Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] La demanderesse sollicite la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 27 mars 2015. La division générale a tenu audience par téléconférence le 19 février 2015. Elle a déterminé que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), ayant conclu que l’invalidité de la demanderesse n’était pas « grave » au moment où a pris fin sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2012. L’avocat de la demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») le 29 juin 2015. Pour accueillir cette demande de permission, il me faut être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] L’avocat a déposé des observations détaillées. Il plaide que la division générale (DG) a commis, comme suit, de nombreuses erreurs de droit :

  1. a) la DG n’a pas suffisamment motivé sa conclusion que la demanderesse a la capacité de travailler.
  2. b) la DG a tiré la conclusion de fait que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle avait essayé de se trouver un emploi convenant à ses limitations.
  3. c) la DG a incorrectement ou inadéquatement appliqué le critère tiré de l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248.
  4. d) la DG a conclu que les efforts d’atténuation déployés par la demanderesse étaient insuffisants parce qu’elle avait opté surtout pour des traitements médicaux parallèles.

[4] L’intimé n’a pas déposé d’observations écrites.

Analyse

[5] Avant qu’une permission d’en appeler puisse être accordée, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel proposé : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1999] ACF no 1252 (CF). La Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si une demanderesse a une cause défendable en droit revient à se demander si la demanderesse a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[6] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

a) Caractère suffisant des motifs

[8] L’avocat plaide que la division générale n’a pas suffisamment motivé sa conclusion que la demanderesse a la capacité de travailler. L’avocat s’appuie sur Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92, pour affirmer que le défaut de fournir une analyse ou des motifs à l’appui d’une conclusion de fait est une erreur sur laquelle une décision peut être infirmée. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a déterminé que « en l’absence d’indications, dans les motifs de la Commission, montrant que la preuve avait été analysée d’une façon valable, la décision de la Commission ne peut pas être maintenue. »

[9] La Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt R.c. Sheppard, [2002] CSC 26, que l’omission du juge du procès de motiver valablement sa décision pour permettre à un organisme de révision d’effectuer une évaluation constitue une erreur de droit.

[10] L’analyse que la division générale a effectuée pour mesurer la gravité de l’invalidité de la demanderesse consiste en quatre paragraphes : le premier traite de Villani; le deuxième traite des efforts de la demanderesse pour obtenir et conserver un emploi; le troisième a trait aux efforts que la demanderesse a faits pour atténuer la gravité de son état en cherchant à se faire traiter; le quatrième et dernier paragraphe traite des conclusions de fait que la division générale a tirées quant à savoir si la demanderesse s’était acquittée du fardeau de la preuve en démontrant qu’elle satisfaisait aux critères relatifs à une invalidité grave à la date de fin de sa PMA ou avant. De ces quatre paragraphes, seul le deuxième abordait la question de la capacité de travailler de la demanderesse.

[11] Dans le deuxième paragraphe de son analyse, la division générale a écrit que [traduction] « lorsqu’il existe une preuve de la capacité de travailler, la personne doit démontrer qu’elle a fait des efforts en vue d’obtenir et de conserver un emploi », puis elle s’est prononcée sur la question de savoir si la demanderesse avait déployé quelque effort pour essayer d’exercer un emploi convenant à ses limitations. En se posant cette question, j’en déduis que la division générale a conclu que la demanderesse avait une certaine capacité de travailler. Toutefois, la division générale n’a pas effectué d’analyse des dossiers médicaux ou de la preuve pour indiquer en quoi elle avait pu en arriver à cette conclusion que la demanderesse détenait une certaine capacité de travailler. Comme le fait valoir l’avocat, aucune discussion n’a été présentée sur la question de la capacité de travailler de la demanderesse, de sorte que nous ne pouvons savoir si la division générale a procédé à une évaluation de la preuve ou a mal appliqué le critère juridique.

[12] Pour ces motifs, je suis convaincue qu’il y a une cause défendable à alléguer que la division générale n’a pas suffisamment motivé sa conclusion que la demanderesse a une capacité de travailler. Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

b) Efforts de recherche d’emploi

[13] L’avocat affirme que la division générale a commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait tenté de se trouver un emploi convenant à ses limitations.

[14] Au paragraphe 30 de sa décision, la division générale a écrit ceci :

[Traduction]

[30] Lorsqu’il existe une preuve de la capacité de travail, la personne doit démontrer que ses efforts en vue d’obtenir et de conserver un emploi ont été infructueux en raison de son état de santé (Inclima c. Canada (BG), 2003 CAF 117). L’appelante n’a pas fait d’effort pour tenter d’occuper un emploi convenant à ses limitations. Elle exerçait deux emplois lorsqu’elle a cessé de travailler, et ces emplois étaient tous deux physiquement exigeants. Elle a cessé de travailler en raison de sa crainte de se blesser de nouveau au dos. Après avoir cessé de travailler, elle a continué de faire du bénévolat pour sa paroisse et a été capable de vaquer régulièrement aux engagements qu’elle avait.

[15] L’avocat plaide que la division générale a imposé une norme trop élevée à la demanderesse en exigeant qu’elle fût capable de trouver et de conserver un emploi rémunérateur auprès d’un employeur bienveillant qui lui accorderait la même souplesse que celle dont elle jouissait à la maison et à l’église. L’avocat allègue en outre ce qui suit :

[Traduction]

La [division générale] suggère que, puisque [la demanderesse] est capable d’accomplir quelques tâches ménagères et du travail bénévole occasionnel, dans les deux cas avec de l’aide et en prenant fréquemment de longues pauses, elle est aussi capable, malgré la preuve médicale à l’effet du contraire, de régulièrement détenir une occupation rémunératrice, mais ce que [la division générale] exige à tort de [la demanderesse], c’est qu’elle trouve un employeur disposé à accepter le travail peu fréquent, irrégulier et non uniforme en quantité ou en qualité que [la demanderesse] peut exécuter.

[16] L’avocat soutient que cela est déraisonnable et que c’est une erreur de droit.

[17] Hormis pour ce qui est de réévaluer la preuve, je ne vois pas d’indication, dans la décision de la division générale, que cette dernière ait exigé de la demanderesse qu’elle se cherche un quelconque emploi auprès d’un employeur bienveillant qui offrirait des mesures d’adaptation à la demanderesse. La division générale a noté que la demanderesse avait exercé des emplois physiquement exigeants. Il semble que la division générale ait conclu que la demanderesse avait une capacité suffisante d’effectuer des travaux moins physiquement exigeants et, donc, qu’elle ait exigé de la demanderesse qu’elle fasse au moins l’effort d’obtenir et de conserver un emploi tenant compte de cet ensemble de limitations.

[18] L’avocat cite un certain nombre de précédents et les compare aux circonstances de la demanderesse. Il avance que la preuve médicale démontre que la demanderesse ne possède pas la capacité requise pour détenir une occupation véritablement rémunératrice, à l’instar de nombre des prestataires dont il est question dans les divers précédents cités. En soi, le caractère raisonnable d’une décision n’est pas un moyen d’appel suffisant aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. Essentiellement, les observations de l’avocat sur ce point appellent une réévaluation, ce qui sort du cadre d’une demande de permission. Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

c) Villani

[19] L’avocat plaide que la division générale a incorrectement ou inadéquatement appliqué le critère tiré de l’arrêt Villani. Il soutient que, bien que la division générale ait cité Villani, les seuls facteurs qu’elle a pris en considération pour évaluer la gravité étaient l’âge de la demanderesse, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. L’avocat fait valoir que les caractéristiques personnelles de la demanderesse ne se limitaient pas à ces considérations, mais devraient comprendre aussi ses problèmes de santé. L’avocat a cité le paragraphe 32 de l’arrêt Villani, où la Cour d’appel a dit ceci :

Cette analyse obligeait la Commission à déterminer si un requérant, dans sa situation particulière et selon ses antécédents médicaux, était régulièrement en mesure de détenir une occupation véritablement rémunératrice. [C’est l’avocat qui souligne.]

[20] L’avocat affirme que, même si le niveau d’instruction, l’âge, les aptitudes linguistiques et les antécédents de travail de la demanderesse en font une candidate à l’occupation d’un emploi rémunérateur, ce n’est pas le cas de son état de santé. L’avocat soutient que la division générale a appliqué Villani de façon trop stricte.

[21] L’avocat de la demanderesse a combiné les problèmes de santé au mélange des caractéristiques personnelles. Je ne crois pas qu’il entrait dans l’intention de la Cour d’appel fédérale de faire que les problèmes de santé d’un prestataire soient évalués dans le cadre de ses caractéristiques personnelles, mais il est clair qu’un décideur doit aussi tenir compte de la preuve médicale pour mesurer la gravité d’une invalidité. Je suis convaincue qu’il y a une cause défendable sur la question de savoir si la division générale a évalué la preuve médicale dont elle était saisie. Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

d) Efforts d’atténuation

[22] L’avocat soutient que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les efforts d’atténuation déployés par la demanderesse étaient insuffisants parce qu’elle avait surtout opté pour des traitements médicaux parallèles.

[23] Au paragraphe 31 de sa décision, la division générale a écrit ceci :

[Traduction]

[31] Pour déterminer si l’appelante s’est acquittée de l’obligation qui lui incombait de démontrer qu’elle souffrait d’une invalidité grave, il faut prendre en considération les efforts qu’elle a faits pour atténuer la gravité de son état. L’appelante n’a pas vu son médecin de famille entre le 15 août 2008 et le 28 février 2012, soit pendant une période de trois ans et demi, et ne l’a pas vu non plus pendant deux années entières après la fin de son plus récent emploi. Lorsqu’elle a cessé de travailler en 2010, elle n’était plus soumise aux restrictions auxquelles, croyait-elle comprendre, Work Safe BC (l’agence provinciale pour la santé et la sécurité au travail) l’avait assujettie après chacun de ses deux accidents de travail initiaux et n’a consulté qu’un médecin, mais elle n’a pas cherché à obtenir une intervention médicale pour se faire poser un diagnostic, se faire adresser à des spécialistes ou se faire prescrire des médicaments contre la douleur. L’appelante a certes sollicité les traitements de son naturopathe, de son chiropraticien et de son physiothérapeute en 2011, mais c’était plus d’un an après qu’elle eut cessé de travailler. Malgré le fait que ces thérapies n’amélioraient pas son état de santé, elle n’a pas été consulter un médecin. L’appelante n’a pas pris de médicaments pour calmer ses douleurs. Ces facteurs ne cadrent pas avec une affection dont la gravité serait telle qu’elle empêcherait la personne qui en est atteinte d’exercer tout type d’emploi.

[24] À la lecture de cela, je ne crois pas que la division générale ait jugé que les efforts déployés par la demanderesse pour atténuer la gravité de son état étaient insuffisants du fait qu’elle avait surtout opté pour des traitements médicaux parallèles. Tout au plus, la division générale a estimé que ces traitements que la demanderesse avait reçus n’avaient pas amélioré son état de santé. Ce n’est qu’après avoir tiré cette conclusion que l’état de santé de la demanderesse ne s’était aucunement amélioré à la suite des traitements reçus que la division générale a estimé que la demanderesse devait solliciter d’autres formes de traitements, par exemple en consultant un médecin.

[25] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

Appel

[26] Certains des moyens sur lesquels j’ai accordé la permission sembleraient constituer un fondement suffisamment convaincant pour que je puisse rendre une décision sur l’appel sans avoir à tenir une nouvelle audience sur l’affaire. Si les parties ont l’intention de déposer des observations, elles pourraient vouloir examiner les questions suivantes :

  1. Une autre audience est-elle nécessaire, compte tenu de la solidité de certains des moyens avancés par la demanderesse?
  2. Sur le fondement des moyens sur lesquels la permission a été accordée, la division générale a‑t‑elle manqué à un principe de justice naturelle, commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle aurait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?
  3. Sur le fondement des moyens sur lesquels la permission a été accordée, quelle est la norme de contrôle applicable (à chacun des manquements ou erreurs) et quels sont les éventuels redressements appropriés?

[27] Au cas où je déterminerais qu’une autre audience est nécessaire, les parties devraient faire part du mode d’audience qu’elles désirent et présenter aussi des observations sur le caractère approprié de ce mode d’audience (c.‑à‑d. si cela devrait se faire par téléconférence, par vidéoconférence, par d’autres moyens de télécommunications, en personne ou au moyen de questions et réponses par écrit). Si une partie demande à ce qu’il soit tenu audience autrement qu’au moyen de questions et réponses par écrit, j’invite cette partie à donner une estimation préliminaire du temps qu’il lui faudra pour déposer ses observations et à faire part de ses dates de disponibilité.

Conclusion

[28] La Demande est accueillie.

[29] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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