Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Avocate de l’appelante : Kristen Walker
  • Représentante de l’intimé : Julia Betts
  • Observateur : Michael Stevenson

Introduction

[1] L’appelante a fait valoir qu’elle était rendue invalide par un certain nombre de lésions corporelles, des maux de tête, des troubles du sommeil et d’autres problèmes de santé ayant été causés par un accident d’automobile. Elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’intimé a refusé la demande à l’étape initiale et lors du réexamen. L’appelante a porté en appel la décision de réexamen devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en avril 2013 aux termes de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. La division générale a tenu une audience en personne et, le 23 février 2015, elle a rejeté l’appel.

[2] Le 19 juin 2015, l’appelante a obtenu la permission de porter la décision de la division générale en appel devant la division d’appel du Tribunal. Elle a fait valoir que la division générale avait commis une erreur en ne tenant pas compte du critère d’invalidité « grave » prévu dans le Régime de pensions du Canada, et que la division n’avait pas examiné si elle pourrait régulièrement s’adonner à un emploi véritablement rémunérateur. L’intimé a fait valoir que la division générale avait appliqué le bon critère juridique, que la décision de la division générale était raisonnable et qu’elle devrait être maintenue.

[3] Le présent appel a été instruit par vidéoconférence après avoir tenu compte des éléments suivants :

  1. a) La complexité de la question en litige.
  2. b) Le fait que les parties étaient représentées.
  3. c) Le matériel de vidéoconférence est disponible dans la région où réside l’appelante.
  4. d) L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale voulant que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Norme de contrôle

[4] Les deux parties font valoir que la norme de contrôle applicable dans le présent appel est celle de la décision correcte. L’avocat de l’intimé a été plus précis en indiquant que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la division générale avait énoncé les exigences juridiques concernant la « gravité » au sens du Régime de pensions du Canada était celle de la décision correcte, et que le la question de savoir si ce critère avait été appliqué correctement aux faits dont était saisie la division générale devrait être évaluée selon la norme de la décision raisonnable.

[5] La décision de principe ici est l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle d’une décision concernant des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit, ou des questions de droit se rapportant à la loi constitutive du tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de la décision correcte doit être appliquée aux questions de compétence, aux questions constitutionnelles et aux questions de droit, qui sont à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangères au domaine d'expertise de l'arbitre. C’est le raisonnement qu’a adopté la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, un contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel de notre Tribunal.

[6] Dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a indiqué que la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ne devrait pas appliquer aux appels dont elle est saisie une analyse fondée sur la norme de contrôle, mais qu’elle devrait plutôt déterminer si l’un des moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences devrait être retenu. Je dois donc décider si la division générale a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère juridique quant à la gravité au sens du Régime de pensions du Canada.

Analyse

[7] La Loi sur le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce quels sont les seuls moyens d’appel qui peuvent être pris en compte dans un appel d’une décision de la division générale. L’article 59 énonce les redressements que la division d’appel peut appliquer en appel (voir l’annexe de la présente décision).

[8] Les deux parties ont convenu que la division générale avait correctement exposé la définition d’invalidité « grave » faite dans le Régime de pensions du Canada, au paragraphe 8 de sa décision. On peut y lire :

[Traduction]

L’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada définit l’invalidité comme une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès.

[9] Toutefois, au paragraphe 44 de la décision, la division générale conclut :

[Traduction]

Au moment où la PMA de l’appelante a pris fin en 2008, cependant, le Tribunal ne peut conclure que l’appelante avait épuisé toutes les options de traitement ou qu’elle était complètement incapable de s’adonner à une occupation véritablement rémunératrice en travaillant selon ses limitations fonctionnelles.

L’avocate de l’appelante a fait valoir que cette affirmation au paragraphe 44 démontre que la division générale, même si elle a énoncé la bonne définition du caractère grave, a appliqué un critère juridique différent et incorrect quant à la gravité lorsqu’elle a rendu sa décision sur la présente demande de prestations. Plus particulièrement, elle affirme que parce que la division générale n’avait pas tenu compte de la définition correcte de la gravité dans le Régime de pensions du Canada, elle n’a pas évalué si l’appelante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice (c’est moi qui souligne). Il en a résulté une décision qui ne peut être maintenue. De plus, elle soutient que le fait de citer une définition « passe-partout » du mot grave dans l’introduction de la décision ne pourrait empêcher l’erreur d’appliquer la mauvaise définition pour rendre une décision dans l’affaire qui nous occupe.

[10] Dans Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, la Cour d’appel fédérale a décidé que l’on devait donner un sens à chaque mot utilisé dans la définition du mot grave présente dans le Régime de pensions du Canada, et que le Parlement considérait grave une invalidité qui rend un demandeur régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. C’est très différent du fait d’exiger qu’un demandeur soit incapable en tout temps de s’adonner à n’importe quelle occupation. L’avocate a aussi invoqué à l’appui de son argument la décision de la Commission d’appel des pensions dans l’affaire Barlow c. Canada (ministre du Développement des ressources humaines), (22 novembre 1999), CP 07017 (CAP) qui examine la définition que donne le dictionnaire des mots « régulier » et « régulièrement », et la décision de la Cour d’appel fédérale dans Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, qui énonce que la prévisibilité est essentielle à la régularité. L’avocate a fait mention de la preuve résumée dans la décision selon laquelle l’appelante devait se reposer au lit en raison de ses maux de tête. Elle fait valoir que la division générale n’avait pas, en prenant sa décision dans la présente affaire, examiné si l’appelante était capable de travailler de manière régulière ou prévisible parce qu’elle était au lit à cause de maux de tête deux à trois jours chaque semaine. Si elle en avait tenu compte, affirme l’avocate, la division générale aurait rendu une décision différente en l’espèce.

[11] En contrepartie, la représentante de l’intimé a fait valoir que la division générale avait correctement énoncé et appliqué la définition d’invalidité grave dans la présente affaire. Elle reconnaît que la définition a été correctement citée à partir de la Loi au paragraphe 8 de la décision. De plus, elle affirme que, même si un libellé différent a été utilisé au paragraphe 44 de la décision, la définition est essentiellement la même. Elle fait valoir qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que la division générale utilise toujours la même formulation que le Régime de pensions du Canada.

[12] En outre, la représentante de l’intimé soutient que la division générale était au fait des limitations fonctionnelles de l’appelante et de leur incidence sur sa capacité de travailler. Elle était donc au fait de l’enjeu de régularité. La représentante souligne les paragraphes 37 à 43 de la décision de la division générale, où cette dernière examine les limitations de l’appelante et applique les principes de la jurisprudence pertinente au moment d’évaluer les limitations par rapport aux critères énoncés dans le Régime de pensions du Canada. En conséquence, fait-elle valoir, la décision de la division générale était raisonnable et la division d’appel n’a aucune raison d’intervenir.

[13] Cette question peut être analysée en trois étapes : 1, est-ce que la division générale a identifié le bon critère juridique pour la gravité; 2, est-ce que la division générale a correctement appliqué le critère aux faits en l’espèce; et, 3, est-ce que la décision de la division générale est défendable à la lumière des faits et du droit.

[14] Premièrement, il est clair que la division générale, au paragraphe 8 de sa décision, a correctement répété la définition du mot « grave » énoncée dans le Régime de pensions du Canada. Cela n’est pas contesté. Cependant, il ne suffit pas d’énoncer le droit, il faut l’appliquer aux faits dont le décideur est saisi.

[15] Il est également clair que la division générale, au paragraphe 44 de sa décision, fait mention de quelque chose qui est différent du libellé de l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada. Il n’est pas nécessaire de toujours répéter les termes exacts du Régime de pensions du Canada dans toutes les situations, bien qu’il puisse s’avérer peu sage de ne pas le faire (voir Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Quesnelle, 2003 CAF 92). Je dois cependant décider si l’énoncé fait au paragraphe 44 de la décision est essentiellement le même que la définition d’invalidité grave dans le Régime de pensions du Canada. Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincue qu’il ne l’est pas. L’énoncé du paragraphe 44 inclut une allusion à la capacité fonctionnelle de l’appelante à travailler. On y examine toutefois la question de savoir si l’invalidité de l’appelante était régulière. La division générale disposait d’éléments de preuve voulant que l’appelante devait demeurer au lit fréquemment à cause de maux de tête (deux à trois jours chaque semaine). Cette preuve n’a pas été analysée, ou la division générale n’en a pas tenu compte pour parvenir à sa décision. Il pourrait en ressortir que l’appelante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[16] Aux paragraphes 37 à  43 de la décision, la division générale a examiné les conditions médicales de l’appelante à l’exception de ses maux de tête, et a appliqué le droit touchant les questions d’atténuation, de suivi des traitements recommandés, etc. Elle n’a pas examiné la question de la régularité.

[17] L’avocate de l’appelante a fait valoir que la division générale aurait dû se demander si elle était capable de travailler régulièrement pour déterminer si l’invalidité est grave. En toute déférence, il s’agit là aussi du mauvais critère à appliquer. C’est l’incapacité qui doit être régulière, et non pas le travail (voir Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34).

[18] Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a affirmé que les motifs et la décision doivent être examinés dans leur ensemble pour déterminer si la décision se défend au regard des faits et du droit. Je reconnais que la décision de la division générale contenait un résumé détaillé et exhaustif de la preuve dont la division était saisie. Elle énonçait le droit correctement dans les paragraphes d’introduction, et mentionnait en général la capacité fonctionnelle de l’appelante et son incidence sur sa capacité de travailler. Cependant, elle n’a pas examiné la question de la régularité, dont elle était saisie. Pour qu’une personne qui demande une pension d’invalidité soit considérée invalide, elle doit être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale devrait être au fait de cette question au moment de décider si un requérant est invalide au sens du Régime de pensions du Canada. La division générale n’était pas dans cette situation et a commis une erreur de droit. Cette décision ne peut être maintenue.

Réparation

[19] L’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les redressements que la division d’appel peut accorder. Les deux avocats ont suggéré que si l’appel est accueilli, il convenait que cette affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen. Je souscris à cette solution.

[20] Pour les raisons qui précèdent, la décision de la division générale dans la présente affaire est annulée, et l’affaire est renvoyée à la division générale pour réexamen. Afin d’éviter une appréhension potentielle de partialité, elle devrait être attribuée à un membre différent de la division générale et la décision du 23 février 2015 devrait être retirée du dossier.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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