Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Décision

[1] La demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada est rejetée.

Introduction

[2] Le 24 février 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») s’est prononcée sur l’appel du demandeur à l’encontre d’une décision en révision en rendant une décision lui refusant une plus longue rétroactivité pour le versement de sa pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (le « Régime »). Dans sa décision, la division générale a confirmé l’inadmissibilité du demandeur à davantage de rétroactivité. Le demandeur sollicite la permission d’en appeler de cette décision en déposant une demande à cet effet (la « Demande »).

Moyens invoqués à l’appui de la demande

[3] Le demandeur a demandé et obtenu une pension d’invalidité au titre du Régime avec une date de début de l’invalidité établie au mois de mars 2010 (GT1‑32). Il a contesté cette date de début. Il a soutenu qu’il souffrait de plusieurs problèmes graves de santé mentale pour lesquels il recevait des traitements depuis plus de sept ansFootnote 1

[4] L’intimé a refusé d’allonger la période de rétroactivité.

[5] En appel devant le Tribunal, la question dont la division générale était saisie consistait à déterminer si la demande du demandeur pouvait être réputée avoir été reçue à une date antérieure en raison d’une incapacité de sa part de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension d’invalidité au titre du Régime. La division générale a conclu, au regard des faits et du droit applicable, qu’il n’était pas possible de réputer cette demande avoir été reçue à une date antérieure.

[6] La Demande répète la thèse du demandeur. Il soutient qu’il y avait un motif valable d’allonger la période de rétroactivité pour la faire remonter à 2006 ou 2007.

[7] Le demandeur a sollicité et obtenu un délai supplémentaire pour communiquer les faits qui, selon ses dires, étaient requis pour qu’une décision juste et équitable soit rendue concernant son appel. Le Tribunal a reçu les observations supplémentaires du demandeur le 20 octobre 2015 (AD‑2).

[8] Dans la présente décision, les observations du demandeur s’entendent de la totalité de ses observations.

Question en litige

[9] La question à trancher est la suivante : L’appel a‑t‑il une chance raisonnable de succès?

Droit applicable

[10] La demande de permission d’en appeler d’une décision de la division générale constitue la première étape du processus d’appel.Footnote 2 Le critère est moins rigoureux que celui qui doit être appliqué à l’audition de l’appel sur le fond. Toutefois, pour que le Tribunal accorde la permission d’en appeler, il faut que la division d’appel soit convaincue que l’appel aurait une chance raisonnable de succès.Footnote 3 Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, ainsi que dans Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63, la Cour d’appel fédérale a assimilé une chance raisonnable de succès à une cause défendable. Dans Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF), la Cour fédérale a déclaré que, pour qu’une permission d’en appeler soit accordée, il faut que la demande soulève un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel.

[11] Déterminer si l’affaire soulève une cause défendable n’implique pas de déterminer le bien‑fondé de l’affaire. Cela implique toutefois de tenir compte du droit applicable et des éléments de preuve présentés. Les trois moyens sur lesquels un appelant peut porter une décision en appel sont stipulés à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »). Un appel peut être interjeté sur le moyen d’un manquement à la justice naturelle, d’une erreur de droit commise par la division générale ou d’une conclusion de fait erronée que la division générale aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.Footnote 4

Incapacité

[12] Les dispositions législatives qui régissent l’« incapacité » se trouvent aux paragraphes 60(8) à (11) du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). Ces dispositions se lisent comme suit :

  1. [8] Incapacité – Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.
  2. [9] Idem – Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :
    a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
    b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
    c) que la demande a été faite, selon le cas :
    (i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
    (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.
  3. [10] Période d’incapacité – Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.
  4. [11] Application – Les paragraphes (8) à (10) ne s’appliquent qu’aux personnes incapables le 1er janvier 1991 dont la période d’incapacité commence à compter de cette date.

[13] La date à laquelle une personne est déclarée invalide est établie en application de l’alinéa 42(2)b) du RPC, qui stipule ce qui suit :

Personne déclarée invalide

(2) Pour l’application de la présente loi :

[...]

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

[14] L’article 69 du RPC traite du moment auquel une pension d’invalidité du Régime devient payable.

Ouverture de la pension

  1. 69. Sous réserve de l’article 62, lorsque le versement d’une pension d’invalidité est approuvé, la pension est payable pour chaque mois à compter du quatrième mois qui suit le mois où le requérant devient invalide sauf que lorsque le requérant a bénéficié d’une pension d’invalidité prévue par la présente loi ou par un régime provincial de pensions à un moment quelconque au cours des cinq années qui ont précédé le mois où a commencé l’invalidité au titre de laquelle le versement est approuvé :
    a) la pension est payable pour chaque mois commençant avec le mois qui suit le mois au cours duquel est survenue l’invalidité au titre de laquelle le versement est approuvé;
    b) la mention de « quinze mois » à l’alinéa 42(2)b) s’interprète comme une mention de « douze mois ».

Analyse

[15] Pour accueillir la Demande, la division d’appel doit conclure, dans le cas où l’instruction de l’affaire commanderait la tenue d’une audience complète, qu’au moins l’un des moyens invoqués à l’appui de la Demande se rattache à un moyen d’appel admissible. La division d’appel doit aussi conclure que l’appel aurait une chance raisonnable de succès sur ce moyen. Pour les motifs exposés ci‑dessous, le Tribunal n’est pas convaincu que cet appel aurait une chance raisonnable de succès.

[16] Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions dans la Demande. Il plaide que la division générale a mal interprété la période de rétroactivité qu’il demandait et que, en fait, il était devenu incapable en raison de son trouble de santé mentale sept ans avant la date à laquelle il a été réputé être devenu invalide. Le demandeur admet aussi que la division générale a tiré une conclusion erronée du fait qu’il avait retenu les services d’un avocat de l’aide juridique pour l’aider à préparer son appel. Il explique que c’est le député provincial de sa circonscription qui a joué un rôle de premier plan pour lui trouver une assistance juridique. Finalement, le demandeur soutient que le fait qu’il se soit volontairement retiré du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) en 2006 constitue la preuve de son incapacité, puisqu’il a fait cela alors qu’il avait besoin des sommes que lui versait le POSPH.

[17] Le paragraphe 60(8) du RPC permet au ministre de réputer une demande avoir été faite à une date antérieure à la date à laquelle elle a effectivement été faite lorsqu’il est établi que le demandeur de la prestation était incapable de faire la demande à la date à laquelle la demande a été effectivement faite. La loi prévoit deux dates rétroactives possibles, soit le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

[18] C’est un domaine litigieux de la législation relative au Régime. Toutefois, la jurisprudence a clarifié que c’est l’intention de faire une demande de prestations qui est pertinente. Dans Canada (Procureur général) c. Danielson, 2008 CAF 78, la Cour d’appel fédérale (CAF) a qualifié l’article 60 de « précis et ciblé » en ce sens qu’il « n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement [...] la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. » La CAF a poursuivi en disant que les activités d’un demandeur « entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande [...] peuvent être pertinentes pour nous éclairer sur son incapacité permanente de former ou d’exprimer l’intention  requise, et devraient donc être examinées. »

[19] La Cour d’appel fédérale est revenue sur cette question dans l’arrêt Sedrak c. Canada (Ministre du Développement sociale), 2008 CAF 86. Cette fois, la CAF a abordé la question de la nature de la « capacité de présenter une demande de prestations ». De l’avis de la CAF, « la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations. Le fait que celui‑ci n’ait pas l’idée d’exercer une faculté donnée en raison de sa vision du monde ne dénote pas chez lui une absence de capacité. »

[20] Dans Slater c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 375, la CAF a explicité le type de preuve nécessaire pour déterminer si un demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation. La CAF a déclaré qu’il était nécessaire de prendre en compte à la fois la preuve médicale et les activités pertinentes du demandeur.

[21] La Commission d’appel des pensions (CAP) a traité de cette question dans Nenshi c. Canada (Ministre du Développement social), 9 janvier 2006, CP 22251 (CAP). La CAP a dit ceci : « La question n’est pas de savoir si une personne est capable de faire face aux conséquences d’une demande, mais bien si elle est capable de former une intention de présenter une demande. […] c’est‑à‑dire qu’un demandeur doit être incapable non pas de préparer et de remplir sa demande, mais bien de “ former ou exprimer une intention de présenter une demande ”. » Dans cette affaire, la CAP a fait observer que l’appelante, Yasmin Nenshi, « a toujours su qu’elle était malade et recevait des traitements. Elle n’était peut‑être pas en mesure de remplir les formulaires, mais elle pouvait former et exprimer une intention de présenter une demande. »

[22] Dans le cas qui nous occupe, le membre de la division générale a examiné les dossiers médicaux du demandeur, comme l’exigeait l’arrêt Slater. Le membre a aussi examiné les activités du demandeur durant la période prétendue d’incapacité, y compris sa décision de se retirer du POSPH. Ont aussi été pris en considération le témoignage oral du demandeur, qui parlait de sa situation d’emploi, de ses blessures, de ses antécédents d’emploi au Canada et de son trouble de santé mentale. La division d’appel estime que le membre de la division générale a correctement appliqué la jurisprudence citée plus haut. Les passages pertinents de la décision de la division générale sont les paragraphes 33 à 35 :

[Traduction]

[33] Bien que le Tribunal estime que l’appelant a effectivement eu quelques problèmes de santé mentale pendant une certaine période, le Tribunal ne saurait conclure que ses problèmes mentaux ont été de longue durée et ont persisté pendant les quelque sept années et plus, ainsi que le soutient l’appelant. L’appelant a été capable de travailler durant cette période et, même s’il devait cet emploi à la bienveillance d’un ami, ainsi qu’il l’a dit dans son témoignage, il demeure qu’il a été capable de gagner modestement sa vie durant cette période. La preuve présentée au Tribunal, qui provient tant du témoignage de l’appelant que du dossier, montre qu’on a affaire à une personne qui a assurément souffert d’une grave maladie mentale, mais qu’il n’y a aucune indication que l’appelant ait été frappé d’incapacité au point de devenir incapable de former ou d’exprimer une intention de faire une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime.

[34] La somme de travail accomplie par l’appelant durant cette période était manifestement limitée, comme le montrent les dossiers financiers, mais le portrait qui est dressé de l’appelant ne le dépeint pas comme quelqu’un qui était devenu incapable. L’appelant a certes manifesté un comportement bizarre comme en témoigne l’exemple de sa décision de refuser de toucher des prestations du POSPH, lesquelles lui avaient été accordées en juin 2005 puis révoquées en février 2006, à sa demande, mais le Tribunal n’a pu trouver d’élément de preuve qui indiquerait une telle incapacité chez l’appelant.

[35] Le Tribunal est guidé par l’arrêt Slater (précité) dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour déterminer si un demandeur avait la capacité mentale de former ou d’exprimer une intention au sens des paragraphes 60(8) et (9), il était nécessaire de prendre en compte à la fois la preuve médicale et « les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, ce qui nous informe sur la capacité de cette personne pendant la période en question de “ former ou d’exprimer l’intention de faire une demande ” ».

Pour en arriver à sa décision, le Tribunal a tenu compte de l’état mental de l’appelant, de ses antécédents d’emploi et du fait qu’il avait retenu les services d’un avocat de l’aide juridique pour l’aider à préparer son appel relatif aux prestations du POSPH. Le Tribunal considère que, bien que l’appelant souffrait de maladie mentale durant cette période et que ses médicaments ne l’aidaient pas à composer avec ses problèmes, il a été capable de maintenir un certain type d’horaire de travail et était conscient de la capacité qu’il avait de présenter une demande de prestations du POSPH et de trouver un avocat de l’aide juridique pour l’aider dans ce processus. Il se peut que l’appelant ait été incapable, à un moment donné durant ces sept années, de former ou d’exprimer une intention, mais ces événements démontrent au Tribunal qu’il n’a pas été frappé d’incapacité durant toute cette période. Conformément au RPC, il faut que l’appelant ait été jugé incapable durant toute la période, et c’est pour ce motif que le Tribunal conclut que l’appelant n’était pas incapable au sens du RPC.

[23] La division d’appel ne relève aucune erreur de la part de la division générale dans son application du droit aux faits de l’espèce. La division générale n’a ni mal interprété le droit applicable ni mal interprété les faits de l’espèce, pas plus qu’elle n’en est arrivée à sa décision sans tenir compte des faits portés à sa connaissance. Le facteur déterminant est de savoir si le demandeur n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime, et il ressort clairement de ces paragraphes de la décision que la division générale a abordé cette question dans le contexte de la totalité de la preuve relative aux circonstances du demandeur. Que la division générale en soit arrivée à une conclusion différente de celle que souhaitait le demandeur n’est pas en soi une indication que la division générale ait commis une quelconque erreur.

[24] En outre, les renseignements supplémentaires produits par le demandeur ne contribuent guère à modifier cette conclusion. Ils renferment certes une lettre du Dr Charles Chamberlaine, du London Health Sciences Centre, mais cette lettre du Dr Chamberlaine n’ajoute pas d’autres éléments aux renseignements que le demandeur avait déjà fournis. Elle ne fait que réitérer les renseignements que le demandeur avait fournis antérieurement et dont la division générale avait été saisie. Par conséquent, la division d’appel n’est pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[23] La Demande est rejetée.

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