Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] L’appelante interjette appel d’une décision de la division générale datée du 6 juillet 2015, laquelle rejette de façon sommaire la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) qu’elle a présentée le 8 novembre 2012, puisqu’elle était convaincue que l’appel n’avait pas de chance raisonnable de succès, au motif que l’appelante ne pouvait pas être réputée invalide en application du Régime de pensions du Canada avant de recevoir une pension du RPC.

[2] L’appelante a déposé un appel devant la division d’appel (avis d’appel). Aucune permission d’en appeler n’est requise dans le cas des appels interjetés au titre du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, car un rejet sommaire de la part de la division générale peut faire l’objet d’un appel de plein droit. Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, une décision doit être rendue, comme l’exige l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (le Règlement).

Questions en litige

[3] Les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable pour examiner des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle commis une erreur en choisissant de rejeter de façon sommaire la demande de l’appelante?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur et, le cas échéant, quels recours éventuels sont appropriés et offerts à l’appelante?

Aperçu factuel et historique des procédures

[4] L’appelante a présenté une demande de pension de retraite du RPC, laquelle a été acceptée. Elle a commencé à toucher ses prestations le 1er août 2009.

[5] Le 8 novembre 2012, environ 40 mois après le début des versements de sa pension du RPC, l’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC.

[6] L’intimé a refusé la demande initiale de pension d’invalidité du RPC le 19 novembre 2012, puis après révision le 6 mars 2013, au motif que l’appelante recevait une pension de retraite depuis août 2009 et que sa demande de pension d’invalidité avait été présentée plus de 15 mois après le mois de début du paiement de la pension de retraite.

[7]    L’appelante a porté cette décision en appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR), le 12 décembre 2012. En vertu de l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, tout appel déposé avant le 1er avril 2013 conformément au paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 229, est considéré comme ayant été déposé auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale le 1er avril 2013. Le 1er avril 2013, le BCTR a transféré au Tribunal de la sécurité sociale l’appel de l’appelante interjeté à l’encontre de la décision de révision.

[8] Le 16 juillet 2013, le Tribunal de la sécurité sociale a accusé réception de l’appel devant la division générale. Le 10 octobre 2013, l’intimé a déposé un avis de préparation. L’appelante a déposé son avis de préparation le 25 octobre 2013, puis le 14 novembre 2013.

[9] Le 4 avril 2014, le Tribunal de la sécurité sociale a écrit aux parties, les informant des prochaines étapes qui devaient être suivies.

[10] Le 15 avril 2014, l’appelante a déposé un Formulaire de renseignements sur l’audience.

[11] Le 8 avril 2015, le Tribunal de la sécurité sociale a informé les parties qu’il considérait que l’appel était prêt à être instruit. Le Tribunal a informé les parties que si elles souhaitaient déposer d’autres documents ou des observations écrites qui n’avaient pas déjà été transmises au Tribunal, elles devaient le faire sans délai.

[12] Le 17 avril 2015, l’appelante a déposé un deuxième Formulaire de renseignements sur l’audience.

[13] Le 27 avril 2015, la division générale a envoyé un avis écrit à l’appelante, l’informant qu’elle envisageait de rejeter de façon sommaire l’appel à l’encontre de la décision de révision de l’intimé pour les raisons suivantes :

Selon le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

L’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale dispose qu’avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser l’appelant par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations.

L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada (la Loi) établit les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Pour être admissible à une pension d’invalidité, un demandeur doit :

  1. avoir moins de 65 ans;
  2. ne pas recevoir de pension de retraite du RPC;
  3. être invalide;
  4. avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA).

L’exigence selon laquelle le demandeur ne doit pas recevoir de pension de retraite du RPC figure aussi au paragraphe 70(3) de la Loi, qui énonce qu’une fois qu’une personne commence à recevoir une pension de retraite du RPC, elle ne peut en aucun cas demander, ni redemander de pension d’invalidité. Il y a une exception à cette disposition à l’article 66.1 de la Loi.

L’article 66.1 de la Loi et l’article 46.2 du Règlement autorisent un bénéficiaire à demander la cessation d’une prestation une fois qu’elle a commencé à être payée si la demande d’annulation de la prestation est présentée par écrit dans les six mois suivant le début du paiement de la prestation.

Si une personne ne demande pas la cessation d’une prestation dans les six mois suivant le début du paiement de la prestation, la seule façon de faire remplacer une pension de retraite par une prestation d’invalidité est que la personne soit réputée être devenue invalide avant le mois où elle a commencé à toucher sa prestation de retraite (paragraphe 66.1(1.1) de la Loi).

Le paragraphe 66.1(1.1) de la Loi doit être lu en tenant compte de l’alinéa 42(2)b), qui énonce qu’une personne n’est pas réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de réception d’une demande de prestation d’invalidité par l’intimé.

Il résulte de ces dispositions que la Loi n’autorise pas le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité dans le cas où la demande de pension d’invalidité est présentée quinze mois ou plus après le début du paiement de la pension de retraite.

[14] La division générale a également établi que puisque l’appelante avait présenté une demande de pension d’invalidité le 8 novembre 2012 et qu’elle avait commencé à recevoir une pension de retraite en août 2009, elle ne pouvait pas être réputée invalide 15 mois ou plus après le début du versement de la pension de retraite du RPC.

[15] La division générale a invité l’appelante à présenter des observations écrites détaillées au plus tard le 29 mai 2015 et à expliquer pourquoi son appel avait une chance raisonnable de succès. Le 4 mai 2015, l’appelante a communiqué avec le Tribunal de la sécurité sociale en réponse à la lettre de la division générale datée du 27 avril 2015. L’appelante a confirmé qu’elle avait déjà donné les raisons pour lesquelles son appel avait une chance raisonnable de succès (bien qu’en fait elle n’eût fourni aucune réponse à cette question précise). Le Tribunal a confirmé que l’appelante pouvait présenter des observations écrites expliquant pourquoi son appel avait une chance raisonnable de succès.

[16] Le 6 juillet 2015, la division générale a rendu sa décision. Elle s’est fondée sur les dispositions suivantes pour :

  1. Le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès;
  2. L’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale dispose qu’avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit aviser l’appelant par écrit et lui donner un délai raisonnable pour présenter des observations;
  3. L’alinéa 44(1)b) de la Loi porte sur les critères d’admissibilité à une pension d’invalidité;
  4. Le paragraphe 70(3) de la Loi prévoit qu’une fois qu’une personne commence à recevoir une pension de retraite du RPC, elle ne peut en aucun cas demander ni redemander de pension d’invalidité.
  5. L’article 66.1 de la Loi établit une exception à la disposition du paragraphe 70(3) de la Loi;
  6. Les articles 66.1 de la Loi et 46.2 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada autorisent qu’un bénéficiaire demande une cessation d’une prestation après le début de son paiement, si la demande est présentée par écrit dans les six mois suivant le début du paiement de la prestation.
  7. Le paragraphe 66.1(1.1) de la Loi comporte une exception à la règle générale de l’article 66.1. La seule façon qu’une pension de retraite puisse être remplacée par une prestation d’invalidité est lorsque la personne est réputée être invalide avant le mois où la pension de retraite commence à être payée.
  8. Le paragraphe 66.1(1.1) et l’alinéa 42(2)b) de la Loi, lorsqu’ils sont lus ensemble, prévoient qu’une personne n’est pas réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de réception d’une demande de prestation d’invalidité par l’intimé.

[17] La division générale a estimé que selon ces dispositions, la Loi n’autorise pas le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité lorsque la demande de pension d’invalidité est présentée 15 mois ou plus après le début du paiement de la pension de retraite.

[18] Le 10 août 2015, l’appelante a déposé un appel à l’encontre de la décision relative au rejet sommaire rendue par la division générale.

[19] Le 24 septembre 2015, l’avocat de l’intimé a déposé des observations.

Observations

[20] Dans l’avis d’appel, l’appelante a précisé qu’elle avait subi une crise cardiaque le 7 octobre 2007. Elle indique qu’elle est invalide depuis ce temps.

[21] L’appelante a également précisé dans son avis d’appel qu’elle était la première patiente de Dura Heart LVAD au Canada, et compte tenu de la [traduction] « nature extraordinaire de [son] état de santé, jumelée au souci du détail rigoureux et soutenu requis par le traitement unique qu’elle [a reçu] jusqu’à maintenant, il devrait y avoir une “exception spéciale à la règle” ».

[22] L’appelante a aussi expliqué que lorsque son ancien employeur a demandé sa pension de retraite du RPC en 2009, elle ne comprenait pas tout à fait ce qui se passait et n’était pas en mesure d’étudier de façon diligente ses options, ni d’apprendre qu’elle aurait pu recevoir une pension d’invalidité du RPC. Elle a demandé qu’[traduction] « entre la période d’août 2009 et de la date d’entrée en vigueur de [cette] décision, toute prestation d’invalidité du RPC accordée [soit] déduite [des] paiements de pension de retraite actuels du RPC qu’elle [a] reçus jusqu’à maintenant. À la suite de la date d’entrée en vigueur de [cette] décision, [elle] ne recevrait que des prestations d’invalidité du RPC ».

[23] L’appelante a fourni un résumé de l’information et des lettres d’appui de ses médecins concernant ses antécédents de santé compliqués.

[24] Même si l’appelante n’utilise pas le langage précis de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, elle affirme essentiellement que la division générale a refusé d’exercer sa compétence; elle affirme qu’elle aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et lui accorder une pension d’invalidité du RPC.

[25] L’avocat de l’intimé indique que la division générale a énoncé et appliqué correctement le critère afin de déterminer à quel moment elle doit rejeter de façon sommaire un appel en application de l’article 53 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. L’avocat fait valoir que la division générale a également énoncé correctement le droit relatif au remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité en vertu de la Loi. Il affirme que la division générale n’a pas commis d’erreur dans son application du droit aux faits, qui ne sont pas contestés.

[26] L’avocat de l’intimé affirme également que, compte tenu des faits non contestés et du droit applicable, une seule conclusion était possible. Puisque la demande de pension d’invalidité a été présentée plus de 15 mois après que l’appelante eut commencé à recevoir sa pension de retraite, l’appelante n’était pas autorisée à demander la cessation de sa pension de retraite. L’avocat fait valoir que l’appel n’a donc aucune chance de succès et qu’il a été rejeté adéquatement de façon sommaire. Il indique que la décision de la division générale est entièrement raisonnable puisqu’elle est transparente, intelligible et est le seul résultat acceptable selon le droit et les faits. L’avocat affirme que la décision ne contient pas d’erreur susceptible de contrôle qui permette l’intervention de la division d’appel.

Première question en litige : norme de contrôle

[27] L’appelante n’a pas abordé la question de la norme de contrôle.

[28] L’intimé a présenté des observations concernant cette question. L’avocat de l’intimé indique que la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable pour les questions de fait et pour les questions mixtes de fait et de droit. L’intimé fait valoir que pour les questions de droit, la division d’appel ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la division générale et devrait appliquer la norme de la décision correcte.

[29] L’intimé fait valoir que la question principale dans cet appel, qui consiste à déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès, porte sur une question mixte de fait et de droit. Il fait valoir que la division d’appel devrait examiner la décision de la division générale selon la norme de la décision raisonnable, mais elle ne devrait pas faire preuve de déférence à l’égard de l’énoncé par la division générale du critère relatif au rejet sommaire et de son exposé du droit relatif au remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité.

[30] Je suis d’accord avec ces observations. Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a conclu qu’il n’existe que deux normes de contrôle en common law au Canada : la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte. Les questions de droit sont généralement tranchées en fonction de la norme de la décision correcte, alors que les questions mixtes de fait et de droit sont tranchées en fonction de la norme de la décision raisonnable. Et, au moment d’appliquer la norme de la décision correcte, un organisme de révision ne fait pas preuve de déférence à l’égard du processus de raisonnement du décideur; il mène plutôt sa propre analyse, laquelle peut nécessiter qu’il substitue son point de vue pour obtenir le bon résultat.

[31] La norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées en cause.

[32] Au sens du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[33] D’après ce que j’ai pu établir, l’appelante ne conteste aucune constatation de fait établie par la division générale, puisqu’elle a rendu sa décision en se fondant sur les éléments de preuve dont elle était saisie. Elle fait plutôt valoir qu’elle a des circonstances exceptionnelles et qu’elle ne comprenait pas tout à fait ses options, ni qu’elle a été mise au courant de l’existence de la pension d’invalidité du RPC avant un certain temps après que son ancien employeur eut demandé sa pension de retraite du RPC, en 2009. Ses observations reviennent à une allégation selon laquelle la division générale n’a pas exercé sa compétence, ce qui commande un contrôle selon la norme de la décision correcte.

Deuxième question en litige : la division générale a-t-elle commis une erreur en décidant de rejeter de façon sommaire la demande de l’appelante?

[34] Bien que l’appelante n’eût pas remis en cause la pertinence d’un rejet sommaire, je me pencherai sur cette question avant d’évaluer la décision de la division générale.

[35] L’avocat de l’intimé affirme que la première étape que doit suivre la division générale consistait à énoncer le droit concernant les rejets sommaires en application de l’article 53 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, ce qu’elle a fait au paragraphe 3 de sa décision. L’avocat indique que la décision de la division générale de rejeter de façon sommaire l’appel ne comporte aucune erreur susceptible de contrôle qui permette l’intervention de la division d’appel et qu’elle est raisonnable.

[36] L’avocat de l’intimé affirme que l’appel devrait être rejeté parce que la division générale a énoncé correctement le droit concernant le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité et parce que l’appelante ne satisfaisait pas aux exigences prévues par la Loi,selon lesquelleselle devait demander, par écrit, une cessation de sa pension de retraite dans les six mois suivant le début du paiement de la prestation. L’avocat s’est fondé sur trois cas de jurisprudence :

  1. Greathead c. ministre du Développement social (14 mars 2006), CP 23044 (CAP) au paragraphe 10, une décision de l’ancienne Commission d’appel des pensions;
  2. Ministre du Développement social c. Desjardins (5 octobre 2006), CP 23966 (CAP) au paragraphe 17;
  3. Ramlochan c. Canada, FC T-148-13, 22 octobre 2013 (non publiée) aux paragraphes 24 et 25.

[37] L’avocat de l’intimé fait valoir que dans Greathead c. ministre du Développement social, la Commission d’appel des pensions du temps a déclaré qu’un requérant ne peut pas remplacer une pension de retraite du RPC déjà payée par une pension d’invalidité du RPC si la date à laquelle il est réputé être devenu invalide afin d’y être admissible est au cours du mois où il a commencé à toucher sa pension de retraite ou par la suite.

[38] L’avocat affirme également que dans la décision Ministre du Développement social c. Desjardins, la Commission d’appel des pensions a déclaré que le paragraphe 66.l(1.1) de la Loi est clair et sans équivoque : les dispositions du RPC autorisant le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité ne sont pas souples.

[39] L’avocat reconnaît que le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas lié par les décisions de la Commission d’appel des pensions, mais affirme qu’elles ont une certaine valeur de persuasion.

[40] L’avocat indique que lorsque les dispositions du RPC sont lues ensemble, il résulte qu’une pension de retraite ne peut pas être remplacée par une pension d’invalidité lorsque la demande de pension d’invalidité est présentée 15 mois après le début du paiement de la pension de retraite. L’avocat se fonde sur la décision de la Cour fédérale Ramlochan c. Canada, FC, T-148-13, 22 octobre 2013 (non publiée), aux paragraphes 24 et 25, qui selon l’avocat établit que dans ces cas il n’existe pas de cause défendable.

[41] L’avocat affirme que la division générale n’a pas commis d’erreur dans son application du droit aux faits, lesquels ne sont pas contestés. Il indique que, compte tenu des faits non contestés et du droit applicable, il n’y avait qu’une conclusion possible. Puisque la demande de pension d’invalidité a été présentée plus de 15 mois après que l’appelante eut commencé à recevoir sa pension de retraite, l’avocat fait valoir que l’appelante n’était pas autorisée à demander une cessation de sa pension de retraite. L’avocat affirme que l’appel n’a donc aucune chance de succès et a été rejeté adéquatement de façon sommaire. Il indique que la décision de la division générale est entièrement raisonnable puisqu’elle est transparente, intelligible et est le seul résultat acceptable selon le droit et les faits.

[42] Le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social permet à la division générale de rejeter de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. Si la division générale n’avait pas énoncé le critère ou ne l’avait pas énoncé correctement, cela constituerait une erreur de droit qui, selon la norme de la décision correcte, exigerait que je mène mon analyse et que je substitue mon point de vue pour obtenir le résultat correct : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick et Housen c. Nikolaisen, [2002] R.C.S. 235, 2002 CSC 33 (CanLII), au paragraphe 8.

[43] En l’espèce, la division générale a énoncé correctement le critère en citant le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social au paragraphe 3 de sa décision.

[44] Cependant, il ne suffit pas de citer le libellé du paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social; il faut aussi l’appliquer correctement. Après avoir énoncé adéquatement le critère, il fallait que la division générale applique le droit aux faits. Si le droit approprié est appliqué, la décision de rejeter l’appel de façon sommaire doit être raisonnable. Cela exige une évaluation selon la norme de la décision raisonnable puisqu’une question mixte de droit et de fait est en cause.

[45] J’ai déjà examiné la jurisprudence en ce qui concerne le caractère approprié de la procédure de rejet sommaire figurant dans les règles de procédure respectives des contextes fédéral et provinciaux et afin de déterminer si un appel a une chance raisonnable de succès (voir A.P. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et P.P., 2015 TSSDA 973). Dans ces contextes, les tribunaux ont utilisé les expressions « question ouvrant matière à procès » et « manifestement clair » (qui semble s’apparenter à « manifeste et évident ») et ont déterminé si la demande était fondée. À partir de là, j’ai été en mesure d’établir la distinction entre une affaire « sans aucun espoir » et une affaire « au fondement faible »; une affaire au fondement faible ne serait pas appropriée dans le cas d’un rejet sommaire puisque cela implique nécessairement l’évaluation du bien-fondé de l’affaire et l’examen de la preuve ainsi que le fait d’y accorder du poids. Pour autant que l’appel soit fondé sur des faits adéquats et que l’issue ne soit pas manifestement claire, il n’y a pas lieu de prononcer un rejet sommaire. J’ai conclu qu’essentiellement, l’expression « aucune chance raisonnable de succès » a été plus ou moins interprétée comme étant [traduction] « absolument aucune chance de succès ».

[46] La division générale a compris la distinction entre une affaire « sans aucun espoir » et une affaire « au fondement faible » et a reconnu dans quel cas une affaire devrait être adéquatement rejetée de façon sommaire. La division générale a estimé que les circonstances en application de la Loi et du Règlement à cet égard, dans lesquelles un appelant pouvait faire remplacer sa pension de retraite du RPC par une pension d’invalidité du RPC, étaient très limitées. La division générale a conclu que, compte tenu des circonstances de fait dont elle était saisie, l’appelante n’était pas visée par l’exception à la règle générale selon laquelle une fois qu’un demandeur reçoit une pension de retraite du RPC, il ne peut pas demander ni recevoir de pension d’invalidité du RPC. La division générale a aussi conclu qu’elle ne pouvait exercer aucune forme de pouvoir fondé sur l’équité concernant un appel devant elle et qu’elle était tenue d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la Loi.

[47] La division générale a évalué si, selon les faits dont elle était saisie, l’appel remplissait le critère rigoureux établi en application du paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. La division générale n’a pas été en mesure de trouver un fondement adéquat ou factuel appuyant l’appel. Puisque la division générale était convaincue que l’appel n’était pas fondé, elle a conclu à juste titre que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès et elle l’a adéquatement rejeté de façon sommaire.

Troisième question en litige : la division générale a-t-elle commis une erreur?

[48] Outre la question du caractère approprié de la procédure sommaire de cette affaire, il doit y avoir au moins un motif d’appel valide en application du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social pour faire droit à un appel. L’appelante a fait valoir que la division générale n’avait pas exercé sa compétence.

[49] L’avocat de l’intimé soutient que la division générale a correctement énoncé le droit concernant le remplacement d’une pension de retraite par une pension d’invalidité et qu’elle n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle à cet égard. L’avocat de l’intimé a mentionné les mêmes articles que ceux cités par la division générale.

[50] L’alinéa 42(2)b) du Régime de pensions du Canada est ainsi formulé :

  1. (2) Personne déclarée invalide –  Pour l’application de la présente loi,
  2. b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne – notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) – n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

[51] L’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada est ainsi formulé :

Prestations payables – (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie,

. . .

  1. b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :
  2. (i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,
  3. (ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été, …

(C’est moi qui souligne.)

[52] L’article 66.1 de la Loi autorise un bénéficiaire à demander la cessation d’une prestation s’il le fait de la manière prescrite et, après que le paiement de la prestation a commencé, durant la période de temps prescrite à cet égard, même si une exception est prévue au paragraphe 66.1(1.1). Un bénéficiaire ne peut pas remplacer une prestation de retraite par une prestation d’invalidité si le requérant est réputé être devenu invalide, en vertu de la Loi ou aux termes d’un régime provincial de pensions, au cours du mois où il a commencé à toucher sa prestation de retraite ou par la suite. Le paragraphe 46.2(1) du Règlement établit comment et dans quel cas une personne peut demander la cessation d’une prestation.

[53] Le paragraphe 70(3) de la Loi est ainsi formulé en partie : « Une personne n’est en aucun cas admissible à demander ou à redemander une pension d’invalidité en application de la présente loi, si elle a commencé à recevoir une pension de retraite conformément à la présente loi ou à un régime provincial de pensions, sauf selon ce qui est prévu à cet égard à l’article 66.1 ou aux termes d’une disposition en substance semblable d’un régime provincial de pensions, selon le cas ».

[54] L’avocat de l’intimé fait valoir que, lorsque les alinéas 42(2)(b) et 44(l)(b) et les paragraphes 66.l(1.1) et 70(3) de la Loi et le paragraphe 46.2(2) du Règlement sont lus ensemble,il résulte qu’une pension de retraite ne peut pas être remplacée par une pension d’invalidité lorsque la demande de pension d’invalidité est présentée plus de 15 mois après le début du paiement de la pension de retraite. L’avocat s’est fondé sur les trois cas de jurisprudence susmentionnés, notamment Ramlochan c. Canada, FC, T-148-13, 22 octobre 2013 (non publiée), pour établir que, dans ces affaires, il n’existe pas de cause défendable.

[55] Je suis d’accord avec ces observations et, même si je ne suis pas liée par les décisions de la Commission d’appel des pensions, j’estime qu’elles sont convaincantes.

[56] La division générale a cité et appliqué chacun de ces articles pour déterminer l’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. La division générale a énoncé de façon adéquate le droit dans son analyse et a appliqué le droit aux faits.

[57] L’appelante reçoit une pension de retraite du RPC depuis le mois d’août 2009.

[58] Si l’appelante avait voulu annuler sa pension de retraite du RPC, elle aurait dû, en vertu de l’article 66.1 de la Loi, le faire par écrit dans les six mois suivant le début du paiement de la pension de retraite. Puisque l’appelante n’avait pas cherché à annuler sa pension de retraite du RPC dans les six mois suivant le début des paiements, elle ne pouvait pas se prévaloir de cette disposition.

[59] Si l’appelante avait voulu remplacer sa pension de retraite du RPC par une pension d’invalidité du RPC, il aurait fallu, selon le paragraphe 66.1(1.1) de la Loi, qu’elle soit réputée être devenue invalide avantle mois où sa prestation de retraite a commencé à être payable.

[60] En vertu de la Loi,l’appelante ne pouvait pas être réputée invalide avant le mois d’août 2011, soit 15 mois avant qu’elle eut présenté la demande de pension d’invalidité du RPC, en novembre 2012. Cela était nettement après le mois avant que la pension de retraite du RPC ne devienne payable, en août 2009. L’appelante ne pouvait pas non plus se prévaloir de la disposition du paragraphe 66.1(1.1) de la Loi.

[61] Étant donné l’application du droit à ces faits particuliers, la division générale a conclu correctement que l’appelante ne pouvait pas remplacer la pension de retraite du RPC par une pension d’invalidité du RPC.

[62] Selon la décision de la division générale, il n’existe aucun autre moyen pour un appelant de remplacer sa pension de retraite du RPC par une pension d’invalidité du RPC. Un appelant pourrait se fonder sur les paragraphes 60(8) à 60(11) de la Loi. Selon ces dispositions, si un demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, cette demande peut être réputée avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

[63] Autrement dit, si l’appelante avait une incapacité continue, c’est-à-dire si elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations, à partir de la date où elle a pu devenir incapable jusqu’à la date où elle a présenté sa demande de pension d’invalidité du RPC, elle pourrait encore être admissible à une pension d’invalidité du RPC si elle satisfait à toutes les autres exigences de la Loi. Il est difficile de démontrer son incapacité puisque cela va bien au-delà de l’invalidité grave et des difficultés de concentration ou de l’incapacité de mener les activités de la vie courante. Il ne s’agit pas non plus d’être nécessairement occupé par sa propre santé et son rétablissement, mais cela signifie que l’on est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande dans les délais. L’incapacité doit également être continue. Dans le cas de l’appelante, il aurait fallu qu’elle soit incapable de façon continue entre février 2010 (six mois après le début du paiement de la pension de retraite du RPC) et le 8 novembre 2012, date où elle a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC.

[64] S’il y avait eu une allégation de l’appelante, ainsi que des éléments de preuve à l’appui, aussi invraisemblables soient-ils, faisant allusion à la possibilité que l’appelante puisse avoir souffert d’une incapacité continue entre février 2010 et le 8 novembre 2012 pour l’application de la Loi, alors le fait que la division générale n’eut pas mené d’analyse, ni tiré de conclusion concernant cette question aurait pu constituer une erreur de droit susceptible de contrôle.

[65] Il n’est pas tout à fait clair que la division générale a pris en compte les dispositions relatives à l’incapacité figurant dans la Loi et en quoi elles peuvent avoir touché l’appelante, mais selon les éléments de preuve et des observations devant elle, la question de l’incapacité était à toutes fins utiles non pertinente puisque rien n’indiquait que l’appelante aurait pu souffrir d’une incapacité continue entre février 2010 et le 8 novembre 2012.

[66] Finalement, la division générale a aussi reconnu de manière appropriée qu’elle n’a pas de pouvoir fondé sur l’équité pour accorder le redressement demandé par l’appelante. Elle devait appliquer la Loi etle Règlement à cet égard afin de déterminer l’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC. Il n’est pas pertinent de savoir si les circonstances de l’appelante sont exceptionnelles puisqu’il n’est pas possible de recevoir simultanément les deux pensions et il est possible de remplacer une pension de retraite du RPC par une pension d’invalidité du RPC uniquement dans des circonstances très limitées. La division générale n’a pas commis d’erreur en refusant d’exercer sa compétence puisqu’elle n’avait aucun autre pouvoir discrétionnaire extérieur au Régime de pensions du Canada.

Conclusion

[67] Étant donné les circonstances susmentionnées, l’appel est rejeté.

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