Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Motifs et décision

Comparutions

  • Appelante : L. T.
  • Avocat de l’appelante : Patrick Castagna
  • Avocate de l’intimé : Stéphanie Yung‑Hing

Introduction

[1] Dans sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’appelante a affirmé qu’elle était invalide en raison d’une anxiété et de douleurs abdominales. L’intimé a rejeté sa demande à l’examen initial, puis après révision. L’appelante a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été déféré à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) en application de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable en avril 2013. La division générale a tenu une audience par téléconférence et, le 30 janvier 2015, a rejeté l’appel.

[2] La division d’appel du Tribunal a accordé la permission d’en appeler à l’appelante le 24 avril 2015 pour deux motifs : la division générale a peut‑être commis des erreurs lorsqu’elle a déclaré que l’appelante n’avait reçu aucun traitement, y compris des médicaments pour des douleurs abdominales, après son  intervention chirurgicale en 2011, et lorsqu’elle s’est fondée sur le témoignage de l’appelante, selon lequel son médecin de famille avait recommandé qu’elle retourne travailler à temps partiel tandis que des rapports médicaux de ce médecin indiquaient qu’elle était incapable de travailler.

[3] Le mode d’audience par comparution en personne a été choisi en fonction des facteurs suivants :

la complexité des questions en litige;

le fait que l’appelante ou les autres parties étaient représentées;

l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Norme de contrôle

[4] L’arrêt de principe quant à la norme de contrôle à appliquer aux décisions d’un tribunal faisant l’objet d’un contrôle judiciaire est Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick 2008 CSC 9.  Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle d’une décision portant sur des questions de fait, des questions mixtes de droit et de fait et des questions de droit liées à la loi constitutive d’un tribunal, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, c’est‑à‑dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  La norme de la décision correcte doit être appliquée aux questions de compétence et aux questions de droit, qui sont à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre.

[5] C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi) qui régit le fonctionnement du Tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel qui peuvent être pris en considération pour que la permission d’interjeter appel d’une décision de la division générale puisse être accordée, et l’article 59 énonce les correctifs que la division d’appel peut apporter si l’appel est accueilli (voir l’annexe à la présente décision).

[6] Dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ne devrait pas assujettir les appels dont elle est saisie à une analyse relative à la norme de contrôle, mais devrait plutôt déterminer si l’un des moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la Loi a une chance de succès.

[7] L’avocate de l’intimé a soutenu que le libellé des articles 58 et 59 de la Loi indique que la division d’appel devrait faire preuve de déférence à l’égard de la division générale en ce qui concerne les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, mais ne devrait faire preuve d’aucune déférence à l’égard de la division générale en ce qui a trait aux questions de droit. Les avocats des deux parties ont convenu que, dans le cas qui nous occupe, la décision de la division générale devrait être examinée en appliquant la déférence parce que l’appel concerne des questions mixtes de fait et de droit. Je suis d’accord. Je dois donc déterminer si la décision de la division générale contenait une erreur mixte de fait et de droit pouvant faire en sorte  qu’elle ne peut être maintenue.

Analyse

[8] La permission d’en appeler a été accordée à l’appelante; premièrement, au motif que la division générale avait peut‑être commis une erreur lorsqu’elle avait déclaré que l’appelante n’avait reçu aucun traitement, y compris des médicaments peu après son intervention chirurgicale en 2011. L’appelante a soutenu que cela était incorrect. L’avocat a énuméré, à partir des rapports médicaux soumis au Tribunal, un certain nombre de médicaments qui avaient été prescrits à l’appelante pour des douleurs abdominales. Ceux‑ci ne lui procuraient aucun soulagement. Il a fait référence aux rapports du Dr Correia, datant de janvier 2012, qui résumaient les antécédents de traitement de l’appelante, notamment un grand nombre de coloscopies, endoscopies, laparoscopies, médicaments et autres tests de diagnostic. Il a également fait référence à l’historique des ordonnances qui avait été déposé en preuve, selon lequel en mai 2012, soit près d’un an après l’intervention chirurgicale, un autre médicament contre les douleurs abdominales lui avait été prescrit.

[9] L’avocat de l’appelante a en outre fait valoir qu’en janvier 2012, le Dr Correia avait déclaré que si le traitement recommandé à ce moment‑là ne lui procurait aucun soulagement, la seule option était de se concentrer sur le traitement des problèmes de santé mentale de l’appelante. C’est ce que l’appelante a fait, car elle a continué à voir son psychiatre jusqu’en 2013.

[10] En revanche, l’avocate de l’intimé a fait valoir que la division générale n’avait pas commis d’erreur à cet égard, car elle s’était fondée sur le témoignage de l’appelante à l’audience. Celle‑ci avait déclaré qu’elle avait uniquement pris des médicaments pendant une courte période après l’intervention chirurgicale. De plus, dans le rapport de la Dre Sherman du 30 juillet 2013, il était indiqué que divers médicaments prescrits devaient être pris « au besoin », ce qui laissait entendre qu’ils n’étaient pas pris régulièrement. L’avocate a affirmé que, lorsque ces éléments de preuve sont examinés dans leur ensemble, il était raisonnable pour la division générale de conclure que l’appelante n’avait suivi aucun traitement et n’avait pas pris de médicaments depuis son intervention chirurgicale.

[11] L’avocate de l’intimé a également affirmé que s’il s’agissait d’une erreur, cela ne justifiait pas l’intervention de la division d’appel parce que ce n’était qu’un des facteurs que la division générale avait pris en considération pour rendre la décision selon laquelle l’appelante n’était pas invalide. Elle avait également tenu compte de son utilisation minime de médicaments contre l’anxiété, de l’absence de spécialistes consultés après janvier 2012, ainsi que de l’absence d’éléments de preuve de graves problèmes de santé mentale, et des éléments de preuve démontrant une capacité de travail sans aucune tentative pour travailler ou se recycler.

[12] Je reconnais que l’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas pris de médicaments, sauf peu de temps après son intervention chirurgicale en 2011. Un examen des rapports médicaux indique cependant qu’un certain nombre de médicaments ont été essayés sans succès, même un an après l’intervention. L’appelante a consulté le Dr Correia en janvier 2012, qui lui a prescrit d’autres médicaments pendant quelques mois après cette consultation. Je suis donc convaincue que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée à cet égard.

[13] Toutefois, pour que cette conclusion de fait erronée constitue un moyen d’appel en application de l’article 58 de la Loi, elle doit avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. Je ne suis pas persuadée qu’elle l’a été. La conclusion de fait de la division générale reposait sur le témoignage de l’appelante. Il ne s’agissait pas d’une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire. La décision de la division générale contenait également un résumé de la preuve médicale, y compris du rapport du Dr Correia. La division générale est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée (Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82). Cette présomption n’a pas été réfutée. Je suis donc convaincue que cette conclusion de fait n’a pas été tirée sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. L’appel ne peut pas être accueilli sur ce fondement.

[14] La permission d’en appeler a été accordée au motif que la division générale n’a peut‑être pas fourni suffisamment de motifs expliquant pourquoi elle avait écarté le rapport du médecin de famille de juillet 2012. On y mentionnait que l’appelante était incapable de travailler à la lumière d’un témoignage contradictoire selon lequel ce médecin avait recommandé que l’appelante tente de retourner travailler quatre heures par jour. L’avocat de l’appelante a soutenu que, bien que le médecin ait peut‑être dit que l’appelante pourrait essayer de travailler, il ne s’agissait pas d’une recommandation et il n’y a eu aucun suivi à ce sujet. La division générale n’aurait pas dû accorder de poids à cette déclaration, mais aurait dû en accorder aux rapports écrits.

[15] L’avocat de l’appelante a fait valoir que la division générale n’aurait pas dû écarter le rapport de juillet 2012 de la Dre Sherman, qui mentionnait que l’appelante était incapable de travailler. La décision de la division générale indiquait qu’elle l’avait fait parce que le rapport n’établissait aucun fondement permettant d’en arriver à cette conclusion. Toutefois, l’appelante a fait valoir que ce rapport concordait avec les commentaires que la Dre Sherman avait rédigés dans tous les rapports précédents présentés au Tribunal. Si le rapport devait être examiné dans le contexte de l’ensemble du dossier médical, le fondement de la conclusion était clair. Le poids aurait dû être accordé à ce rapport au moment de rendre la décision dans cette affaire.

[16] L’avocate de l’intimé a soutenu que le rapport de 2012 de la Dre Sherman ne faisait pas allusion à la capacité de travailler de l’appelante à la date visée (le 31 décembre 2011). Par conséquent, ce rapport a été écarté à juste titre par la division générale.

[17] Je reconnais que l’appelante est en désaccord avec la décision de la division générale de ne pas accorder de poids au rapport de 2012 de la Dre Sherman. Toutefois, cet argument équivaut à demander au Tribunal de réévaluer la preuve dans le but de tirer une conclusion différente. Dans Gaudet c. Procureur général Canada, 2013 CAF 254, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un tribunal de contrôle ne doit pas trancher de nouveau les questions en litige. Il doit plutôt se demander si la conclusion était acceptable et justifiable au regard des faits et du droit. La division générale a pris en considération ce rapport et a fourni des motifs logiques fondés sur les éléments de preuve pour l’exclure. Elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.

[18] L’avocat de l’appelante a également soutenu qu’il ne comprenait pas sur quoi était fondée la conclusion de la division générale selon laquelle l’appelante n’avait pas tenté de retourner au travail parce qu’elle ne voulait pas compromettre la réception de prestations d’invalidité à long terme de son employeur. L’avocate de l’intimée a fait allusion à l’enregistrement de l’audience où l’appelante a témoigné en ce sens. La division générale n’a pas commis d’erreur en y faisant allusion dans sa décision.

[19] L’appelante était aussi en désaccord avec les déclarations contenues dans la décision de la division générale, voulant qu’elle n’ait consulté aucun spécialiste après 2012 et que son traitement était conservateur. L’avocat a affirmé que l’appelante avait consulté un grand nombre de spécialistes dans diverses villes en Ontario et un aux États‑Unis, et qu’après l’intervention chirurgicale, elle en avait consulté deux autres. En outre, les nombreuses procédures de diagnostic qu’elle a suivies ne devraient pas être qualifiées de conservatrices. En faisant valoir cet argument, l’appelante demande encore à la division générale de réévaluer les éléments de preuve qui avaient été présentés à la division générale. Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la division d’appel devrait intervenir sur cette question.

[20] L’appelante s’est fondée sur la décision de la Commission d’appel des pensions dans Mainville c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 4 juillet 1997 CP04873 pour étayer sa demande. Dans cette affaire, la demanderesse s’était plainte de douleurs abdominales et avait subi plusieurs interventions chirurgicales et autres traitements sans pouvoir soulager ses symptômes. La Commission d’appel des pensions avait conclu qu’elle était invalide en se fondant sur des rapports de l’urologue et du médecin de famille, qui indiquaient qu’il était peu probable qu’elle occupe un emploi rémunérateur. S’il est vrai que Mme Mainville a souffert de symptômes semblables à ceux de l’appelante, cette décision se distingue par rapport aux faits de l’espèce. En effet, Mme Mainville a subi plusieurs interventions chirurgicales et tant son urologue que son médecin de famille ont déclaré qu’elle était incapable de travailler. Dans l’affaire dont je suis saisie, l’appelante a subi une intervention chirurgicale (qui n’a pas soulagé ses symptômes), et aucun avis médical durant la période en question n’indiquait qu’elle était incapable de travailler. Par conséquent, je ne suis pas convaincue par cette décision.

[21] En dernier lieu, l’appelante a soutenu que la division générale avait commis une erreur en déclarant qu’elle ne souffrait d’aucun problème grave de santé mentale. Son avocat s’est fondé sur le fait que l’appelante avait continué à voir son psychiatre pendant trois ans et que, lorsque ce dernier est tombé malade et est ensuite décédé, son médecin de famille s’était occupé de la prescription de ses médicaments. L’avocate de l’intimé a contredit cet argument en soulignant la référence temporelle dans l’enregistrement de l’audience de la division générale, où le membre de la division générale signalait à l’appelante que le psychiatre était décédé, car elle ne le savait pas. Elle a aussi soutenu que, dans sa décision, la division générale avait examiné la preuve testimoniale et médicale lorsqu’elle avait déterminé que sa maladie mentale n’était pas grave. Ce faisant, elle n’a commis aucune erreur.

[22] Je suis d’accord avec la décision de l’intimé à cet égard. Dans sa décision, la division générale a évalué et soupesé le témoignage oral et la preuve documentaire portant sur sa maladie mentale. Elle a conclu logiquement que ce problème n’était pas grave et le fondement probatoire de cette conclusion a été établi. Je ne peux donc pas conclure que, ce faisant, elle a commis une erreur.

[23] En outre, l’intimé a fait valoir que la division générale avait estimé à juste titre que l’appelante n’avait déployé aucun effort pour trouver un autre travail ou pour se recycler après avoir quitté son emploi en raison de la douleur et de la maladie mentale. Dans sa décision, la division générale a  énoncé et a appliqué correctement le droit sur cette question.

[24] Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor),2011 RCS 62,  la Cour suprême du Canada a statué que, lors du contrôle d’une décision, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et qu’ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. En l’espèce, lorsque l’on considère le résultat de la décision de pair avec les motifs fournis par la division générale et pour les motifs que j’ai exposés ci‑dessus, je suis convaincue que la décision fait partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision de la division générale ne contenait aucune erreur justifiant l’intervention de la division d’appel.

Conclusion

[25] Pour les motifs énoncés ci‑dessus, l’appel est rejeté.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.