Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Introduction

[1] Le demandeur sollicite la permission d’en appeler de la décision de la division générale datée du 21 avril 2015, à l’issue d’une audience par comparution en personne tenue le même jour. La division générale a déterminé que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »), ayant conclu que son invalidité n’était pas « grave » à la date de fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA) du 31 décembre 2011. Le demandeur a reçu la décision de la division générale le 22 avril 2015. Son avocat a déposé une demande de permission d’en appeler le 7 octobre 2015, soit près de trois mois après l’expiration du délai imparti pour déposer une telle demande. Pour accéder à cette demande, il me faut être convaincue qu’il y a une raison de proroger le délai prescrit pour le dépôt et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[2] Il me faut trancher les questions suivantes :

  1. Devrais-je exercer mon pouvoir discrétionnaire et proroger le délai imparti pour le dépôt de la demande de permission?
  2. L’affaire révèle-t-elle une cause défendable? En d’autres termes, l’appel a‑t‑il une chance raisonnable de succès?

Observations

i. Dépôt tardif de la demande de permission

[3] L’avocat soutient que le retard du demandeur à déposer une demande de permission était justifiable. Il explique que son client, n’ayant pas été représenté pendant plusieurs mois, ne connaissait pas bien les procédures et ignorait qu’il y avait des délais à respecter. Il explique que son client est atteint d’une invalidité qui affecte sa mémoire et ses compétences organisationnelles, ce qui a nui à sa capacité de déposer à temps la demande de permission. L’avocat explique que le demandeur, après avoir retenu ses services, a avisé le Tribunal de la sécurité sociale, par lettre datée du 16 septembre 2015,  de son intention de présenter une demande de permission et que, dans l’intervalle, il a recueilli des renseignements aux fins de l’appel du demandeur.

ii. Demande de permission

[4] L’avocat affirme que la division générale a fait preuve de partialité lorsqu’elle a déterminé que le Dr Julien avait [traduction] « assumé un rôle de défenseur de la cause du [demandeur] pour les fins de sa demande de prestations au titre du Régime » sans motiver suffisamment cette conclusion de fait ni fournir d’explications à cet égard. L’avocat soutient que cette conclusion de fait crée une « crainte raisonnable de partialité » et constitue un manquement à la justice naturelle. L’avocat s’appuie pour cela sur la décision H.W. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 TSSDA 104, dans laquelle l’une de mes collègues a conclu que la division générale, dans cette affaire, avait :

déclaré qu’elle n’avait accordé aucune valeur aux rapports du Dr Pop et du Dr Harth, du moins en partie, parce que la demanderesse avait consulté ces médecins pour tenter de se constituer un dossier. Ces déclarations contenues dans la décision de la division générale, lorsqu’elles sont lues dans le contexte de la décision complète, portent à croire que la division générale a peut-être fait preuve de partialité. Si tel était le cas, il s’agirait d’un manquement aux principes de justice naturelle. Cet argument constitue un moyen d’appel qui présente une chance raisonnable de succès.

[5] L’avocat allègue que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que le Dr Julien [traduction] « ne faisait plus preuve de neutralité » sans préciser en quoi elle en était arrivée à cette conclusion. L’avocat affirme en outre qu’il y a, dans les motifs de la décision, des lacunes qui empêchent de mener un examen valable de la justesse de la décision. Il soutient que l’erreur commise est semblable à celle dont il est question dans la décision M. N. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2014 TSSDA 250, où ma collègue a cité l’arrêt Doucette c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 292, et écrit ceci :

La Cour d’appel fédérale, dans Doucette c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 292 (CanLII), a conclu que si, de l’avis de la cour d’appel, les lacunes des motifs [du juge des faits] font obstacle à un examen valable en appel de la justesse de la décision, une erreur de droit a alors été commise. En l’espèce, l’appelant a souligné des lacunes qui pourraient satisfaire à ce critère juridique. La décision n’a pas expliqué pourquoi certains rapports d’évaluation ont été retenus et qu’un autre ne l’a pas été. Cet argument pourrait avoir une chance raisonnable de succès.

[6] L’avocat affirme par ailleurs que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle préférait les opinions des Drs McIntyre, Sheoran et Agdobo à celle du Dr Julien. À cet égard, l’avocat cite la décision K. O. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2014 TSSDA 384, dans laquelle ma collègue a écrit ceci :

En l’espèce, il y avait une preuve médicale contradictoire. La division générale s’est appuyée sur une partie de cette preuve pour rendre une décision. Toutefois, elle n’a pas expliqué pourquoi elle préférait cette preuve compte tenu de la preuve contradictoire. Cela constitue une erreur. Par conséquent, ce motif d’appel donne une chance raisonnable de succès à l’appel interjeté.

[7] L’intimé n’a pas déposé par écrit observations au sujet de l’appel tardif ou encore de la demande de permission.

Analyse

i. Dépôt tardif de la demande de permission

[8] Le demandeur a déposé sa demande de permission avec environ trois mois de retard.

[9] Le paragraphe 57(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS ») stipule que « [l]a division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler. »

[10] Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 833, la Cour fédérale a énoncé les quatre critères que la division d’appel devrait prendre en considération et apprécier pour déterminer s’il y a lieu de proroger le délai de 90 jours qui est imparti à un demandeur pour déposer sa demande de permission d’en appeler. Ces critères sont les suivants :

  1. il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  2. la cause est défendable;
  3. le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[11] Dans Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 (CanLII), la Cour d’appel fédérale (CAF) a statué que la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice, mais elle a aussi fait observer qu’il n’est pas nécessaire de répondre, en faveur du requérant, aux quatre questions pertinentes à l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai.

[12] En soupesant chacun de ces quatre facteurs, on constate qu’une prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’intimé en l’espèce. L’avocat explique que le demandeur ne comprenait pas le processus d’appel et ignorait qu’il y avait des délais à respecter, mais cela n’explique pas raisonnablement son retard à déposer la demande de permission, pas plus que cela ne prouve nécessairement l’existence d’une intention persistante de poursuivre l’appel. Il reste donc le quatrième facteur – si la cause est défendable – à prendre en considération. Ce quatrième facteur mérite qu’on lui attribue une plus grande force probante dans la question générale de savoir s’il serait dans l’intérêt de la justice que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et accorde une prorogation de délai pour permettre le dépôt de la demande. Si, par exemple, l’appel n’a manifestement aucune chance raisonnable de succès, pas même une mince chance de succès, il semblerait contraire à l’intérêt de la justice que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai. Si, en revanche, l’affaire révèle une solide cause défendable, ou s’il existe quelques circonstances atténuantes, alors il serait dans l’intérêt de la justice que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en faveur d’une prorogation du délai pour permettre le dépôt.

[13] Bien qu’ordinairement on ne devrait pas déterminer s’il y a lieu d’accorder ou de refuser la permission d’en appeler avant qu’une demande de prorogation de délai ait été accueillie aux fins du dépôt de la demande de permission, il semblerait que la façon la plus rapide de trancher les demandes tardives de permission consiste à déterminer, dès le départ, si la cause est défendable, c.‑à‑d. si l’appel a une chance raisonnable de succès. En répondant à la question de savoir si une cause est défendable, dans la plupart des cas, on répond simultanément à deux questions : si l’on devrait accorder une prorogation de délai et si la permission d’en appeler devrait être accordée.

[14] Si, en bout de ligne, la division d’appel n’est pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès et est donc susceptible de refuser la permission d’en appeler, alors il semblerait qu’elle pourrait s’épargner l’effort de déterminer s’il lui est opportun d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai imparti en vue du dépôt de la demande de permission. Si, en revanche, la division d’appel est convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès, alors il lui faut revenir à l’appréciation des considérations énoncées dans Gattellaro et Larkmanafin de déterminer s’il y a lieu qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai aux fins du dépôt avant de se pencher sur la question de savoir si la permission d’en appeler devrait être accordée.

[15] J’en viens maintenant à déterminer si l’affaire révèle une cause défendable.

ii. La cause est-elle défendable?

[16] Avant qu’une permission d’en appeler puisse être accordée, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel proposé : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1999] ACF no 1252 (CF). La Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si un demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le demandeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[17] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a)    la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b)    elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c)     elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[19] De prime abord, les observations de l’avocat selon lesquelles la division générale n’a pas suffisamment motivé ses conclusions de fait concernant le Dr Julien semblent convaincantes, mais un examen de la décision de la division générale donne à penser autrement. Aux paragraphes 33 et 34, la division générale a écrit ceci :

[Traduction]

[33] Les conclusions du Dr Julien, à titre de médecin généraliste, ne sont pas préférées – et, en fait, sont contraires – aux opinions des Drs McIntyre, Sheoran et Agdobo à titre de spécialistes, qui ne décèlent pas de signes d’une importante lésion cérébrale ou d’une dépression clinique. Au moment où il a rédigé ses rapports, le Dr Julien n’avait traité l’appelant que pendant deux ou trois années, longtemps après l’accident d’automobile que l’appelant avait eu en 2000. Dans ses rapports, le Dr Julien ne fait mention d’aucun autre rapport ni ne justifie sa position s’écartant des autres opinions médicales. Dans sa note du médecin datée d’octobre 2009, il dit que l’appelant est capable de travailler, mais, en date de septembre 2011, il déclare que l’appelant est définitivement invalide sans expliquer ce qui s’est produit entre-temps pour qu’il change d’opinion.

[34] Le Tribunal conclut que le Dr Julien a assumé un rôle de défenseur de la cause de l’appelant eu égard à sa demande de prestations au titre du Régime. Il y a des indications que le Dr Julien ne faisait plus preuve de neutralité, et le Tribunal doit se montrer vigilant dans l’appréciation de la preuve du médecin, en particulier lorsque le médecin ne vient pas témoigner (Canada (MDRH) c. Angheloni, 2003 CAF 140).

[20] On ne peut pas dire que la division générale n’a pas suffisamment motivé ou expliqué sa conclusion que le Dr Julien s’est porté à la défense de son patient ou qu’il ne faisait plus preuve de neutralité, ni qu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle a préféré les opinions des Drs McIntyre, Sheoran et Agdobo à celle du Dr Julien, laquelle peut donner lieu à un examen valable en appel. Les faits de l’affaire dont je suis ici saisie sont différents de ceux de la jurisprudence citée par l’avocat.

[21] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur les moyens présentés par l’avocat.

[22] Comme j’ai déterminé que l’appel ne soulève pas de cause défendable ou n’a aucune chance raisonnable de succès, je ne suis pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai imparti pour déposer la demande de permission.

Conclusion

[23] La demande de prorogation de délai pour permettre le dépôt et la demande de permission d’en appeler sont toutes deux rejetées.

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