Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Comparutions

  1. Appelante : D. L.
  2. Représentante de l’intimé : Renée Darisse

Introduction

[1] Le 13 mars 2013, le tribunal de révision a établi qu’une pension d’invalidité n’était pas payable au titre du Régime de pensions du Canada.

[2] Une demande de permission d’appeler de la décision du tribunal de révision a été présentée à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) le 3 juin 2013, puis a été accueillie le 20 mars 2015.

[3] L’appelante a invoqué un certain nombre de moyens d’appel. Cependant, la permission d’en appeler a été accordée au titre d’un seul moyen, soit la question de savoir si l’appelante a eu droit à une audience équitable, ou autrement dit, si la division générale a dérogé à un principe de justice naturelle.

[4] L’appel a été instruit par vidéoconférence pour les motifs suivants :

  1. a) le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  2. b) le fait que le matériel nécessaire à une vidéoconférence est disponible dans la région où réside l’appelante;
  3. c) l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent;
  4. d) le fait que l’appelante a demandé la tenue d’une audience;
  5. e) le fait que l’intimé a demandé qu’une décision soit rendue sur la foi du dossier ou sinon que l’audience soit instruite par vidéoconférence ou téléconférence.

Question en litige

[5] La question en litige consiste à déterminer si le tribunal de révision a dérogé à un principe de justice naturelle en n’accordant pas une audience équitable à l’appelante, c’est‑à‑dire en ne lui donnant pas suffisamment l’occasion d’être entendue ou en se fondant sur des préjugés défavorables.

Droit applicable

[6] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Dans le cas présent, la décision du tribunal de révision est considérée comme une décision de la division générale.

[8] Le paragraphe 59(1) de la Loi, qui énonce les pouvoirs de la division d’appel, est ainsi libellé :

La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Observations

[9] L’appelante a fait valoir qu’elle n’avait pas eu droit à une audience équitable du fait qu’elle n’a pas eu suffisamment l’occasion d’être entendue et que le tribunal de révision s’est fondé sur des préjugés défavorables à son égard. Plus précisément, elle a présenté les arguments suivants :

  1. a) Elle n’a pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi elle n’a pas repris son traitement en physiothérapie;
  2. b) Elle n’a pas eu le temps de faire référence aux divers documents médicaux figurant à son dossier;
  3. c) Le tribunal de révision lui a demandé, pour gagner du temps, de ne pas réciter l’information au dossier;
  4. d) Les personnes qui souffrent de problèmes de dos et de maladies mentales sont mal perçues;
  5. e) Son cas n’a pas été évalué en fonction de son caractère propre, mais plutôt comme un cas stéréotypique;
  6. f) Sa compagnie d’assurance-invalidité lui a demandé d’appeler de la décision du tribunal de révision.

[10] En ce qui a trait à l’allégation de l’appelante voulant qu’elle n’ait pas eu l’occasion d’être entendue et que le tribunal se soit fondé sur des préjugés, l’intimé a soutenu que l’appelante aurait dû soulever ce point à la première occasion, à savoir lors de l’audience devant le tribunal de révision. Comme elle ne l’a pas fait, l’appelante est réputée avoir renoncé à son droit de soulever ce point ultérieurement. L’intimé a, en outre, présenté les arguments suivants :

  1. a) La preuve est insuffisante pour conclure que le tribunal de révision n’a pas suffisamment donné l’occasion à l’appelante d’être entendue;
  2. b) La preuve est insuffisante pour établir que le tribunal de révision a fait preuve de partialité ou s’est fondé sur des préjugés;
  3. c) Le tribunal de révision n’a pas commis d’erreurs de droit ni tiré de conclusions de fait comportant des erreurs susceptibles d’appel.

Norme de contrôle

[11] Pour déterminer si le tribunal de révision a dérogé à un principe de justice naturelle comme l’allègue l’appelante, la division d’appel du Tribunal doit d’abord établir la norme de contrôle à appliquer à la décision rendue par le tribunal de révision. 

[12] L’appelante n’a présenté aucune observation à ce sujet. L’intimé a fait valoir que le Tribunal doit appliquer la norme de la décision correcte à son contrôle de la décision du tribunal de révision, car il y a eu allégation de manquements aux principes de justice naturelle. L’intimé a par conséquent soutenu que le Tribunal n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard de la décision rendue par le tribunal de révision.

[13] Je souscris à ces observations. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’y a que deux normes de contrôle en common law au Canada : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Les questions de droit et de compétence et les questions liées à la justice naturelle sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse et, le cas échéant, substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. 

[14] La norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées en cause.

[15] En l’espèce, l’erreur alléguée concerne un manquement aux principes de justice naturelle. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Analyse

Allégations de manquements aux principes de justice naturelle

[16] L’appelante a mentionné avoir eu l’impression, à l’audience devant le tribunal de révision, qu’elle n’avait pas pu donner de réponse complète à certaines questions, que le tribunal de révision ne s’était pas efforcé de saisir la signification de certaines de ses réponses, qu’elle n’avait pas pu étoffer ses réponses, que les questions posées par le tribunal de révision témoignaient des préjugés de ce dernier à son égard et qu’il avait été difficile, pour elle qui souffre d’anxiété, d’avoir à s’affirmer pour se faire entendre et comprendre.

[17] Questionnée au sujet des propos ou des gestes révélateurs des membres du tribunal de révision, l’appelante a soulevé les points suivants :

  1. a) Au début de l’audience, le président du tribunal de révision a mentionné qu’elle (l’appelante) avait versé une grande quantité d’information au dossier. Cette dernière a compris par là qu’elle avait fait du bon travail. À l’ouverture de l’audience, soit avant même que quiconque soit invité à prendre la parole, le président a fait savoir à l’appelante qu’elle n’avait pas à [traduction] « réciter » ses antécédents médicaux parce qu’ils figuraient déjà au dossier.
  2. b) Voici les propos tenus par le président, d’après les souvenirs de l’appelante : [traduction] « Vous avez fait du bon travail en soumettant toute cette information. Vous n’avez pas à réciter tous les renseignements médicaux puisque bon nombre d’entre eux figurent déjà au dossier. »
  3. c) Cette annonce préliminaire faite par le président a grandement influencé l’appelante pour toute la durée de l’audience. Elle s’est efforcée d’écourter ses réponses et n’a pas fourni de détails sur les éléments qui figuraient au dossier. Elle avait en sa possession d’autres renseignements médicaux concernant des rendez‑vous chez le médecin et en physiothérapie auxquels elle s’est rendue, mais ne les a pas présentés à l’audience. Son anxiété s’est accentuée au fil du temps, et les commentaires formulés par le président ont intensifié son anxiété et influencé l’exposé de son cas.
  4. d) Un membre du tribunal de révision lui a demandé à l’audience si elle pouvait envisager de travailler comme préposée à l’accueil chez Walmart. Selon l’appelante, cette question montre que le tribunal ne comprend pas ses troubles d’anxiété, sinon il aurait su qu’elle ne serait jamais en mesure de faire ce genre de travail.
  5. e) Étant donné le rejet de sa demande de pension d’invalidité, elle estime que son cas n’a pas été évalué isolément et en fonction de son caractère propre, mais plutôt comme un cas stéréotypique. Si le tribunal de révision avait examiné les détails entourant l’affaire, les rapports médicaux et sa maladie, il n’aurait pas rejeté sa demande.

[18] En ce qui a trait aux points a) à f) du paragraphe [9], l’appelante a présenté les allégations suivantes :

  1. a) Physiothérapie : Elle s’est fait poser une question, soit la suivante : « Consultez-vous un physiothérapeute en ce moment? » Elle a répondu, et le sujet n’a plus été abordé. Elle a voulu fournir des précisions, mais s’est abstenue de le faire parce que le président avait mentionné qu’elle n’avait pas à réciter l’information figurant au dossier.
  2. b) Information au dossier et demande exhortant l’appelante à ne pas réciter cette information : En raison du commentaire du président, elle a cru que le tribunal de révision disposait de suffisamment de faits et s’est gardée de réitérer la majeure partie de l’information pour gagner du temps.
  3. c) Économie de temps à l’audience : L’audience a duré environ une heure et demie. Il n’y a eu ni pause ni ajournement, et l’appelante a été la seule personne à témoigner. Elle ne s’est pas fait interrompre ni demander d’abréger ses propos au cours de l’audience.
  4. d) Mauvaise perception et stéréotype : L’appelante a souligné qu’elle n’accuse aucun membre du tribunal de révision en particulier d’avoir fait preuve de partialité à son égard. Il s’agit plutôt d’une impression générale; à son avis, tout le monde a des préjugés. La question posée par l’un des membres du tribunal de révision, à savoir si elle pouvait envisager de travailler comme préposée à l’accueil chez Walmart, illustre bien ce qu’elle entend par « mauvaise perception » et « stéréotype ». Elle a répondu à cette question en affirmant qu’elle ne pourrait pas occuper un emploi de ce genre parce que le fait d’être le centre d’attention lui fait très peur.
  5. e) Demande de la compagnie d’assurance-invalidité d’appeler de la décision du tribunal de révision : L’appelante ne sait pas si elle aurait appelé de la décision du tribunal de révision si sa compagnie d’assurance-invalidité ne lui avait pas demandé de le faire.

[19] À l’audience devant la division d’appel, l’appelante s’est vu offrir toutes les occasions possibles de présenter ses observations et d’étoffer ses arguments. Elle a aussi été invitée à poser des questions et à répondre aux points soulevés par l’intimé.

[20] Après l’audience, l’appelante a déposé la copie d’un article qu’elle avait mentionné à l’audience, et l’intimé a déposé la copie d’une décision de la Cour fédérale citée en référence.

Moment où un manquement aux principes de justice naturelle doit être invoqué

[21] Tout manquement à la justice naturelle doit être soulevé à la première occasion possible; le fait de ne pas s’y opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer tout manquement perçu à l’équité (Benitez et autres c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 461, para 204-220). La première occasion qui est donnée au demandeur se présente lorsque celui‑ci est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection (ibid., para 221). Toutefois, la doctrine de la renonciation n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constitue un manquement à l’obligation d’équité du fait, par exemple, d’un contre-interrogatoire musclé (ibid., para 222).

[22] L’appelante n’a pas invoqué de manquement aux principes de justice naturelle à l’audience du tribunal de révision. Elle a indiqué, à l’audience d’appel, qu’elle avait ressenti une anxiété accrue à l’audience devant le tribunal de révision et qu’elle avait eu beaucoup de difficulté à s’affirmer.

[23] L’appelante a allégué un manquement aux principes de justice naturelle pour la première fois dans sa demande de permission d’en appeler.

[24] Même s’il compatit avec l’appelante, le Tribunal estime que cette dernière n’a pas soulevé le manquement aux principes de justice naturelle à la première occasion qui lui a été donnée. Toutefois, la doctrine de la renonciation n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constitue un manquement à l’obligation d’équité du fait d’un contre-interrogatoire musclé ou d’une autre forme d’intimidation similaire.

[25] La description qu’a faite l’appelante des questions et des commentaires formulés par le tribunal de révision à l’audience devant le tribunal de révision ne démontre en rien que l’appelante a fait l’objet d’intimidation au cours de l’audience. Un commentaire formulé au début de l’audience et une question posée par la suite ont influencé l’appelante, mais ils ne constituent pas une forme d’intimidation.

Nature des manquements allégués

[26]      Bien que l’appelante n’ait pas soulevé de questions relatives à l’équité lors de l’audience du tribunal de révision et que, de ce fait, elle soit réputée avoir renoncé à invoquer tout manquement perçu à l’équité, le Tribunal se penchera sur le ou les manquements allégués aux principes de justice naturelle.

[27] L’appelante a allégué qu’elle s’était vu refuser le droit de se faire entendre pleinement et qu’elle avait fait l’objet de préjugés.

[28] Tout appelant a droit à une audience équitable où il a pleinement l’occasion de présenter son cas à un décideur impartial (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, para 21-22).

[29] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’avait pas produit une preuve suffisante, que ce soit par voie de déclaration sous serment ou d’une autre façon, pour étayer l’allégation voulant qu’elle n’ait pas pu faire valoir sa cause pleinement devant le tribunal de révision ou qu’un manquement commis dans le cadre de l’instruction de l’affaire ait influé sur la décision du tribunal de révision. En outre, l’intimé a indiqué que le commentaire formulé en introduction semble faire partie de la déclaration préliminaire prononcée couramment par les tribunaux au début des audiences. La question concernant Walmart a été posée de façon à savoir si l’appelante avait envisagé un autre type d’emploi; elle n’est absolument pas inusitée ou déplacée. Le tribunal de révision ne l’a pas empêchée de déposer des éléments de preuve documentaire ou de présenter un témoignage. Il ne lui a pas demandé d’écourter son exposé et ne l’a pas pressée tout au long de l’audience.

[30] J’ai examiné en détail le dossier d’appel porté à la connaissance du tribunal de révision, et il appert que celui‑ci disposait de nombreux rapports médicaux (émanant notamment de physiothérapeutes et de médecins généralistes et spécialistes), du formulaire de demande, du questionnaire et des autres déclarations de l’appelante, de sa demande de réexamen et de documents relatifs à sa scolarité et à ses antécédents professionnels. Dans sa décision écrite, le tribunal de révision a également résumé le témoignage de l’appelante portant sur sa scolarité, ses antécédents professionnels, les motifs pour lesquels elle a cessé de travailler et les symptômes de sa maladie. Le témoignage présenté de vive voix par l’appelante devant le tribunal de révision ne constituait pas la seule occasion pour l’appelante de présenter son cas.

[31] Dans l’arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une allégation de partialité ou de préjugé portée à l’encontre d’un tribunal est une allégation sérieuse. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. L’obligation d’agir équitablement comporte deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale.

[32] Même si je tenais pour avérées les allégations de l’appelante au sujet des questions et des commentaires formulés à l’audience par le tribunal de révision – qui figurent aux points a), b) et d) du paragraphe 17 ci‑dessus –, la preuve ne montre pas que le tribunal de révision n’a pas suffisamment donné l’occasion à l’appelante d’être entendue ou qu’il s’est fondé sur des préjugés ou a fait preuve de partialité. Même si l’appelante a eu l’impression qu’elle ne pouvait pas étoffer ses réponses, que le tribunal de révision n’a pas cherché à comprendre la signification de certaines de ses réponses ou qu’une question posée par le tribunal de révision témoignait d’un préjugé à son égard, la preuve ne démontre pas que le tribunal de révision a, par son comportement, dérogé aux normes entourant le droit d’être entendu et le droit à une audience équitable.

[33] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le tribunal de révision n’a pas manqué aux principes de justice naturelle en n’accordant pas une audience équitable à l’appelante.

Conclusion

[34] L’appel est rejeté.

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