprié de ce mode d’audience (c.‑à‑d. si cela devrait se faire par téléconférence, par vidéoconférence, par d’autres moyens de télécommunications, en personne ou au moyen de questions et réponses par écrit). Si une partie demande à ce qu’il soit tenu audience autrement qu’au moyen de questions et réponses par écrit, j’invite cette partie à donner une estimation préliminaire du temps qu’il lui faudra pour déposer ses observations et à faire part de ses dates de disponibilité.

Conclusion

[54] La Demande est accueillie.

[55] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.