Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelante : V. E.
  • Avocate de l’appelante : Kathleen Cullin
  • Avocat de l’intimé : Duane Schippers

Introduction

[1] L’appelante a affirmé qu’elle était devenue invalide en raison de blessures subies lors d’un accident de la route, qui ont entraîné notamment des douleurs chroniques, des limitations physiques et une maladie mentale. L’intimé a rejeté sa demande lors de se présentation initiale et après révision. L’appelante a interjeté appel de la décision de révision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été transféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. La division générale a tenu une audience en personne et, le 24 mars 2015, a rejeté l’appel. L’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler a été accordée le 25 mai 2015. Selon le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, une fois que la permission d’en appeler à la division d’appel a été accordée, les parties peuvent présenter des observations écrites. L’intimé a présenté des observations écrites; l’appelante ne l’a pas fait. J’ai tenu compte des documents écrits contenus dans le dossier d’appel et des observations orales des parties pour rendre ma décision.

[2] L’appelante a soutenu que la décision de la division générale devrait être annulée parce que la division générale a commis une erreur dans ses conclusions quant à sa décision de ne pas subir une intervention chirurgicale précise ou de prendre certains médicaments ni de recourir à des services de counselling communautaire. L’intimé a soutenu que la décision de la division générale était raisonnable et que rien ne justifiait l’intervention de la division d’appel.

[3] Cet appel a été instruit par vidéoconférence, compte tenu des facteurs suivants :

  1. a) le fait que la crédibilité des parties ne figurerait pas au nombre des questions principales;
  2. b) le fait que l’appelante ou les autres parties étaient représentées;
  3. c) l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent;
  4. d) le fait que l’appelante et son avocat se trouvaient dans des villes différentes, situées à une certaine distance l’une de l’autre.

Norme de contrôle

[4] L’intimé a présenté de longues observations écrites sur la norme de contrôle qui devrait être appliquée à la décision de la division générale. Il a fait valoir qu’en ce qui concerne les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable et qu’en ce qui a trait aux questions de droit, ce devrait être celle de la décision correcte. L’arrêt de principe applicable est l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle d’une décision concernant des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit ou des questions de droit se rapportant à la loi constitutive du tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de la décision correcte doit être appliquée aux questions de compétence et aux questions de droit, qui sont à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangères au domaine d’expertise de l’arbitre.

[5] Récemment, dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2014 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la division d’appel ne devrait pas faire une analyse détaillée de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions de la division générale du Tribunal, mais qu’elle devrait plutôt déterminer si des moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ont des chances de succès. En l’espèce, les deux avocats ont convenu qu’il n’était pas nécessaire que la division d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la division générale relativement aux questions de droit.

[6] Par conséquent, je dois déterminer si la division générale a commis une erreur de droit ou de fait pouvant faire en sorte que la décision ne peut être maintenue.

Analyse

[7] C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social qui régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel pouvant être pris en considération. L’article 59 de la Loi énonce les correctifs que la division d’appel peut apporter lorsqu’un appel est accueilli (ces dispositions figurent à l’annexe de la présente décision). Les observations des parties en appel ne traitaient que des moyens d’appel en fonction desquels la permission d’en appeler a été accordée. Je n’ai pas pris en considération les autres moyens d’appel qui ont été soulevés dans la demande de permission d’en appeler, mais qui ont été jugés comme ne présentant pas une chance raisonnable de succès en appel.

[8] La permission d’en appeler a été accordée au motif que la division générale avait peut‑être commis une erreur en n’appliquant pas aux faits de l’affaire dont elle était saisie les principes juridiques énoncés dans l’affaire A.P. c. Ministre du Développement des ressources humaines,15 décembre 1999 CP 26308 (CAP), à laquelle elle faisait référence dans sa décision. Les avocats des deux parties ont convenu que cette décision était pertinente en l’espèce et qu’elle confirme le principe juridique selon lequel le prestataire d’une pension d’invalidité a l’obligation de suivre activement un traitement et de déployer des efforts réalistes et raisonnables pour obtenir un emploi qui tient compte de ses limitations. La division générale a conclu que l’appelante n’avait pas respecté cette obligation juridique. L’appelante a soutenu qu’elle avait déployé de véritables efforts pour se prendre en main et se réadapter. Elle n’avait pas les moyens de payer des traitements. Elle a décidé de ne pas subir une intervention chirurgicale dont elle avait discuté avec son médecin, car il n’y avait aucune garantie que cela atténuerait sa douleur (ce dont elle se plaignait principalement). En outre, l’appelante a affirmé qu’elle avait pris des narcotiques qui lui avaient été prescrits, mais qu’ils n’avaient pas amélioré son état et ne lui avaient pas permis de retourner au travail et qu’ils la faisaient se sentir [traduction] « non présente » pour ses enfants. Elle avait donc mis fin à ce traitement. L’appelante a soutenu qu’il s’agissait de décisions raisonnables fondées sur l’ensemble des circonstances.

[9] L’avocat de l’intimé a affirmé qu’il ressortait clairement à la lecture de la décision que la division générale n’était pas convaincue que l’appelante était invalide au sens du Régime de pensions du Canada. Il a soutenu que la division générale n’avait pas commis d’erreur en se reportant à la décision A.P. et qu’elle avait appliqué les principes de la décision aux faits de l’affaire dont elle était saisie. La décision établissait que l’appelante n’avait pas cherché activement des options de traitement, car elle avait refusé de subir une intervention chirurgicale, qu’elle avait présenté un témoignage incohérent sur son usage de narcotiques et qu’elle n’avait pas suivi d’autres recommandations de traitement. Il a également fait valoir que, même si l’appelante n’est pas d’accord avec cet état de fait, il était loisible à la division générale de privilégier davantage les éléments de preuve écrits concernant la capacité de travailler de l’appelante grâce à une gestion appropriée de la douleur que son témoignage oral sur cette question, et que la décision énonçait clairement les raisons pour lesquelles elle avait accordé la préférence à ces éléments de preuve écrits.

[10] Je ne suis pas convaincue que la décision de la division générale contenait une erreur qui constitue un moyen d’appel énoncé à l’article 58 de la Loi en ce qui a trait à l’application de la décision A.P. aux faits de l’espèce. La division générale a énoncé clairement et correctement les principes juridiques découlant de cette décision. Elle les a appliqués lorsqu’elle a examiné le respect par l’appelante des recommandations de traitement, y compris son refus de subir une intervention chirurgicale et de continuer des traitements de chiropractie, son suivi des divers traitements, notamment les essais de médicaments, et le fait qu’il n’y a pas eu d’autres tentatives de retour au travail. S’il est vrai que la décision ne contenait peut‑être pas tous les éléments de preuve et arguments présentés à cet égard et aurait pu être plus claire quant à son application des principes juridiques aux faits de l’espèce et à la conclusion tirée, elle est intelligible et peut se justifier au regard des faits et du droit.

[11] La permission d’en appeler a également été accordée au motif que la division générale avait peut‑être commis une erreur lorsqu’elle avait affirmé que [traduction] « rien n’indique que l’appelante a tenté d’avoir accès à des ressources communautaires ». L’appelante a soutenu vigoureusement que la division générale avait outrepassé sa compétence en faisant cette affirmation et qu’elle avait fondé sa décision dans cette affaire sur cette affirmation. Elle a fait valoir que la division générale ne disposait d’aucun élément de preuve au sujet des ressources communautaires auxquelles elle aurait pu avoir accès. Elle a également fait valoir qu’un tribunal ne peut connaître d’office des faits parce qu’il ne détient aucune compétence inhérente pour le faire. Qui plus est, l’appelante vit dans le Nord‑Est de l’Ontario, où les ressources médicales et communautaires auxquelles elle pourrait avoir accès sont limitées. L’appelante a affirmé que la division générale, au fait de la rareté des ressources communautaires et de son incapacité à se payer des traitements, avait tiré à tort une conclusion défavorable à son endroit, selon laquelle elle n’avait pas payé de tels traitements et n’avait pas cherché à en obtenir.

[12] L’avocat de l’intimé a soutenu que ce moyen d’appel n’était pas considéré comme une erreur de compétence; à juste titre, il était considéré davantage comme une erreur de fait. Il a fait valoir que l’affirmation contenue dans la décision de la division générale à propos des ressources communautaires était un commentaire supplémentaire sur le manque d’efforts de l’appelante à suivre des traitements ou à se réadapter activement, comme l’exige la loi. Il a ajouté qu’il était [traduction] « bien connu » qu’il existait des services de counselling communautaire et que l’appelante aurait pu y avoir accès si elle l’avait voulu.

[13] Je suis d’accord avec l’intimé, qui qualifie ce moyen d’appel d’erreur de fait et non d’erreur de compétence. Lorsqu’elle a rendu sa décision, la division générale a considéré que l’appelante n’avait pas eu recours à des traitements communautaires. La décision de la division générale laissait entendre qu’il existait des ressources communautaires auxquelles l’appelante aurait pu avoir accès. Aucun fondement probatoire lié à cette conclusion n’a été établi, et l’appelante n’a présenté aucun élément de preuve sur cette question. En fait, la division générale disposait d’éléments de preuve selon lesquels de telles ressources étaient rares dans la région où vit l’appelante. Je ne suis pas d’accord qu’il est « bien connu » que ces ressources existent, car elles sont inexistantes dans un grand nombre de collectivités. Je suis convaincue que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a laissé entendre que l’appelante n’avait pas eu recours aux ressources communautaires disponibles pour se faire traiter. Je suis aussi convaincue que la division générale a fondé sa décision, en partie, sur cette conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division générale a commis une erreur à cet égard.

[14] L’intimé a soutenu que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer dans cet appel est celle de la décision raisonnable. Il a affirmé, en se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, que la bonne approche consistait à examiner les motifs de la décision dans son ensemble et non « ligne par ligne », à déterminer si elle est intelligible et logique, si les motifs permettent de comprendre le fondement probatoire de la décision et les raisons pour lesquelles la décision a été rendue. Il a aussi affirmé que, bien que la décision de la division générale n’ait pas fait référence à chacun des éléments de preuve et des arguments soulevés, ce n’était pas nécessaire si elle était intelligible et que le lecteur pouvait comprendre la décision et ses motifs. Je suis d’accord avec lui.

[15] Dans la présente affaire, mis à part le fait qu’il n’y avait aucun élément de preuve lié à la disponibilité de ressources communautaires, les faits de l’espèce n’ont pas été contestés. Il n’a pas été contesté que l’appelante a subi des blessures lors d’un accident de la route ni que les divers traitements n’ont pas résolu entièrement ses problèmes. Il n’a pas été contesté non plus que l’appelante n’a pas continué tous les traitements qui lui avaient été recommandés, notamment de prendre des médicaments et de subir une intervention chirurgicale. L’appelante est en désaccord avec la conclusion que la division générale a tirée des faits de l’espèce. Toutefois, son désaccord avec la décision ne constitue pas un fondement juridique sur lequel la décision peut être infirmée.

[16] Dans sa décision, la division générale a résumé la preuve écrite et orale qui avait été présentée. La division générale a apprécié la preuve et expliqué pourquoi elle avait privilégié certains éléments de preuve par rapport à d’autres. Lue dans son ensemble, la décision est logique, transparente et intelligible. La conclusion fait partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17] Je ne suis pas convaincue que l’erreur commise dans la décision liée au défaut de l’appelante de recourir à des ressources communautaires jette un doute sur la décision dans son ensemble. Ce n’était qu’un des facteurs pris en considération, auxquels s’ajoutent les capacités fonctionnelles de l’appelante, la preuve incohérente sur la prise de médicaments, le suivi des divers traitements et les autres éléments de preuve qui ont été présentés.

[18] Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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