Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] La permission d’en appeler est accordée.

Introduction

[2] Le 29 mai 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») a rendu une décision dans laquelle elle concluait que l’intimée était invalide au sens de l’art. 42 du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). Par conséquent, l’intimée était admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »). Le demandeur sollicite la permission d’en appeler de cette décision en déposant une demande à cet effet (la « Demande »).

Moyens invoqués à l’appui de la demande

[3] Les moyens présentés à l’appui de la Demande sont les suivants :

a) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit. Plus précisément, les erreurs de droit suivantes ont été alléguées :

  1. i. La division générale n’a pas exigé de preuve médicale objective de la gravité et du caractère prolongé de la principale affection invalidante de l’intimée, qui s’est avérée être l’asthme.
  2. ii. La division générale n’a pas entrepris d’analyse sérieuse de la preuve médicale dont elle était saisie et n’a pas abordé l’absence d’une preuve médicale permettant de conclure à l’existence d’une invalidité.

b) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le demandeur a plaidé ce qui suit :

  1. i. La division générale n’était saisie d’aucune preuve médicale objective qui décrivait la nature, la gravité, le pronostic et le traitement de l’asthme de l’intimée à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2013, ou à l’approche de cette date.
  2. ii. Les rapports médicaux existants n’étayaient pas la conclusion de la division générale selon laquelle l’invalidité de l’intimée était grave et prolongée.
  3. iii. Il n’y avait pas non plus, au dossier soumis à la division générale, de preuve médicale appuyant sa conclusion que les efforts déployés par l’intimée en vue d’obtenir et de conserver un emploi ont échoué en raison de ses troubles médicaux.

Question en litige

[4] Dans cette demande de permission, la question en litige est la suivante :

L’appel a‑t‑il une chance raisonnable de succès?

Droit applicable

[5] La demande de permission d’en appeler d’une décision de la division générale du Tribunal est une étape préliminaire au dépôt d’un appel devant la division d’appel.Note de bas de page 1 Pour accorder cette permission, la division d’appel doit être convaincue que l’appel aurait une chance raisonnable de succès.Note de bas de page 2 Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, ainsi que dans Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63, la Cour d’appel fédérale a assimilé une chance raisonnable de succès à une cause défendable. Cela signifie que la division d’appel doit d’abord conclure qu’au moins l’un des moyens invoqués à l’appui de la Demande se rattache à un moyen d’appel admissible. La division d’appel doit ensuite déterminer s’il existe une chance raisonnable que l’appel soit accueilli sur ce moyen.

[6] Il n’y a que trois moyens sur lesquels un appelant peut porter une décision en appel. Ces moyens, stipulés à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS ») sont les suivants :

  1. 1) un manquement à la justice naturelle;
  2. 2) une erreur de droit commise par la division générale;
  3. 3) une décision que la division générale aurait fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Note de bas de page 3

Analyse

[7] L’avocat du demandeur a soutenu qu’en raison des erreurs de droit et de fait commises par la division générale, l’appel avait une chance raisonnable de succès. La division d’appel souscrit à cet argument. Les motifs de la division d’appel sont exposés ci‑dessous.

[8] La division générale a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’intimée avait établi qu’avant la date de fin de sa PMA elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Le demandeur a plaidé que la division générale n’avait pas établi un fondement probatoire suffisant pour justifier sa conclusion, arguant que la conclusion de la division générale reposait entièrement sur le témoignage oral de l’intimée. Dans l’observation du demandeur, cela a constitué un non‑respect de l’exigence d’obtenir une preuve médicale objective pour établir l’invalidité, le demandeur ayant soutenu qu’il n’y avait aucune preuve de cette nature.

[9] La justification de la décision de la division générale est exposée aux paragraphes 28 à 32. Ces paragraphes se lisent, en partie, comme suit :

[Traduction]

[28] En l’espèce, l’affection invalidante principale de l’appelante réside dans son asthme et ses difficultés respiratoires. À l’audience, elle a témoigné qu’elle faisait beaucoup d’asthme, qu’elle utilisait l’aérosol-doseur tous les jours et qu’il lui fallait parfois rester en bas, dans le salon, parce que monter les escaliers lui faisait perdre son souffle. Le Tribunal juge qu’il est difficile de considérer comme « employable » une personne atteinte de ce genre d’affection.

[29] Un appelant n’est pas censé trouver un employeur philanthropique, bienveillant et souple qui soit prêt à lui offrir des mesures d’adaptation pour accommoder ses invalidités. L’expression « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » fait intervenir la capacité de l’appelant de se rendre au lieu de travail chaque fois et aussi souvent qu’il doit le faire; cette possibilité est la condition essentielle de la régularité : MDRH c. Bennett (10 juillet 1997) CP 04757 (CAP). L’appelante a travaillé comme comptable pendant une vingtaine d’années. Cet emploi était sédentaire. Elle a bien essayé de voir si d’autres possibilités de travail à temps partiel s’offraient à elle, mais elle n’en a pas trouvées parce qu’elle n’était pas en mesure de s’engager à travailler de façon régulière en raison de son état de santé.

[30] […] Il faut tenir compte de l’effet de la maladie ou d’une affection sur la personne à la lumière de tous les facteurs pertinents pour déterminer si l’état d’une personne est grave et prolongé au sens du RPC : Petrozza c. MDS (26 octobre 2004), CP 12106 (CAP). Dans l’affaire qui nous occupe, c’est l’effet de l’affection de l’appelante, plus précisément ses fréquentes difficultés respiratoires causées par l’asthme, qui l’empêche d’occuper tout type d’emploi rémunéré, vu qu’elle n’est pas en mesure de s’engager à effectuer des heures de travail régulières en raison de son état de santé.

[31] Le Tribunal a l’obligation de tenir compte tant de la preuve orale que de la preuve documentaire : Pettit c. MDRH (22 avril 1998), CP 04855 (CAP). Dans son rapport daté du 23 décembre 2010, le Dr A. Karjee pose, pour l’appelante, des diagnostics d’asthme avec aggravation récurrente, de diabète mal maîtrisé, d’hypertension et d’arthrose aux genoux. Il indique particulièrement que l’appelante a de fréquents épisodes d’aggravation de son asthme avec forte toux et essoufflement et qu’elle ne peut travailler en pareilles circonstances en raison de son essoufflement. L’appelante a aussi témoigné à l’audience qu’elle avait quitté son emploi le 16 décembre 2010 du fait que sa santé s’était sensiblement détériorée et qu’elle ne pouvait plus s’engager à travailler de façon régulière en raison de son asthme. Le Tribunal a également noté que le témoignage oral et le registre des gains de l’appelante dénotent une solide éthique de travail. L’appelante est le genre de personne qui travaillerait si elle en était capable.

[32] Bien que l’intimé ait signalé que l’appelante n’avait vu aucun spécialiste pour soigner son arthrose, l’appelante a clairement dit que la seule affection qui l’empêche de travailler est son asthme et que son état empire, vu qu’elle doit utiliser des aérosols-doseurs pour l’asthme et prendre de la prednisone plus souvent; il est donc très difficile de s’attendre à ce que l’appelante soit « régulièrement » capable de « détenir une occupation véritablement rémunératrice ».

[10] Ces passages de la décision indiquent clairement que, pour en arriver à sa décision, la division générale a accordé beaucoup d’importance au témoignage de vive voix de l’intimée. La division générale s’est fiée à la décision Pettit c. MDRH (22 avril 1998), CP 04855 (CAP), pour faire valoir sa position qu’elle avait l’obligation de tenir compte tant de la preuve orale que de la preuve documentaire. Toutefois, de l’avis de la division d’appel, la décision Pettit indique qu’une conclusion relative à la crédibilité en lien avec le témoignage d’un demandeur est requise. Dans cette décision, le membre de la CAP, C.R. McQuaid, commentant le poids à accorder au témoignage oral de l’appelant Sydney Pettit, a dit ceci :

Les motifs de l’appel sont, en termes généraux, que le tribunal de révision a mal interprété ou mal jugé la preuve médicale lui ayant été présentée, et apparemment n’a pas tenu compte de la preuve viva voce de l’appelant lui‑même. Une telle preuve viva voce peut être, et bien souvent est utilisée pour résoudre la question et, si elle est jugée crédible, doit être prise en considération sérieusement et à sa juste valeur.

[11] La division générale n’a pas expressément tiré de conclusion relative à la crédibilité dans le cas de l’intimée. La division d’appel reconnaît que l’on peut faire valoir et qu’il est implicite, au vu des déclarations de la division générale concernant l’éthique de travail et l’état de santé de l’intimée, que la division générale a jugé l’intimée être un témoin crédible. Néanmoins, la division d’appel estime qu’il existe des arguments défendables permettant de soutenir que la décision de la division générale est déficiente au chapitre de son traitement du témoignage oral de l’intimée ainsi que de la preuve médicale.

[12] Non seulement la division générale n’a‑t‑elle pas fait de déclaration claire au sujet de la crédibilité de l’intimée, mais aussi, de l’avis de la division d’appel, a‑t‑elle suscité des questions quant aux critères qu’elle a appliqués pour en arriver à ses conclusions, de par ses déclarations sur la capacité de l’intimée de régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[13] Le demandeur a aussi soutenu que la division générale n’avait pas demandé de preuve médicale objective, comme l’exige la jurisprudence. Le demandeur a fait valoir que le rapport médical le plus récent était le rapport médical que le médecin de famille de l’intimée, le Dr Karjee, avait établi en 2010 aux fins de la demande au titre du Régime. Le demandeur a souligné plusieurs lacunes ou déficiences dans ce rapport, notamment l’âge du rapport et le fait qu’il ne semblait pas indiquer que l’état de l’intimée était grave. Le demandeur a fait l’observation suivante :

[Traduction]

Le rapport le plus récent est le rapport médical que le médecin de famille de l’intimée a établi en 2010 aux fins de la demande au titre du Régime près de trois ans avant la date de fin de la PMA. En deuxième lieu, ce rapport, qui ne fait mention d’aucun renvoi de la patiente à un pneumologue et n’est étayé d’aucune radiographie thoracique ou mesure des fonctions respiratoires, n’appuie pas la conclusion de la DG que l’invalidité de l’intimée était grave et prolongée à la date de fin de sa PMA. Qui plus est, il n’y avait, au dossier soumis à la DG, aucune preuve médicale permettant d’appuyer sa conclusion que les efforts déployés pour obtenir et conserver un emploi n’ont pas porté fruit en raison de l’invalidité de l’intimée.

[14] Au paragraphe 20 de sa décision, la division générale fait mention d’un rapport médical daté du 19 janvier 2011. La division d’appel est convaincue qu’il s’agit du même rapport médical de décembre 2010Note de bas de page 4. Deux autres rapports médicaux sont mentionnés aux paragraphes 17 et 18. Cependant, la division générale semble s’être principalement fondée sur le rapport de décembre 2010.

[15] L’arrêt VillaniNote de bas de page 5 indique clairement qu’il faut une preuve médicale objective, mais aussi une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. La seule preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi provient du témoignage de l’intimée (au par. 15 de la décision). Il ne semble pas y avoir d’autre preuve objective des tentatives effectuées en vue d’obtenir et de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Comme la division générale n’a pas tiré de conclusion relative à la crédibilité de l’intimée, la division d’appel conclut qu’il existe des arguments défendables permettant de soutenir que la division générale a commis une erreur en omettant d’appliquer la jurisprudence.

[16] Compte tenu de ce qui précède, la division d’appel est convaincue que le demandeur a soulevé une cause défendable.

[17] La Demande est accueillie.

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