Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’appeler de la décision de la division générale datée du 20 août 2015. La division générale a tenu une audience par vidéoconférence le 10 août 2015 et a déterminé que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada puisqu’elle a conclu que son invalidité n’était pas « grave » à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2009. Le 13 novembre 2015, la demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler. La demanderesse allègue que la division générale a commis des erreurs. Pour que j’accueille la demande, la demanderesse doit me convaincre que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] La demanderesse soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  1. a) Elle a commis une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier, en ce qu’elle n’a pas fourni un service d’interprétation adéquat, ce qui a entraîné des erreurs. La demanderesse a examiné les traductions fournies par la traductrice. La demanderesse soutient que la traductrice a commis de nombreuses erreurs majeures qui ont entraîné des conclusions de fait erronées. De plus, la demanderesse allègue qu’elle n’a pas pu communiquer efficacement avec l’interprète parce que son espagnol était différent du sien. À titre d’exemple, le résultat en a été que la traductrice a fourni des significations différentes à des mots et qu’elle a mal interprété des notions. La demanderesse allègue en outre que les déclarations concernant Mary Kay n’ont pas été interprétées correctement et que la traductrice a commis une erreur de sens.
  2. b) Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La demanderesse allègue également qu’en raison du service d’interprétation, la division générale a confondu sa première maladie (un accident survenu en 1997 entraînant une blessure au genou) et une deuxième maladie (problème de décollement de la rétine survenu en 2007). La demanderesse allègue que la division générale a rendu une décision sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] L’intimé n’a présenté aucune observation écrite.

Analyse

[5] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, la demanderesse doit soulever un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si le défendeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63.

[6] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] Pour que la permission soit accordée, la demanderesse doit me convaincre que les motifs d’appel correspondent à l’un des moyens précités et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

a) Erreur de droit / manquement à la justice naturelle

[8] La demanderesse allègue que le service d’interprétation linguistique était inadéquat. (Elle en parle comme étant de la traduction, mais je comprends qu’elle fait référence au service d’interprétation puisqu’une interprète était présente à l’audience devant la division générale.) Plutôt que de décrire cela comme étant une erreur de droit, j’aurais décrit cette allégation relative à un service d’interprétation inadéquat comme étant un manquement à un principe de justice naturelle, si la demanderesse n’avait pas bénéficié d’une audience équitable en raison de problèmes de langue.

[9] Dès le début de l’audience devant la division générale, l’avocat de la demanderesse a indiqué qu’il s’était entretenu avec la demanderesse à une occasion et avait constaté qu’elle a [traduction] « une certaine maîtrise de l’anglais ». Il a indiqué qu’il s’attendait à ce que la demanderesse ait des problèmes avec des questions – surtout de nature hypothétique – comme est-ce que, en 2009, elle aurait pu effectuer des travaux légers, si un emploi était disponible? L’avocat a fait savoir qu’il avait aussi expliqué cela à l’interprète avant le début de l’audience.

[10] L’avocat a indiqué que la demanderesse ne comprenait pas certains de ces types de questions hypothétiques, et pensait que cela était dû à la combinaison du temps de verbe employé et du caractère hypothétique de la question. L’avocat a suggéré que, sous réserve que sa cliente soit à l’aise avec cela, que l’audience se déroule autant que possible sans service d’interprétation, tout simplement parce que cela serait plus efficace, et qu’il ne soit fait appel à l’interprète qu’au besoin. Si la demanderesse ne comprenait pas certaines questions ou avait de la difficulté à formuler ses réponses, ils auraient alors recours à l’interprète. La demanderesse a indiqué que bien qu’elle a une certaine compréhension de l’anglais et peut parler l’anglais dans une certaine mesure, elle préférait avoir recours à l’interprète. Effectivement, la demanderesse a pu comprendre plusieurs questions qui lui étaient adressées en anglais et a pu livrer une bonne partie de son témoignage en anglais.

[11] La première partie de l’audience s’est principalement déroulée en anglais.

[12] Dans la deuxième partie de l’enregistrement, vers la minute 2:28, des questions ont été soulevées au sujet de la situation d’emploi de la demanderesse avant la fin de sa période minimale d’admissibilité. C’est à ce moment qu’a eu lieu le témoignage relatif au travail pour Mary Kay. L’avocat de la demanderesse a posé à celle-ci des questions en anglais et la demanderesse a répondu en anglais. Cependant, ni l’avocat de la demanderesse ni la division générale n’ont bien compris la demanderesse, et la demanderesse s’est alors mise à expliquer sa réponse en espagnol. De la minute 3:00 à 4:00 de l’enregistrement environ, la demanderesse a témoigné en espagnol puis l’interprète a interprété de l’espagnol à l’anglais. Après ceci, l’interprétation n’a fait l’objet d’aucune objection de la part de la demanderesse ou de son avocat. Rien n’indiquait qu’il y avait des difficultés ou des problèmes avec l’interprétation.

[13] Dans la deuxième partie de l’enregistrement, entre la minute 6:20 à 6:40, l’avocat a demandé à la demanderesse pourquoi elle n’avait pas cherché à travailler à temps plein pour Mary Kay et laissé tomber ses prestations d’invalidité de longue durée (régime d’invalidité de son assureur). L’interprète a interprété cette question en espagnol (de 6:40 à 6:55). La demanderesse a répondu en espagnol puis, sans recourir aucunement à l’interprète, elle a commencé à répondre directement en anglais, pour une durée considérablement plus longue, débutant vers la minute  :00 jusque vers 8:26, moment où elle a parlé en espagnol pendant quatre secondes. À ce moment-là, l’interprète a aussi parlé en espagnol pendant moins de trois secondes, mais n’a pas fourni d’interprétation vers l’anglais avant que l’avocat de la demanderesse passe à la question suivante. La demanderesse a immédiatement répondu en espagnol, suivie par l’interprète en espagnol, en anglais par la demanderesse, un mélange d’espagnol et d’anglais de la part de la demanderesse suivi de l’interprétation vers l’anglais de la part de l’interprète. L’interprète n’a pas expliqué pourquoi elle avait répondu immédiatement en espagnol après que la demanderesse eut témoigné en espagnol (de même, dans ses directives, la division générale n’a pas donné à l’interprète de directives pour qu’elle interprète en entier tout ce qui s’était dit).

[14] Il y a eu une autre question en anglais, cette fois-ci de la part de la division générale. L’interprète a commencé à interpréter vers l’espagnol, mais la demanderesse a aussi commencé à répondre, en anglais.

[15] L’avocat de la demanderesse a posé une autre question, demandant à la demanderesse si elle avait cherché pour tout autre type d’emploi qui lui aurait payé 2 000 $ par mois. La demanderesse et l’interprète ont toutes deux commencé à parler en même temps, bien que la demanderesse s’est alors interrompue et a permis à l’interprète de faire l’interprétation vers l’espagnol. Après que l’interprète eut fini, la demanderesse a répondu directement en anglais. Elle a pu répondre (de la minute 10:44 à 13:15 de l’enregistrement) sans interruption ou besoin d’interprétation, avant que son avocat a passé à une autre question. L’avocat a demandé à l’interprète d’interpréter la question en espagnol, ce qu’elle a fait. La demanderesse a répondu en espagnol et en anglais (de 14:34 à 14:40 en espagnol puis de 14:40 à 15:13 en anglais). Durant cet échange, il n’y a pas eu d’interprétation de la part de l’interprète de l’espagnol vers l’anglais.

[16] Cela a été suivi d’une question en anglais de la part de la division générale (de 15:19 à 15:35). Il n’y a pas eu d’interprétation et la demanderesse a répondu directement en anglais (de 15:36 à 15:55). La division générale a posé une question supplémentaire, cette fois aussi en anglais sans interprétation (de 15:57 à 16:08). À nouveau, la demanderesse a répondu immédiatement en anglais sans l’aide de l’interprète (de 16:08 à 17:25).

[17] L’avocat a interrogé la demanderesse concernant ses limitations fonctionnelles (de 17:26 à 18:00) et celle-ci a encore répondu en anglais sans l’aide de l’interprète (de 18:01 à 18:34). L’interprète a fourni une aide limitée durant l’échange sur ce point (vers 18:49), pour interpréter le terme [traduction] « aspirateur »; hormis cela, la demanderesse a répondu sans l’aide de l’interprète aux questions visant à savoir dans quelle mesure elle faisait des tâches ménagères ou des courses à l’épicerie.

[18] Bien que la division générale aurait dû intervenir pour rappeler à l’interprète qu’elle avait le devoir de tout interpréter de l’espagnol vers l’anglais, il n’est pas tout à fait évident qu’il y avait des problèmes avec les services d’interprétation.

[19] L’enregistrement de l’audience montre que la demanderesse semble avoir répondu directement en anglais la plupart du temps, sans recourir aux services de l’interprète. De même, elle n’a généralement pas eu tendance à compter sur une interprétation de l’anglais vers l’espagnol ni à fournir ses réponses en espagnol pour leur interprétation vers l’anglais. Bien qu’un recours limité à l’interprète a eu lieu, il ne semble pas que les problèmes ont trait à des préoccupations concernant la qualité de l’interprétation.

[20] Il n’est pas clair comment la demanderesse peut déterminer que le service d’interprétation linguistique était inadéquat, puisqu’elle ne semble pas s’appuyer sur l’avis d’un interprète judiciaire agréé mais semble plutôt s’être fait sa propre opinion personnelle fondée sur sa lecture de la décision. De même, il n’est pas clair si la demanderesse a cherché à obtenir et a écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale, et si elle a ensuite comparé son témoignage avec le résumé de la preuve fourni par la division générale dans sa décision.

[21] Je souligne que la demanderesse était représentée par un avocat à l’audience devant la division générale (bien qu’il se trouvait dans une autre salle de vidéoconférence que celle de la demanderesse). S’il y avait eu des problèmes de langue, cela aurait sûrement été évident et l’avocat de la demanderesse aurait assurément fait part de ses objections sans tarder.

[22] La demanderesse allègue que la division générale ne lui a pas fourni une audience équitable en ce qu’elle n’a pas veillé à ce qu’il y ait des services d’interprétation adéquats. C’est la première fois, à ma connaissance, que cette allégation est soulevée, et rien n’indique que la division générale était au courant de cette allégation. Si la demanderesse a eu des difficultés ou des erreurs à comprendre l’interprétation, et si la division générale avait été mise au courant des préoccupations de la demanderesse au sujet des services d’interprétation censément inadéquats, cela aurait pu constituer un motif d’appel approprié, mais cette allégation est faite tardivement et n’a pas été soulevée à la première occasion, durant l’audience alors que la demanderesse livrait son témoignage.

[23] Il est de jurisprudence constante que le défaut de formuler une objection au stade de l’audience équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement perçu à l’équité procédurale ou à la justice naturelle. Dans Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 271 au paragraphe 14, la Cour fédérale s’est exprimée en ces termes :

14 La Cour a aussi jugé que les plaintes concernant la qualité de l’interprétation doivent être formulées dès que possible. Lorsque le demandeur est conscient qu’il y a des problèmes avec l’interprète, il est raisonnable de penser que le demandeur formulera une opposition immédiatement. Dans la décision Mohammadian, 2000 CanLII 17118 (CF), [2000] 3 C.F. 371, au procès, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a conclu au paragraphe 28 :

28. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l’audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait eu plainte à ce moment-là.

Cela a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mohammadian, précité, au paragraphe 19 :

[...] Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n’a pas commis d’erreur en statuant que l’appelant avait renoncé au droit qu’il possédait en vertu de l’article 14 de la Charte du fait qu’il ne s’était pas opposé à la qualité de l’interprétation dès qu’il avait eu la possibilité de le faire au cours de l’audition de sa revendication.

[24]  La demanderesse avait l’obligation de s’objecter à la qualité de l’interprétation à la première occasion raisonnable, mais elle ne l’a fait qu’au stade de la demande de permission d’en appeler. En l’état actuel, il semble que, les quelques fois où les services de l’interprète ont été utilisés dans les segments qu’on a soit portés à mon attention ou dont j’ai fait l’écoute, la demanderesse n’a pas exprimé de difficultés ou de problèmes. Il incombe à la demanderesse de démontrer qu’elle a fait part de ses objections à la première occasion, mais elle n’a pas saisi cette occasion. Compte tenu des faits que j’ai énoncés, je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

b) Conclusion de fait erronée

[25] La demanderesse soutient que la division générale a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La demanderesse soutient que ces conclusions de fait erronées découlent de la qualité du service d’interprétation. La demanderesse soutient que la division générale a confondu sa première maladie (un accident survenu en 1997 entraînant une blessure au genou) et sa deuxième maladie (problème de décollement de la rétine survenu en 2007). Il n’est pas évident quelle est la conclusion de fait erronée sur laquelle la division générale aurait censément fondé sa décision. Si je fais abstraction de l’observation selon laquelle la conclusion de fait erronée découle de la qualité du service d’interprétation, un demandeur devrait préciser la conclusion de fait qu’il allègue être erronée, afin qu’un examen de la preuve puisse être entrepris.

[26] Si la demanderesse laisse entendre que la division générale a confondu les dates de survenue de la blessure au genou et du problème de décollement de la rétine, je vois qu’il y avait des éléments de preuve documentaires sur lesquels la division générale a pu se fonder pour rendre sa décision. Quoi qu’il en soit, la date de début de ces deux problèmes n’est pas importante en l’espèce puisque les deux problèmes sont antérieurs à la fin de la période minimale d’admissibilité.

[27] Je ne suis pas convaincue que le moyen d’appel selon lequel la division générale a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[28] Compte tenu des considérations susmentionnées, la demande est rejetée.

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