Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] Lorsqu’elle a fait une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), l’intimée a déclaré qu’elle était invalide en raison de crises et d’absences épileptiques. Le demandeur a rejeté sa demande initialement et après révision. L’intimée a fait appel de la décision en révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. En application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, l’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en avril 2013. La division générale a tenu audience par téléconférence et, le 14 juillet 2015, a conclu que l’intimée était invalide.

[2] L’appelant a demandé la permission d’en appeler de cette décision à la division d’appel du Tribunal. Il soutient que la division générale a erré en droit, a fondé sa décision sur quatre conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, et a insuffisamment motivé par écrit sa décision.

[3] L’intimée n’a pas déposé d’observations concernant la demande de permission d’en appeler.

Analyse

[4] Pour qu’une permission d’en appeler soit accordée, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, et Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[5] C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi ») qui régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de cette loi énonce les seuls moyens d’appel qui peuvent être pris en considération pour que la permission d’en appeler d’une décision de la division générale soit accordée (cette disposition est reproduite en annexe de la présente décision). Il me faut donc déterminer si le demandeur a invoqué un moyen d’appel prévu à l’article 58 de la Loi pouvant conférer à l’appel une chance raisonnable de succès.

Erreurs de droit

[6] Le demandeur a soutenu que la permission d’en appeler devrait lui être accordée au motif que la décision de la division générale était entachée d’erreurs de droit. Sur ce front, il a d’abord argué que la division générale avait incorrectement appliqué le droit aux faits qui lui ont été soumis car elle a reconnu qu’il n’y avait pas de preuve médicale datant de la période pertinente et a conclu que l’intimée était invalide. La Cour d’appel fédérale, dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, a déterminé qu’il fallait que certains éléments de preuve médicale soient fournis pour étayer une demande de pension d’invalidité. Je reconnais qu’il n’y avait, à l’appui de la demande de pension de l’intimée, aucune preuve médicale dont la date se rapprochait de la date de fin de la période minimale d’admissibilité (la date à laquelle un prestataire doit avoir été déclaré invalide pour avoir droit à une pension d’invalidité au titre du Régime). Il est également clair en droit que la décision doit reposer sur une certaine preuve médicale. Ce moyen d’appel pourrait conférer une chance raisonnable de succès à l’appel.

[7] Le demandeur a plaidé en outre que la division générale avait commis une erreur en ne tenant pas compte des caractéristiques personnelles de l’intimée, comme son âge, son niveau d’instruction et ses antécédents de travail, lorsqu’elle a déterminé qu’elle était invalide. Dans l’arrêt Villani, ainsi que dans de nombreuses décisions qui ont suivi cet arrêt, il a clairement été établi qu’il fallait tenir compte des caractéristiques personnelles d’un demandeur de pension d’invalidité pour déterminer s’il était invalide au sens du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). La Cour a aussi statué que c’était une erreur de droit que de ne pas appliquer les principes énoncés dans Villani dans le cas d’une affaire d’invalidité fondée sur le RPC. Se contenter de citer l’arrêt Villani n’est pas suffisant. En l’espèce, dans sa décision, la division générale a précisé à juste titre ce dont il est question dans l’arrêt Villani, mais elle n’a pas appliqué les facteurs de cet arrêt aux faits dont elle était saisie. Il pourrait s’agir là d’une erreur de droit, de sorte que ce moyen d’appel peut aussi présenter une chance raisonnable de succès en appel.

[8] Sur le même front, le demandeur a affirmé que la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle a déclaré que l’intimée « souffrait » de douze à quinze crises épileptiques par mois. Il a affirmé que la division générale avait alors conclu que l’intimée était invalide par suite de ses souffrances. Le demandeur a raison lorsqu’il dit qu’un prestataire ne peut pas être déclaré invalide sur le seul motif de ses souffrances. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la décision de la division générale ait reposé sur les souffrances de l’intimée. Ce mot a été employé pour décrire la fréquence des crises de l’intimée et non la façon dont elles l’affectaient. Ce moyen d’appel ne confère pas de chance raisonnable de succès à l’appel.

[9] Finalement, à ce sujet, le demandeur a argué que la division générale avait commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas appliqué le principe établi dans Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, selon lequel un demandeur qui possède une certaine capacité de travailler doit démontrer qu’il était incapable d’obtenir ou de détenir une occupation à cause de son invalidité. Le demandeur a laissé entendre que la décision de la division générale n’était pas claire sur la question de savoir si l’on avait considéré que l’intimée avait seulement essayé de travailler à son emploi habituel. Dans la décision, il ne semble pas qu’on se soit posé la question de savoir si l’intimée était capable ou non d’obtenir ou de conserver un emploi en raison de l’invalidité dont l’intimée affirme être atteinte. Il pourrait s’agir là d’une erreur de droit, et la permission d’en appeler est accordée sur ce motif.

Conclusions de fait erronées

[10] Le demandeur a aussi argué que la permission d’en appeler devrait lui être accordée au motif que la décision de la division générale a reposé sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire. À ce sujet, le demandeur a soutenu en premier lieu qu’il était déraisonnable, pour la division générale, de conclure que l’on avait conseillé à l’intimée de ne plus travailler dès 2002 alors qu’il n’y avait aucune preuve documentaire pour étayer cette affirmation et que le témoignage n’était pas clair sur ce point. Un examen de la décision de la division générale et la transcription partielle de l’audience fournie par le demandeur étayent cet argument. La permission d’en appeler est accordée sur ce fondement.

[11] Le demandeur a plaidé par ailleurs que la conclusion de fait de la division générale selon laquelle l’intimée a plusieurs fois essayé de retourner au travail mais n’a pu continuer de travailler en raison de ses douleurs et de ses crises n’était pas corroborée par le témoignage oral ou la preuve écrite et constituait donc une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire. Là encore, la transcription partielle de l’audience milite en faveur de la thèse du demandeur. La décision a reposé, du moins en partie, sur cette conclusion de fait qui a pu être erronée. Ce moyen d’appel pourrait présenter une chance raisonnable de succès en appel.

[12] En outre, le demandeur a affirmé que les conclusions de fait de la division générale selon lesquelles l’intimée souffrait de crises en raison d’un trouble de conversion et avait des crises depuis l’an 2000 n’étaient pas étayées par la preuve. Je ne suis pas convaincue que la décision voulant que l’intimée fût invalide au sens du RPC ait reposé sur la question de savoir si l’on avait diagnostiqué un trouble de conversion à l’intimée, puisque ce n’est pas le diagnostic d’un trouble mais plutôt son effet sur la capacité de travailler d’un demandeur qui est déterminant. Toutefois, il ne semble pas y avoir de preuve claire de la datation et de la fréquence des crises dont l’intimée a souffert entre 2000 et la date de l’audience. S’il n’y a aucune preuve pour étayer cela, la conclusion de fait était erronée et a pu être tirée de façon abusive ou arbitraire. Ce moyen d’appel peut aussi conférer une chance raisonnable de succès à l’appel.

[13] Finalement, à ce sujet, le demandeur a soutenu que la division générale avait conclu à tort que, de façon générale, la preuve médicale cadrait avec le témoignage de l’intimée, puisqu’il n’y avait que très peu d’éléments de preuve médicale sur lesquels pouvait reposer cette conclusion de fait. Ce pourrait être le cas. Il semble que la décision ait reposé en partie sur cette conclusion de fait. Ainsi, ce moyen d’appel peut aussi présenter une chance raisonnable de succès en appel.

[14] Le demandeur a aussi suggéré qu’aucun des rapports médicaux ne confirmait que l’intimée avait été traitée pour les blessures dont elle affirmait qu’elles avaient été causées par ses crises. Il ne semble pas, cependant, que la décision ait reposé sur la question de savoir si l’intimée avait reçu un traitement pour ces blessures. Il ne s’agit pas d’un moyen d’appel pouvant conférer une chance raisonnable de succès à l’appel.

[15] En dernier lieu, sur ce front, le demandeur a fait valoir que la division générale avait commis une erreur lorsqu’elle a préféré le témoignage de l’intimée à la preuve des rapports médicaux, qui contredisaient ce témoignage. En invoquant cet argument, le demandeur demande essentiellement à ce que le Tribunal réévalue et réapprécie la preuve dont la division générale était saisie. Cela relève du juge des faits. Un tribunal appelé à se prononcer sur une demande de permission d’en appeler n’a pas à substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré les conclusions de fait contestées – Simpson c. Canada (Procureur général),  2012 CAF 82. Par conséquent, cet argument ne constitue pas un moyen d’appel qui présente une chance raisonnable de succès.

Motifs insuffisants de la décision

[16] Le demandeur a aussi soutenu que la permission d’en appeler devrait lui être accordée du fait que la division générale a insuffisamment motivé par écrit sa décision. Plus particulièrement, le demandeur a soutenu que l’analyse du droit applicable et la preuve étaient si minces qu’il était difficile de savoir si le bon critère juridique avait été appliqué pour déterminer si l’intimée était invalide. Dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, la Cour suprême du Canada a énoncé la raison d’être des motifs écrits. Ils doivent permettre aux parties de comprendre la décision qui a été rendue et pourquoi elle a été rendue et permettre à un tribunal d’appel d’examiner efficacement la décision contestée. En l’espèce, la division générale a précisé les éléments de preuve sur lesquels elle s’est appuyée pour rendre sa décision. Cela dit, il est peut-être difficile de savoir pourquoi la division générale en est arrivée à la décision qu’elle a rendue. On ne sait pas non plus clairement si la division générale a tenu compte des motifs invoqués par le demandeur pour que soit rejetée la demande de pension d’invalidité de l’intimée, puisqu’ils n’ont pas été mentionnés ni pris en considération dans la décision. Bien qu’il ne soit pas nécessaire qu’une décision fasse mention de chacun des arguments qui ont été présentés à l’audience, la décision devrait tenir compte des arguments qui ont fondé la thèse d’une partie.

[17] Je retiens aussi l’argument du demandeur selon lequel la division générale, dans sa décision, n’a pas pris en considération les effets de l’absence d’éléments de preuve médicale datant de la période pertinente. Finalement, je suis convaincue que les motifs que la division générale a écrits dans sa décision au sujet de la date à laquelle l’intimée est devenue invalide pourraient avoir été insuffisants en ce qu’ils n’expliquent pas le fondement de cette décision.

[18] En conséquence, ces moyens d’appel peuvent aussi présenter une chance raisonnable de succès en appel.

Conclusion

[19] La demande de permission d’en appeler est accueillie pour les motifs susmentionnés.

[20] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume pas du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[21] Le demandeur a demandé la permission de déposer une copie de l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale à l’appui de sa position dans cet appel. Il a la permission de le faire. Il serait cependant utile que le demandeur indique, sur l’enregistrement, le ou les extraits auxquels il fera allusion dans son argumentation, ou qu’il fournisse une transcription exacte de l’audience, avec les passages pertinents marqués. Si l’intimée souhaite s’appuyer sur une quelconque partie de l’audience devant la division générale, elle devrait faire de même.

[22] À leurs observations sur le bien-fondé de l’appel, les parties peuvent joindre des observations concernant le mode d’audience à privilégier pour l’instruction de l’appel.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

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